Le Projet de fortune, opéra-bouffon en un acte, paroles de Dumaniant, musique de Foignet, 27 février 1793.
Théâtre de la Cité-Variétés.
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Titre :
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Projet de fortune (le)
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Genre
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opéra-bouffon
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Nombre d'actes :
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1
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Vers / prose
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en prose, avec des couplets en vers
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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27 février 1793
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Théâtre :
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Théâtre de la Cité-Variétés
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Auteur(s) des paroles :
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Dumaniant
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Compositeur(s) :
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Foignet
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L’Esprit des journaux français et étrangers, 1794, volume 1 (janvier 1794), p. 346-352 :
[Le compte rendu commence par résumer l’intrigue, en en soulignant l’invraisemblance (le comportement de l’oncle à son arrivée à l’auberge) et surtout l’immoralité : le vice est récompensé au dénouement, ce qui ne doit jamais arriver au théâtre. Ce défaut majeur n’empêche pas que la pièce offre « plusieurs détails heureux & quelques scenes agréables » et un bon dialogue. Le dénouement est toutefois jugé « trop brusque ». La musique de Foigné est appréciée, mais elle amalgalme trop peu « les parties d'accompagnement avec celles de chant » et le compositeur y abuse des « ritournelles à l’italienne », certes mélodieuses, mais qui « ne coupent pas moins le chant mal-à-propos ». C’est l’occasion pour le critique de poser une question théorique, sur l’articulation des paroles et de la musique, celle de la césure. Là où il y a une césure régulière dans les vers (de même longueur), la musique n’a pas de peine à conserver le rythme dont elle a besoin. Mais si la césure n’est pas placée au même endroit dans tous les vers, et dans ce cas, plus de rythme, et plus de musique. L’idée est prouvée par une citation de l’Encyclopédie, et par des exemples pris dans la pièce même : quand la césure n’est pas placée au même endroit dans tous les vers, cela provoque « sinon un désordre, du moins une désordonnance qu'on attribue souvent au musicien, & que très-certainement on n'auroit pas lieu de lui attribuer, si le poëte avoit pris soin de rhythmer ses vers. ». Le musicien est innocent, la faute revient au librettiste...]
THÉATRE DE LA CITÉ-VARIÉTÉS.
Le Projet de fortune, opéra-bouffon en un acte, paroles de M. Dumaniant, musique de M. Foigné.
Le jeune Fanfan s'est oublié jusqu'au point de voler 10,000 livres dans la caisse de M. Bonsens, son oncle, & de les venir manger à Paris avec Rosette, filleule de la femme de ce marchand d'Amiens.
Fanfan & Rosette, qui veulent retrouver dans toutes les actions de la vie, les aventures qu'ils ont lues ensemble dans les romans, & qui s'apperçoivent, celle-ci qu'elle a mangé tout ce qui lui étoit revenu d'un petit héritage, & celui-ci presque tout ce qu'il avoit volé à son oncle, forment un projet de fortune, qu'ils imaginent devoir réussir, parce qu'ils ont vu, dans ces romans, qu'un vieux mari ou une vieille femme ne manquent jamais de mourir, lorsque cela peut arranger la jeune personne ou le jeune homme qu'ils ont épousés.
C'est pour cela que Fanfan a résolu de donner la main à une très-vieille comtesse qui loge dans la même auberge, & qui est fort amoureuse de lui. Rosette, de son côté, cherche un homme vieux pour l'épouser. Les deux mariages terminés, Fanfan & Rosette ne font nul doute que leur vieille femme & leur vieux mari ne meurent pour leur faire plaisir, comme meurent les héros des romans ; & alors Fanfan & Rosette, devenus libres & riches, couronneront leurs amours en se mariant ensemble.
Ce projet bien déterminé, doit être mis à exécution dès le lendemain par la comtesse, qui attend d'être assurée, par le courier, de la mort d'un mari méchant & avare qu'elle avoit autrefois. Mais où trouver un vieillard pour Rosette ? Il se présentera, gardez-vous d'en douter. M. Bonsens, qui a couru après son neveu pour rattraper ses 10,000 livres, arrive dans l'auberge où ce fripon est descendu, & au-lieu de s'en assurer, ainsi que la rapacité naturelle à ce personnage sembleroit devoir le porter à le faire, il s'amuse à capituler avec l'aubergiste, non moins frippon que son neveu, pour pénétrer dans la chambre du dernier, où il oublie bientôt d'entrer, lorsque I'hôte Frontin lui propose quelques bouteilles de bon vin.
Le bon homme a la tête foible; il en prend un peu plus qu'il ne faut, sans avoir pour cela de meilleure raison que l'auteur qui le lui fait boire, & il rentre la tête branlante & les jambes avinées, pour faire un petit brin de cour à Mlle. Rosette, qui se rappelle son projet de fortune, dès l'instant qu'elle apperçoit le vieillard. Celui-ci lui fait une déclaration impromptu, & lui apprend qu'il veut l'épouser, pour se venger d'un frippon de neveu & d'une certaine Rosette, qu'il ne connoît pas, mais qu'il doit haïr autant que la mort.
Que deviendra Rosette ? C'est une question qu'elle se fait à elle-même ; il ne lui reste d'autre parti que de s'évanouir pour la tirer d'embarras. D'ailleurs elle mettra par-là M. Bonsens dans le cas de crier au secours, & bientôt l'hôte, la comtesse & Fanfan, qui accourront, ameneront le dénouement. Tout cela ne manque pas d'arriver. M. Bonsens reconnoît sa femme, dont depuis dix ans il n'avoit pas eu de nouvelles, dans la comtesse ; son neveu dans Fanfan, & la filleule de sa femme, dans Rosette. Là-dessus, mouvement d'horreur contre les époux, mouvement de colere contre le neveu & la filleule , mouvement de tendresse de ces derniers : on se querelle, on s'injurie, on veut se quitter de nouveau pour toujours. Mais l'aubergiste Frontin leur conseillant, aux deux époux, de se pardonner, & leur faisant observer qu'ils sont riches, & qu'avec de la fortune, à leur âge, on peut se passer de l'amour : il se rendent à ces bonnes raisons, & s'embrassent de grand cœur. Frontin va plus loin : il veut qu'on pardonne à Fanfan & à Rosette, & que leur mariage finisse le roman : ce qui est bientôt fait par l'auteur, qui a oublié, dans ce moment, que le vice ne doit jamais être récompensé au théatre, & qu'ici Fanfan est uni à l'objet de ses amours, pour lequel il a volé 10,000 livres, précisément parce qu'il a volé ces I0,000livres ; immoralité qui devroit, comme une infinité d'autres semblables, être soigneusement éliminée du théatre.
Cette piece offre cependant plusieurs détails heureux & quelques scenes agréables ; le dénouement en est trop brusque. Elle est d'ailleurs bien dialoguée. La musique de M. Foigné est très-bien, & elle doit donner l'idée la plus avantageuse de ce compositeur. Nous désirerions toutefois qu'il amalgamât plus fortement les parties d'accompagnement avec celles de chant, & qu'il ne nous fît pas si souvent entendre de ces traits, de ces ritournelles à l'italienne, qui, pour être mélodieuses, ne coupent pas moins le chant mal-à-propos. Mais peut-être ce défaut n'est-il pas de M. Foigné, & n'appartient-il qu'à l'auteur des paroles ?
A ces mots, nous voyons plusieurs de nos lecteurs étonnés, nous demander comment il est possible que des inconvenances de la musique puissent être attribuées au poëte ; le voici, La musique a ses césures comme la poésie ; mais ces césures sont subordonnées à celles des paroles. Or, si les paroles n'ont pas de césures, ou du moins, si elles n'en offrent qu'avec inégalité & sans ordonnance, que devient le rhythme ? Il ne sauroit exister ; cependant sans rhythme, point de musique. Mais, dira-t-on peut-être, quand est-ce que des vers sont convenablement césurés pour la musique ? Un des plus estimables auteurs qui aient écrit
sur cette matiere, M. Framery, nous l'apprend dans l'Enclyclopédie.
« C'est, dit-il, lorsque le repos se fait sentir toujours à la même place, c'est-à-dire, à la quatrieme, à la sixieme syllabe, dans un certain nombre de vers de suite. Quand ce repos varie à volonté, on dit alors que les vers ne sont point césurés, comme les vers françois de huit , ou de sept & de six syllabes.... Les vers n'étant pas césurés, la musique ne l'est pas non plus.... Les césures semblables ne sont pas exigées dans les petits vers destinés à être lus, mais dans ceux qui doivent s'allier au chant ; si elles n'y sont pas d'une nécessité absolue, elles y sont au moins très-agréables. La musique est, de tous les arts, eut-être celui qui aime le mieux la symmétrie. Composée alternativement de tems forts & de tems foibles, de notes longues & de notes brieves, elle veut encore que ses phrases, & même que ses membres de phrases se correspondent, tant pour la forme que pour la longueur. »
Voilà ce que M. Framery dit, & certes il a bien raison : si l'on pouvoît en douter, on n'auroit qu'à jetter les yeux sur les airs où ces auteurs, soit d'après l'observation, soit par hasard, ont suivi cette regle, & l'on se convaincroit que ce sont ceux qui offrent les chants les plus agréables. On demandera peut-être si les vers de six, de sept, huit, &c., dispensés de césure, par les regles de la poésie, doivent avoir aussi une ou plusieurs césures musicales ? Oui, si l'on veut épargner au musicien le travail des combinaisons qu'il a besoin de faire, pour carrer ses phrases & produire un chant mélodieux. Nous interrogeons, à ce sujet, M. Foigné lui-même, & en appellant à sa propre expérience, nous lui demandons s'il n'est pas vrai qu'il a créé plus facilement des chants pour les vers suivans de son premier morceau d'ensemble, que pour ceux qui les précedent ou qui les suivent.
Oui j'entrerai – je le verrai,
Lui parlerai – le tancerai
. . . . . . . . . .
Restez en paix — & point d'éclat,
Sans mon aveu – l'on n'entre pas. -
Si tous les vers de ce morceau avoient présenté toujours une césure au quatrieme pied, l'auteur de la musique l'auroit composé sans peine, comme sans combinaison. Mais quel travail ne doit-il pas avoir fait, lorsqu'au milieu de ces quatre vers, il en a trouvé celui-ci, dont la césure ou le repos se trouve après le troisieme pied, & plusieurs autres qui n'ont pas de césure ?
Ah l je vais – moins de pétulence
. . . . . . . . . .
Je vous donnerai dix louis.
De-là des tournures de chant forcées ; de-là des traits qu'il faut faire passer dans les parties instrumentales, pour arrondir les phrases ; de-là enfin, dans la musique, sinon un désordre, du moins une désordonnance qu'on attribue souvent au musicien, & que très-certainement on n'auroit pas lieu de lui attribuer, si le poëte avoit pris soin de rhythmer ses vers.
(Journal des spectacles.)
D’après la base César, la pièce, de Dumaniant pour le texte et de Foignet pour la musique a été créée le 27 février 1793 au Palais des Variétés où elle a été jouée 40 fois jusqu’au 21 décembre 1794 (24 fois en 1793, 16 fois en 1794).
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