La Prise de Jéricho

La Prise de Jéricho, oratorio en trois parties, de Deschamps, Després et Morel de Chédeville, musique choisie par Lachnitz et Kalkbrenner dans les œuvres de Mozart, Paër, Haendel, Haydn, Paësiello, Duranta, Nicolini, Scarlatti, Cimarosa, Piccini, Sacchini, 21 germinal an 13 [11 avril 1805].

Académie Impériale de Musique.

Titre :

Prise de Jéricho (la)

Genre

oratorio

Nombre d'actes :

3 parties

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

oui

Date de création :

21 germinal an 13 [11 avril 1805]

Théâtre :

Académie Impériale de Musique

Auteur(s) des paroles :

Deschamps, Desprès et Morel de Chédeville

Compositeur(s) :

Lachnitz et Kalbrenner (utilisation d’extraits d'œuvres des principaux compositeurs allemands et italiens)

Almanach des Muses 1806.

Sujet tiré de l'Ancien Testament. Peu d'intérêt ; sujet assez pur. Musique composée de morceaux choisis parmi les chefs-d'œuvre des meilleures écoles, que les amateurs ont trouvé inférieure à celle de l'oratorio de Saül. Au reste, de beaux chants, de belles décorations, un beau spectacle.

Le n° 3301 de la Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne, de P. L. Jacob, tome troisième (Paris, 1844), p. 114, « Répertoire général du théâtre de l'Académie royale de musique » décrit ainsi la Prise de Jéricho :

309. La Prise de Jéricho, oratorio en trois parties, par J. M. Deschamps, Després et Morel de Chedeville, mus. de Lachnitz et Kalkbrenner ; 10 avril 1805.

La musique est en fait un pastiche, un pasticcio, un choix de morceaux des grands compositeurs du temps : Lachnitz et Kalkbrenner ont seulement effectué le choix (et l'arrangement) des morceaux.

Courrier des spectacles, n° 2979 du 22 germinal an 13 [12 avril 1805], p. 2 :

[Le premier point à régler, dans ce compte rendu, c’est celui du genre auquel appartiennent les oratorios : une variante des poèmes lyriques, mais caractérisés «  par l’austérité de leur caractère et la couleur religieuse ». Au fond, ce sont comme des opéras sérias, mais dans lesquels les Français, à la différence des Italiens, admettent des éléments de légèreté et de gaîté. L’oratorio de la Prise de Jéricho raconte un épisode essentiel de l’entrée des Hébreux en Terre Sainte, de la présence de Moïse au sommet du mont Nébo d’où il peut contempler le pays de Canaan jusqu’à la chute des murs de Jéricho. Le critique détaille le contenu de chacun des actes, contenu qui brode sur les données bibliques. Il signale ironiquement un incident : au moment où Moïse devrait disparaître dans un nuage, une défaillance technique fait qu’il reste sur la scène et doit se cacher derrière un rocher. Le jugement porté est un peu réticent : beaucoup de mouvement, comme dans un mélodrame (mais est-ce un compliment ?), peu d’intérêt dans l’action, peu de lien entre les éléments. La musique reprend des morceaux des plus grands compositeurs, mais l’ensemble produit peu d’effet. Ballet de Milon, et livret et arrangement musical par les auteurs de Saül, qui avaient mieux fait avec cet autre oratorio.]

Académie Impériale de Musique.

La Prise de Jéricho, oratorio.

Les Oratorio ne diffèrent guères des autres poèmes lyriques que par l'austérité de leur caractère et la couleur religieuse que l’artiste répand sur toute la composition.

On pourroit jouer la Passione comme on joue un opera-seria ; mais les Italiens, plus graves que nous, abandonnent dans ces sortes de solemnités, tout ce qui sent le travestissement et la forme théâtrale. Ils ne croient pas que des sujets aussi sérieux puissent s’accommoder d’ornemens frivoles et mondains.

Les Français, moins rigides observateurs de la loi, portant dans tous leurs exercices la légèreté et la gaîté nationale, savent allier le plaisir au devoir, et trouver des divertissemens jusques dans la prière. Ils imitent ces riches qui se sanctifient avec une table chargée de mets exquis, mais tous approuvés par l’église.

L’Oratorio de la Prise de Jéricho est donc une espèce d’opéra dont le sujet est tiré des livres saints. Ce siège de Jéricho est un des événemens les plus mémorables de l'histoire des Juifs. Une ville dont les murs tombent au seul bruit des trompettes, c’est là un de ces prodiges que Dieu avoit réservés pour son peuple chéri.

L’auteur du poème a supposé que Moïse, prêt à quitter le séjour des hommes, s’est transporté sur la montagne du Nébo, et que Dieu lui apparoissant au milieu du tonnerre et des éclairs, lui permet de voir la terre promise, et lui annonce qu’Israël prendra, ce jour-là même, possession de la terre de Chanaan. Le théâtre représente cette montagne, une plaine, des tentes. Moïse descendu des sommets du Nébo, engage les Hébreux à accomplir les desseins de Dieu. Des députés envoyés à Jéricho, reviennent chargés des fruits de la terre promise ; Josué s’engage à conduire à la victoire les enfans d’Israèl; et Moïse, après avoir reçu ses sermens et regagné la montagne du Nebo, disparoît dans un nuage de feu.

Il faudra ici raccommoder les décorations et perfectionner les machines : car le nuage étant parti sans emporter personne, et le parterre ayant vu Moïse se cacher derrière une pointe de rocher, a ri de la maladresse des escamoteurs.

Ce retour des députés, les préparatifs de Josué et l’enlèvement de Moïse remplissent le premier acte. Il ne présente rien de remarquable du côte de la musique. Tous les morceaux dont on l’a composé sont tirés des plus grands maîtres ; mais il semble qu’on pouvoit mieux choisir. Le chœur seul, qui est d’Haydn, a produit quelqu’effet. Le second acte est plus riche. On y voit d’abord l’extérieur du temple de Baal, et la jeune Rahab au milieu des prêtresses rassemblées pour la juger. On sait que Rahab étoit une femme de Jéricho, d’humeur complaisante, qui avoit donné azyle aux émissaires Israélites, et les avoit fait évader. Comme le caractère de courtisanne se seroit mal accommodé avec la gravité du sujet, l’auteur en a fait une espèce de vestale, que l’on excomunie et que l’on chasse du temple. L’air chanté par Mad. Branchu est d’un brillant effet ; il est de Mozart et a été exécuté avec un grand talent.

On voit bientôt après l’intérieur du temple. Le Roi de Jéricho y paroît, et l’on exécute des danses en l’honneur de Baal ; mais le tonnerre gronde et l’idole est foudroyée.

Au troisième acte, Josué paroît à la tête des Hébreux ; l’arche fait le tour des remparts ; un chœur d’anges se fait entendre dans les airs ; des nuages enflammés couvrent le théâtre ; un d’eux laisse voir les anges exterminateurs armés d’épées enflammées ; on entend le son des trompettes, les remparts tombent et Josué s’empare de la ville.

I1 y a dans cet oratorio autant de mouvement que dans un mélodrame ; mais les parties dont l’action se composent présentent peu d’intérêt et ne sont pas toujours bien liées entre elles. Les morceaux choisis pour former ce Pasticcio sont de Mozart, de Paër, de Sacchini, d’Haydn, de Paësiello, de Duranta, c’est-à-dire, des plus grands maîtres ; cependant ils n’ont pas produit tout l’effet qu’on en attendoit. Après l’air de Mad. Branchu, les morceaux les plus remarquables sont un duo de Paësiello, et une cavatine de Nicolini. Mlle. Himin s’est distinguée par la grâce, la pureté et l’élégance de son chant. Les ballets sont de M. Milon. Le poème a été composé et la musique arrangée par les auteurs de Saül ; mais Saül est supérieur.

Anthologie littéraire et universelle (Vienne), 15 juillet 1805, n° 4 p. 336-340 :

[La revue viennoise reprend un article du Journal des débats.

Le public est venu plus pour voir un spectacle que pour entendre de la musique. Il s’agit d’un oratorio où on a « tout sacrifié à l'optique ». La musique y a peu d’occasion de se déployer. Le compte rendu résume ensuite rapidement l’intrigue de l’oratorio. Il attire l’attention sur deux temps forts du spectacle : « tout ce qui tient au spectacle et à la danse est digne de la pompe et de la magnificence de l'opéra ». La musique est présentée comme une sélection d’extraits des plus grands musiciens des « deux nations qui se disputent le sceptre de la nation, allemands et italiens : c’est un « pasticcio », un pastiche. Mais le critique souligne combien il est difficile de combiner ces matérieux (en clair, le résultat n’est pas convaincant). Suit une longue énumération de morceaux, avec le nom du compositeur. Une dernière remaque, un peu nationaliste : « Il n'étoit pas nécessaire d'aller chercher en Italie des chants agréables dans ce genre ; et plusieurs musiciens français ont fait des chœurs et des marches qui valent bien ceux qu'on a donnés dans l'oratorio de la prise de Jéricho. »]

La prise de Jéricho.

Tout Paris court, se presse et s'étouffe, moins pour entendre que pour voir la prise de Jéricho sur le théatre de l'opéra. Je n'entreprendrai pas l'analyse de cet ouvrage, parce que ce n'est ni une tragédie, ni une comédie, ni un opéra féerie ou héroïque ; mais tout simplement un oratorio dans lequel on a tout sacrifié à l'optique, et peu ménagé de situations pour la musique. C'est un grand art que celui de bien choisir les momens où la puissance de l'harmonie et de la mélodie peut se déployer, et cet art est précisément celui que les savans compositeurs ignorent le plus, quand ils ne sont que savans.

Ce que la bible rapporte de la prise de Jéricho, auroit dû détourner les auteurs de choisir un pareil sujet. Josué envoya des espions pour reconnoître la ville ; ces espions, pour se cacher, allèrent loger chez une fille publique, nommée Raab. On a fait de cette fille publique, une prêtresse, non de Venus, mais de Baal.

Au premier acte, Moïse appercoit, du sommet de la montagne de Nébo, cette terre sainte dont l'entrée lui étoit défendue, et bientôt il s'éclipse aux yeux du peuple après lui avoir donné sa bénédiction.

Au second , le spectateur est transporté dans la ville de Jéricho. Le roi fait arrêter les espions de Josué, et veut les forcer à rendre hommage à Baal ; mais deux de ces espions, Horam et Eliéser, dont Raab avoit procuré l'évasion, reviennent pour consoler leurs frères captifs, et les avertir de l'arrivée prochaine de l'armée. Il étoit tems ; les captifs étoient sur le point de céder à la tentation ; mais l'aspect des deux jeunes hebreux raffermit leur courage ; ils bravent les menaces du roi, et invoquent le dieu d'Israël, qui renverse l'idole d'un coup de foudre.

Au troisième acte, le spectateur se trouve hors des murs de Jéricho : l'arche sainte en fait trois fois le tour : des anges, armés d'épées flamboyantes, paroissent en l'air pour rassurer Josué. La trompette sonne, les murs s'écroulent, l'armée des hébreux s'élance à travers les brèches, et bientôt Jéricho présente le spectacle d'une ville toute en feu.

Cet incendie suffiroit seul pour attirer la foule : il y a d'autres incendies à l'opera, et spécialement l'incendie de Troie dans Hécube ; mais l'embrâsement de Jéricho est encore d'un plus grand effet : on ne peut voir rien de plus beau dans ce genre. Ce n'est qu'à ce théatre qu'on peut avoir assez de machines et d'argent pour produire de tels miracles.

Le pas des guerriers, dans le temple de Baal, a un caractère énergique de férocité et de supertition. Les combats sont mieux exécutés que dans aucun mélodrame. Enfin tout ce qui tient au spectacle et à la danse est digne de la pompe et de la magnificence de l'opéra. Parlons aussi de la musique.

Pour composer cet oratorio, on a mis à contribution les deux nations qui se disputent le sceptre de la musique. Du côté des allemands, Haydn, Mozart, Handel, Paër ; du côté des italiens, Durante, Sacchini, Piccini, Nicolini, Cimarosa, Paësiello, Scarlatti, ont fourni les pièces de rapport de ce pasticcio ; mais rassembler avec le talent, le gout et l'impartialité nécessaires d'anciens morceaux dignes d'entrer dans un oratorio, savoir former un tout de ces diverses parties, est peut être une chose plus difficile que de composer une musique nouvelle.

L'ouverture, qui est de Mozart, est magnifique, Le premier air que Moïse chante est grave, majestueux, et dans le gout des bons airs de l'ancienne musique française. Ce morceau est du célèbre Paër, ainsi qu'un duo qui vaudroit mieux s'il étoit traité en dialogue, et un choeur de Cananéennes qui n'est qu'un petit air de danse assez commun.

On n'exécute qu'un des morceaux annoncés de Sacchini, et il est sans effet, parce que l'organe trop foible de l'actrice qui le chante est presqu'entiérement couvert par les instrumens.

Il en est de même d'un air de Piccini, air très dramatique, et de la plus grande facture. L'orchestre étouffe le peu de voix qui reste à Chéron.

Un rondeau de Mozart a eu beaucoup plus de succès. Ce rondeau est plein de douceur et de graces, le style est simple et pûr, la mélodie naturelle et d'un bon gout. Il a été très bien chanté par Madame Branchu pour laquelle il sembloit avoir été fait.

Il y a un très grand mérite dans le duo de Paësiello ; il offre des intonations et des motifs d'un grand maître, et n'a que le défaut d'être trop long.

L'air de Cimarosa n'est pas d'une facture franche ; le chant en est un peu forcé et saccadé.

Les choeurs sont presque tous de Haydn et de Mozart ; ils ne font qu'une impression médiocre, et se ressemblent presque tous, Un seul petit chœur de Durante est le seul qui ait paru original. Quant à celui de Nicolini, c'est vraiment un air de guinguette.

Les solos du même compositeur ont le mérite des bons vaudevilles français, ils sont d'une mélodie simple, naturelle et facile. Il n'étoit pas nécessaire d'aller chercher en Italie des chants agréables dans ce genre ; et plusieurs musiciens français ont fait des chœurs et des marches qui valent bien ceux qu'on a donnés dans l'oratorio de la prise de Jéricho.

Journal des débats.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IX, prairial an XIII [mai 1805], p. 277-278 :

[L’Opéra a repris la tradition ancienne des concerts de la semaine sainte consacrés à des œuvres religieuses, des oratorios. L’essai tenté avec Saül ayant réussi, il tente cette fois la Prise de Jéricho, mais l'œuvre nouvelle ne vaut pas la précédente. Premier reproche : la modification du récit biblique et la recherche systématique d’effets spectaculaires, « aux dépens du vrai et du vraisemblable ». Et puis, la musique est de peu d’effet.]

La Prise de Jéricho.

Autrefois les spectacles étaient fermés pendant la semaine-sainte, et la foule se portait au concert spirituel, assemblée toute aussi profane qu'une autre, mais où l'on n'exécutait que de la musique religieuse.

L'Opéra, plutôt pour varier nos plaisirs que pour se conformer à la circonstance, a commencé il y a deux ans à donner des Oratorio, pour lesquels on choisit un sujet sacré, auquel on applique les plus beaux morceaux de la musique italienne et allemande. Cela devient un concert qui prend cependant la forme dramatique, sans laquelle les Français aiment fort peu la musique. Le succès de Saül a encouragé les auteurs ; mais la Prise de Jéricho ne vivra pas aussi long-temps.

Les auteurs, pour construire leur drame, ont altéré la Bible et changé diverses circonstances. Ils ont fait de Raab une prêtresse de Baal ; ils ne se sont pas contentés de faire tomber les murs de Jéricho au son de la trompette dont les lévites devaient sonner, en faisant sept fois le tour de la ville ; ils ont fait intervenir les anges, ce qui ôte au prodige une partie de son intérêt. Ils ont fait incendier la ville, ce que l'Ecriture ne dit point du tout ; enfin ils ont mis dans leur opéra tout le fracas et le spectacle qu'ils ont pu imaginer aux dépens du vrai et du vraisemblable.

La musique n'a pas produit tout l'effet que l'on en attendait.

La Prise de Jéricho a eu trois représentations du 11 au 14 avril 1805, le temps d'une Semaine Sainte.

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