Le Protecteur à la mode, comédie en trois actes, en vers ; par le cit. Etienne, 19 thermidor an 10 [7 août 1802].
Théâtre Français, rue de Louvois
Almanach des Muses 1803
Saint-Léon, ancien laquais, a loué un bel appartement, et, en offrant sa protection à tous ceux qui font des affaires, trouve le moyen de faire des dupes. De ce nombre sont un Bourguignon et un Champenois ; l'un voudrait empêcher l'exportation des vins de Beaune, et l'autre l'exportation des vins de Champagne. Le Champenois est fort riche ; il a une jolie fille à marier ; et la fille, lais sur-tout la dot, tentent beaucoup Saint-Léon. Par malheur la jeune personne est promise à un colonel de hussards ; Saint-Léon craint un tel rival, et veut s'en débarrasser. Il sollicite du ministre de la guerre un ordre pour le faire arrêter. L'ordre est expédié ; mais le ministre, sachant que l'on a surpris sa confiance, fait arrêter Saint-Léon lui-même.
Le titre promettait un autre fond ; l'auteur a reconnu lui-même qu'il s'était trompé, et s'est hâté de retirer sa pièce.
Courrier des spectacles, n° 1981 du 20 thermidor an 10 [8 août 1802], p. 2 :
[Le critique se fait un plaisir de démolir une pièce dont le succès ne tient qu’à l’obstination des « amis » de l’auteur, qui ont applaudi sa pièce et devraient lui permettre d’obtenir une autre représentation (mais il semble que le critique soit trop optimiste !). Si le titre est bien choisi, ce n’est pas suffisant, faute d’un véritable sujet, suscitant l’intérêt des spectateurs, ce qui n’est pas le cas ici : aucun personnage ne suscite l’adhésion des spectateurs, le style est trop facile, jusqu’au trivial. L’intrigue, résumée ensuite, mêle une affaire d’influence et une très banale affaire de mariage. Comme à chaque fois, le dénouement permet aux deux amants de s’unir, éclipsant un intrignat intéressé par la dot de la jeune fille. L’article s’achève par un jugement sévère sur les personnages, un militaire dont le personnage est « d’une inconvenance souvent choquante », deux marchands de vins qui sont « deux vrais foux », et le « protecteur à la mode » qui n’est pas à la hauteur de ses ambitions.]
Théâtre Louvois.
Qu’une pièce soit applaudie, que l’auteur en soit demandé, cela ne prouve pas le succès de l’ouvrage et encore moins son mérite. Il suffit ordinairement de quelques amis répandus dans les diverses parties de la salle. Hier ils étoient rassemblés en un petit peloton qui par sa persévérance et son zèle, que je ne puis appeler amical, a lassé les sifflets et obtenu une victoire sinon glorieuse, du moins utile à l’auteur, qui, pour prix des billets qu’il avoit distribués, obtiendra une seconde et peut-être quelques autres représentations.
Le Protecteur à la mode, voilà un titre heureux ; mais cela ne suffit point. C’est ce qu’il y a de plus aisé à trouver pour une comédie ; mais ce qui est le plus difficile c’est le sujet : c’est aussi ce dernier qui fait le succès d’un ouvrage, et c’est pour l’avoir mal choisi que le citoyen Etienne a échoué.
Sa comédie, dénuée de toute espèce d’intérêt, n’offre que des personnages qui par leur petitesse contrastent singulièrement avec l’espèce de grandeur qu’annonce le titre. On est tout étonné de voir qu’il ne s’agit que de deux marchands de vins qui viennent solliciter la protection d’un homme qui passe pour être puissant.
Le style de cet ouvrage est facile, mais trop facile, et quelquefois trivial. On n’y trouve, non plus que dans les scènes, rien de neuf, rien de saillant. Ce sont de longues conversations assaisonnées de calembourgs. On nous vantera peut-être en faveur de l’ouvrage la morale qui y règne, mais elle est si rebattue que ce ne sont plus que des lieux communs entassés les uns sur les autres sans un seul trait comique.
St-Léon, ancien valet, au moyen d’un riche appartement qu’il a loué est devenu un homme important. Il vante beaucoup son crédit et fait des dupes. Heureusement que le vin de Champagne et le vin de Bourgogne sont les graves objets pour lesquels on le sollicite. Il a reçu d’un Bourguignon la somme de trois mille fr. pour favoriser un projet qui défende l’exportation en pays étranger d’autres vins que ceux de Baune, mais le Champenois est fort riche, et la dot de Julie, sa fille, a beaucoup de charmes pour notre intrigant. Il se flatte d’être en relation avec les ministres. Il nomme entr’autres celui des Finances, l’annonce comme devant diner chez lui, et voulant éloigner un colonel d’hussards, son rival ; il sollicite un ordre pour le faire partir.
L’ordre s’expédie dans les bureaux du ministre Cléon, qui se trouve être l’ami du Hussard menacé. Instruit de l’abus que l’on doit faire de son pouvoir, il s’en sert pour faire arrêter l’intrigant, dont la punition laisse en repos les deux jeunes amans, qni s’unissent du consentement du père de Julie.
Le rôle du jeune Militaire d’une inconve nance souvent clinquante. Ce jeune homme peut être appelé un véritable crâne.
Dorimon et Frelatte, marchands de vins, sont deux vrais foux, et St-Léon un protecteur trop mince pour mériter le titre de protecteur à la mode.
Courrier des spectacles, n° 1982 du 21 thermidor an 10 [9 août 1802], p 3 :
[La pièce n'est pas tombée, et l'auteur tient à faire remarquer que si la pièce n'aura pas de deuxième représentation, c'est parce qu'il l'a retirée. Le Courrier des spectacles avait été très sévère pour la, pièce et Étienne tient à répondre en insistant sur ce qu'un changement de dernière minute a fait perdre à sa pièce son sens profond.
AU RÉDACTEUR.
Je suis si loin de me dissimuler les nombreux défauts qu’offre ma pièce du Protecteur à la mode, que je me suis empressé de la retirer, quoiqu’elle eût été annoncée pour demain, et que d’après toutes les règles reçues au théâtre, j’étois en droit d’exiger une seconde représentation, puisqu’elle a été jusqu’à la fin, et que j’ai été demandé et nommé.
Si cependant il m’est permis de m’excuser, je dois déclarer au public que le fonds de mon ouvrage reposoit d’abord sur des bases plus solides, qu’il s’agissoit même d’un projet qui tenoit à une grande question d’économie politique, mais que des circonstances impérieuses m’ont forcé, quelques jours avant la représentation d’y substituer le plan qui a paru choquer le public.
L’impossibilité absolue où je suis de rétablir mes premières scènes, m’a forcé de renoncer à un ouvrage qui, j’ose le croire, eût éprouvé un sort plus favorable, si j’eusse été libre de le donner au public tel que je l’avois d’abord fait.
Vous m’obligerez, citoyen Rédacteur, d’insérer cette lettre dans votre prochain numéro.
Je vous salue.
Etienne.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIIIe année, tome II (an X-1802), p. 403 :
Théâtre Louvois.
Le Protecteur à la mode.
Cette comédie, en trois actes et en vers, n'a eu qu’une seule représentation. Malgré beaucoup de marques d’improbation de la part des spectateurs, l’auteur a été nommé ; c'est le C. ETIENNE. Il a. senti toute la foiblesse de son ouvrage, et l’a retiré le lendemain. Le caractère du Protecteur à la mode était manqué tout-à-fait. L’auteur n’en avoit fait qu’un vil intrigant sans caractère, et cela par suite de cette manie que l'on a maintenant de peindre des vices au lieu de tracer des ridicules. Le Protecteur à la mode prêtait pourtant bien à la comédie, et il n'était pas besoin de l’entourer de personnages aussi ennuyeux que deux marchands de vin qui disputent éternellement sur l’excellence du Bourgogne et du Champagne, et sur la préférence qu’on doit accorder à l'un sur l’autre. L'intrigue la moins neuve étoit jointe à ce fonds bizarre, et pour cette fois ce n’est pas injustement que la pièce a été sifflée.
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