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Le Pont de Lodi

Le Pont de Lody, fait historique / opéra-comique en un acte, de Delrieux, musique de Méhul. 25 frimaire an 6 [15 décembre 1797].

Théâtre de la rue Feydeau

Almanach des Muses 1799.

Trait d'héroïsme de nos soldats, que l'auteur a essayé de mettre sur la scène.

Peu de succès.

Courrier des spectacles, n° 298 du 26 frimaire an 6 [16 décembre 1797], p. 2-3 :

[Le compte rendu du nouvel opéra-comique s’ouvre par des considérations plus militaires que dramatiques : la pièce commémore une victoire prestigieuse des troupes françaises, et c’est d’abord la description de cette victoire que le critique fait. Mais l’analyse de l’intrigue vient très vite prendre la place de l’histoire, puisque la pièce modifie la réalité géographique (le pont se rapproche du fort), et que la fiction vient parasiter la grandeur du moment avec une intrigue amoureuse que le critique présente d’abord sans la juger, avant de condamner sa présence dans la pièce où elle lui paraît déplacée. Le genre de l’opéra-comique permet un spectacle total, et la pièce montre la réalité de la bataille (mais toujours avec la présence étonnante de l’historie d’amour entre le pêcheur et son épouse). Une fois l’évocation de la bataille terminée, le critique peut donner son sentiment, et il se permet de condamner la présence de l’intrigue amoureuse, qualifiée de « mesquine » au milieu de l'évocation « des plus grands tableaux, des plus beaux effets de courage et de patriotisme ». On sent que le critique a bien des réserves à faire sur ce point. Méhul est simplement cité, avec promesse de revenir sur son travail. La fin de l’article dresse un bilan très positif de la mise en scène de la pièce : costumes, nombre de figurants, combats, décors, tout est satisfaisant. Mais il faudrait supprimer des éléments hors de propos, comme le « rôle du sergent Francœur disparût tout-à-fait, […] ainsi que l’enlèvement ridicule de la femme du pêcheur ». Ces suppressions sont présentées comme le vœu du public. Imaginer le commandant ennemi s’occupant d’amour quand son poste est attaqué, « c’est affoiblir les lauriers du vainqueur. ».

Théâtre Feydeau.

La mémorable bataille de Lody sera à jamais célèbre dans les fastes de l’histoire : on sait que cette ville, bâtie sur l’Adda par l’Empereur Frédéric Barberoussc, est la clef de l'Italie. Le fameux pont de cent toises de long, fut emporté après la conquête de la ville le 21 floréal de l’an IV, par les généraux Buonaparte, Massena, Gervoni, Dallemagne, sur Beaulieu qui le défendoit. C’est cette action qu’on a retracée hier sur ce théâtre, sous le titre du Pont de Lody, fait historique en un acte, qui a obtenu peu de succès. L’auteur du poëme a souvent suivi l’histoire. Voici son plan : On voit sortir du fort, avant le jour (Le fort, si l’on consulte la géographie est très-éloigné du Pont de Lody, mais en scène, il est permis de le rapprocher pour l’effet théâtral) une patrouille qui traverse le pont, va vers Lody, qui est censé menacé par les Français, revient avec bruit, et rentre dans le fort ; elle est suivie d’un gros peloton d’Autrichiens qui vont au-delà du pont pour se ranger en bataille ; l’orchestre joue une marche silencieuse ; cette marche contraste très-bien avec les couplets gais du pécheur Paolo, qui paroit dans sa barque, pour gagner sa chaumière, où il a laissé Corinne, sa jeune femme. Le jour paroit, Paolo est arrêté par le cri de la sentinelle qui le couche en joue ; il se glisse en tremblant du coté de la chaumière, appelle Corinne, lui présente ses petits prisonniers, et la presse de fuir avec lui dans sa barque. Effrayé de nouveau au bruit du canon et aux cris des habitans qui fuyent de Lody attaqué par les Français; il veut entraîner Corinne, mais elle est arrêtée par le commandant du Fort Autrichien. Celui-ci aime Corinne ; il lui propose le fort pour azile ; Corinne refuse, veut courir vers la barque où Paolo l’appelle ; on l’enlève, le commandant va pour la suivre, à son tour il est arrêté par le chef de l’état-major Français qui le somme de rendre le fort et le pont. Refus du commandant, qui jure de s’ensevelir sous les ruines de la Forteresse. Ré flexions du chef del’état-major, sur la difficulté de la prise du pont, joie du trompette qui l’accompagne, présage de succès pour les Français.

Le général Français arrive à la tête de son état-major. A la nouvelle du refus du commandant Autrichien, il consulte son conseil. L’état-major veut l’attaque subite du pont, son chef seul s’y oppose. Le général choisit le chef pour commander l’attaque à laquelle il s’est seul opposé. Le chef promet de prouver que l’humanité n’exclut pas le courage.

Le pont est attaqué avec impétuosité, et tout couvert qu’il est de canons, il est emporté à la bayonnette ; le général poursuit les Autrichiens au-delà du pont ; le chef attaque le fort, y entre à la première brêche faite par les canons mêmes du pont, que les Français tournent contre la forteresse, Paolo monte des premiers à la brèche, en sort, un instant après, en emportant Corinne qui alloit devenir la proie des flammes. Chants de victoire de tous côtés, marche triomphale, tableau. Le général, après avoir embrassé le chef, et donné de justes éloges à toute l'armée, fait Paolo capitaine , et ordonne une fête en l'honneur d'une journée si extraordinaire et si glorieuse.

Tel est le fonds de cet acte qui offre du spectacle. On peut reprocher à l'auteur d’avoir mis une intrigue d’amourette mesquine à côté des plus grands tableaux, des plus beaux effets de courage et de patriotisme. Cependant dans ce genre d’ouvrages, c’est plus souvent l’intention que l’exécution dont il faut savoir gré à l’auteur, et sous ce point de vue, celui du Pont de Lody est digne d’être encouragé. La musique est de Méhul, et offre plusieurs beaux morceaux sur lesquels je reviendrai.

L'administration de ce spectacle n’a rien négligé pour mettre avec toute la pompe possible cet acte national, qui peut encore être goûté, si l'on y fait des changement. Les habits des généraux sont superbes, les comparses et les soldats nombreux, le. combat qui se livre est très-bien rendu, et la décoration très-belle. Le public a paru desirer que le rôle du sergent Francœur disparût tout-à-fait, ainsi que l’enlèvement ridicule de la femme du pêcheur. Un commandant quelconque ne peut s'occuper d'une intrigue d’amour au moment important de l’attaque de son poste ; et présenter un pareil ennemi à vaincre, c’est affoiblir les lauriers du vainqueur.

Je parlerai des changemens qu'on fera sans doute à cette pièce, ainsi que de la manière dont elle est jouée.

Ducray Duminil.

Courrier des spectacles, n° 300 du 28 frimaire an 6 [18 décembre 1797], p. 2-3 :

[Deux jours après le premier article, retour sur le Pont de Lodi, qui s’ouvre sur un demi-aveu : si la seconde représentation « a obtenu hier plus de succès qu’à sa première représentation », c’est bien que le succès n’a pas été si indiscutable lors de la première. Les éléments parasites ont disparu : plus de trompette Francœur. plus de commandant autrichien amoureux, plus de Corinne enlevée. Certes, il reste peu d’action, mais c’est l’essentiel qui a été conservé, conseil des chefs français, attaque du pont. Le public assiste à une pantomime réaliste, avec « des troupes, des canons véritables, une attaque, un combat à la mousqueterie, à la bayonnette », avec « un bruit d’enfer ». Petite réserve toutefois, l’évocation d’un tel haut fait militaire ne peut être pleinement réalisée sur un théâtre. Le Pont de Lodi attend encore son Tacite. La musique de Méhul, rapidement évoquée, « offre de beaux morceaux », comme « la marche silencieuse du commencement », « l’air du pêcheur, celui du chef de l’état major et le chant de victoire ». Ils sont bien interprétés par des acteurs et chanteurs « très-bien placés » dans leurs rôles. Un jeune acteur est également mis en avant pour « l’intelligence avec laquelle il joue le petit rôle du pêcheur » (rôle qui est devenu moins important après les importantes coupures qu’il a subi).]

Théâtre Feydeau.

L’acte du Pont de Lody a obtenu hier plus de succès qu’à sa première représentation. Le rôle entier du trompette Francoeur a disparu ; l’amour du commandant Autrichien, et l’enlèvement de Corinne n'y sont plus. On demandera maintenant ce qui reste dans cet ouvrage : je répondrai qu’on y trouve bien peu de scènes, mais qu’on y a conservé l’essentiel. La scène du conseil est bien ; l’attaque du pont est exécutée avec effet ; en un mot, c’est du spectacle, c’est une pantomime qui peut piquer la curiosité par la manière dont elle est rendue. Tout le monde voudra voir des troupes, des canons véritables, une attaque, un combat à la mousqueterie, à la bayonnette ; c’est un bruit d’enfer !... C’est un spectacle nouveau ; il n’en faut pas d’avantage pour attirer tout Paris. Mais je répéterai toujours que c'est dans une plaine qu'il faut retracer une bataille, et non sur un théâtre où l’on ne peut savoir gré qu'aux efforts que fait une administration pour la rendre le plus vraisemblable possible. Quand verrons-nous nos hauts faits nationaux rendus dignement ? sans doute quand ils seront plus éloignés de nous. Les héros sont ici ; où sont les Tacites ?

La musique de Méhul offre de beaux morceaux ; je citerai la marche silencieuse du commencement qui est d’un effet mystérieux, simple et imposant ; l’air du pêcheur, celui du chef de l’état major et le chant de victoire portent le cachet de ce fameux compositeur : les citoyens Dessaules et Gaveaux sont très-bien placés dans les rôles du général et du chef de l’état-major, et le jeune citoyen Derubelle mérite des encouragemens pour l’intelligence avec laquelle il joue le petit rôle du pêcheur.

Ducray Duminil.

Le Censeur dramatique, tome second (1797), p. 141-143 :

[Les inconvénients des représentations à grand spectacle : les spectateurs courent le risque de l'asphyxie, veulent sortir au plus vite, et oublient de demander le nom de l'auteur.]

THÉÂTRE DE LA RUE FEYDEAU.

OPÉRA.

Pièce nouvelle.

Le 25 frimaire, on a donné la première Représentation du Pont de Lodi, Opéra en un acte, par M. Delrieu, Musique de M. Méhul.

Le Commandant Autrichien du Fort de Lodi, sous prétexte de mettre la jeune Corine, femme de Paolo, Batelier, à l'abri des insultes des François, qui menacent d'attaquer ce Poste, 1a fait enlever et conduire auprès de lui. Ces jeunes Epoux s'aiment tendrement, et Paolo désespéré va se livrer aux François, et leur offre ses services, qui sont. acceptés. Le Général François fait sommer le Commandant Autrichien de rendre le Fort ; et, sur son refus, assemble un Conseil de Guerre, et en propose l'assaut. Tous les Officiers sont de cet avis, à l'exception d'un seul, qui voudroit que, pour épargner le sang des Soldats, on prît des mesures moins meurtrières. Cependant l'assaut ayant été résolu, c'est en partie à son courage et à son adresse que les François doivent cette victoire. Dans la mêlée, Paolo a le bonheur d'être utile à cet Officier ; il en .reçoit la récompense; Corine est délivrée,et il est fait Capitaine.

Cette intrigue a paru mesquine et peu liée au sujet, si intéressant pour tout bon François. Quelques détails dans le rôle du Général et dans celui de l'Officier, et la scène du Conseil de Guerre, ont été applaudis. On aime à retrouver au Théâtre les sentimens qu'on a dans le cœur.

Tout ce qui tient aux évolutions militaires a été exécuté avec beaucoup de vérité. Jamais attaque de Fort, au Théâtre, n'a causé un fracas aussi terrible ; des pièces de canon de bronze étoient sur la Scène, et tiroient continuellement, ce qui ne s'étoit point encore vu, et ce qui a effrayé un grand nombre de Spectateurs, et surtout de Spectatrices. Ces explosions ont produit une telle fumée, qu'on ne distinguoit plus rien sur la Scène ni dans la Salle, et que les cris Ouvrez les loges couvroient la voix des Acteurs. Chacun s'est empressé de sortir, et c'est ce qui fait sans doute qu'on a oublié de demander les Auteurs.

L'effet de cette Représentation n'a pas, comme l'on voit, tout-à fait répondu à leur attente. Souvent, pour vouloir aller trop loin, on manque le but ; et il est un terme qu'il ne faut pas dépasser, lorsqu'on veut produire l'illusion. C'étoit déjà beaucoup d'avoir introduit des incendies et des pièces d'artifice sur nos Théâtres ; il fallait s'arrêter là. Dans des espaces aussi resserrés, le canon ne peut produire que des effets ou dangereux, ou très incommodes ; ce n'est qu'à l'air libre qu'on doit se permettre ces sortes de jeux.

On a pu voir combien l'intrigue de cette Pièce étoit peu de chose. La Musique nous a paru analogue au sujet ; mais, au milieu de tout ce vacarme, il étoit difficile d'en juger plusieurs parties.

Au reste , le concours étoit immense ; et si un succès plus complet n'a pas couronné les efforts de l'Administration, on lui a su gré de son zèle et de ses dépenses. Elle a été secondée dans ce zèle par les Acteurs «jui ont joué dans ce petit Ouvrage, et principalement par MM. Dessaules et Gaveaux. Le premier surtout, dans le rôle du Général François, nous a paru avoir bien saisi le ton et les manières d'un brave Militaire. M. Derubel a cherché à mettre de la gaieté dans le rôle d'un bas-Officier, &c. ; en tout, il y avoit plus d'ensemble qu'on n'en devoit attendre dans un Ouvrage où les détails de marche, d'évolutions, &c. &c., attirent la principale attention, et où le roulement du canon amortit nécessairement les effets du Dialogue.

Mais, nous le répétons : étoit-ce là sa place ? Un tel spectacle est-il propre au Théâtre ; et les craintes continuelles qu'il occasionne, ne balancent-elles pas un peu trop le plaisir qu'il pourrait faire ?

D'après la base César, la pièce a été jouée 8 fois au Théâtre Feydeau, du 14 au 27 décembre 1797.

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