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Le Prisonnier en voyage
Le Prisonnier en voyage, comédie en trois actes et en vers, par M. *** (A. J. de Launay-Vasary) ; 29 janvier 1810.
Théâtre Français.
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Titre :
Prisonnier en voyage (le)
Genre
comédie
Nombre d'actes :
3
Vers ou prose ?
en vers
Musique :
non
Date de création :
29 janvier 1810
Théâtre :
Théâtre Français
Auteur(s) des paroles :
A. J. de Launay-Vasary
Almanach des Muses 1811.
Piece qui n'a eu qu'une représentation. Le fond en a paru vicieux ; mais on y a remarqué des vers heureux, et le style de la bonne comédie.
Mercure de France, journal littéraire et politique, tome quarantième (1810), n° CCCCXLVI du samedi 3 février 1810, p. 296-299 :
[Ce n'est pas une idée n’est pas nouvelle, et le critique commence par rappeler que l’écriture de théâtre ne peut se réduire à une habileté à écrire des vers. « Dialogue naturel », « versification facile », excellentes tirades appréciées du public, tout cela ne fait pas une pièce, et le Prisonnier en voyage a connu une chute que le critique trouve justifiée. L’analyse du sujet montre une « exposition très-embrouillée », « un sujet très-romanesque », avant de souligner l’absence de vraisemblance des détails. En plus, l’intrigue est mal conduite, et devrait s’arrêter avec le second acte, mais l’auteur la fait rebondir artificiellement. Le public a manifesté son mécontentement dès le second acte devant une mauvaise comédie, dont les caractères ne montrent rien de neuf. Si la pièce a été bien jouée, cela ne pouvait suffire à sauver une si mauvaise pièce.]
Théâtre Français. — Le Prisonnier en voyage, comédie en trois actes et en vers.
C'est un fort joli talent que celui de faire des vers agréables ; il est aussi fort bon de savoir écrire de ces tirades dans le genre de Lachaussée, que l'on peut garder en portefeuille, afin de les placer au besoin dans une épître, dans un poëme descriptif, ou même dans une comédie; mais, pour faire une véritable comédie, ces deux talens ne suffisent pas, et c'est ce que vient de nous prouver l'auteur du Prisonnier en voyage. En général, son dialogue est naturel et sa versification facile. Sa tirade sur les rapports qui existent entre la démarche des gens et leur caractère, a été applaudie et même redemandée ; on a fort bien reçu celle où il fait un parallèle entre la poésie et l'éloquence ; et, si son hommage à Molière et sa critique des voyageurs ont excité quelques murmures, c'est uniquement parce que ces deux morceaux sont venus trop tard. Mais sa pièce n'en est pas moins tombée ; et, sans vouloir contrarier les critiques bénévoles qui trouvent que sa chute a fait trop de bruit, nous ne pouvons dissimuler qu'elle était bien méritée.
Le premier acte entier n'est guère que l'exposition très-embrouillée d'un sujet très-romanesque, et dont voici l'essentiel. La scène est, en Angleterre, dans une terre considérable, dont le propriétaire peut disposer de dix voix dans les élections au parlement. Elle appartenait au jeune Seymours depuis la mort de son père : mais Seymours a voyagé, a dissipé une partie de sa fortune, et, de retour à Londres, il en a perdu le reste au jeu. Des fripons lui ont fait signer un contrat qui les rend maîtres de sa terre, et l'ont ensuite fait mettre en prison, afin d'en prendre possession plus tranquillement. Ce dernier coup est d'autant plus funeste pour Seymours, qu'en perdant sa terre, il doit perdre aussi la main d'Adèle qui lui était promise dès l'enfance, et dont huit années d'absence ne l'empêchent pas d'être encore amoureux. Melford , père d'Adèle, est un ambitieux qui ne donnait sa fille à Seymours qu'à cause des dix voix dont il disposait. Or, ces dix voix sont maintenant à la disposition d'un autre amant d'Adèle, qui se nomme Hervey, et qui s'est décidé à acquérir la terre de Seymours, d'un fripon nommé Walstein, précisément à cause de ce privilège.
Il reste encore cependant deux motifs d'espérance à notre jeune homme. Adèle ne veut point épouser un autre que lui tant qu'il lui restera fidèle. Son fermier Goodman lui doit mille livres sterling d'arrérages, et ne veut les payer qu'à lui. Mais, pour vaincre cette double résistance, les fripons ont imaginé un singulier moyen. Un des leurs, qui a quelque ressemblance avec Seymours, se présentera sous son nom à l'honnête Goodman et à la constante Adèle. On se flatte qu'après huit ans d'absence, on ne le chicanera pas sur les changemens qui auront pu survenir dans ses traits. Le faux Seymours, bien reconnu, renoncera à la main d'Adèle, se fera payer de Goodman ; et, par cette seule invention, les escrocs auront leur argent, et le délicat Hervey sa maîtresse.
Tout cela, comme on voit, n'est pas trop vraisemblable ; ce qui suit l'est encore moins. Les intrigans se sont amusés à discuter leurs projets à haute voix dans un bocage. Adèle a un cousin nommé Edmond, lequel est sujet à méditer dans le parc des plans de comédie. Il entend celui des ennemis de Seymours, et aussitôt il écrit à Londres ; il se rend caution du prisonnier, obtient sa liberté pour deux jours, et lui mande de venir le trouver à sa terre, sans lui dire à qui il est redevable de ce service, ni pourquoi il l'appelle auprès de lui. Vous croyez peut-être l'avoir deviné, et que le véritable Seymours n'arrivera que pour confondre son Sosie, raffermir la constance d'Adèle, et toucher l'argent de Goodman. Vous n'y êtes pas. Seymours vient jouer, non pas son propre rôle, mais celui du fripon qui doit le représenter lui-même. Il sera Seymours aux yeux de Goodman et d'Adèle, il sera Victor aux yeux d'Hervey et de ses agens ; il feindra de se prêter à leurs vues, et de rompre avec sa maîtresse. Par cet artifice, il tirera de leurs mains le contrat de vente de son bien, et ce n'est qu'après y être parvenu qu'il se fera reconnaître.
Après avoir entassé tant d'invraisemblances pour nouer fortement une intrigue, il y a encore un moyen de se les faire pardonner ; c'est de conduire cette intrigue avec art, de multiplier les incidens, les obstacles, les surprises, d'étouffer la réflexion dans le mouvement. Le sujet en paraissait très-susceptible : on devait s'attendre à voir l'intrigant Walstein contre-carrer les mesures du poète Edmond, et le faux Seymours arriver à propos pour embarrasser beaucoup le véritable. Eh bien ! ni Walstein, ni son agent ne paraissent. Melford et Hervey sont complètement dupes de Seymours ; tout va si rondement, qu'en bonne règle la pièce devrait finir au second acte, et vous ne soupçonneriez jamais de quel moyen l'auteur s'est servi pour la prolonger. On dîne entre le second acte et le troisième. Seymours et Adèle se conduisent à ce repas avec autant d'indiscrétion que l'Etourdi de Molière. Hervey se croit trahi par son agent; il lui en fait de vifs reproches. Seymours est encore assez raisonnable pour réparer son imprudence en reprenant le rôle de Victor ; mais Adèle est une petite entêtée qui ne veut pas feindre un moment de plus ; Seymours est assez faible pour ne pouvoir pas supporter sa petite fâcherie. Il se jette à ses pieds devant Hervey lui-même, et celui-ci, poussé à bout, aime mieux renoncer à tous ses projets que de laisser triompher son agent infidèle ; il confesse tout ; mais pour effacer la honte de s'être servi de vils intrigans, il remet entre les mains d'Edmond le contrat de la terre qu'ils lui ont vendue, et à laquelle il renonce, ainsi qu'à la main de l'amante de Seymours. Le- reste se devine. Edmond n'a pas de peine à prouver que Seymours est bien Seymours, que Victor, grâce à ses soins, a repris le chemin de Londres, et Melford, fidèle aux dix voix, donne naturellement sa fille à celui qui vient de les recouvrer.
Le public qui avait témoigné son mécontentement dès le second acte de cette pièce, n'a pas même voulu en entendre le dénouement. Il a été sévère, mais juste. Non seulement cet ouvrage n'est pas une bonne comédie, mais il n'en annonce pas le talent. L'auteur peut en avoir beaucoup d'autres, et cet ouvrage même ne peut appartenir qu'à un homme d'esprit ; mais toutes les intentions comiques qu'il y annonce, il s'empresse de les abandonner. On a déjà pu s'en apercevoir dans cette analyse , et nous en citerons un autre exemple. Seymours, quoique cautionné par Edmond, ne voyage qu'avec un geolier. Lorsqu'il se présente à Hervey sous le nom de son agent Victor, Hervey lui dit que pour rendre son voyage plus vraisemblable, il faudrait qu'il eût un geolier avec lui; Seymours lui dit qu'il y a songé : au moment même, le véritable geolier paraît ; le voilà , dit Seymours, et une scène comique s'annonce. Le porte-clés cherchait son prisonnier pour le faire repartir sur-le-champ. Seymours n'y trouve pas son compte : on croit qu'il va naître quelque incident : rien moins que cela. Hervey continue à prendre le geolier pour un fripon qui joue bien son rôle ; il lui donne de l'argent pour aller boire : le geolier y va et ne reparaît plus.
Il n'y a rien de neuf dans les caractères, si ce n'est l'absurde et puéril entêtement d'Adèle que toutes les grâces de Mlle Mars n'ont pu faire passer. Hervey est un composé de fripon et d'honnête homme qui ne pouvait plaire. Seymours ressemble à tous les amoureux ; Goodman à tous les fermiers de l'Opera-Comique, Melford à toutes les caricatures de gens à manie. Le principal personnage est celui d'Edmond, et c'est tout simplement l'honnête homme de la pièce. Ces divers rôles ont été fort bien joués; mais l'eussent-ils été mieux encore, l'ouvrage ne pouvait être sauvé.
L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1810, tome III (mars 1810) p. 269-274 :
[Après la chute de la première représentation, le critique attend (en vain) qu’elle reparaisse. La question est de savoir si « l’idée principale est bonne » et si la pièce peut être corrigée : pour le style et la versification, personne n’en conteste la qualité. C’est la possibilité d’une telle action, dont on ignore le cadre (lieu, droit, coutumes). Le résumé de l’intrigue montre sa complexité (pour rester poli) : elle repose sur des éléments invraisemblables et dénués de l’intérêt nécessaire pour que le public y adhère. En permanence, on y parle de « nouer l’intrigue », mais rien ne se passe. Tous ces beaux vers « ne sont point du domaine de a comédie, surtout de la comédie intriguée ». Trop de détails, dont certains sont « inconvenans ». Les acteurs ont tenté de sauver un ouvrage qui ne pouvait pas l’être, et dont la localisation en Angleterre paraît artificielle. Pour écrire une pièce d’intrigue il faut « une action sagement conçue, des développemens naturels, des moyens vraisemblables » (ce genre de rappel décrit bien sûr en creux tout ce qui manque à la pièce critiquée).]
THÉATRE FRANÇAIS.
Le Prisonnier en voyage.
Le Prisonnier en voyage est annoncé comme retardé par indisposition ; d'autre part on annonce que l'auteur ne se tient pas pour battu, qu'il ne regarde sa chute que comme conditionnelle, et que s'il parvient à donner à son troisième acte plus de vraisemblance, et à son dénouement plus de clarté, il croit pouvoir rentrer en lice, et essayer les chances d'un nouveau jugement. S'il ne s'agissait que de savoir si l'auteur a fait preuve dans cet ouvrage d'un esprit aimable et délicat, d'un style facile et d'un talent de versification peu commun, nous lui dirions qu'une seconde représentation est inutile ; car ces diverses qualités ont été reconnues et marquées par les suffrages de tout le monde ; mais il s'agit d'établir, en donnant et même en corrigeant la pièce, que l'idée principale est bonne ; que les ressorts d'intrigue sont bien liés ; que les motifs de scènes ont de la vérité ; que l'action est, je ne dis pas naturelle ; mais même possible, surtout que chaque personnage y tient le langage qui lui est propre, et s'exprime dans le sentiment de son rôle comme dans le sens de sa situation, nous n'hésiterons pas à dire que nous croyons inutile tel nombre de représentations qu'il plaira à la comédie de fixer, et au public de venir entendre. Il n'en est pas une où la saine partie des spectateurs, tout en applaudissant à des tirades assez éloquentes, à des vers bien faits, et à quelques détails plus brillans que solides, ne se demande où une telle action a pu se passer, dans quel régime elle a été possible, sous quelle jurisprudence les personnages existent, et suivant quelles coutumes elles règlent leurs intérêts et satisfont à leurs engagemens.
Une terre a été jouée et perdue ; Seymours, jeune dissipateur, a cessé de la sorte d'en étre propriétaire ; Walkins, le joueur heureux, ou plutôt le fripon qui a fait une adroite violence à la fortune, s'est mis en possession de cette terre, et il l'a vendue à un M. Hervey qui s'y est établi. Probablement les actes ont été passés en bonne forme ; cependant il plaît à un Betmann, fermier de Seymours, de ne vouloir payer ses redevances qu'à Seymours lui-même et non au nouvel acquéreur. Seymours est en prison pour d'autres dettes, et ne peut paraître : les acquéreurs imaginent pour être payé des arrérages, un moyen dont il sera loisible au lecteur d'apprécier la vraisemblance ; ils paient un intrigant, le chargent de jouer le rôle de Seymours devant son fermier, qui sans doute ne reconnaîtra pas, après huit ans d'absence, celui dont il a vu grandir les jeunes ans. On ne sait si le fermier se fût laissé abuser ; mais un seul ami de Seymours qui a découvert l'intrigue, en écoutant par hasard dans un jardin, ce qui s'y disait assez indiscrettement et assez haut, projette de déjouer cette intrigue et dispose une contre-manœuvre ; elle consiste à cautionner Seymours , à le faire sortir de prison, à le faire arriver dans sa terre avant son faux Ménechme, et à lui en faire jouer le rôle. On ne sait pas assez si tout cela est imaginé pour que Seymours rentre en possession de sa terre, pour qu'il en reçoive les fruits, ou pour qu'il épouse sa jeune cousine , dont Hervey est aussi devenu amoureux. Probablement ce double but est celui de l'obligeant ami de Seymours. Celui-ci arrive donc : le faux Seymours le suit de prés ; mais au lieu de les mettre en présence, ce qui eût pu faire attendre des scènes comiques, on l'éconduit sans trop rendre compte des moyens, et sous le nom du faux Seymours, le véritable reste maître de la place, accompagné du geolier, qui joue franchement le rôle dont on le suppose affublé : cette intention était assez neuve, elle n'a pas été assez développée et n'a été que faiblement saisie : enfin les deux amans se retrouvant près l'un de l'autre, ne tardent pas à se reconnaître, et bientôt à se trahir. Hervey se voit dupe de son propre artifice : ce personnage dont tout est équivoque, la probité, l'honneur comme l'amour, renonce aussitôt à ses prétentions, et je crois, pour se punir, il rend la terre au jeune Seymours, et consent à le voir uni à sa cousine.
Il faudra, je l'avoue, de singuliers efforts d'imagination, et des combinaisons toutes nouvelles pour faire sortir d'un sujet tellement conçu, des situations qui aient le mérite de la vraisemblance, et quelque motif d'intérêt. Un des défauts essentiels de l'ouvrage, est qu'on y parle sans cesse de nouer l'intrigue, de manœuvrer contre les fourbes qu'on a découverts, de les surprendre, de les enlacer. Le spectateur attend le jeu des machines dramatiques dont on lui annonce le mouvement, et il entend les personnages se perdre en digressions sur la prééminence de la prose et des vers, des anciens et des modernes, en exclamations à Molière et aux maîtres de la scène, en détails didactiques sur l'art de juger les hommes à leur manière de marcher, et en mille autres hors d'œuvre de cette nature. Les derniers que nous citons ont été très-applaudis : les vers sont piquans, précis, bien tournés ; mais ils sont un larcin à l'Almanach des Muses, et ne sont point du domaine de la comédie, surtout de la comédie intriguée, où tout veut ou doit hâter l'événement. Ces détails étaient spirituels, mais déplacés : agréables , mais inconvenans : en les écoutant, quelques spectateurs ont crié bis, d'autres ont répondu au Vaudeville ; et de ces détails, en effet, c'était à-la-fois faire la censure et donner l'adresse.
Les acteurs ont combattu noblement pour l'ouvrage : Damas a été très-chaud dans le rôle de l'ami ; Michelot, décent et réservé dans celui difficile et ingrat d'Hervey ; Armand, assez brillant dans celui trop peu développé de Seymours ; Michot a très-bien joué le fermier un peu sententieux et bavard qui ne veut pas payer deux fois, mais se repose sur les mouvemens de son cœur pour reconnaître son créancier et son maître. Au total, il manquait à l'ouvrage comme de la part des acteurs, la couleur et le costume du lieu de la scène, et tout annonce que dans la première pensée de l'auteur ce lieu de la scène n'était point l'Angleterre, que quelques considérations nées de sujet l'ont déterminé à la choisir ; l'ouvrage n'a pu gagner à ce changement qu'un peu plus d'obscurité et d'invraisemblance, et s'il est absous aux yeux des gens d'esprit, il ne semble pas pouvoir l'être aux yeux de ceux qui avant tout exigent au théâtre une action sagement conçue, des développemens naturels, des moyens vraisemblables, et qui veulent sur-tout qu'une pièce d'intrigue soit intriguée.
D’après la base la Grange de la Comédie Française, qui nous donne le nom de l’auteur, A.J. de Launay-Vasary, la pièce n’a connu que sa représentation initiale du 29 janvier 1810.
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