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La Princesse de Babylone (Vigée, Kreutzer)

La Princesse de Babylone, opéra en trois actes, en vers, paroles de M. Vigée, musique de M. Kreutzer, ballet de M. Gardel, 30 mai 1815.

Académie impériale de Musique.

Titre :

Princesse de Babylone (la)

Genre

opéra

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

en vers

Musique :

oui

Date de création :

30 mai 1815

Théâtre :

Académie impériale ou royale de Musique, selon le moment

Auteur(s) des paroles :

Vigée

Compositeur(s) :

Kreutzer

Chorégraphe(s) :

 

Almanach des Muses 1816.

Poëme loué, beaucoup trop loué dans les sociétés, et même dans les journaux, jusqu'après la première représentation, qui a obtenu un succès complet.

Succès qui n'a pas empêché certains journalistes de traiter l'auteur d'écrivain plat, ridicule et stupide ; ce qui était tout simple, puisqu’il y a quarante ans qu'il est connu pour tel.

Forte et juste semonce sur ce que le ce pauvre diable d'auteur n'avait pas mis au théâtre tout ce que Voltaire avait mis dans son conte, quelques scènes entre autres, passablement gaies et licencieuses, qui auraient pu réjouir beaucoup les spectateurs : faute impardonnable, dont il s'accuse en toute humilité.

Au fait, la salle de l'Opéra, presque abandonnée à la seconde représentation, malgré les ardeurs brûlantes de la saison, et des préparatifs de guerre qui promettaient à la France tout le bonheur dont elle jouit depuis la rentrée des alliés.

Musique très-vantée, à juste titre, et chantée admirablement par les principaux acteurs, madame Branchu, MM. Dérivis et Nourrit. Ballets de la composition de M. Gardel : c'est tout dire.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Vente, 1815 :

La Princesse de Babylone, opéra en trois actes, en vers, paroles de M. Vigée, musique de M. Kreutzer, ballets de M. Gardel. Représentée pour la première fois, par l'Académie Impériale de Musique, le 30 mai 1815.

Journal de l’Empire, 5 juin 1815, p. 1-3 :

[Un fort long article, pour ne traiter qu’un des aspects de l’opéra : il devrait y avoir quatre parties, le livret, la musique, les « accessoires » (ballets, décors, costumes), l’interprétation. Mais une seule est vraiment traitée, le livret, les trois autres n’étant qu’effleurées, avec promesse d’un second article (que, semble-t-il, les circonstances n’ont pas permis de publier). Le titre de l’opéra renvoie bien sûr à Voltaire, mais c’est surtout pour montrer tout ce qui sépare le conte de Voltaire et sa mise en opéra : par le style, bien sûr, puisque le poème de Vigée, l’auteur de l’opéra ne présente guère d e »vers agréables », mais aussi par le choix que Vigée a fait d’écrire « un drame lamentable aussi grave, aussi triste, et beaucoup moins intéressant que des opéras tragiques », dans l’adaptation d’une œuvre au contraire pleine de fantaisie et de légèreté. Et l’adaptation est peu facile : le conte est une série de voyages de la belle princesse à la recherche de son bien aimé, structure qui le rend impropre à une pièce de théâtre telle qu’on la conçoit alors. Le récit de l’intrigue constitue l’essentiel de la suite de l’article. On y sent une certaine ironie envers une intrigue prévisible, et pas toujours très vraisemblable (Almazan en prison, voilà qui surprend !). Une fois le dénouement révélé, le critique regrette qu’il manque de place pour les trois autres parties d’un bon compte rendu d’un opéra. On passe vite en revue les trois parties manquantes, et on finit par un constat bien ambigu du succès de la pièce, qui ne pouvait échouer avec les interprètes qui l’ont joué. Avait-elle d’autres atouts ?]

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

La Princesse de Babylone, opéra en trois actes, paroles de M. Vigée, musique de M. Kreutzer, ballets de M. Gardel.

Dans le roman de Voltaire, Almazan, après avoir fait: un charmant diner, se laisse mener au spectacle. « Ce spectacle étoit un composé de vers agréables, de chants délicieux, de danses, qui exprimoient les mouvemens de l'âme, et de perspectives qui charmoient les yeux en les trompant.. Ce genre de plaisir, qui rassembloit tant de genres, n'étoit connu que sous un nom étranger ; il s'appeloit opéra, ce qui signifioit autrefois dans la langue des sept montagnes, travail, soin, occupation, industrie, entreprise, besogne, affaire. Cette affaire l'enchanta. » Almazan ne se doutoit point qu’un jour dans la capitale des Gaules, il fourniroit le sujet et le principal personnage d'une semblable affaire, et qu'en défigurant son nom et celle de la belle Formosante, on essaieroit de retracer sur un théâtre, aux regards des oisifs, quelques-unes de ces aventures merveilleuses que la plume d’un historien fidele avoit déjà immortalisées.

S'il eût prévu l'honneur insigne réservé à sa mémoire, il se seroit vraisemblablement flatté que; parmi les événemens prodigieux de sa vie, son poëte n'eût pas omis comme à dessein ceux qui forment les véritables titres de sa gloire. Quoiqu’il soit beau de tendre l'arc de Nemrod, et d'abattre dans l'arène la tête d'un lion furieux, ces deux exploits, les seuls qu'il ait plu au chantre lyrique de rappeler dans son ouvrage, n’ont rien de comparable à une foule d’autres actions produites par des sentimens bien supérieurs à la vigueur du bras, et même au courage. Sa modestie dans la victoire, sa constance en amour si souvent éprouvée, et, à une seule exception près, sortant triomphante de toutes les épreuves; sa piété filiale imposant silence à l'amour, son expédition de Séville, ses diamans, ses licornes, son phénix : voilà, si je ne me trompe, des choses que la magie des arts auroît pu reproduire, ou par des récits ou par des tableaux, et à la place desquelles M. Vigée n'a jugé à propos d’offrir que des aventures communes et qui ont rarement le mérite d'être exprimées en vers agréables.

Tout le monde connoit l’historiette de Voltaire : c'est un petit conte passablement graveleux où son imagination prend des licences de tout genre ; où, comme dans les autres ouvrages de sa vieillesse, el!e se joue de ce que l'on étoit le plus accoutumé a révérer. C'est une plaisanterie continuelle, une censure goguenarde de tout ce qui, dans les différens Etats de l'Europe paroît à l'auteur un abus ridicule ou une institution dangereuse: Formosante court après Almazan ; elle le suit à la piste de contrée en contrée, le manque toujours de deux heures, et par là a bientôt achevé avec lui le tour du monde, Il est évident que cette succession de voyages ne prêtoit pas à une action dramatique : aussi cette partie. du- roman (et c'en est la presque totalité) n'est point entrée dans les moyens de M, Vigée ; il s’est borné à ce qui en forme l'avant-scène, c'est-à-dire à la rivalité des quatre prétendans de Formosante ; et quant à la contexture de la fable, il n'a suivi en rien ni les données, ni les traditions, ni les mœurs du roman de Voltaire. On s'attendoit à un opéra comique dans le genre de la Caravane ou de Panurge. M. Vigée a pris la chose au sérieux, et d'une bouffonnerie originale il a trouvé le secret de tirer un drame lamentable aussi grave, aussi triste, et beaucoup moins intéressant que des opéras tragiques.

Ormosa, fille de Bélus, roi dé Babylone, est recherchée .par Hermodan, roi des Scythes ; Arbace, roi d'Egypte ; Taxile, roi des Indes et Almazan, jeune inconnu qui lui- a sauyé la vie, en arrêtant les chevaux de son char sur le bord d'un précipice. La reconnoissance d’Ormosa. est devenue de l’amour ; elle préfère en secret son libérateur aux monarques puissans qui se disputent sa main ; mais, en fille honnête et résignée, elle est décidée à obéir à son père. Cependant l'oracle a prononcé 

Celui qui de Nemrod tendra l'arc redoutable,
        
Qui, terrassant un lion furieux,
Prouvera son adresse et sa force indomptable
Est l’époux qu'Ormosa doit recevoir des dieux.

Les trois rois tentent, mais en vain. d’accomplir la première partie de l'oracle. Almazan sort des rangs du peuple où il est confondu et se présente pour tendre l’arc. Les rois font quelque difficulté de reconnoitre un pareil concurrent ; mais il insiste et, autorisé par le grand mage, il pénètre dans le temple où l’arc est déposé. Un instant après, le bruit d'une flèche qui frappe un corps retentissant, annonce la première victoire d’Almazan . Il revient sur la scène, et chante à Ormosa le madrigal de Voltaire :

L'arc de Nemod est celui de la guerre, etc.

La colère des rois rivaux ne peut se dépeindre : Hermodan espère prendre sa revanche dans l'arène où le lion doit être lancé ; Arbace et Taxile, moins généreux, veulent déjà porter le fer et le feu dans Babylone pour venger un affront dont Babylone est certainement très innocente. Arbace surtout a perdu entièrement la tête :

Que le ciel tonne
Sur.Babylone !

s’écrie-t-il : ce qui n’est pas très riche de rime ni très fort de raison. On ne voit pas trop pourquoi ses soldats étant tout près à servir son courroux, il invoque les foudres du ciel, quand ce sont d'ailleurs les ordres. du ciel qui viennent d'être accomplis par Almazan.

Vient ensuite une longue scène d'amour entre Almazan et la princesse. Hermodan arrive pour entendre les derniers mots qu'elle adresse à son amant : Aimez-moi, j’y consens. Herniodan comprend très bien qu'un parei- consentement est une déclaration ; Il devient furieux. Heureusement on entend un bruit éclatant de trompettes ; c'est le signal du combat contre le lion. Le roi Scythe sort avec Almazan; Ormosa reste seule sur la scène, occupée à déplorer son malheur et les nouveaux dangers de son amant. On entend dans la coulisse des chants de douleur et d'effroi :

I1 va mourir,
Il va périr.

Ces deux petits vers équivoques ne sont pas propres à la rassurer ; mais son père revient annoncer que le roi des Scythes étoit près de tomber sous 1a dent du lion, lorsque

        L'étranger a soudain paru ;
Le péril cesse et le monstre est vaincu.

Une fête triomphale célèbre le nouvel exploit d'Almazan : le cri aux armes vient tout à coup l'interrompre. Le roi des Indes et celui d'Egypte ont réuni leurs troupes et attaquent à la fois la ville et le palais ; Almazan rassure Bélus et sa fille, il s'adresse au peuple :

Promettez-moi votre courage ;
Je vous promets un défenseur.
    Que l'ardeur qui m'inspire
    Embrase votre cœur
    Il faut sauver l'Empire ;
Partageons cet honneur.

Le peuple, animé par la présence d'un héros, lui dévoue ses bras et son courage :

Il sauvera l'Empire !

L’enthousiasme devient général, et l'on part pour aller combattre les princes qui déjà, dans leurs désirs, ont consommé la ruine de Babylone, et s’en sont partagé les dépouilles.

Au troisième acte, le théâtre représente une prison ; et, au grand étonnement des spectateurs, c'est Almazan qui s'y trouve :renfermé. Il a été vaincu, et la raison qu’il en donne est assez bizarre :

La nuit, la sombre nuit a trompé mon courage.

Il semble qu'il devoit faire nuit pour tout le inonde, et que les vaiqueurs ne devoient pas y voir plus clair que les vaincus., Ormosa entourée des gardes, vient visiter son amant : elle peut sauver les jours d’'Almazan, les siens, ceux de son père; mais c'est à condition qu'elle opposera à l'amour un injuste dédain, ce qui ne me paraît pas très intelligible, et qu'elle accordera sa main à l'un des deux rois qu'enflamme la vengeance ! Almazan la presse généreusement de décider son choix : laissez-moi, lui dit-il 

Laissez-moi, dans mon malheur extrême,
En m'arrachant à vous, m'arracher à moi-même.

Mais Ormosa s'indigne de ces conseils, et elle aime mieux mourir avec son amant que de vivre en lui faisant une infidélité. Elle fait serment de n'être jamais qu'à lui. Almazan reste seul ; Hermodan entre, enveloppé d!une peau de tigre ; il vient délivrer celui qui le matin lui a sauvé la vie ; il donne son .manteau à Almazan, un guide pour diriger ses pas et l'oblige de s'éloigner. Lui-même reste dans la prison ; bientôt des soldais viennent le chercher pour le traîner au supplice ; il sort caché dans le manteau d’Almazan.

Le théâtre change et représente une place publique au milieu de laquelle s’élève un bûcher. On amène Ormosa, Bélus et Hermodan pour y être sacrifiés ; des soldais armés .de torches s'approchent du bûcher pour y mettre le feu. Hormodan sent qu’il est temps de se découvrir. Il ordonne de suspendre les apprêts ; les deux rois indignés de se voir trahis par un homme du même rang qu'eux, éclatent en injures ,en menaces, et sont prêts à consommer sur lui leur froide atrocité. Mais Almazan a été .se mettre à la tête dès Scvthes. Il arrive fort à propos, fond sur les soldats de l'Inde et de l'Egypte, les met en .fuite fait pisonniers Arbace et Taxile  mais il se conduit avec eux qu’avec les rechercheurs anthropokaies [?] de Séville. II brise le bûcher; les débris en sont dispersés. Ormosa est la récompense bien légitime de tant de dévouement, de fidélité et de courage. Le brave Hermodan voit le bonheur de son rival sans en être jaloux ; Almazan est proclamé par le grand mage enfant des rois et protégé des dieux ; une fête magnifique couronne une journée marquée par des alternatives aussi étonnantes d'infortunes et de prospérités.

Je n'ai eu le temps de parler que de la première des quatre parties qui constituent une grande affaire, un grand opéra ; je reviendrai sur la musique qui rappelle souvent la manière franche, naturelle, la simplicité savante que les .amateurs ont toujours admirée dans les compositions dramatiques de M. Kreutzer. Les ballets sont charmans ;celui du second acte pourroit être raccourci sans inconvénient ; il m'a paru qu'en général on a trouvé de la monotonie dans les figures. La décoration du premier acte, celle qui représente le grand cirque de. Babylone où un peuple immense est assis, a excité un enthousiasme universel. C'«st dans les poses tranquilles que la peinture peut, sans blesser l'illusion, remplacer les personnages vivans. Les costumes sont tous d'une fraîcheur et d'une richesse extraordinaires. Le casque de Derivis a étonné par sa -forme pittoresque, qui réunit l'éclat et la sévérité convenables à un roi, mais à un roi barbare.

L'exécution a été parfaite de la part des premiers sujets dans le chant, Derivis, Nourrit, Eloy, Mme Branchu ; dans la danse, Albert, Antonin, Anatole, Paul, Ferdinand, Mlles Gosselin, Clotilde, Delisle, Gaillet, Fanny Bias : comment avec tant de soutiens, un opéra, quel qu'il soit, pourroit-il tomber ?

Le Nain jaune, ou journal des arts, des sciences et de la littérature, volume II, 1815, n° 371 (Cinquième année), 5 juin 1815, p. 272-275 :

[Ce journal volontiers satirique ne se prive pas pour donner une image bien négative de l’opéra, en insistant sur tout ce qui ne va pas, y compris les accidents matériels qui émaillent certaines représentations.]

Académie impériale de Musique. Première représentation de la Princesse de Babylone. — Je me suis souvent demandé comment il était possible que l'Opéra, avec tous les avantages dont il jouit, fût un des spectacles les plus ennuyeux et les plus soporifiques de la capitale. Quelle punition devrait-on infliger à un homme à qui l'on dirait : vous vous occupez de lettres et de théâtres depuis trente ans, vous avez une réputation d'homme d'esprit ; cependant, comme vous pouvez manquer d'imagination, prenez parmi nos auteurs les plus féconds en ce genre, celui qui a eu le plus de succès, choisissez dans les ouvrages de cet ingénieux écrivain le sujet le plus convenable à la pompe de l'Opéra ; n'épargnez rien pour l'environner de tous les prestiges de l'art ; que les charmes de la mélodie viennent augmenter celui de vos vers; que les brillantes illusions de la peinture soient prodiguées à chaque acte ou à chaque scène ; que les attraits de la danse, les séductions de la beauté ne soient pas épargnés ; nous vous offrons tous les secours que votre art peut désirer, les plus beaux talens de la capitale vous seconderont de tous leurs moyens, les prodiges de la mécanique concourront à votre succès ; quelle punition, dis-je, devrait-on infliger à un auteur qui, avec des pareilles ressources, aurait trouvé le moyen de faire subir à des spectateurs le supplice infernal de trois heures d'ennui et de fatigue ? Ne devrait-il pas être justiciable des tribunaux du Parnasse, pour avoir gâté de la manière du monde la plus ridicule un des plus jolis contes de Voltaire; pour avoir substitué des vers lords et plats à la prose brillante et spirituelle de l'auteur de Zadig ? Ne serait-il pas jugé digne d'un châtiment exemplaire pour avoir été choisir le Childebrand de la musique, afin de déguiser la nullité de son poème ? n'aurait-il pas encouru la vindique publique pour avoir fait une mauvaise tragédie d'un badinage charmant, et pour avoir substitué un pathétique froid et ennuyeux à la gaîté franche et maligne de l'original ? Voilà pourtant ce qu'a entrepris l'auteur de la Princesse de Babylone, et ce qu'il a exécuté au grand regret des amateurs de l'opéra. Voici en peu de mots comment il a mutilé Voltaire : Bélus, roi de Babylone, a rassemblé dans la capitale de son empire trois puissans monarques qui aspirent à la possession d'Ormose, sa fille. Des épreuves sont indiquées aux trois rivaux. La première est celle de l'arc de Nembrod ; aucun d'eux ne peut parvenir à tendre cet arc, et le succès de cette entreprise est réservé à un jeune Gangaride qui a sauvé quelque temps auparavant la vie à la princesse et qui brûle en secret pour elle. La seconde épreuve est une lutte en champ clos avec un féroce lion. Deux des prétendans trouvent ridicule que Bélus veuille faire égorger son gendre par une bête fauve, et jugent plus prudent de faire combattre leurs sujets pour conquérir leur maîtresse. Le roi des Scythes seul descend dans l'arène et c'en est fait de lui si le jeune Gangaride n'arrive à son secours pour le tirer des pattes de son frère le roi des forêts. On n'oublie pas un pareil service, aussi le sensible Hermodon jure-t-il une amitié éternelle à son libérateur Almazan, c'est le nom du Gangaride. L'occasion se présente bientôt de lui en donner des preuves. Les deux rois vaincus dans les épreuves ont été réunir pendant l'entr'acte deux armées de trois cent mille hommes, et viennent demander raison à Bélus, qui, au milieu des rejouissances du mariage de sa fille, ne s'est pas mis en mesure de défendre sa capitale. Le jeune Gangaride lui offre le secours de son bras, et après avoir fait des prodiges de valeur, il se trouve au commencement du troisième acte dans une prison obscure, au pouvoir de ses rivaux ; la belle Ormose vient y consoler son amant qui serait dans une fâcheuse position sans la reconnaissance du roi des Scythes ; ce monarque vient dans la prison offrir un habit à son libérateur ; ce qui est bien le moins qu'il puisse faire ; Almazan le laisse à sa place et va tenter le sort des combats, qui au troisième acte ne peut plus être douteux, les deux rois d'Égypte et des Indes sont vaincus, Hermodon est remis en liberté, le vieux Bélus est délivré de ses ennemis, et Almazan épouse sa maîtresse après que le grand mage a assuré au roi de Babylone, qui paraît craindre beaucoup les mésalliances, qu'on avait trouvé la généalogie d'Almazan et qu'il était tout aussi noble que lui pour le moins. Voilà la castration qu'on a fait subir à Voltaire : on voit qu'il, fallait beaucoup de talent pour trouver une pareille rapsodie dans le conte de la princesse de Babylone. Aussi M. Vigée n'en aurait-il pas été capable tout seul. On a reconnu un homme plus exercé dans un pareil travail ; le spirituel auteur de l'Entrevue et d'un: grand nombre de jolies pièces, n'aurait pas eu le courage, j'en suis sûr, de défigurer ainsi Voltaire ; il a laissé ce soin à l'auteur de plusieurs essais dans ce genre, dont je ne veux pas poursuivre le talent par-delà la tombe. Mais comme M. Vigée n'est pas mort, je pourrai lui reprocher d'avoir supporté seul tout le poids de son succès, et d'avoir attaché son nom à un poème qui est le seul de ses ouvrages où l'on ne retrouve ni sa grâce ni son esprit. Je doute que tout le talent de Salieri eût pu soutenir un pareil opéra ; on peut présumer d'avance que celui de M. Kreutzer n'aura pas cette puissance ; depuis long-temps ce compositeur se tient dans les bornes de la médiocrité la plus affligeante. Toutes ses compositions sont d'une sécheresse et d'une monotonie qui ne laissent pas même soupçonner l'auteur de Lodoïska et de Paul et Virginie. A cette époque, M. Kreutzer faisait chanter ses acteurs et ne mettait pas tout son talent.dans une contrebasse ou un trombone. Au milieu de tout son fatras d'orchestre, j'ai saisi quelques phrases de chant dans le duo entre Bélus et Ormosa, et dans l'air d'Une paisible indifférence, et quelques beaux effets clans le final du premier acte. Les ballets sont bien dessinés. Le talent varié de M. Gardel s'y retrouve souvent; mais il faut convenir que la perfectfon des sujets; de la danse entre pour beaucoup dans le succès.

Je parlerai dans un prochain numéro, d'une Princesse de Babylone, non représentée et refusée à l'opéra; elle m'a paru supérieure à celle de M. Vigée, quoiqu'elle soit d'un homme fort inconnu, nommé Martin : je crois que cet ouvrage est celui que Salieri fit jouer à Vienne, sous le titre de la Reine de Palmyre.

Le même journal, dans le même numéro, revient sur les aventures de la Princesse de Babylone :

p. 285 : Défunte Quotidienne a mis en tête du feuilleton dans lequel on rend compte de la Princesse de Babylone : Théâtre de l'Opéra, au lieu d'Académie Impériale de Musique. Voilà une petite malice qui n'aura pas échappé à la perspicacité des heureux sphinx qui lisent la Feuille du Jour, et à laquelle le gouvernement sera bien sensible.

p. 285-286 : Errata du Journal Général.

Samedi 2 juin; lisez : 3 juin. Académie de Musique ; lisez : Académie Impériale de Musique.

Que de ménagemens, que de tendres égards pour la Princesse de Babylone ! M. Vigée a-t-il promis au souffleur émérite de la Gazette de France de lui faire obtenir une pension du roi Bélus ? Nous allons souffler à ce souffleur ce qu'il aurait dû dire, s'il eût voulu être plus agréable au public qu'aux auteurs. Puisqu'il a vu jouer à Vienne la Palmyre faite, comme l'opéra de M. Vigée, sur le conte de Voltaire, pourquoi ne pas nous en donner une légère analyse ? Nous aurions eu le malin plaisir de voir le doyen de nos poètes de salon suer sang et eau, pendant dix ans, pour rester cent pieds au-dessous d'un auteur tudesque.

Le souffleur émérile semble tout surpris d'avoir trouvé de la ressemblance entre les paroles d'un air d'Almazan et celles d'un air de Démaly dans les Bayadères. Il faut lui savoir gré de n'en avoir point trouvé dans la musique : l'air de M. Catel est aussi mélodieux, aussi expressif que celui de M. Kreutzer est insignifiant. Comment le souffleur, qui a passé sa vie dessus et dessous le théâtre, ne sait-il pas encore que M. Cafel avait dû jadis composer la musique de la triste Princesse de Babylone, mais qu'un salutaire effroi le saisit à temps pour lui sauver tout reproche de complicité dans cette mauvaise œuvre ?

p. 287-288 : – On sait que l'administration de l'Opéra est dans l'usage d'accorder, pour chacune des vingt premières représentations d'un ouvrage nouveau, 3oo Francs au poëte et même somme au musicien. Mais considérant, cette fois, la portion de talent que chacun a mise dans la Princesse de Bahylone, il a été arrêté que toutes les fois que cet opéra serait joué, M. Kreutzer recevrait ses 3oo francs ; mais que M. Vigée, au contraire, paierait une amende de cent écus. De cette manière, la. Princesse ne coûtera à l'administration que ce qu'elle vaut.

— On est accoutumé, aux premières représentations, à trouver l'auteur blotti dans une baignoire, ou errant avec inquiétude dans les coulisses. M. Vigée, apparemment pour dérouter les curieux, s'était modestement établi au milieu de l'orchestre. De fréquens applaudissemens, qu'il croyait, sans doute, ne pouvoir refuser à la musique ou aux acteurs, ne permettaient pas aux voisins de soupçonner qu'ils fussent côte-à-côte du poëte. Qui donc l'a fait découvrir ? M. Vigée lui-même. Aux cris de l'auteur ! l'auteur ! sa conscience. s'est un peu troublée. .Comme Pourceaugnae, il s'est empressé de répondre : Ce n'est pas moi, je vous assure ; et comme Pourceaugnac encore, s'échappant au milieu des brocards, il s'écriait tristement : Hélas ! ils m'ont reconnu !

— On annonce déjà une augmentation importante à l'article Vigée., dans la prochaine édition des Mémoires littéraires de Palissot. Voulant donner à ses lecteurs un échantillon de l'esprit et du goût qui caractérisent ce digne successeur de Dorat et de Pezay, Palissot a cité un fragment d'une Épitre à la mort. Du ton le plus gracieux, le poëte lui prescrit la toilette qu'elle devra faire lorsqu'elle viendra le chercher :

Tu songeras à ton corsage ;
Comme j'aime assez l'embonpoint,
Un double lin en étalage
Me présente, malgré ton âge,
Un peu de ce que tu n'as point.
Achevons la métamorphose,
Un ruban caresse ton sein,
Et sous un gand couleur de rose,
Tu prends soin de cacher ta main.

Le malin auteur de la Dunciade prétend que, sans la crainte d'être soupçonné d'adulation, il déclarerait cette ingénieuse épître infiniment supérieure au fameux sonnet adressé à la princesse Uranie, contre son ingrate de fièvre. Si Palissot avait eu connaissance de la richesse d'imagination et de la poésie de style qui brillent dans la Princesse de Babylone, force lui eût été de convenir que M. Vigée ne pouvait être surpassé que par lui-même.

— On propose d'adjoindre à la direction de l'Opéra le premier chirurgien de l'Hôtel-Dieu. Cette mesure paraît d'autant plus nécessaire que la coupable incurie du machiniste en chef a causé depuis huit jours les accidens les plus graves. Mademoiselle Persillet cadette, madame Le Brun et M. Mougeron ont été victimes d'un premier accident ; M. Albert, à la seconde représentation de la Princesse de Babylone, a eu la jambe cassée et le corps meurtri par la chute d'un châssis, qui s'est détaché du cintre.

Un conducteur de cabriolet qui froisse un passant est puni de la prison et d'une amende ; et monsieur le machiniste a le privilége exclusif d'estropier les artistes qui croient pouvoir se reposer sur ses talens et sur sa surveillance. Espérons qu'avant que de pareils accidens se soient renouvelés une vingtaine de fois, l'autorité aura pris les mesures nécessaires pour les prévenir.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 20e année, 1815, tome III, p. 416-420 :

[L’intrigue de l’opéra vient tout droit du conte de Voltaire. Pas question donc de le critiquer. C’est donc la façon dont elle est traitée qu’on va critiquer : de l’esprit, la finesse, la gaieté du conte voltairien, l’opéra ne garde que l’intérêt, ce qui est visiblement trop peu (un opéra doit être un spectacle total). Le récit des épreuves des rois souligne qu’on ne voit rien, tout est hors de vue des spectateurs. De même les combats qui naissent de la réussite du jeune Gangaride. Ce n’est apparemment que les scènes de la prison et de la place du supplice qui ont lieu sur la scène. La fin de l’article insiste sur l’écart entre le poème et la musique : ceux qui ont assisté à la représentation se sont ennuyés (l’opéra est tellement long !), alors que la pièce est riche de tant d’événements. Et la musique, malgré sa qualité (elle a « tour-à-tour un caractère noble, austère sentimental et presque toujours celui qui convient à la situation »), n’a pas réussi à combattre cet ennui. Une série d’airs remarquables est proposée, avant de revenir au contraste entre musique et texte (l’auteur de l’une, qui est nommé, y gagne « un nouveau titre à l’estime des artistes et des amateurs », quand l’autre, dont le nom n’est pas cité, ne peut prétendre aux « mêmes éloges »). Quant aux « nombreux divertissemens qui ornent ou plutôt qui allongent cet opéra », ils ne valent que par la musique (« airs d’opéra charmans ») et la qualité des danseurs, dont les noms sont énumérés

ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

La Princesse de Babylone, opéra en trois actes, jouée le 29 Mai,

La Princesse de Babylone, roman ou conte de Voltaire, est un de ces cadres qu'il prenoit au hasard pour y placer à sa fantaisie de mordantes épigrammes. Ce conte ou ce roman est plein d'esprit, de finesse et de gaieté, et ce n'est que de l'intérêt qu'a cherché à inspirer l'auteur de l'opéra. Le sujet des deux ouvrages est absolument le même, et pourtant rien ne se ressemble moins. Voici l'analyse de l'opéra dont on pourra faire la comparaison avec le conte :

Bélus, roi de Babylone, a une fille dont plusieurs rois se disputent la main ;

Mais l'Oracle a parlé, mais l'Oracle sévère
D'avance a des mortels nommé le plus heureux ;
« Celui qui de Nembrod tendra l'arc redoutable,
        « Qui, terrassant un lion furieux,
« Prouvera son adresse et sa force indomptable,
« Est l'époux qu'Ormosa doit recevoir des Dieux. »

Déja

Des rives de l'Indus et des plaines brûlantes,
Que féconde le Nil en ses débordemens,
Deux rois sont arrivés.

Le troisième,

Nourri dans la Scythie, en de sauvage lieux ;
Et moins roi que soldat,

La lice est ouverte ; les trois rois sont admis tour-à-tour dans le temple, où l'on conserve précieusement l'arc de Nembrod ; et le chef des mages vient sur le parvis annoncer au peuple qu'aucun d'eux n'est parvenu à remplir la première condition. C'est un mauvais augure pour le succès de la seconde épreuve ; soudain un jeune Gangaride s'avance et dit à Bélus :

            Grand roi, dont Babylone
            Subit es lois, chérit le trône,
Dans les nobles transporta dont mon cœur est épris,
Je brigue la faveur de disputer le prix.

Le moyen de rejeter une demande exprimée d'une manière si flatteuse pour le roi. Bientôt le bruit retentissant de l'airain annonce que l'arc rebelle à l'effort des rois, s'est courbé sous la main de l'inconnu, qui n'est pas inconnu pour tout le monde ; il a dans un péril imminent exposé sa vie pour sauver celle d’Ormosa ; c'est la princesse elle-même qui l'apprend à sa confidente, en lui révélant le secret de son cœur.

« II fuit.... mais son regard a rencontré le mien...
« Ah! qu'il fut éloquent ce muet entretien ! »

Le signal est donné ; déja le lion lancé dans l'arêne attend son ennemi. Le combat se passe dans la coulisse.

Le double triomphe d'un obscur Gangaride excite la jalouse rage du roi des Indes et du Pharaon d'Egypte. Violant les lois de l'hospitalité, ils se mettent à la tête de leurs troupes et s'emparent du palais et de la fille de Bélus. En vain Almazan veut défendre celle qu'il aime.

Trois fois l'acier vengeur en ses mains s'est rompu ;

II est prisonnier et le bûcher l'attend. C'est alors qu'Ormosa déclare que, docile à la voix de l'Oracle et plus docile encore à la voix de son cœur, elle le choisit pour époux. La torche funèbre sera pour eux le flambeau de l'hymen ; mais le ciel envoye un sauveur à Almazan. Le roi des Scythes, qu'il a délivré des griffes du lion, pénètre dans sa prison, lui donne son manteau qui trompe les gardes. Les rois viennent chercher le jeune Gangaride pour le conduire au bûcher. Ils emmènent le Monarque scythe qui les laisse dans l'erreur. Ce n'est que sur la place publique où le supplice est préparé qu'il se découvre à leurs yeux ; il leur reproche leur lâche vengeance. Un combat s'engage. Almazan, à la tête des Babyloniens et des Scythes, bat et disperse les soldats de l'Egypte et des Indes ; le chef des Mages vient fort à propos communiquer à tout le monde une révélation que le ciel lui a
faite ; Almazan est du rang des rois. Ormosa peut l'épouser sans déroger ; une fête célèbre le triomphe du héros et le bonheur des nouveaux époux.

Il faut avoir assisté à. la représentation de la Princesse de Babylone pour croire que la longueur et l'ennui aient pu se glisser dans une pièce chargée d'événemens aussi multipliés, et c'est pourtant ce qui domine dans cet opéra, malgré une musique qui a tour-à-tour un caractère noble, austère sentimental et presque toujours celui qui convient à la situation. Le premier chœur des Scythes et le premier air de leur roi,

Malheur au mortel téméraire !

sont d'un très-bel effet.

Une très-belle marche, un air d'une expression déchirante, admirablement chanté par Madame Branchu :

Présage affreux qui me poursuit ;

un autre au troisième acte :

Abjurons une indigne foiblesse,

voilà les morceaux qu'on a le plus applaudis, ainsi que le duo,

Vous ignores ce qu'un sentiment tendre
            Exige de retour.

Cet ouvrage est pour M. Kreutzer un nouveau titre à l'estime des artistes et des amateurs.

On ne peut pas donner les mêmes éloges au poète qu'au musicien.

Il y aurait peu de chose à dire des nombreux divertissemens qui ornent ou plutôt qui allongent cet opéra, si les airs de danse n'étoient presque tous charmans, et si plusieurs pas n'eussent été exécutés par Albert, Paul, Anatole, Ferdinand, et par Mesdemoiselles Gosselin, Clotilde, etc.

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