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La Prison militaire ou les Trois prisonniers
La Prison militaire, ou les Trois prisonniers, comédie en cinq actes et en vers ; par le C. Dupaty. 29 Messidor an 11 [18 juillet 1803].
Théâtre Français, rue de Louvois
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Titre :
Prison militaire (la), ou les Trois prisonniers
Genre
comédie
Nombre d'actes :
5
Vers ou prose ,
en vers
Musique :
non
Date de création :
29 Messidor an 11 (18 juillet 1803)
Théâtre :
Théâtre Français, rue de Louvois
Auteur(s) des paroles :
Emmanuel Dupaty
Almanach des Muses 1804
Intrigue très-compliquée. De la gaieté, beaucoup d'esprit ; du succès.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Huet et chez Charron, an XII (1803) :
La Prison militaire, ou les Trois prisonniers, comédie en cinq actes, et en prose, Par M. Emmanuel Dupaty ; Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre Louvois, le 29 Messidor an 11.
La pièce a connu un réel succès, d’après Paul Porel et Georges Monval, L’Odéon, histoire administrative, anecdotique et littéraire (Paris, 1876), p. 206 :
Le 18 juillet, grand succès d'une pièce en cinq actes et en prose d'Emmanuel Dupaty, fils du célèbre avocat général : LA PRISON MILITAIRE, ou les Trois prisonniers, où l'auteur s'éleva jusqu'à la haute comédie, et qui eut plus de cinquante représentations.
Courrier des spectacles, n° 2326 du 30 messidor an 11 [19 juillet 1803], p. 2 :
[La pièce n’a pas été très bien accueillie : trop de jeux de mots, un langage trop peu naturel, et des sifflets se sont mêlés aux applaudissements, ce qui n’a pas empêché que l’auteur soit nommé. C’est Dupaty, connu de tous comme un homme d’esprit, et qui en a abusé cette fois. L’intrigue est si compliquée que le critique renonce à en donner l’analyse. Il en donne simplement une idée en évoquant une scène qu’il juge très comique, très bien filée, et qui prouve l’aptitude de l’auteur à construire une scène. Il faut se contenter d’avoir une idée du sujet. Il transporte le spectateur en Amérique et consiste à multiplier les personnages emprisonnés, avec en particulier le personnage assez habituel de la femme déguisée en soldat et qui a pris le nom d’un prisonnier qui arrive ensuite. Le critique s’épargne la peine de détailler les moyens utilisés pour arriver au nécessaire mariage final, et qui est bien celui qui était attendu. L’article s’achève par l’évocation de l’interprétation : mise en avant des frères Picard, aîné et jeune, jugement global positif pour les autres, mais sans enthousiasme.]
Théâtre Louvois.
Première représentation de la Prison militaire, ou les Trois prisonniers.
Ce n’est que jeu de mots, affectation pure,
Et ce n’est pas ainsi que parle la nature.
Ajoutez à cela de nombreux changemens d’habits, des substitutions de lettres, de clefs, des tours de passe-passe, des inconvenances , des in vraisemblances , et vous ne serez plus étonnés d’apprendre que des sifflets se sont mêlés aux applaudissemens et aux cris de : l’auteur ! l’auteur ! Cependant M. Emmanuel Dupaty a été nommé. Il suffit que nous le fassions connoître pour qu’on soit persuadé que cet ouvrage est souvent plein d’esprit ; mais on ne peut nier qu’il en a abusé quelquefois.
Au total cette comédie, une des plus intriguées que nous connoissions , peut passer pour un tour de force par la multiplicité des évenemens qui se succèdent et se croisent sans cesse. Il a souvent excité le rire au moment même où l’on étoit le plus disposé à critiquer.
Le second acte offre une scene très-comique et qui quoique l’une des plus longues de la piece ne paroît point l’être, parce qu’elle est parfaitement filée; c’est celle où Valcour Folleville, véritable prisonnier, feint d’avoir voulu s’introduire dans la prison ; et obtenant par ce moyen sa liberté, répond en même-tems aux vues de Sophie en dépit du pauvre Jolicœur, qui tout en remplissant son devoir passe pour un intrigant et un faux sergent. La maniere dont cette scene est conduite doit faire honneur à son auteur, et lui présager des succès quand il travaillera dans un genre plus sérieux et plus régulier.
Nous chercherions en vain à donner l’analyse de cette piece ; il faut en voir les détails pour pouvoir, la juger : nous nous bornons à présenter une idée du sujet.
La scène se passe à Boston. Le gouverneur de cette ville aime éperduement Sophie, jeune veuve. Il a découvert un rival dans son neveu Edmond ; et pour s’en délivrer, il l’a fait mettre aux arrêts et a projetté de lui donner une mission pour la France ; tel est le premier Prisonnier. Le second est attendu ; c’est un jeune officier Français qui n’a pas rejoint le vaisseau sur lequel son régiment est parti. Sophie apprenant qu’il ne doit arriver que le soir, se présente et est reçue à sa place dans la prison sous un uniforme semblable au sien ; voilà le troisième prisonnier. Le véritable arrive ; et par suite de la scène que nous avons annoncée, le concierge refuse de le recevoir. Ce jeune officier est Folleville, fils du Gouverneur; qui ne s’est fait connoître que sous le nom de Valcour. A peine est-il parti que Sophie continue de se donner pour lui en prenant son nom. Nous passons sur tous les moyens que le Gouverneur emploie pour détourner son neveu de l’amour de Sophie ; et nous courons au dénouement. Le Gouverneur n’ayant pu obtenir la grâce de Valcour, ainsi qu’il s’en étoit flatté, et le véritable Valcour étant ramené en prison, il reconnoît en lui son fils. Déjà il a perdu l’espoir de le sauver, lorsque Sophie qui est parente du général revient apporter cette grâce. Edmond épouse Sophie.
Le rôle de Concierge, l’un des plus importans de l’ouvrage y est très plaisamment rendu par Picard l’ainé ; le jeune est chargé d’un rôle de simple factionnaire, mais qui conduit en grande partie l’intrigue ; il le joue avec son intelligence ordinaire.
En général tous les acteurs ont mis à cet ouvrage tous les soins qu’ils ont coutume d’apporter aux ouvrages qui leur sont confiés.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, IXe année, tome II (an IX, 1803), p.258-260 :
[Le point de départ du compte rendu, c’est la surprise que provoque l’abondance des « incidens qui. se succèdent avec une rapidité étonnante », « des travestissements, des quiproquos, des substitutions de lettres et de clefs » : on ne peut qu’« indiquer le sujet » d’une telle pièce sans la résumer. Après une esquisse de ce sujet, c’est le style qui est jugé, à la fois « vif et serré » et « rempli d’afféterie et souvent hors de la nature ». La pièce a tout de même ses qualités : elle est « comique et bien conduit[e]’, avec des « rôles assez bien tracés ». Bien interprétée par les frères Picard, elle a connu le succès « malgré quelques marques d'improbation » : l’auteur a été nommé. Mais on attend qu’il fasse mieux, « dans un meilleur genre ».]
Théâtre Louvois..
La Prison militaire, ou les Trois Prisonniers, comédie en cinq actes et en prose, jouée le 29 messidor an XI.
On peut placer cette comédie au nombre des pièces les plus intriguées qui aient paru depuis long-temps sur ce théâtre consacré au genre dit Varietés. La curiosité est à tout moment éveillée par des incidens qui. se succèdent avec une rapidité étonnante. Ce sont des travestissements, des quiproquos, des substitutions de lettres et de clefs ; il est impossible dans une courte analyse d'entrer dans tous les détails de cette intrigue. Nous nous contenterons d’indiquer le sujet.
Le lieu de la scène est à Boston. Le gouverneur de cette ville est amoureux d’une jolie veuve qui lui préfère Edmond son jeune neveu. Pour se débarrasser de ce rival, il le fait mettre aux arrêts et projette de lui donner une mission pour la France. Sophie cherche un moyen de s’introduire dans la prison de son amant, et y parvient en se déguisant en homme et en venant sous le nom de Valcour, jeune officier français qui est arrivé le jour même. Lorsque la jeune dame arrive à son tour, le concierge refuse de la recevoir. Le véritable Valcour profite de cet incident, convient qu’il avoit voulu s’introduire dans la prison, et recouvre ainsi sa liberté. Sophie continue son rôle en passant toujours pour Valcour ; mais celui-ci est encore arrêté et ramené à la prison, où le gouverneur reconnaît son fils. Il se désole de ne pas avoir de moyen de le sauver, attendu qu'il est accusé de désertion, n'ayant pas rejoint le vaisseau sur lequel est parti son régiment, mais Sophie qui est parente du général, apporte sa grace, et épouse Edmond.
Le style de cette pièce est vif et serré ; mais rempli d’afféterie et souvent hors de la nature. L’auteur a couru après les phrases. Au reste, l'ouvrage est comique et bien conduit, les rôles assez bien tracés. Celui-du concierge, l'un des plus longs, a été rendu d'une manière très-plaisante par Picard. Son frère a très bien joué aussi le rôle d'un factionnaire qui sert beaucoup à l'intrigue, malgré quelques marques d'improbation données par des gens sévères, la majorité l’a emporté et a demandé l'auteur. C'est. M. DUPATY, qui a beaucoup de talent, mais qui devrait travailler dans un meilleur genre, et qui pourrait alors se promettre des succès plus durables.
Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, tome premier, vendémiaire an XII [septembre 1803], p. 230-231 :
[La pièce n’est désignée que par le mot d’imbroglio, ce qui n’est pas flatteur. Impossible de résumer une telle pièce, tant elle est complexe. C’est tout le système d’écriture qui est en cause. Il faut qu’un imbroglio puisse être ramené à un seul « nœud », en utilisant des moyens vraisemblables, avec des personnages ayant « une physionomie particulière et prononcée ». L’auteur ne manque pas d’esprit, il faut juste qu’il en règle mieux l’usage. Et cinq actes, c’est trop long pour ce genre de pièce, « quand il n'est pas plus attachant et plus gradué d'intérêt ».
Théâtre Louvois.
[...]
Au même théâtre a paru un imbroglio en cinq actes, intitulé: La Prison militaire ou les trois Prisonniers. L'analyse des imbroglio de ce genre est absolument impossible ; les fils s'y compliquent de manière à ce que l'auteur lui-même s'y embarrasse, et il coupe l'écheveau au lieu de le débrouiller. L'auteur est le C. Dupati. Les défauts de sa pièce paraissent tenir à un système particulier qu'il s'est créé et dont tout porte à croire qu'il ne veut pas se corriger : il est donc inutile de lui répéter qu'un imbroglio n'est qu'informe quand tous les nœuds ne se rattachent pas à un seul, quand tous les moyens sont sans vraisemblance, quand les personnages n'ont pas une physionomie particulière et prononcée ; c'est la comédie reportée vers son enfance» Mais, à travers tout ce cliquetis, il faut rendre justice à l'esprit de l’auteur, qui en a beaucoup, et qui n'aurait besoin que d'en régler un peu l'usage. Cinq actes sont trop longs pour ce genre, quand il n'est pas plus attachant et plus gradué d'intérêt.
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, tome V (seconde édition, 1825), p. 64-70 :
M. DUPATY.
LA PRISON MILITAIRE, ou LES TROIS PRISONNIERS.
Le bruit s'était répandu que Picard prônait beaucoup cette pièce avant la représentation, qu'il en concevait les plus riches espérances, qu'il osait même se flatter de gagner autant avec ses Prisonniers, que le Vaudeville avec sa Vielleuse : ce bruit n'était sans doute qu'une fable ; Picard, homme d'esprit et de goût, pouvait-il se dissimuler qu'il n'y a rien au monde de si commun qu'une prison et des prisonniers, tandis que rien n'est plus neuf qu'une catin vertueuse ; qu'une fille des boulevards, honnête femme ; qu'une aventurière enrichie avec sa vielle, et jouissant de la plus grande considération, sans cesser de jouer du même instrument ? Ce spectacle merveilleux, unique en son genre, est absolument dans nos mœurs, dans notre tour d'esprit. Fanchon est un personnage instructif, moral, consolant, propre à exciter l'émulation ; elle vient à l'appui du grand principe de la tolérance ; Fanchon est philosophe, et d'une philosophie très-commode : cela devait aller aux nues, suivant toutes les lois de la probabilité.
Au contraire, il n'y a rien de philosophique dans la Prison militaire, que la gaîté des prisonniers : du reste, on s'embarrasse peu des stratagêmes des amans depuis qu'ils ne sont plus nécessaires dans la milice amoureuse : des oncles ! on en a par-dessus la tête ; celui de la pièce nouvelle est bien le plus maussade, le plus hargneux et le plus méchant de tous ces animaux-là : c'est un rôle odieux, malfaisant, immoral ; ce n'est pas là ce qu'il nous faut : quant à l'intrigue, c'est assurément la torture de l'esprit humain ; c'est un tour de force au-dessus de tous ceux de l'illustre Forioso : mais dans nos mœurs actuelles, de l'intrigue pour avoir de l'argent, une place, il n'y en a jamais assez ; de l'intrigue pour avoir une fille, il y en a toujours trop.
Je n'ai garde de me perdre dans le labyrinthe des incidens qui forment ce terrible imbroglio. Le spectacle en est pénible, le récit en serait un supplice ; à quoi bon se tant tourmenter pour ennuyer les lecteurs ! l'auteur aurait peut-être bien fait lui-même de ne pas tant marteler son cerveau pour fatiguer les spectateurs. Il ne faut pas se piquer d'étonner, mais de plaire.
Le jeune Edmond capitaine, en garnison à Boston, est éperdument amoureux d'une certaine Sophie : par malheur cette Sophie a tant de mérite, qu'elle enflamme aussi l'oncle du capitaine, M. Derford, gouverneur de la place : le gouverneur écarte prudemment ce dangereux rival en le faisant mettre en prison ; et, pour s'en débarrasser tout-à-fait, il lui donne une mission en France : de la prison, le capitaine ne fera qu'un saut sur le navire qui doit mettre l'Océan entre sa maîtresse et lui : le neveu refuse cet honneur ; l'oncle s'obstine ; il ordonne au geolier de garder son prisonnier à vue avec la dernière rigueur : voilà le nœud formé, voilà le combat engagé entre les deux rivaux ; combat très-inégal, où toute la force est d'un côté; l'adresse en brillera davantage de l'autre.
Par le plus grand bonheur du monde, Edmond, dans une bataille, a sauvé la vie à George, soldat, factionnaire de la prison : George, à son tour, devient son ange, son sauveur ; il se charge de la guerre contre l'oncle, et d'abord débute assez mal ; il s'agit de faire tenir une lettre à Sophie ; au moment où George va la prendre des mains d'Edmond, l'oncle survient, qui l'escamote et la déchire ; mais il en laisse tomber les morceaux sur le théâtre ; le geolier les rassemble, et lit la lettre à ses soldats pour leur apprendre comment on écrit à sa maîtresse ; George, qui a de la mémoire, retient la lettre à la première lecture, et court la rendre mot pour mot à Sophie.
Bientôt le commerce épistolaire devient inutile : Sophie se fait mettre en prison sous le nom et le costume d'un jeune officier, appelé Valcour, qu'on y attend ce jour-là même : démarche plus extravagante encore qu'amoureuse ; car lorsque Sophie, déguisée en officier, est introduite dans la prison par un faux sergent, le véritable Valcour, conduit par un véritable sergent, est déjà arrivé ; ilse trouve donc deux Valcour, deux prisonniers au lieu d'un ; grand exercice pour le rare discernement et le tact exquis du vieux concierge, M. de Belaccueil, sergent invalide, paré d'une jambe de bois, bavard éternel, goguenard impitoyable, faisant l'homme d'importance, et ne voulant pas donner sa nièce à George, parce qu'il n'est que soldat : c'est le meilleur rôle, le seul plaisant de la pièce, et Picard le joue très-plaisamment.
Le concierge se trompe, comme tous les sots qui font les capables : il renvoie le véritable Valcour, et le véritable sergent, Jolicœur, pour garder Sophie et le valet de chambre d'Edmond, travesti en sergent : la scène est très-intriguée, très-bien filée ; le désespoir.de Jolicœur est presque aussi comique que le désespoir de Jocrisse : la gloire de l'auteur est à son comble ; depuis ce moment la pièce ne fait que baisser, quoique les surprises, les quiproquo, les quolibets, les jeux de mots aillent toujours leur train, et même se multiplient d'une manière prodigieuse. L'héroïsme de Sophie, qui se fait mettre en prison pour se rapprocher du jeune capitaine, n'a pas produit la sensation qu'on avait lieu d'attendre. Le parterre s'est montré plus ami qu'à l'ordinaire des bienséances du sexe, et cette indécente mascarade a généralement déplu.
Cependant l'oncle ignore que les amans qu'il veut séparer sont sous le même toit ; il poursuit toujours le projet de faire embarquer son neveu ; pour l'y déterminer plus aisément, il essaie de le brouiller avec Sophie, en lui montrant de ces lettres qu'il a interceptées, et dont il a déchiré l'adresse ; le capitaine donne dans le panneau ; il s'imagine que cette lettre, écrite pour lui, est pour un rival ; mais il est promptement désabusé par Sophie elle-même ; dès-lors les affaires du méchant oncle prennent la plus mauvaise tournure : bientôt la nature le force d'oublier l'amour.
On se souvient sans doute de ce Valcour à qui l'on a fait l'affront de le renvoyer de prison : il y revient ramené par Jolicœur, qui n'a pas voulu en avoir le démenti. Ce prisonnier est le fils même du gouverneur, et son véritable nom est Folleville : son affaire est assez grave ; elle a aussi quelque rapport avec celle du capitaine : il aimait une femme en France, et avait pour rival son colonel : le régiment a ordre de s'embarquer : pendant que l'amoureux Folleville fait ses adieux à sa belle, et les prolonge sans doute à la veille d'une longue absence, le traître de colonel fait mettre à la voile sans l'attendre ; le malheureux officier trouve en arrivant le vaisseau déjà loin du bord, et, comme il le dit lui-même très-éloquemment, il ne peut courir après ; éloquence que le parterre a sifflée comme trivialité.
Pour avoir trop bien servi l'amour, Folleville se voit traité en déserteur ; on l'envoie à Boston pour y être jugé ; il est à la veille de perdre la tête : on pense bien que, dans un si grand danger, l'oncle laisse respirer son neveu pour s'occuper de son fils. Sophie reprend le costume de son sexe, et s'en retourne beaucoup plus difficilement qu'elle n'était venue, sous les habits de Fanchette, nièce du concierge. Tous les instrumens qu'elle avait apportés dans sa valise pour faciliter l'évasion de son amant, sont parfaitement inutiles, et même un certain cordon qu'elle avait passé par le trou de la serrure de sa chambre, et que George avait tiré d'un côté du théâtre à l'autre ; ce cordon a été, pour la plupart des spectateurs, le nœud gordien : il devait sans doute servir à faire une échelle de corde pour le prisonnier ; mais il paraissait bien mince pour un pareil usage, il ressemblait à un cordon de sonnette.
Le capitaine Edmond ne songe plus à sortir de prison ; il ne songe qu'à sauver la vie à son cousin, en le faisant évader : pour y réussir, il enivre le concierge et ses factionnaires ; ce qui forme, sur la scène, une tabagie fort ignoble : le maudit concierge, tout ivre qu'il est, fait cependant manquer te coup. Folleville est condamné à mort; mais , pendant que son père se désole, Sophie vient apporter sa grâce qu'elle a obtenue du général dont elle est parente ; le père, par reconnaissance, accorde à son neveu la libératrice de son fils.
L'aventure de Folleville gâte les deux derniers actes : ce second intérêt fait oublier le premier. Le vilain oncle, que tout le monde déteste, est trop heureux de retrouver son fils en perdant sa maîtresse ; sa déloyauté n'est point assez punie. C'était assez de deux prisonniers, Edmond et Sophie ; il ne fallait pas couper cette intrigue par une autre ; les sifllets n'auraient pas coupé les applaudissemens. Fanchette ne fait rien autre chose dans la pièce que prêter ses habits à Sophie, et désirer très-naïvement que George devienne sergent, afin de pouvoir devenir son mari. Ce rôle est inutile : il y a beaucoup de confusion, de fracas et de bagarre dans la marche de l'action : les acteurs ne se possèdent pas assez ; le tourbillon des incidens les entraîne ; ils veulent se faire applaudir par la volubilité, et ils bredouillent ; on ne les entend pas : la plupart ignorent les élémens du débit théâtral. Dans une pièce aussi compliquée, il est surtout essentiel que le spectateur ne perde pas un mot ; car ce mot est quelquefois nécessaire à l'intelligence de l'intrigue : Picard lui-même s'est oublié sur cet article, contre son ordinaire : il crie pour échauffer la scène ; il s'efforce d'étourdir par le bruit ; mais, au milieu de ce vacarme, on ne saisit rien; chacun reste froid.
Le dialogue est vif et brillant, mais peu naturel ; il étincelle de traits et de saillies, dont tout l'agrément est dans les mots : le plus heureux et le plus applaudi de ces bons mots, est celui-ci : On adore Dieu quand on est honnête homme, et les femmes quand on ne l'est pas ; ce qui me rappelle une autre sentence de je ne sais quelle pièce: L'honnête homme aime sa femme, le libertin l'adore. Il me semble que Dieu se trouve ici mêlé très-mal à propos dans un propos de comédie, et qu'on peut être très-malhonnête homme sans adorer les femmes : tous ces jeux de l'esprit s'évanouissent aux regards de la raison : mais il faut un peu d'indulgence pour des bluettes, dans une pièce d'un genre très-frivole, destinée à un théâtre qui ne se pique pas de sévérité.
Le plus grand reproche qu'on puisse faire à l'auteur, est de ramener l'art à l'enfance, en ressuscitant ces canevas espagnols que nos poëtes ont commencé par imiter, et dont Molière a fini par purger notre scène : les déguisemens, les surprises, les quiproquo, l'escamotage, les subtilités de la main, les tours de passe-passe ; tout cela, farce de tréteaux, mauvais comique, qu'un homme de lettres, soigneux de sa réputation, ne doit jamais se permettre : mais il y a aujourd'hui tant de théâtres ! on fait tant de pièces ! cette branche de commerce est si épuisée ! Faut-il s'étonner que dans des comédies de hasard on donne du vieux pour du neuf ?
L'auteur a été demandé au milieu d'une musique très-désagréable et très-discordante ; à sa place, je n'aurais pas voulu compromettre mon nom dans cette cohue : c'est M. Dupaty, jeune homme qui a beaucoup d'esprit, beaucoup trop ; il ne lui manque, pour obtenir des succès solides, qu'un peu de goût et de raison. (1er thermidor an 11.)
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