Le Peintre français à Londres, comédie anecdotique en un acte, mêlée de vaudevilles, de Barré, Radet, Desfontaines et Bourgueil, 27 germinal an 10 [17 avril 1802].
Théâtre du Vaudeville
Almanach des Muses 1803
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Titre :
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Peintre français à Londres (le)
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Genre
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comédie anecdotique
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Nombre d'actes :
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1
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Vers ou prose ,
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en prose
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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27 germinal an 10 [17 avril 1802]
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Théâtre :
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Théâtre du Vaudeville
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Auteur(s) des paroles :
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Barré, Radet, Desfontaines et Bourgueil
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Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Made. Masson, Paris, an X – 1802 :
Le Peintre français à Londres, comédie anecdotique en un acte et en prose, mêlée de vaudevilles. Par les Cens. Barré, Radet, Desfontaines et Bourgueil.
Sur la page de titre de la deuxième édition de la brochure, Paris, chez C.-F. Patris, chez P. Villiers, chez Martinet, 1814 :
Le peintre français à Londres, comédie en un acte, mêlée de vaudevilles ; Par MM. Barré, Radet, Desfontaines et feu Bourgueil. Nouvelle édition, corrigée, augmentée et conforme à la première représentation de la reprise au Théâtre du Vaudeville, le samedi 24 septembre 1814. Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre du Vaudeville, le 27 Germinal an 10, (17 avril 1802.)
Courrier des spectacles, n° 1869 du 28 germinal an 10 [18 avril 1802], p. 2 :
[Le ton de l’article est très élogieux : il commence par comparer la pièce nouvelle à « une comédie de tous les tems », l’Anglais à Bordeaux, de Favart (1763), que le vaudeville égale presque : il a toutes les qualités d’une pièce faite pour durer : « un plan sage, un fond moral, un intérêt bien ménagé et toujours croissant, le tout embelli de couplets spirituels et bien tournés ». Et on ne peut que lui reprocher quelques longueurs au commencement (reproche plus que fréquent !) et un dénouement qui ressemble trop à celui d’autres pièces. C’est l’histoire triste et orale d’un jeune peintre exilé en Angleterre en ces temps désastreux de Révolution, qui, endetté à cause du jeu, se voit proposer de peindre une victoire anglaise sur les Français. Alors que son créancier vient lui réclamer son argent, il repousse la proposition qui le sauverait, mais accepte de peindre le portrait du vainqueur anglais. Ce geste lui assure le cœur de sa charmante cousine tout en réglant ses problèmes financiers sans perdre son honneur. Le critique cite abondamment les couplets très moraux de la pièce, tant sur les ravages du jeu (par le peintre, qui aimerait attendrir son usurier, comme par sa cousine qui lui montre la voie du salut par l’art) que sur le sentiment de l’honneur. Situation initiale bien triste, mais dénouement heureux : on est au vaudeville. L’article s’achève sur l’évocation de l’interprétation, digne d’éloges, en particulier un acteur dont c’est la rentrée brillante (« beaucoup de chaleur et de sensibilité ») après « une longue maladie ». Mais ses camarades ont su faire preuve d’un ensemble remarquable.
Détail : les auteurs, pourtant prestigieux, ne sont pas nommés. Et pourtant ils ont dû l'être, si la pièce a été le succès que le critique dit.]
Théâtre du Vaudeville.
Si le theâtre Français a au répertoire l’Anglais à Bordeaux, pièce faite à l’occasion de la paix de 1763, et qui a par-dessus toutes celles de circonstances , le mérite d’être une comédie de tous les tems, le théâtre du Vaudeville peut, à dater d’hier soir, se glorifier d'avoir aussi sa pièce et de circonstance et de tous les tems. Ce n’est pas que ce soit un petit chef-d’œuvre comparable à celui de Favart, mais c’est au moins ce qui en approche le plus. Un plan sage, un fond moral, un intérêt bien ménagé et toujours croissant, le tout embelli de couplets spirituels et bien tournés, voilà ce qui a fait fermer les yeux sur quelques longueurs dans le commencement, et sur la ressemblance que l’on pouvoit trouver entre le dénouement et celui de quelques autres ouvrages, tels que l’Opéra-Comique, etc. ; enfin le succès a été complet.
Maurice, jeune peintre Français, réfugié à Londres dans ces tems désastreux où le mérite étoit un crime, a trouvé un asyle auprès de Mad. Sinclair, sa cousine, dont il a gagné le cœur et la confiance. Entraîné dans une maison de jeu, il a perdu tout son argent et il rentre chez lui dans la crainte d’être arrêté pour dettes par un usurier nommé Durocher. Je sors, dit-il :
Je sors du plus honteux repaire,
Du plus abominable lieu.
Quel affreux destin m'a pu faire
Connoître une maison de jeu,
Caverne à l'avarice ouverte,
Où l’on court le danger certain
D'être ruiné par la perte,
Ou deshonore par le gain ?
Durocher est un être extrêmement dur, qui annonce à Maurice les mesures de rigueur qu’il a prises en ami contre lui, et qui lui dit que faute de paiement il le suivra en prison. Atterré par cette menace, Maurice se livre à son désespoir, lorsque le lord Solnen, enthousiasmé des talens qu’il a déployés en peignant le combat de Boulogne, vient lui offrir mille guinées s’il veut consentir à peindre la bataille d'Aboukir. Mille guinées ! quel moment ! s’il accepte, il répare ses pertes et Durocher est payé : mais un Français peindre une victoire des Anglais sur ses compatriotes ! il refuse milord Solnen.
Depuis dix ans, Français, Anglais
Comptent mainte illustre victoire :
Depuis dix ans, Anglais, Français
Cent fois se sont couverts de gloire,
Partout nous nous sommes, je crois,
Bien montrés les uns et les autres ;
Nous sommes libres en exploits,
Peignons chacun les nôtres.
Cependant Mad. Sinclair qui se plaint de l’indifférence de Maurice, veut avoir de lui l’aveu de ses peines. Le jeune Peintre, après bien des difficultés, raconte son malheur à son amante qui le plaint et qui lui représente le tort que se fait le joueur par sa funeste passion.
. . . . . . . . . . . . .
Il perd son taent, son courage,
Son tems, son repos, sa santé :
Heureux si dans un tel naufrage
Il a sauvé sa probité !
Combien plus heureuse est la vie
De cet artiste intéressant,
Qui tout entier à son génie,
N’existe que pour son talent.
Exempt de soins, d’inquiétude,
Tout son tems est bien employé ;
Et s’il en dérobe à l'étude,
Il le consacre â l’amitié.
Durocher, suivi d’un Huissier, vient pour arrêter Maurice. Milord Solnen arrive en ce moment. Maurice veut envain déguiser la vérité. Milord qui s’en apperçoit se rend caution pour lui, et lui propose de peindre non plus le combat d’Aboukir, mais son propre portrait. Maurice y consent.
Pouvois-je peindre la victoire ?
Non, je le sens au fond du cœur :
Mais je puis peindre le vainqueur,
Et mon pinceau s’en fera gloire.
Quel honneur de peindre un guerrier
Qu’à l’envi partout on renomme !
Quelque part que naisse un grand homme,
Il appartient au monde entier.
Durocher se retire ; Maurice est rendu à son art et à l'amour, et Mad. Sinclair lui promet de couronner ses vœux.
Le citoyen Julien , à peine sorti d’une longue maladie, a mis beaucoup de chaleur et de sensibilité dans le rôle de Maurice. Les cit. Vertpré et Carpentier et Mesdames Henry, Duchaume et Delille, (cette dernière fait un rôe d’un jeune Anglais élève du Peintre), ont contribué encore au succès de l’ouvrage par l’ensemble qu’ils ont mis chacun dans leurs rôles.
F* J. B. P. G***.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIIe année, tome VI (n° 21, Germinal an 10), p. 262 :
[Un paragraphe de compliments (réussite, pièce « intéressante et morale », « couplets jolis et soignés »). Un paragraphe pour l’intrigue, l’interprétation (parfaite), les auteurs.]
Le Peintre français à Londres.
Enfin le Vaudeville a vu aujourd'hui réussir complètement une pièce. Celle-ci, jouée le 27 germinal, est intéressante et morale. Les couplets en sont jolis et soignés.
Maurice, jeune peintre français, réfugié à Londres, a trouvé un asyle chez M.me Saint-Clair, sa cousine, qu'il aime et dont il est aimé. Entraîné dans une maison de jeu, il perd tout et plus encore qu'il n'a. Durocher, marchand de tableaux et son créancier, exige entier payement sous peine de prison. Maurice est au désespoir. Lord Solnen (Nelson), enthousiasmé de ses talens, lui offre une somme considérable pour peindre la bataille d'Aboukir. Ses dettes peuvent être payées ; mais il refuse courageusement de peindre une victoire des Anglais sur les Français, Lord Solnen sort étonné. On vient presque aussitôt pour arrêter Maurice. Tout le monde est dans la consternation. Solnen revient, et demande la raison du trouble qu'il voit. Maurice dit qu'il disposoit ses personnages pour un tableau représentant un jeune homme qu'on va arrêter pour dettes. Solnen, qui n'est pas dupe de cette défaite, propose d'égayer le tableau en y plaçant un personnage de plus ; celui d'un ami qui paye les créanciers, et qui rend tout le monde à la joie. C'est ce qu'il fait en demandant son portrait à Maurice, dont il veut absolument un ouvrage. Les rôles ont été parfaitement joués, par Julien, Verpré, M.mes Beilemont et Delille. Les auteurs sont les CC. Barré, Radet, Desfontaines et Bourgueuil.
L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1802, tome 8 (Thermidor an X, août 1802), p. 202-205 :
[Le compte rendu s’ouvre sur l’analyse d’une intrigue patriotique, l’histoire d’un peintre exilé en Angleterre, ayant perdu sa fortune au jeu, et qui refuse de faire un tableau à la gloire de la marine anglaise, victorieuse à Aboukir. Loin de vexer celui qui lui commande ce tableau, son attitude lui attire son estime, lord Sonnel (Nelson en verlan !) se portant caution et lui commandant cette fois son portrait. Le critique précise qu’il s’agit d’une pièce anecdotique, il cite deux peintres ayant agi de façon aussi patriotique que le peintre de la pièce. Mais les auteurs ont su traiter le sujet de façon remarquable en y plaçant les accessoires qui ajoutent de l’intérêt à l’intrigue (ils n’ont pas oublié d’y glisser une affaire sentimentale. A un moment où la France et l’Angleterre font la paix, les deux nations sont présentées de façon positive. Les couplets ajoutent encore à la valeur de la pièce, où seuls des esprits chagrins trouveront le défaut de quelques personnages inutiles, ou d’une « excessive délicatesse » chez le peintre. La pièce, bien jouée, est la trentième réussite du quatuor d’auteurs.]
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
Le Peintre français à Londres.
Un peintre français, refugié à Londres pour se soustraire aux malheurs de sa patrie, dans les temps où la persécution se dirigeoit contre les talens, les vertus & les arts, n'a de ressources que dans son pinceau & dans l'amitié d'une parente, refugiée comme lui. Un spéculateur, abusant de sa situation, lui prête une somme assez considérable, dans l'intention secrète de l'engager à lui faire des caricatures dont il espère un grand débit ; mais la dignité de l'artiste répugne à ce genre grotesque, qui lui paroît avilir sa palette. A la veille de se voir contraint à restituer la somme qu'il doit, notre peintre commet l'imprudence de tenter la fortune dans une maison de jeu ; il y perd tout à fait ce qui lui reste. Son créancier, enchanté de le savoir dans cette position, le poursuit vivement, & obtient prise de corps, persuadé que, pour racheter sa liberté, il consentira à lui faire ses tableaux. Sur ces entrefaites, milord Sonnel (Nelson) s'adresse à lui & lui propose beaucoup plus qu'il ne lui faut pour s'acquitter s'il veut peindre la bataille d'Aboukir & la victoire des Anglais. Le patriotisme l'emporte sur le besoin ; l'artiste refuse avec noblesse & dit à milord Sonnel :
Nous nous sommes partout, je crois,
Bien montrés les uns et les autres ;
Nous sommes riches en exploits,
Peignons chacun les nôtres.
Ce refus généreux lui gagne l'estime du lord & lui rend le cœur de sa parente, qui, un peu piquée contre lui de son dérangement, lui avoit retiré son portrait, & qui saisit cette occasion de le lui rendre. Content de lui même, l'artiste se console de subir sa sentence, & déjà son créancier & des recors sont arrivés pour se saisir de sa personne. Mais milord Sonnel revient : c’est en vain que, par une ruse, le peintre espère lui déguiser sa position, & faire passer les huissiers pour des modèles, le généreux lord devine, se rend caution, & lui propose de faire son portrait. Oui, sans doute, lui répond l'artiste fidèle à son caractère,
Je n'ai pu peindre la victoire,
Mais je puis peindre le vainqueur.
. . . . . . . . . . . .
Quelque part que naisse un grand homme,
Il appartient au monde entier.
La pièce est anecdotique : deux peintres ont effectivement donné ce modèle de patriotisme ; l'un étoit le fameux Calot, qui, malgré son talent pour les caricatures, refusa constamment d'en faire contre la France, quelque prix qu'on lui en offrit ; & l'autre, nommé Danlou, a réellement refusé de peindre la victoire de la flotte anglaise. Mais les auteurs de ce joli ouvrage se sont véritablement distingués par la manière dont ils ont conçu, développé & dénoué leur action principale. Ce qui constitue le talent, c'est d'entourer son sujet des accessoires qui lui conviennent, c'est d'ajouter à l'intérêt d'une situation ce qui peut la faire ressortir davantage. Rien de plus adroit que de rehausser l'éclat du refus de l'artiste par la position cruelle où il se trouve, & pour sa fortune, & pour sa liberté & pour son amour ; rien de plus délicat que la triple récompense qu'il reçoit de sa belle action ; rien de plus noble que le combat de générosité du peintre & du lord qui honore une nation sans avilir l'autre, & qui propage ainsi le tableau consolant & moral des égards que les peuples se doivent entr'eux, comme les individus les uns à l'égard des autres. Ajoutez à cela une foule de couplets aimables & bien tournés, & l'on se persuadera facilement qu'il reste à peine à la critique le moyen de s'appercevoir de l'inutilité de quelques personnages, & de chicaner sur l'excessive délicatesse du peintre, lorsqu’il rend lui-même à son amie le portrait qu'elle ne lui demande pas, & qu'il a fait à son insu.
La pièce, jouée avec beaucoup d'intelligence, est une trentième preuve au moins de la fécondité ingénieuse & du talent aimable des CC. Barré, Radet, Desfontaines & Bourgueil ; elle a réussi sans aucune restriction.
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