La Prise de Toulon, tableau patriotique en un acte, en prose, mêlé d’ariettes, de Picard, musique de Dalayrac, 13 pluviôse an 2 [1er février 1794].
Théâtre de la rue Feydeau
Almanach des Muses 1794.
Sur la page de titre de la brochure, chez Huet, l’an second de la République :
La Prise de Toulon, tableau patriotique en un acte, en prose, mêlé d’ariettes. Paroles du C. Picar [sic]. Musique du C. Dalayrac. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue Feydeau, le 13 Pluviôse, l’an 2 de la République.
Le Théâtre républicain posthume et inédit de Picard, publié en 1832 par Charles Lemesle fait précéder la Prise de Toulon, d'une préface de l'éditeur (p. 243-245) :
PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.
Cette pièce ne devait pas faire partie de l'édition préparée par Picard peu de temps avant sa mort. On comprendra facilement les raisons qui l'avait mise à l'index : Charles X régnait encore. Depuis la restauration même on cherchait à faire entièrement disparaître la Prise de Toulon, dont un petit nombre d'exemplaires échappèrent aux agens des Bourbons. La caricature de Monsieur, livrée pendant deux cents représentations aux vengeances de l'opinion publique, laissa de profonds souvenirs de haine dans le cœur du prince joué en plein théâtre : Picard eut l'occasion d'éprouver de brutales représailles.
La Prise de Toulon obtint une vogue inouïe dans les fastes dramatiques. C'était un à-propos destiné à célébrer un des plus beaux faits d'armes des soldats de la république : les tentatives contre-révolutionnaires des émigrés et les forces alliées de l'Angleterre venaient d'échouer devant le génie précoce d'un lieutenant d'artillerie. Il y avait du merveilleux dans cette place, dite imprenable,.et emportée d'assaut sous les auspices de Bonaparte ; l'enthousiasme en redoublait de Toulon à Paris ; Laharpe, le Tyrtée du pédantisme, avait entonné un chant de triomphe lyrique. Le mimodrame militaire de Picard fut improvisé au milieu de l'effervescence du patriotisme, et ce fut comme une nouvelle victoire, celle de la satire sur les lâches ennemis de la liberté de leur patrie.
Le principal mérite des pièces à spectacle doit être attribué au machiniste et au directeur de la scène : la première représentation de la Prise de Toulon manqua d'ensemble. On n'était pas arrivé alors à cette vérité théâtrale qu’on a poussée depuis à une si merveilleuse perfection : on ignorait l'art de faire mouvoir des masses, et de diriger les comparses entre l'espace des coulisses de manière à simuler une grande étendue de terrain et un grand concours de monde. Les accessoires de cette pièce furent donc négligés, et les évolutions militaires du dénouement produisirent peu d'effet.
Cependant, dès cette représentation, le succès ne fut pas douteux : les premières scènes soulevèrent des applaudissemens où l'esprit de parti n'était pas seul intéressé ; les spectateurs se laissèrent entraîner à une vive sympathie pour des sentimens patriotiques, des vues libérales, des souvenirs palpitans ; la satire mordante de l'ancien régime, où la noblesse, l'église et la magistrature étaient personnifiées de manière à présenter de véritables portraits, fut accueillie avec des éclats de rire pour unique vengeance ; les reproches sanglans adressés aux puissances coalisées contre la liberté eurent des échos dans tous les cœurs français.
Mais ce qui augmenta le succès, continué pendant plus de cent représentations, ce fut la plaisante caricature de Monsieur, joué par Prevost, qui avait su imiter la démarche, le ton, les manières et le visage de l'original ; on dit même qu'il lui avait pris jusqu'à son habit. Paris tout entier se porta en foule au théâtre Feydeau malgré les critiques du Journal de Paris, qui, tout en reconnaissant de l'esprit et des ressources comiques dans l'ouvrage, y remarquait des négligences et des choses communes et de mauvais goût. Ensuite la Prise de Toulon fit le tour de la France avec son cortége de recettes et de bravos.
Journal de Paris, n° 401 du 17 pluviôse an 2 [5 février 1794], p. 1624 :
THÉATRE DE LA RUE FEYDEAU.
La Prise de Toulon est un de ces sujets de Comédie, qui sont presqu’entièrement du ressort du Machiniste. Des coups de canon, des évolutions militaires sont le fonds de ce genre de Pièces, &, quoique faiblement exécutés, ces détails plaisent. parce qu’ils retracent des événemens glorieux à la Nation Françoise.
Le tableau patriotique de cet événement, donné sur ce Théâtre, a été foiblement rendu à la première représentation ; & c’est au défaut d’ensemble qu’on a remarqué dans l'exécution, qu'on peut attribuer le peu de succès de cette Pièce. Les premières scènes ont été fort applaudies ; l’Auteur y met sur le Théâtre, Monsieur, Régent de France, les Emigrés des trois Ordres, & deux Officiers étrangers, l’un Anglois, l'autre Autrichien, en garnison à Toulon,
La dispute, qui s’élève entre un Evêque, un Marquis, & un Premier Prcésident, a beaucoup fait rire ; ces Messieurs sont bien d accord que pour rétablir l’ordre en France, il y faut rétablir le Clergé, le Parlement & la Noblesse ; mais chacun tient que le meilleur moyen est de commencer par le rétablissement de son Ordre , & la dispute commence à s’échauffer lorsqu'heureusement Monsieur arrive pour mettre le hola.
L'Auteur des paroles est le Citoyen Picard. Cette production faite à la hâte prouve de l’esprit & des ressonrces comiques ; mais on y trouve des négligences, & des choses communes & de mauvais goût ; le talent connu de l’Auteur doit rendre plus sévère sur ces défauts, & il doit se rappeler que l’honneur de faire bien est préférable à celui de faire vite.
L’Auteur de la musique est le Citoyen Dalayrac. Son talent est connu, & cette production est digne de les autres Ouvrages.
Dans l'édition des œuvres de Picard publiée chez Laplace et Sanchez (Pari, 1880), Édouard Fournier a proposé une biographie de Picard. Il y évoque la Prise de Toulon, p. vi :
Toulon avait été repris aux Anglais. Il fallait partout chanter cette victoire. Les chanteurs de Feydeau voulaient une pièce, ceux de Favart en réclamaient une autre, Duval et Lemierre s'exécutèrent pour ceux-ci; Picard et Dalayrac furent bientôt prêts comme le désiraient ceux-là, et les deux opéras-comiques purent marcher de compagnie. Le succès le plus vif fut pour celui de Duval, quoiqu'il y eût dans la pièce de Picard plus d'une scène à grand effet comique, qui alors l'amusèrent tout le premier, mais dont il ne se vanta pas plus tard.
Lorsqu'aux premiers jours de la Restauration, par exemple, il offrit à Louis XVIII un exemplaire de ses œuvres, la Prise de Toulon y fut prudemment oubliée. Sa plus vive crainte était même que quelqu'un vint à se souvenir des scènes dont nous parlions, où il faisait faire fort triste mine aux voltigeurs de Coblentz, et infligeait une fatuité des plus ridicules au comte d'Artois tenant conseil sur le roc de Toulon, pour savoir s'il ferait son entrée à Paris, en carrosse ou à cheval.
Le patriotisme, chaque fois qu'on lui parlait de son répertoire de la Révolution, de son Théâtre républicain – c'est le titre qu'on lui donna, lorsqu'en 1831, on en fit la publication posthume – était l'excuse de Picard. Aussi n'en reniait-il pas les pièces. L'oubli, que réclame d'ailleurs toute chose de circonstance, lorsque son moment est passé, était seulement ce qu'il y demandait, mais, je le répète, il n'allait pas jusqu'à en renier quoi que ce fût. Il a même écrit à propos de ce temps : « L'auteur alors puisait sa verve autour de lui ; on respirait l'enthousiasme... » et ceci encore : « A cette époque, lorsque la France marchait à la frontière, il fallait électriser les masses, et le théâtre rendit d'immenses services. Je me fais gloire d'avoir payé ma dette de citoyen. »
D'après la base César, la Prise de Toulon a été joué 23 fois à Paris, du 9 janvier 1793 au 27 janvir 1795, essentiellement au Théâtre Feydeau (1 fois au Théâtre du Lycée des Arts, 2 fois au Théâtre de la Montagne).
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