Péchantré, ou une Scène de Tragédie

Péchantré, ou une Scène de Tragédie, vaudeville en un acte, de Sewrin, 5 octobre 1812.

Théâtre des Variétés.

Almanach des Muses 1813.

La première est annoncée dans le Journal de l’Empire, mais en donnant comme titre Préchantré.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Mme Masson, 1812 :

Péchantré, ou une scène de tragédie, comédie-anecdote en un acte, mêlée de couplets, par M. Sewrin, représentée, pour la première fois, sur le Théâtre des Variétés, le 5 octobre 1812.

Journal de l’Empire du 13 octobre 1812, p. 4 :

[Curieuse critique d’une pièce qui ne méritait pas un grand compte rendu. Au lieu de parler de la pièce, Geoffroy étale son indéniable culture sur Péchantré, pourtant mauvais médecin et mauvais poète. C’est l’occasion de dire tout ce qu’il a à en dire, en particulier sur sa première pièce, Géta, qui n’a pas laissé un souvenir bien vif. Et il conclut en promettant de revenir sur Péchantré (mais peut-être toujours pas sur la pièce !)]

THÉÂTRE DES VARIÉTÉS.

Péchantré.

Parlons un peu de Péchantré : on a mis sur son compte une anecdote qui fait le sujet de la pièce, et qui n'est guère vraisemblable ; mais il y a d'autres choses à dire de lui, sinon plus vraies, du moins mieux trouvées. Péchantré étoit Gascon, médecin à Toulouse, et probablement mauvais médecin : il étoit fâché d'avoir si peu de sujets sur lesquels il pût exercer le droit de mort dont il jouissoit en vertu de son titre. Il lui prit fantaisie de commettre des meurtres plus nombreux et plus innocents : las d'achever de pauvres malades commencés par la nature, il voulut poignarder sur la scène tragique des héros et des héroïnes tout vivans et très bien portans : de mauvais médecin il se fit mauvais poëte. L'humanité gagna quelque chose à ce changement ; l’art y perdit par augmentation du nombre des mauvaises tragédies. Il a cependant quelque talent dans Geta sa première pièce ; le sujet est mal choisi. Des deux fils de l'empereur Sévère, l’un est un monstre, l’autre un innocent ; Antonin Caracalla haït son frère à mort ; le pauvre Geta n'a pas la force de haïr : les deux frères, fort embarrassés de l’empire, veulent le partager ; leur mère s'oppose à ce projet : ses deux fils sont nécessaires à son bonheur Vous pouvez, leur dit-elle, partager lemonde, mais comment partagerez-vous une mère ?

La princesse de la pièce est une vestale, fille de l'empereur Pertinax. Antonin la mande dans son palais, en apparence pour faire un sacrifice, en effet pour entendre une déclaration d'amour. Qu'on juge de quel air la reçoit une fière prêtresse de Vesta. Ce qu’il y a de plaisant, c'est que le vertueux Geta qui n'a pas la force de haïr son frère, a bien la force d'aimer aussi la vestale, et même il en est aimé ; mais l’auguste princesse lui cache sa foiblesse. Antonin se débarrasse de ce foible rival en le massacrant sous les yeux et dans les bras de sa mère, ce qui simplifie beaucoup les affaires. La vestale n'a plus qu'un amant, l'impératrice-mère qu'un fils, l'univers qu'un empereur : il n'y a plus ni maitresse, ni mère, ni empire à partager. Cette tragédie eut plus de succès qu'elle n'en méritoit. Je suis obligé de finir ; j'ai encore beaucoup à dire sur Péchantré : j’y reviendrai au premier jour.                       Geoffroy.

L’article promis paraît dans le numéro du 17 octobre, et ne parle guère de la pièce de Sewrin.

Journal de l'Empire du 17 octobre 1812, p. 3-4 :

[Dans cette moitié de feuilleton, Geoffroy fait preuve de sa virtuosité : de l'érudition sur un sujet qui n'en demandait pas tant. La pièce de Sewrin n'a pas grand intérêt, mais le critique profite de l'occasion pour parler de l'auteur (on a droit à un beau couplet sur sa pauvreté, occasion aussi de dire du mal de Baron accusé d'être un « corsaire […] avide du bien d'autrui » et de se moquer des .multiples infortunes conjugales de ce pauvre Champêlé. Les aventures de Péchantré auteur de Geta ne s'arrêtent pas là, et Geoffroy continue à dire du mal de tout le monde, autour cette fois de l'écriture du cinquième acte de Geta, avant de passer aux autres pièces de Péchantré, Jugurtha non publiée, et (enfin !) La Mort de Néron, occasion d'une nouvelle anecdote un brin ridicule, déjà connue à propos des Scudéry (un papier abandonné, qui semble annoncer une tentative d'assassinat du roi) et dont Geoffroy finit pas dire qu'elle n'est qu'un « conte fait à plaisir ». Mais on est revenu à la pièce du jour, et le critique a tout juste la place de dire que la pièce est un peu froide à part le coup de théâtre que provoque l'apparition de Champmêlé apparaissant avec un poignard de théâtre à la main et terrorisant les gens d'armes venus arrêter Péchantré. Point positif : la pièce est jouée par Brunet et Tiercelin (des acteurs comiques efficaces). Point négatif, elle est de Sewrin, irréprochable « sous le rapport de la quantité des denrées », mais qu'on ne « chicane que sur la qualité » : Geoffroy ne peut pas s'empêcher de dire du mal...]

THÉATRE DES VARIÉTÉS.

Péchantré.

Puisque j'ai un moment de loisir, j'en profite pour achever ce que j'avois à dire sur le poëte Péchantré, qui occupe maintenant la scène des Variétés, et qui va son train sans s'embarrasser du qu'en dira-t-on, quoiqu'on en dise assez de mal. J'en suis resté à son chef-d'œuvre de Geta, où, malgré le vice essentiel du sujet, il y a certainement de l'invention et du talent. Peu s'en fallut que la misère qui, dans ce temps-là, étoit un attribut de la poésie et des poëtes, ne forçât le pauvre auteur de Geta à vendre pour très peu d'argent son bonheur et sa gloire. Le comédien Baron avoit l'ambition d'être auteur ; mais il avoit la réputation d'ètre corsaire : avide du bien d'autrui, il vivoit, dit-on, de rapines; toujours à l'affût des manuscrits, toujours disposé à prêter son nom aux auteurs honteux, à qui leur état interdisoit le théâtre.

Péchantré eut la simplicité de montrer son Geta à un homme si dangereux, pour lui en demander son avis. Baron sentit qu'il y avoit un coup à faire : il commença par dire beaucoup de mal de la pièce, et finit par en offrir vingt pistoles. Deux cents francs n'étoient rien pour une tragédie telle que Geta ; mais c'étoit beaucoup pour Péchantré tourmenté d'un besoin continuel d'argent, et qui n'avoit jamais vu à la fois deux cents francs dans sa bourse. Il ne résista point à la vue de ce métal si précieux et si rare pour lui, et abandonna pour une somme si modique le fruit de ses veilles et de son génie, et tout ce qui pouvoit lui en revenir de profit et d'honneur. Ce honteux marché excita l'indignation d'un noble camarade de Baron, moins célébre par son talent d'acteur et de poëte comique, que par l'avantage qu'il eut de faire porter son nom à la fameuse Champmélé, laquelle, par une modération extraordinaire, ne lui donna jamais, dans son ménage, plus de six associés, tous gens de qualité, d'esprit et de mérite.

Ce Champmělé, qui répand aujourd'hui la terreur sur le théâtre des Variétés, fut le généreux protecteur qui vengea Péchantré de la perfidie de Baron ; il prêta à ce poëte infortuné vingt pistoles avec lesquelles il retira sa tragédie des griffes du corsaire. Mais Péchantré étoit né, comme Oreste,

Pour être du malheur un modèle accompli.

Rentré en possession de sa tragédie, il ne trouva plus d'acheteur, mais il rencontra un voleur qui essaya de le dépouiller de sa propriété et de son unique trésor. On publia que Péchantré n'étoit point l'auteur de Geta, et on appuya cette assertion de l'autorité d'un petit roman bâti en l'air. Il y avoit un certain Gascon nommé Dumbelot, cousin du Gascon Palaprat, associé du Gascon Bruéys ; ce Dumbelot mourut jeune, laissant parmi ses papiers une tragédie de Geta, à laquelle il n'avoit pas mis la dernière main. Le Gascon Péchantré, ami de la veuve de Dumbelot, trouva le moyen de s'approprier ce manuscrit, comme un effet très inutile de la succession et muni de ce butin, il vint à Paris, et présenta le manuscrit aux comédiens qui le refusèrent. Dumbelot n'avoit fait que quatre actes, et le cinquième, fabriqué à la hâte par Péchantré, fut jugé si mauvais qu'il n'étoit pas possible de jouer la pièce. Baron se chargea de refaire ce cinquième acte, et mit la tragédie de Geta en état d'être représentée.

Cette dernière circonstance suffiroit pour mettre au rang des fables un semblable récit. Baron n'étoit pas capable de faire un acte de tragédie, et surtout de le faire au profit d'autrui. Ainsi, sans égard pour tous ces contes, plus ou moins calomnieux, il faut regarder Péchantré comme le véritable auteur de Geta ; et cette seule pièce doit le tirer de la foule des poëtes tragiques : elle eut vingt-deux représentation dans l'espace de deux mois et vingt-six jours, et s'est soutenue long-temps au théâtre

Après un coup d'essai si heureus, Péchantré fit représenter, à la fin de 1692. une Jugurtha qui eut dix représentations ; il est étonnant que l'auteur ne l'ait pas fait imprimer : enfin, il termina sa carriere dramatique par la Mort de Néron, tragédie qui n'eut que neuf représentations, et qui n'en méritoit pas deux. C'est cependant à cette mauvaise tragédie qu'il doit la célébrité dont il jouit aujourd'hui, grace à quelques poëtes modernes qui ont mis sur la scène une anecdote relative à la Mort de Néron. On raconta dans le temps que Péchantré, travaillant à cette tragédie dans un cabaret qui lui servoit de Parnasse, oublia sur la table un papier ou étoient écrits ces mots : Ici le roi sera tué. L'aubergiste, à qui l'air égaré et les distractions du poëte avoient déjà donné quelques soupçons, se hâta de porter le papier au commissaire. Le commissaire, après en avoir pris connoissance, chargea l'aubergiste de le faire avertir quand l'homme au papier reviendroit. Péchantré revint quelques jours après, et à peine étoit-il à table que le commissaire prévenu entra dans l'auberge avec des archers, pour s'assurer de sa personne : il lui montra le papier ; et Péchantre ne l'eut pas plutôt aperçu, qu'il s'écria : Ah ! voilà le papier que j'avois perdu ; c'est là que j'ai marqué la scène où Néron doit être tué, dans une tragédie à laquelle je travaille, et dont le titre est la Mort de Néron. Le commissaire rit de la méprise, rendit à l'auteur son fatal papier, et le laissa achever son maigre repas. C'est un conte fait à plaisir : Néron ne portoit point le titre de roi, mais celui de prince et d'empereur ; il n'est pas tué dans la pièce, c'est lui-même qui se tue à la fin de la derniere scène. Quelques poëtes ont cru pouvoir s'emparer de cette anecdote vraie ou fausse. On a vu depuis peu au Vaudeville un trait à peu près semblable, présenté gaiement sous le titre des Brigands sans le savoir : c'est l'aventure de Scudéry et de sa sœur qui arrangent, dans une auberge, un plan de tragédie très meurtrier. Aux Variétés, on voit Péchantré lui-même, non pas dans un cabaret, lieu qui depuis long-temps n'est plus fréquenté par les poëtes, mais dans un petit pavillon solitaire qu'il a loué pour travailler plus à loisir : ses yeux hagards et son étrange mine inquiètent le propriétaire et son neveu chargé d'épier cet hôte à moitié fou. On trouve sur sa table un papier où sont écrits ces mots : Ici la princesse sera tuée. Il n'y a point de princesse tuée dans les deux tragédies de Péchantré : il y en a une qui se tue, et l'autre, s'empoisonne. On vient pour arrèter Péchantré. Champmêlé, retiré dans le pavillon pour y répéter son rôle, entendant les discours des archers, sort tout-à-coup de sa retraite en habit de théâtre, le poignard à la main. Cette brusque sortie épouvante et met en fuite tous les, suppôts de la justice. Ce coup de théâtre est trop burlesque : le reste est un peu froid : il y a cependant des choses très plaisantes dans les rôles de Brunet et de Tiercelin. L'auteur est M. Sewrin, qui paroit avoir obtenu la fourniture du théâtre des Variétés : il ne le laisse manquer de rien, et l'on n'a point de reproches lui faire sous le rapport de la quantité des denrées ; on ne chicane que sur la qualité.

Geoffroy.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1812, tome V, p. 443 :

Péchantré , ou une Scène de tragédie , vaudeville joué le 5 octobre.

C'est l'anecdote attribuée à Scudéry, à Rabelais, à Péchantré, remise au théâtre pour la mille et unième fois. Le dénouement est assez ridicule. Il n'est guères vraisemblable qu'un acteur se revête d'un habit romain pour répéter un rôle, et que ce costume effraye un juge et quatre cavaliers de maréchaussée. La pièce est foible, et ne se soutient que par le jeu de Brunet et de Tiercelin.

L'auteur est M. Sewrin.

L'anecdote, c'est l'histoire du papier oublié dans une auberge par un écrivain distrait, et qui semble annoncer la mort du roi, alors qu'il s'agit d'une note préparatoire à une scène de tragédie. Grand émoi quand le papier est découvert, et soulagement général quand le malentendu se dissipe.

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