Le Précipice, ou les Forges de Norwège, mélodrame en 3 actes, en prose et à grand spectacle, de Guilbert de Pixerécourt, musique d’Alexandre Piccini, ballets de Hullin, décors d’Alaux, 30 octobre 1811.l
Théâtre de la Gaîté.
Almanach des Muses 1812.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1811 :
Le Précipice, ou les Forges de Norwège. Mélodrame en trois actes, à grand spectacle, Par R. C. Guilbert de Pixerécourt ; Musique de M. Alexandre ; Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Gaieté, le 30 Octobre 1811. Les Décorations sont de M. Alaux ; les Ballets de M. Hullin.
Journal des arts, des sciences et de la littérature, tome 7e, n° 113 (deuxième année), 5 Novembre 1811, p. 158-162 :
[Critique placée sur la protection de Montaigne (pour les digressions et le droit de ne pas traiter le sujet annoncé) : l'auteur ne dit rien de la pièce dont il est censé parler, et se consacre à une critique ironique des goûts théâtraux de son temps, et du mélodrame en particulier.]
Théâtre de la Gaieté.
Première représentation du Précipice, ou les Forges de Norwége, mélodrame en trois actes.
Si un mélodrame est d'autant plus parfait qu'il présente une intrigue plus compliquée, une plus grande quantité d'incidens romanesques et d'invraisemblances, il faut convenir que la pièce jouée, le 30 octobre dernier, sur le théâtre de la Gaieté, sous le titre du Précipice, ou les Forges de Norwége, possède, à un degré très-éminent, les qualités qui constituent la perfection du genre. Cet ouvrage ne peut manquer d'exciter l'admiration de ceux qui estiment ces sortes de productions, .en raison de la contention d'esprit qu'elles exigent pour être comprises.
Il a existé, il y a environ une centaine d'années, un certain auteur nommé Boileau, qui, dans un ouvrage intitulé l'Art Poétique, ouvrage assez estimé dans le temps, a dit :
Je me ris d'un auteur qui, lent à s'exprimer,
De ce qu'il veut d'abord ne sait pas m'informer,
Et qui, debrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue.
On voit, d'après ces vers, que Boileau aurait condamné les Forges de Norwége ; car il paraît évident qu'il n'aimait point les intrigues embrouillées. Mais ce qui déplaisait à Boileau peut bien plaire aux amateurs du mélodrame, genre dont cet-auteur n'avait pas même l'idée. Dans son Art Poétique, il ne parle pas plus du mélodrame que de la comédie de bon ton, ce qui prouve qu'il était loin de soupçonner toutes les finesses de l'art dramatique. Mais ce que Boileau ne soupçonnait pas a été exécuté avec succès, dans le siècle des lumières, qui peut s'enorgueillir d'avoir vu naître deux genres inconnus à nos aïeux, le mélodrame et la comédie de bon ton. Voilà certainement un grand pas vers la perfection ; mais, il faut l'avouer, c'est principalement à messieurs les comédiens français que nous devons cette heureuse révolution dans l'art dramatique et dans le goût du public. En effet, si les théâtres des boulevards attirent constamment la foule, n'est-ce pas parce que les nouveautés s'y succèdent avec une rapidité égale à l'inertie des comédiens français, qui donnent à peine trois ou quatre pièces nouvelles par année ? Or, pour une nation avide de spectacle, une nouveauté, quelle qu'elle soit, excitera plus la curiosité qu'un ancien ouvrage environné de préventions favorables, mais que ces mêmes présentions ne sauraient pourtant soutenir contre la satiété des spectateurs, fatigués de revoir sans cesse les mêmes pièces.
La muse du mélodrame doit donc à MM. les comédiens français 1e grand nombre d'adorateurs qui désertent la cour de Melpomène pour augmenter la sienne. Il n'est pas douteux que la comédie de bon ton n'ait aussi des obligations non moins essentielles à ces messieurs. Si quelques auteurs, suivant les traces de Dorat, ont mis en vogue la comédie qui ne fait ni rire ni pleurer, n'est-ce pas aux comédiens qu'il faut accorder la gloire d'avoir fomenté et encouragé ce goût parmi nous ? N'est-ce pas à l'accueil favorable qu'ils font aux productions de ce genre, et à la haine vigoureuse qu'ils témoignent pour celles qui s'en éloignent, qu'il faut attribuer l'empressement/de quelques auteurs à mériter les bonnes grâces des acteurs en leur présentant des ouvrages conformes au goût qu'ils ont adopté, et qu'ils veulent propager ?
Les comédiens ne méritent donc pas peu d'éloges pour avoir, par leur repos, favorisé le mélodrame, et, par leur petit travail, élevé la nouvelle comédie sur les débris de l'ancienne, à laquelle un vieil auteur, connu sous le nom de Molière, avait accoutumé les bonnes gens du siècle de Louis xiv, qui avaient la niaiserie de rire de ce qui fait pitié à certains acteurs de nos jouir ; car il en est qui ont un jugement trop exquis pour se plier à une admiration vulgaire, et qui savent fort bien, en dépit des préventions établies, découvrir de nombreuses imperfections dans le Misanthrope, dont un défaut essentiel est d'être trop long. C'est ce qu'on aura de la peine à nier, si l'on veut se donner la peine de compter les vers que cette pièce contient. J'avoue que moi-même je m'étais laissé entraîner par le vieux préjugé qui place le Misanthrope au rang des chefs-d'œuvre ; mais depuis qu'un homme nourri de la poétique des coulisses a fait voir que ce prétendu chef-d'œuvre contenait deux mille deux cent dix vers, j'ai été obligé de rabattre beaucoup de mon admiration ; car je sais à présent que, d'après le tarif fixé par les comédiens, une pièce en cinq actes ne doit contenir que quinze ou seize cents vers, et que, si elle en a moins, elle n'en vaut que mieux. Aussi le Méchant, qui contient deux mille sept cent cinquante-six vers, est-il une fort mauvaise comédie.
Voilà de ces règles dramatiques dont Corneille, Racine, Molière, et leurs successeurs, n'avaient pas l'idée ; ce qui prouve qu'ils étaient loin de connaître toutes les ressources de l'art, et encore plus loin de prévoir jusqu'à quel point il peut se perfectionner quand il est totalement abandonné à la discrétion des comédiens, qui, dès-lors, se trouvant arbitres des auteurs, des ouvrages et des plaisirs du public, font ce qui convient pour accoutumer ce dernier à se former sur leur goût, en ne lui pressentant que ce qui leur plaît à eux-mêmes.
Il est vrai que beaucoup d'auteurs osent mettre en question la légitimité et les lumières du tribunal-comique, auquel ils voudraient qu'on substituât un comité d'hommes de lettres, comme si un pareil tribunal n'aurait pas nui aux progrès de l'art, en forçant les auteurs à se tenir dans les limites fixées par les prétendus maîtres. Que l'on suppose un semblable comité établi : quelles bizarres préventions les juges n'apporteront-ils pas dans leurs opinions ? Obéissant à la vieille routine, et dirigés par leur goût pour les vieux .modèles, ils voudront qu'une pièce ait une exposition, un nœud et un dénouement ; ils voudront que l'exposition soit claire, et qu'elle ait tous les développement nécessaires pour éviter l'obscurité ; ils croiront que ces mêmes développemens, essentiels à l'exposition ne.le sont pas moins à toutes les scènes, où il faut mettre en jeu les caractères et les passions des personnages ; ils ne souffriront point que, en pareil cas, les scènes ne soient qu'indiquées, parce qu'ils penseront qu'il ne suffit pas d'indiquer ce qui doit être approfondi ; ils ne croiront pas que l'action languit parce qu'une multitude de scènes, ne se succédant pas rapidement, laissent au moins aux personnages le temps de se dire ce qu'ils doivent réellement se dire dans la situation où ils se trouvent. Nos juges auront encore la manie de s'imaginer que l'action dramatique ne consiste pas dans le mouvement des acteurs, qui peuvent marcher beaucoup sans que l'action marche plu» vite.
Ils auront encore bien d'autres préjugés, qu'ils regarderont comme des préceptes inviolables, parce qu'ils seront appuyés sur des exemples tirés des vieilles pièces, telles que le Tartuffe, Cinna, Iphigénie, et autres ouvrages de ce genre, qui feront des autorités pour eux, mais qui n'en sont point pour les comédiens. Ces messieurs veulent bien tolérer ces vieilleries dramatiques, qui, lorsqu'elles sont bien montées, présentent un bénéfice d'autant plus net qu'on peut les donner, et même les user gratis : mais les auteurs de ces vieux ouvrages sont bien heureux d'être morts ; sans cela les comédiens sauraient bien leur démontrer que leurs pièces, franchement admirées jadis, jouissant encore aujourd'hui d'un reste d'admiration fondé sur l'habitude et sur le préjugé, ne sont pas même dignes d'être représentées, parce qu'elles sont réellement sans effet, et que si elles en produisent encore, c'est parce qu'on est accoutumé à croire que Corneille, Racine et Molière possédaient les principes de l'art dramatique ; mais l'art des comédiens est là pour écraser les vieilles poétiques et les vieilles admirations ; les vieilles réputations ne sauraient résister long-temps à cette adroite politique dont on voit déjà les heureux résultats ; car c'est à elle qu'il faut faire honneur de l'espèce de mépris qui poursuit Molière, que quantité de personnes regardent aujourd'hui comme un auteur tombé en décrépitude, de même qu'ils regardent ses admirateurs comme des radoteurs fatigans.
Je ne sais comment m'excuser pour m'être tellement écarté de mon sujet, que je ne puis y rentrer que par une transition un peu.forcée. Je pourrais dans cette circonstance m'appuyer de l'exemple de Montaigne, dont les chapitres contiennent souvent toute autre chose que ce qu'ils annoncent dans leurs titres ; mais je me donnerai bien de garde d'invoquer l'autorité de cet auteur, encore plus vieux que Molière. Si quelque lecteur indulgent trouve parmi les modernes un écrivain qui se permette de ces longues digressions n'ayant souvent nul rapport avec le sujet qu'il traite, je lui saurai gré de la bienveillance dont il voudra bien user à mon égard, en considération d'une autorité moderne ; mais si cette bienveillance va jusqu'à me pardonner d'avoir dit si peu de chose du nouveau mélodrame, elle ne me pardonnerait peut-être pas de ne lui en avoir point nommé l'auteur, dont la renommée et les affiches ont pourtant déjà publié le nom. Ce nom est célèbre dans les fastes du mélodrame, c'est M. Guibert-Pixérécourt. V.
Mémorial dramatique, ou almanach théâtral pour l'an 1812, sixième année, p. 212-213 :
[Le principal mérite de cet article, c’est de donner une idée de l’intrigue du mélodrame, une intrigue bien compliquée, naturellement. De toute façon, les décors suffisaient à faire réussir la pièce, par ailleurs on y trouve une « action sagement conduite », avec « de beaux effets de théâtre ».]
LE PRÉCIPICE , ou les Forges de Norwège, melodrame en 3 actes, par M. Guilbert-Pixerécourt. (30 octobre.)
Le baron d'Urhfeld est l'époux d'Elga, qui passe pour une femme vertueuse ; en cette qualité, elle sert de guide à sa jeune sœur Edwige, qui est aimée d'Eric, son cousin, sous-lieutenant dans un régiment dont le baron est colonel. En partant pour les Grandes--Indes, le père d'Eric a confié son fils au colonel, qui s'y est attaché comme à son propre enfant. Un scélérat nommé Siward, amoureux d'Edwige, pour se venger de la préférence qu'elle accorde à Eric, persuade au baron que ce jeune homme entretient un commerce criminel avec Helga, et Siward, par mille incidens, fait tomber ses victimes dans les pièges qu'il sait leur tendre.
Le baron devenu jaloux, doit immoler 1'ingrat qui le déshonore , et le précipice est là pour servir sa vengeance. Ce précipice doit faire disparaître Eric. On célèbre la fête de la baronne aux forges où il est situé ; on envoie le jeune officier sur un petit pont à bascule qui le couvre... Une explication a lieu entre les deux époux, et Siward est reconnu pour un traître : Helga est justifiée ; le baron se désespère d'avoir causé la mort d'un innocent. Le père d'Eric revient des Grandes-Indes : il demande son fils, et apprend le sort cruel qui lui a été réservé. Le baron est prêt à recevoir la punition que mérite le crime qu'il a commis, lorsqu'Eric reparaît, et annonce que c'est Siward qui a péri... Le chef des forges, vieux mi1itaire plein d'honneur, a veillé sur Eric ; d'un autre côté, Casimir, cadet dans le régiment du baron, s'est amuse à avancer l'aiguille d'une horloge : trompé par cette aiguille, le traître a cru le danger passé, et en traversant le pont, il a finit son odieuse carrière.
Les décors seuls auraient suffi pour attirer la foule aux représentations de cet ouvrage, si l'action, sagement conduite, et de beaux effets de théâtre, n'en avaient d'ailleurs assuré la réussite.
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