Le Procès de Socrate ou le Régime des anciens temps

Le Procès de Socrate ou le Régime des anciens temps, comédie en trois actes et en prose, de Collot, ci-devant d'Herbois, 9 novembre 1790.

Théâtre de la rue Feydeau

Titre

Procès de Socrate (le) ou le Régime des anciens temps

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose ?

prose

Musique :

non

Date de création :

9 novembre 1790

Théâtre :

Théâtre de la rue Feydeau

Auteur(s) des paroles :

M. Collot d’Herbois

Almanach des Muses 1792

Pièce remplie d'allusions à une fameuse accusation, rejettée depuis sur le rapport de M. Chabroud.

Le rapport de M. Chabroud porte sur les journées des 5 et 6 octobre 1789 (qui ramènent la famille royale de Versailles à Paris) et sur la procédure instruite au Châtelet sur ces événements.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez la Veuve Duchesne, & fils, 1791 :

Le Procès de Socrate, ou le Régime des anciens temps. Comédie en trois actes et en prose, Représentée pour la premiere fois à Paris, au Théâtre de Monsieur, le 9 Novembre 1790. Par J. M. Collot, (ci-devant d'Herbois), de la Société des Amis de la Constitution.

Le texte de la pièce est précédé d'un avant-propos :

[La façon dont Collot d'Herblois raconte la vie de Socrate est tout de même très tendancieuse !]

AVANT-PROPOS
Qui n'est pas tout-à-fait inutile.

Socrate. nâquit vers l'an 437 avant Jesus-Christ. Sophronisque, son pere, étoit Sculpteur ; Phenarete, sa mere, étoit Sage-femme.

Athenes, sa Patrie, étoit gouvernée par les Aristocrates : (1) ces Aristocrates, justement surnommés les Tyrans, étoient d'autant plus redoutables, qu’à la faveur d'une contre-révolution, ils avoient tout nouvellement dépouillé la Nation de ses droits, & fait massacrer tous les Amis de la Liberté. Le jeune Socrate, cultivant la profession de son pere, disoit à sa famille : Consolons-nous de notre obscurité, car autrement les Grands feroient de nous le sujet de quelque Tragédie.

Socrate, adolescent, se distingua par son courage dans les Armées Athéniennes ; quoique brave & toujours prêt à verser son sang pour la Patrie, il dédaignoit les insultes personnelles. Si quelqu'Aristocrate lui adressoit des injures, sans doute, disoit-il, il n’a pas appris à mieux parler. Un d'entr'eux ayant poussé la brutalité jusqu'à lui donner un coup de pied, & les Amis de Socrate voulant en tirer vengeance : Patience, leur dit-il, si quelqu’Ane m’en avoit fait autant, devrois-je m’en trouver humilié ; eh bien, je tiens cet Aristocrate-là pour un Ane, ainsi n’en parlons plus.

Le reste de sa vie fut consacré tout entier à la Philosophie. Il éclaira les hommes sur leurs droits & sur leurs devoirs. Il donna aux grandes vérités une force nouvelle : dès-lors il eut pour ennemis tous ceux dont l'intérêt est de voir les peuples abrutis par l'ignorance ou par l'esclavage.

Les Pontifes de tous les dieux, les Chefs des Tribunaux, les Ambitieux, se liguerent contre lui & le firent condamner à mort. Cette mort fut vengée par le Peuple. La Mort de Socrate a fourni le sujet de plusieurs Tragédies Françoises.

Mais avant ce dernier jugement, les Aristocrates avoient tenté plus d’une fois de lui faire boire juridiquement la ciguë, par l’entremise du Châtelet d'Athènes ; c’est d'une tentative de cette efpece qu'il s'agit dans la Comédie qu'on va lire.

Le succès de cette Comédie a été brillant & soutenu. Les bons Patriotes, les Blancs (2) par excellence, y ont fortement contribué. Les Journalistes du même esprit & de la même couleur ont parlé de ce succès avec joie. Les Journalistes Noirs ont décrié la Piece, &, pour un Auteur Patriote, cela vaut une apologie. Quant aux Journalistes Pies, moitié Blancs & Noirs ; ces amphibies, qui nagent entre deux eaux, véritables hermaphrodites politiques, qui jamais n'ont fait preuve d’une virilité bien décidée ; ils ont sué sang & eau, disants, que la Piece avoit réussi, mais qu’elle n'auroit pas dû réussir ; que Socrate n’étoit pas Socrate ; que les paroles véritablement sorties de sa bouche & recueillies dans cet Ouvrage n’étoient pas les siennes ; ils auroient voulu que ce courageux Ami de la vérité usåt de leurs fades circonlocutions & de leurs ambages ; ils auroient voulu qu’un Athénien, (3) que Socrate, fut un impartial.

Mais quel homme, m’a-t-on dit, peut être mis en parallele avec Socrate, avec ce Dieu de la raison ? Eh ! qui vous a dit que je désignois un seul homme ? Je sais bien que la perfection morale du caractere de Socrate n’existe plus sur la terre, (4) aucun être vivant ne peut s’en glorifier. Mais dans ce personnage j'ai voulu mettre en scêne tous les Défenseurs de la cause du Peuple à la fois, tous ceux qui ont souffert, qui ont été persécutés pour elle.

Et le Public a bien sçu leur en faire l’application. Il a sçu distribuer à chacun, les traits de ce beau caractere qui pouvoient lui appartenir. Honneur mille fois aux bons Citoyens que le Public a distingués ! Je dois néanmoins déclarer qu’aucune relation particuliere ne m'a décidé à tracer ces ressemblances. Ce n’est point à tel ou tel individu que je veux plaire ; une pareille complaisance me sembleroit indigne d'un Auteur dramatique. Son devoir est de corroborer l'esprit public de toute l'influence de l'Art, autant qu’il est en lui; mais ses intentions doivent aller, sans écart, vers le bien général ; il ne doit aimer, il ne doit servir que la Patrie.

Qu’est–il besoin d’ailleurs de circonstances ou d'applications particulieres ? Dans tous les temps on verra, d’un côté, les Amis de l’Egalité, de la Liberté ; de l'autre, les outrages, les calomnies, les menaces, les persécutions : le Despotisme des préjugés & de toutes les passions viles ou cruelles sera toujours en opposition avec l'Empire légitime des vertus, des talens, & de la vérité ; dès- lors le Procès de Socrate inspirera toujours un grand intérêt ; lorsque le Peuple François aura des Juges dignes de0sfa confiance, il devra d'autant plus les honorer, que chaque représentation de cette Piece pourra lui rappeller de quels excès d'anciens Tribunaux ont pu se rendre coupables.

Il me reste à parler d'une Piece intitulée Socrate, qu’on trouve dans les Œuvres de Voltaire. Elle y eft annoncée comme traduite de l'Anglois. Il est possible que Thompson en soit effectivement le premier Auteur. Les faits historiques appartiennent à tous ceux qui veulent en faire usage. Quoiqu'il en soit, j'ai trouvé dans le Socrate dont il s’agit, une esquisse précieuse. Elle m'a été bien utile pour le tableau que j'ai composé. Un véritable respect m'en a fait conserver plusieurs traits dans toute leur intégrité, car il m’eut été facile de les déguifer. J'ajouterai que je crois impossible de composer un Ouvrage philosophique de quelqu’importance, sans mettre plus ou moins Voltaire à contribution ; je me glorifie de rendre à cet immortel génie ce témoignage de mon admiration & de ma reconnoiffance.

O Voltaire ! si tu vivois, quel ascendant ne donnerois-tu pas à la Scéne françoise, aujourd'hui quelle est dégagée de son ancien esclavage. Jeunes Auteurs a qui ce grand homme a légué ses pinceaux, c'est à vous de consacrer les principes si long-tems oubliés, des mœurs, du civisme, & de la liberté, sur tous nos Théâtres. J’observerai que les Entrepreneurs de celui de Monsieur, ont mérité d'être distingués, pour leur empressement à faire représenter des Ouvrages patriotiques. Dans les autres Pieces, on applaudit les Acteurs, (5), comme Artistes, on les applaudit encore dans celles-ci, comme bons Citoyens.

À la fin de la pièce, une série de notes éclaire le texte (de façon très politique).

Mercure de France, n° 48 (27 novembre 1790), p. 151 :

Théâtre De Monsieur.

Ce Spectacle, dont le répertoire ne fait que de naître, a plus besoin qu'un autre de multiplier les Nouveautés ; & comme il est composé de trois troupes, il en a aussi plus de moyens. On a y donné, depuis le 15 Juin, deux Opéras Italiens, deux François, & quatre Comédies. La première est intitulée les Amours de Coucy ou le Tournoi : c'est le même sujet que les Amours de Bayard, de M. Monvel, donné au Théatre François. La seconde, qui avoit pour titre les Deux Noms, avoit déjà été jouée à ce même Théatre François, sous celui des Rivaux, & n'a pas eu plus de succès en changeant de lieu & de titre. La troisième, qui n'a fait aussi que paroître, se nommoit Adélaïde & Sainville. La quatrième, le Procès de Socrate ou le Regime des anciens temps, est la seule qui ait fait sensation. Elle la doit aux allusions nombreuses dont elle est remplie, & qui en flattant un des partis par lesquels une portion de la Capitale est maintenant divisée, tendent à couvrir l'autre de ridicule.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1791, volume 1 (janvier 1791), p. 310-312 :

[La pièce est éminemment politique, et le critique ne le dissimule pas : il montre bien que Collot d’Herbois ne se soumet pas à l’histoire, mais qu’il utilise le personnage historique pour parler de la situation contemporaine. Et il adhère à cette vision politique : l’ouvrage est pour lui «  plein de chaleur & de traits d'enthousiasme pour la patrie & la liberté, de respect pour les loix, & en même tems de cette haine brûlante pour la tyrannie, que doit éprouver toute ame fiere & vertueuse ». Un seul reproche, des longueurs, jugées faciles à éliminer.]

Le procès de Socrate, comédie en trois actes, par M. Collot d'Herbois, a été donné pour la premiere fois le 9 novembre, & a reçu de grands applaudissemens.

Ce n'est point la mort, mais le procès de Socrate. Le philosophe est près de boire la ciguë : mais on vient annoncer que le peuple revenu de son égarement s'est déclaré contre les juges, & que leur tête répond de celle de l'accusé. Ce trait n'est pas le seul auquel on reconnoit que ce Socrate n'est pas toujours modelé sur l'antique. On dit, dans le cours de la pièce, qu'il a nourri les pauvres pendant l'hiver. Un personnage s'écrie :

Le voilà donc connu ce secret plein d'horreur !

C'en est assez pour indiquer dans quel sens cette espece de drame a été composée. Personne n'a pu s'y méprendre.

La pièce avoit attiré un grand concours de spectateurs. Elle a été applaudie constamment ; & avec la plus grande chaleur. Toutes les allusions qui naissoient du sujet ont été vivement saisies, & la superstition, les trames coupables d'un tribunal prévaricateur, les excès de l'aristocratie athénienne ont été flétris d'un opprobre qui sera confirmé par tous les âges. Le patriotisme a seul fait entendre sa voix. Les loges ont été de concert avec le parquet, & personne n'a osé insulter la majesté du peuple.

Cet ouvrage nous a paru en général. L'intérêt est vif & va toujours en croissant ; quelques longueurs dans la fin du premier acte, & quelques retranchemens faciles indiqués par le goût, donneront plus de rapidité à la marche, & plus de perfection à l'ouvrage.

D'après la base César, la pièce a été jouée au Théâtre Feydeau, du 7 juillet au 12 novembre 1789 (13 représentations en 1789 – ce qui contredit formellement la date donnée par la brochure et ne paraît pas retenu par les spécialistes du théâtre de l’époque...), puis du 9 novembre 1790 au 8 février 1791 (13 représentations en 1790, 2 en 1791).

(1) Tout le monde sait quelle idée on attache au mot Aristocratie ; cependant les partisans du mot & de la chose soutiennent encore tous les jours que personne ne le comprend ; ils disent qu’étant composé de deux mots grecs, ARISTOS, qui veut dire, selon eux, excellent, & CRATOS, commandement ou gouvernement. Aristocratie doit signifier le gouvernement par excellence. Cette explication est fausse. CRATOS signifie contrainte, & la racine du mot ARISTOS est ARÈS, qui veut dire fer, donc ARISTOS signifie homme de fer. Par Aristocratie les Athèniens entendoient la contrainte exercée par les hommes de fer. On voit qu'à cet égard les Grecs & les François sont parfaitement d'accọrd.

(2) On sait que les mauvais citoyens sont aujourd'hui surnommés Noirs ou Æthiopiens ; par conséquent les bons citoyens peuvent être désignés par la couleur opposée.

(3) Une Loi de Solon ordonnoit que pendant les troubles civils tout citoyen d'Athenes fut obligé de se ranger d’un côté ou de l'autre. L'homme neutre ètoit traitè comme ennemi par les deux partis. L’heureux effet de cette Loi étoit de produire toujours une grande majorité du bon côté, cette majorité réduifoit l'autre à l’impuissance. Ce sont les Indécis, les Impartiaux, qui trahissent la chose publique : anathême aux Impartiaux.

(4) Je crois que le seul J. J. Rousseau auroit pu foutenir la comparaifon , encore n'y auroit-il que Xantippe qui put en décider; c'est dans l'intérieur de la maifon que l’homme le plus fage laiffe appercevoir fes foibleffes, tribut qu'il paie comme les autres à l’humanité. Au reste fi les Tribunaux n’ont pas fait boire la ciguë au vertueux Jean Jacques , on fait que ce n'est pas leur faute.

(5) Je cite avec plaisir le zèle de tous ceux qui ont joué dans le Procès de Socrate, ou dans la Famille Patriote; & particuliérement M. Paillardelle, qui donne à chaque représentation un nouveau degré d'intérêt au rôle de Socrate. C’est par des études réfléchies & de profondes réflexions, qu'un Acteur doué d'un grand talent sçait toujours arriver à la perfection.

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