Le Portrait de Miguel Cervantes ou les Morts rivaux, comédie en trois actes et en prose, de Dieu-la-Foi. 21 fructidor an 10 [8 septembre 1802].
Théâtre Français, rue de Louvois
Almanach des Muses 1804
Imbroglio dans le genre espagnol.
Pièce qui, par la multiplicité des incidens et la complication de l'intrigue, se refuse en quelque sorte à l'analyse.
De l'imagination, de l'esprit, de la gaieté, des invraisemblances ; du succès.
Courrier des spectacles, n° 2013 du 22 fructidor an 10 [9 septembre 1802], p. 2 :
[Premier compte rendu, fort bref, pour dire que la pièce, à l’intrigue très compliquée, a rencontré un grand succès, attribué à des « scènes piquantes qui font passer sur les défauts de l’ouvrage ». Elle est jouée avec beaucoup d’ensemble, en particulier par deux actrices.]
Théâtre Louvois.
Succès, grand succès ; l’auteur appelé et nommé, c’est le cit. Dieu-la-Foi. La comédie intitulée le Portrait de Michel Cervantes, ou les Deux Morts rivaux, est une pièce à intrigue très-compliquée, et qui est remplie de scènes piquantes qui font passer sur les défauts de l’ouvrage. Le jeu des acteurs a offert autant d’ensemble à cette représentation, que si la pièce avoit déjà été jouée vingt fois. Mesdames Molière et Pélissier méritent de grands éloges ; en général l’ouvrage a fait grand plaisir et attirera long-tems du monde.
Courrier des spectacles, n° 2015 du 24 fructidor an 10 [11 septembre 1802], p. 2 :
[Après avoir dit plutôt du bien de la pièce deux jours avant, le critique dit le mal qu’il en pense : c’est une pièce très confuse, qui « n’excite aucun intérêt » et qui procure du plaisir bien plus par des « scènes bouffonnes » que par « un plan combiné avec art ». Et le résumé de l’intrigue confirme bien l’étrangeté de ce que raconte la pièce, jusqu’au moment irréel où l’histoire échappe à toute logique, au point que le critique suppose que « l’auteur ne [sait] comment sortir de cette scène nullement motivée » (et qu’il l’avoue même dans la suite). La présence de deux cadavres (réels ou supposés) sur la scène semble réjouir les spectateurs, si on en croit le critique. Quant à l’annonce du dénouement, il se garde bien de l’expliquer. Il le constate. Aucun jugement explicite à la fin : la pièce garde son mystère. Au début de l’article, le critique disait qu’il ne fait cette analyse que par devoir, et il ne semble pas vouloir accomplir son devoir jusqu’au bout. Il manque bien des choses à ce compte rendu.]
Théâtre Louvois.
Nous devons à nos abonnés l’analyse de la pièce jouée sous le titre du Portrait de Cervantes ou les Morts rivaux. Nous pourrions d’autant plus facilement nous dispenser d’acquitter notre dette, que cet ouvrage très-embrouillé n’excite aucun intérêt, et que le plaisir qu’il procure à la représentation provient plutôt de quelques scènes bouffonnes que d’un plan combiné avec art.
Elisa, fille du peintre Morillos, a deux amans. Léon est aimé, mais Fernand aidé de son valet Fabio qui trompe Pédrille, valet de Léon , profite des projets de ce dernier, et après avoir pris l’empreinte de la clef qui doit lui ouvrir l’appartement de sa maîtresse, il s’y introduit lui-même. Léon est venu le premier, mais l’arrivée de Morillos l’a forcé de se cacher dans un cabinet.
Dom Fernand entend en entrant une conversation du peintre avec l'homme d’affaires du grand couvent où est décédé Cervantes. Il s’agit que Morillos se rende au caveau où Cervantes est déposé pour faire secrètement son portrait. 200 ducats remis par Fernand à l’intéressé négociateur l’engagent à persuader au peintre qui est allé faire ses apprêts pour se rendre au couvent, d’attendre chez lui qu’on lui apporte le cadavre.
Morillos rentre et est surpris de voir Fernand ; celui-ci se donne pour Léon, .et dit que c’est Jacinthe, suivante d’Elisa, qui lui a fourni la clef pour entrer. En vain la soubrette se défend, et pour prouver la fourberie, fait paraître le vrai Léon ; celui-ci à son grand étonnement, déclare être Fernand.
L’auteur ne sachant comment sortir de cette scène nullement motivée, fait enfuir tous ses personnages l’un après l’autre. Le moyen n’est pas neuf, mais l’aveu qu’il en fait dans la première scène de l’acte suivant a le mérite de la nouveauté.
Léon force Pédrille de passer pour le mort que l’on doit apporter à Morillos. Le rôle n’est pas agréable à remplir, cependant Fabio n’a pas refusé de le jouer pour complaire à Fernand. Aussi bientôt les deux prétendus morts placés aux deux extrémités du théâtre donnent lieu à une scène, sinon d’un bon comique, dumoins d’une grande bouffonnerie, et qui contribue à rendre cet acte fort plaisant.
Dom Fernand que Jacinthe a conduit près d’Elisa, croyant y mener Léon, profite de cette occasion pour entreprendre de l’enlever. Mais Léon déjoue les projets de son rival, sauve Elisa de ses mains, et la reçoit en récompense de celles de son père.
La Décade philosophique, littéraire et politique, an IX, Ier trimestre, n° 2 du 20 vendémiaire p. 117-118 :
Théâtre Louvois.
Le portrait de Miguel Cervantes, ou les Morts rivaux.
Si quelque chose doit avertir un auteur comique de la défectuosité de son plan, c'est, ce me semble, la difficulté de trouver un titre à son ouvrage, encore plus la difficulté d'appliquer celui qu'il a choisi.
Aucun des deux titres de la pièce nouvelle ne convient à son action. Nous ne chercherons point à en débrouiller le fil. Ces pièces à intrigues ne souffrent guères l'analyse. Si le plus souvent elles fatiguent l'attention à la scène elles deviennent inintelligibles dans un extrait.
Tous les journalistes qui ont rendu compte de cet ouvrage, me paraissent avoir été beaucoup trop loin dans leur déchaînement et contre le genre et contre la pièce.
Ce genre, quoi qu'on en dise, quand il est bien traité, est fort amusant au théâtre. Il dénote dans l'auteur qui sait le manier une grande connaissance des ressorts dramatiques, une force de conception peu commune : il a toujours tenu son rang dans toutes les poëtiques sur la comédie ; et s'il n'est pas le meilleur, il a pourtant son mérite : il n'est l'enfance de l'art que quand il est grossièrement tissu, et nous lui devons des ouvrages de la première force. Il serait même à souhaiter que tous les auteurs comiques débutassent par ce genre pour attendre l'âge des observations plus mûres, il n'y aurait aucun inconvénient à ce qu'on apprît à nouer fortement une action ; et quand ensuite le comique de situation s'appliquerait et s'unirait à la peinture des mœurs, on atteindrait, je crois, le chef-d'œuvre de l'art dramatique.
Il faut, à la vérité, que dans ces imbroglio, tous les fils se rattachent, sans s'égarer, au fil principal : que les personnages qui concourent à l'action la nouent et la dénouent par des moyens vraisemblables ; que les surprises ne soient ni trop brusques ni trop prévues, qu'il y ait toujours un rôle principal dont tous les autres ne soient que des accessoires nécessaires, que les oppositions soient nuancées, qu'il n'y ait point de pièce inutile dans l'échafaudage, et surtout que le dénoûment soit tiré du sujet même et amené par les évènemens qui ont concouru à l'action.
La comédie du C. Dieu-la-Foi pèche sans contredit contre plusieurs de ces règles : mais c'est aussi la traiter trop durement que de la confondre avec des farces monstrueuses et sans art.
Son grand tort est dans les fréquentes invraisemblances des moyens et des motifs, dans le peu de caractère des personnages, dans la faiblesse des intrigans qui s'annoncent comme devant éblouir et qui ne produisent rien.
Mais à travers de grands défauts, il est juste de reconnaître beaucoup d'esprit dans la manière dont l'auteur a conduit son imbroglio, a cherché à en dissimuler les vices. Il y a surtout beaucoup d'esprit et même de talent dans le dialogue et dans le style qui, à quelques taches d'affectation près, est en général pur, rapide, quelquefois profond, et toujours saillant.
Si ce n'est point un excellent ouvrage, il est du moins fort au-dessus d'une foule de petits actes insignifians, ou de comédies à jargon qu'on applaudit tous les.jours. Il est fort au-dessus des farces auxquelles on veut le comparer.
Au surplus , un goût plus mûr fera peut-être concevoir à l'auteur des plans plus raisonnables, et on doit beaucoup attendre de celui qui sait se tirer ainsi d'un sujet mal choisi et d'un canevas d'autant plus difficile qu'il était plus vicieux.
Le public paraît avoir pensé comme nous : il s'est fort amusé à la première représentation, ne s'est pas moins amusé et n'a pas moins applaudi à la seconde malgré la sévérité des censeurs, et je ne doute pas que le succès ne se prolonge. L. C.
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