Pharaon, ou Joseph en Egypte, mélodrame historique en trois actes, à grand spectacle, orné de marche, cérémonies religieuses, danses, etc, paroles et musique de Lefranc, ballets d’Adam, mise en scène de Ribié, 22 juillet 1806.
Théâtre de la Gaîté.
Il paraît difficile d'attribuer cette pièce à Lefranc-Pontieu, le critique du Courrier des spectacles insistant sur le fait que l'auteur (paroles et musique) est un jeune homme alors que Lefranc-Pontieu est quinquagénaire.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Maldan, 1806 :
Pharaon, ou Joseph en Egypte, mélodrame, en trois actes, A grand spectacle, orné de Marche, Cérémonies Religieuses, Danses, etc, Paroles et Musique de M. Lefranc. Ballets de M. Adam, mise en scène de M. Ribié, Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Gaîté, le 22 juillet 1806.
Courrier des spectacles, n° 3454 du 23 juillet 1806, p. 3 :
[Compte rendu succinct d'une pièce qui vaut par ses éléments extérieurs (décors, costumes, « appareil théâtral »). Sinon, c’est l’ouvrage médiocre d’un jeune homme qui a écrit paroles et musique. Il « a eu quelque succès ».]
Théâtre de la Gaîté.
Le mélodrame de Pharaon, ou Joseph en Egypte, a eu quelque succès au Théâtre de la Gaité. Ce que cette pièce offre de meilleur, ce sont les décorations, les costumes et tout l’appareil théâtral. L’ouvrage est fort médiocre ; mais il s’est soutenu jusqu’à la fin. L’auteur de cette production est un jeune homme nommé Lefranc, qui a aussi fait la musique ; les ballets sont de M. Adam , et les décorations de M. Allaux.
Courrier des spectacles, n° 3455 du 24 juillet 1806, p. 2-4 :
[Après le court compte rendu de la veille, le critique offre un long article, qui commence par rappeler que le sujet de Joseph en Egypte est parfait pour un drame, et non pour une tragédie. Les lecteurs du temps doivent évidemment songer aux polémiques qui ont entouré la tragédie de Baour-Lormian, Omasis, ou Joseph en Egypte, ou au drame de Gassier et Lemaire, Joseph, joué au Théâtre des Jeunes Artistes en l’an 8 (1800). Mais il ne s’agit pas de faire de l’histoire littéraire, et le critique se lance dans une tâche qui l’amuse bien plus, démolir la pièce nouvelle, d’abord en s'étonnant de voir ce jeune homme vouloir aborder un sujet aussi connu « d’une manière neuve », en ne traitant pas ce que tout le monde attend, « la reconnoissance de Joseph avec ses frères », puis en soulignant combien la pièce nouvelle est mal écrite : il insiste en particulier sur le fait que les rois et les héros ne parlent pas comme « le reste des hommes », c’est-à-dire « comme des gens mal élevés ». Le critique ne conçoit pas ce manque de respect envers ce qui est à ses yeux une règle fondamentale du théâtre. Il passe ensuite à ce qui est pour lui une assez belle occasion d’ironiser sur une intrigue qui lui semble d’une assez grande bêtise, et il va utiliser l’ironie pour faire comprendre combien la nouvelle façon de traiter le sujet est maladroite. Tous les poncifs du mélodrame défilent dans cette intrigue, et le critique s’amuse beaucoup de l’intelligence supposée de Joseph confrontée à la bêtise d’un Pharaon qui ne comprend pas grand chose : on a droit au rêve des vaches grasses et des vaches maigres, que seul Joseph sait interpréter, tout en donnant la solution politique au problème de la famine à venir (mais il n’est pas le seul à ne pas comprendre Joseph : celui-ci prévoit l’avenir avec brio, mais personne ne le croit, jusqu’à ce que l’événement prévu se réalise), ou du coup de théâtre final, de ce complot qui échoue parce qu’un troisième messager non prévu vient ruiner tout ce que ses deux prédécesseurs ont combiné. On n’oublie pas non plus que Joseph est généreux, et il refuse qu’on exécute un de ceux qui ont menti au Pharaon et ont failli provoquer sa perte. C’est à ce moment qu’arrivent Jacob et les frères de Joseph, qui s’installent sur une terre que le Pharaon leur donne (comme si l’auteur n’avait jamais entendu parler du récit biblique concernant Joseph et ses frères). Pas besoin de porter un jugement sur la pièce : le critique se contente de dire que ce qu’elle a de meilleur, c’est la façon dont elle est montée : procédé d’optique pour donne l’illusion d’agrandissement de la scène, décors bien peints, costumes « frais, riches et élégans », marches bien exécutées (pas de mélodrame sans défilé militaire), ballets qui souffrent seulement de la comparaison avec ceux de l’Opéra (Adam n’est pas Gardel). Rien sur la musique, un interprète signalé (l'actrice qui joue le rôle de Joseph), et c’est tout. Mais je suppose que le lecteur de 1806 s’est bien amusé en lisant un aussi beau compte rendu.]
Théâtre de la Gaîté.
Pharaon, ou Joseph en Egypte.
Il ne faut pas une grande force de méditation pour trouver le sujet d’un drame dans le poëme de Joseph, car tout y est véritablement dramatique. L’on ne sait donc pas pourquoi ce nom qui rappelle tous les sentimens de la bouté et de l'indulgence, a excité d’aussi grands débats parmi quelques hommes de lettres. Il y a cinq à six ans que deux auteurs, dont le génie ne passe pas pour transcendant, ont fait jouer au théâtre des Jeunes Artistes, un drame dont Joseph étoit le héros. Ce drame, qui est imprimé, a eu huit à dix représentations. Celui qui s’enorgueilliroit d’avoir conçu une tragédie sur le même sujet, me sembleroit avoir trop de prétentions ; aussi toutes les réclamations élevées à ce sujet ont-elles paru assez ridicules.
Mais ce qui l’est plus, c'est qu’un auteur ait prétendu traiter ce sujet d’une manière neuve, et que parmi les circonstances de cette aventure touchante, il ait précisément rejetté celle qui inspire le plus vif intérêt, c’est-a-dire la reconnoissance de Joseph avec ses frères. Le nouveau mélodrame est la production d’un jeune homme, et l’on s’en apperçoit facilement. Le plan en est conçu d’une manière vague et insignifiante, et le style en est plus que négligé. Quand on écrit, le premier devoir auquel on doive s'astreindre est de savoir sa langue. Les héros et les rois doivent parler d'une manière plus distinguée que le reste des hommes, et ce reste des hommes est très-choqué quand il les entend parler comme des gens mal élevés. Le mélodrame ne seroit pas un genre si méprisé, s’il étoit traité avec plus de soin, d’élévation et de génie : mais on reconnoît, dans presque tous ceux que l'on nous donne, le cachet de la médiocrité.
Je ne fais point ces observations pour déprimer le mérite du nouveau mélodrame : il a tout ce qu’il faut pour réussir aussi bien que tous les autres ; mais on pouvoit eu tirer un plus grand parti.
Joseph est en captivité ; il a pour ami Itobal, et pour admirateurs tous les esclaves qui partagent son sort. On célèbre la fête du dieu Apis, et le roi ordonne à cette occasion qu’on distribue un prix à celui de ses sujets qui se sera distingué par une plus haute vertu. D’un autre côté, ce roi rêve, et dans le songe qui le tourmente, il voit sept vaches maigres qui en mangent sept grasses, et sept épis stériles qui en dévorent sept très-féconds. Un roi mieux avisé n’auroit fait aucune attention à cette vision ; car il auroit réfléchi que les vaches ne mangent point de vaches, et que les épis de bled ne se dévorent pas mutuellement : mais alors on n’y regardoit pas de si près, un songe paroissoit un avertissement surnaturel, et le roi voulut qu’on lui expliquât le sien. Les devins se trouvèrent fort embarrassés ; aucun d’eux ne put rien comprendre à l’auguste rêve du monarque. Un roi n’aime pas les contrariétés : Pharaon ordonna à l’un de ses ministres de lui trouver, sous peine de la vie, un devin plus habile que les autres. Voilà donc le ministre qui se met en marche pour découvrir son tireur de cartes. Joseph eu est instruit, et se présente. Il étoit fort mal vu d’un certain Métrobal, homme puissant à la cour, mais injuste et féroce. Le courtisan le regarde avec dédain ; Joseph, sans s’intimider, et pour gagner la confiance de son oppresseur, lui fait confidence que le lendemain il n’existera plus. Métrobal, très-peu flatté du compliment, se propose bien de prévenir son prophète et de s’en débarrasser dans les ving quatre heures : cependant il n’ose dissimuler au roi qu’un jeune esclave a la prétention d’expliquer le songe impénétrable.
Le roi rassemble toute sa cour, et l’on amène le petit Hébreu, qui, sans rien perdre de son assurance et de sa modestie, annonce sept années d’abondance et sept années de stérilité. Mais comment remédier à cette stérilité ? Le prince paroît fort embarrassé, et consulte à ce sujet la sagesse de Joseph : il ne faut pas être bien habile pour concevoir qu’on échappe à la famine en faisant à propos des provisions, et il faut avouer que Pharaon ne donne pas une grande idée de son intelligence, quand il ne conçoit pas une pensée aussi simple. Mais elle n’échappe point à Joseph, qui conseille de faire des magasins Cette idée lumineuse frappe le prince d’admiration, et il ordonne aussitôt que Joseph soit sur-intendant de son royaume. Un prince qui auroit consulté Cagliostro n’en auroit vraisemblablement pas fait son premier ministre : aussi Joseph offre-t-il une garantie au monarque, eu lui annonçant que les Arabes feront, dans la nuit même, une invasion sur les frontières.
Pharaon, charmé de ce qu’il entend, fait donner un bal à sa cour. Cependant il songe encore qu’il seroit à propos de ne pas toujours danser, et d’envoyer des soldats contre les Arabes. Dans cet intervalle , on habille Joseph en grand seigneur, et ses frères, qui ne le connoissent pas, viennent lui demander sa protection. Les Arabes fondent en effet sur les états de Pharaon ; ils sont battus, et Métrobal est tué. Mais il a laissé, avant de mourir, l’ordre de tromper le roi, et de lui annoncer que les Arabes sont vainqueurs. Deux officiers, chargés de cette supercherie, s’en acquittent avec beaucoup de zèle. Le prince, furieux, veut faire étrangler Joseph ; le jeune Hébreu ne perd point la tête, et prédit à l’un des deux imposteurs, que dans quelques instans lui-même il sera condamné à mort. En effet, un troisième officier arrive , et comme il n’a pas 1e secret de Métrobal, il raconte toutes les circonstances de la victoire. Les deux premiers officiers sont confondus; et Pharaon qui est toujours prêt à faire pendre quelqu’un, veut qu’on en étrangle au moins un sur-le-champ pour servir d’exemple à l'autre. Joseph alors implore la grâce du condamné, et se trouve investi de toute la faveur du prince. Ses pensées se tournent aussitôt vers sa famille, qui, suivant l’auteur du mélodrame, habitoit dans une forêt voisine de Memphis. Jacob arrive avec ses enfans et Selima. Le roi les reçoit avec beaucoup d'affection, et leur donne la terre de Gessen. Ici finit le mélodrame, et commence un dernier ballet.
Cette pièce est très-bien montée. Sur un théâtre de peu d’étendue, on a ménagé des effets d’optique qui en rendent la vue très-pittoresque. Les décorations sont peintes avec beaucoup de soin ; 1es costumes sont frais, riches et élégans, les marches bien exécutées; et les ballets seroient fort remarqués, si nous n’avions pas sous les yeux ceux de l’Opéra, dont l’exécution est si étonnante et si parfaite.
Mad. Cousin-Picard a joué avec beaucoup de justesse et d’aplomb le rôle intéressant de Joseph.
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