Pizar[r]e, ou la Conquête du Pérou, mélodrame en trois actes. en prose et à grand spectacle, de Guilbert de Pixerécourt, musique de Darondeau et Gérardin, ballets d’Aumer, 5 vendémiaire an 11 [27 septembre 1802].
Théâtre de la Porte Saint-Martin
Almanach des Muses 1804
Sur la page de titre de la brochure, Paris, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 1802 :
Pizarre, ou la Conquête du Pérou, mélo-drame historique, en trois actes, en prose et à grand spectacle: par R.-C. Guilbert-Pixérécourt. Les ballets sont de M. Aumer, du Théâtre des arts. La musique de MM. Darondeau et Gerardin. Représenté, pour la première fois, sur le théâtre de la porte S.-Martin, ci-devant salle de l'Opéra, le 5 vendémiaire, an 11.
Courrier des spectacles, n° 2031 du mardi 6 vendémiaire an 11 [28 septembre 1802], p. 2-3 :
[Double événement : l’inauguration d’une nouvelle salle, et la première d’un mélodrame. Si la salle fait l’objet d’un éloge sans réserve, on ne peut en dire autant de la pièce, dont on peut relever les défauts, surtout dans quelques maladresses de dialogue faciles à corriger, mais plus encore dans « la foiblesse de deux sujets chargés de rôles importans ». Le jugement doit pourtant être corrigé par la qualité de la réalisation : tout a été mis en œuvre pour faire de ce spectacle un des meilleurs qu’on ait jamais vu « dans ce genre » (ce n’est tout de même qu’un mélodrame). Le critique passe ensuite à l’analyse du sujet, une très longue et très minutieuse analyse acte par acte. On retrouve dans la pièce tous les traits caractéristiques du mélodrame (tous les poncifs ?) : on a droit à une fête, que l’attaque de Pizarre interrompt, à des combats, à des prisonniers qu’on enchaîne, à la libération généreuse de ces mêmes prisonniers, à un combat singulier dans lequel un chef péruvien tue son rival espagnol, à une révolte des Espagnols suite à cette mort, une révolte que Pizarre calme par sa détermination, à l’échec d’une tentative d’assassinat de Pizarre par les Péruviens, et à une étrange réconciliation finale des Espagnols et des Péruviens (il faut bien faire aussi une fête à la fin de la pièce). La pièce est jugée imparfaite, mais un auteur aussi expérimenté que Pixerécourt, dont le critique rappelle les grands titres, saura corriger ses défauts. Les ballets d’Aumer (au nom curieusement orthographié) sont remarquables, tout comme la musique des « citoyens Girardin », « qui a été très-goûtée, et dont l’exécution a été parfaite ». Le critique promet de revenir sur la pièce comme sur la salle.]
Théâtre de la Porte St-Martin.
La magnificence que les Directeurs de ce nouveau théâtre viennent de déployer dans le mélodrame donné pour l’ouverture, le goût que l’on remarque dans la nouvelle distribution de la salle et dans la manière dont elle est décorée, le grand nombre d’artistes en tous genres qui sont déjà employés, l’excellente composition de l’orchestre, tout annonce au public une augmentation dans ses plaisirs.
Le choix des sujets néanmoins ne répond pas complettement à la beauté de l’établissement ; et si Pisarre a fourni dans quelques endroits aux envieux l’occasion d’outrer la critique, on doit sur-tout l’attribuer à la foiblesse de deux sujets chargés de rôles importans. Ce n’est pas que cet ouvrage soit parfait. Mais les défauts sont moins dans la contexture et la marche du sujet, que dans quelques détails de dialogue qu’il est facile de faire disparoître.
Au surplus, la pompe de la scène, la beauté des décorations, la richesse des costumes, et tout l’éclat qui convient particulièrement au mélodrame, tout annonce combien les directeurs sont animés de l’amour des arts et du zele de plaire au public ; et à cet égard le mélodrame de Pisare l’emporte peut-être sur tout ce qu’on a vu de mieux dans ce genre.
Voici de quelle manière le sujet est traité.
Au premier acte , le scène représente le dehors de la ville de Quito.
Les Péruviens célèbrent une fête en l’honneur du Soleil, lorsqu’Alonzo vient leur annoncer que Pisare est de retour, et qu’il s’avance vers Quito. L’alarme est générale, on court aux armes ; Atabila se met à la tète de ses guerriers, Alonzo commande ceux des Péruviens qu’il a exercés à la manière d’Europe ; et on va à la rencontre de Pisare. Ozaï, père de Cora et Fernand, fils d’Alonzo, restent seuls auprès du temple du Soleil pendant le combat. Mais bientôt le bruit des armes se fait entendre. Les Pé ruviens sont mis en fuite. Les Espagnols, qui les poursuivent, découvrent Ozaï et Fernand, et malgré les efforts de Las Casas, Davila ordonne qu’ils soient enchaînés et traînés vers Pisare ; ce qui s’exécute après une longue résistance de Cora et des Péruviens, qui veulent soustraire la famille d’Alonzo au coup de Davila.
Au second acte , la scène représente une cour du palais des Incas richement décorée, et d’où l'on apperçoit la ville de Quito.
Pisare entre dans Quito à la tête de ses troupes victorieuses. Davila lui amène Ozaï et Fernand enchaînés. Pisare détache les fers de l’enfant et interroge le vieillard, qui dans des réponses énergiques lui donne une idée de la fermeté du peuple qu’il croit avoir vaincu. Davila irrité veut frapper le vieillard, quand Las Casas accourt, lui reproche sa cruauté, défend avec chaleur la cause des Péruviens et cherche à ramener Pisare à des sentimens généreux. Bientôt on annonce l’arrivée de Cora : elle a suivi son père, son fils ; et trompée par un faux rapport, elle vient demander à Pisare la grâce d’Alonzo, qu’elle croit prisonnier. Pisare la rassure, lorsqu’Alonzo lui-même demande à être introduit. Après avoir accablé Davila des marques du plus profond mépris, il déclare à Pisare qu’il est prêt à sacrifier sa liberté, sa vie, pour sauver les Péruviens et leur rendre la paix. En conséquence il demande à combattre Davila ; le défi est accepté, tout se dispose pour le tournois. La victoire se déclare pour Alonzo; Davila , frappé du coup mortel, tombe sans vie au milieu des siens. Alonzo et sa famille rendent grâces au ciel d’avoir vengé les Péruviens.
Au troisième acte , la scène représente un appartement du palais des Incas.
Pisare a senti renaître dans son cœur l’amitié qu’il avoit portée jadis à Alonzo. Il n’a pu être témoin du combat, mais il en attend l’issue avec impatience. Las Casas vient lui annoncer que les Espagnols, témoins de la mort de Davila, se sont révoltés, et qu’ils demandent la tête d’Alonzo.
Pisare ordonne qu’on le fasse venir, ainsi que sa famille : il le fait entrer dans un appartement voisin et attend les séditieux qui entrent en tumulte, et viennent effectivement lui demander la mort d’Alonzo. Placé sur le seuil de la porte et offrant sa poitrine aux assassins, Pisare parvient à force de fermeté à faire rentrer ses soldats dans le devoir ; il fait arrêter le chef de la révolte.
Demeuré seul, il succombe à la fatigue et bientôt au sommeil. Des Péruviens se glissent jusqu’à son appartement dans d’intention de venger par sa mort ceux des leurs qui ont péri sous ses coups par ses ordres, mais particulièrement Alonzo, qui est depuis six ans leur bienfaiteur et leur ami.
Fernand entend leur complot ; il se précipite sur le corps de Pisare au moment où ils vont le frapper, et crie : Réveille-toi, Pisare, on veut t'assassiner ! Pisare s’éveille, se met en défense ; mais il va succomber quand Alonzo sort de son appartement, s’élance au-devant du coup, accable les Péruviens de reproches et sauve les jours de Pisare.
Pendant ce tems, les Péruviens ont pénétré par des issues secrètes dans l’intérieur du palais ; ils ont surpris les Espagnols livrés au sommeil, et en font un horrible carnage. Alonzo court les contenir et leur offrir la paix. Ils acceptent, tous se rendent au temple du Soleil pour y conclure et signer la paix, et les deux peuples réunis ne font plus qu’une famille.
Malgré les imperfections qu’on a remarquées dans cet ouvrage, on n’entrevoit pas cependant les motifs qui ont pu porter l’auteur à garder l’anonyme, sur-tout quand les spectateurs presque tous l’avoient demandé. Il s’en faut que Pisare , sorti de la même plume qui a tracé l’Homme à Trois Visages, la Femme à deux Maris, Cœlina, le Pélerin blanc, etc., doive être placé hors de la ligne de ces jolies productions, et il suffira à M. GuiIbert-Pixérécourt de revoir quelques parties de ce nouveau mélodrame.
Le citoyen Aumaire seul a paru et a reçu dans les applaudissemens universels le témoignage de l’admiration des amateurs pour les ballets et les évolutions, dont la composition lui fait honneur. La musique, qui a été très-goûtée, et dont l’exécution a été parfaite, est des citoyens Girardin, tous deux élèves du cit. Berton.
L'orchestre, qui est vraiment délicieux, est dirigé par M. Blasius.
Le défaut d’espace et de tems nous oblige de remettre à un prochain numéro de plus amples détails sur la salle et sur l’ouvrage.
B***.
Courrier des spectacles, n° 2035 du 10 vendémiaire an 11 [2 octobre 1802], p. 2-3 :
[Deuxième article sur Pizarre, nettement plus court, et qui commence par constater un succès mérité, tant pour la salle que pour les différents éléments de la pièce, acteurs, décors, ballets, pièce, même si elle a été critiquée. La question se pose le critique est de savoir si ce succès sera durable, d’autant que le nouveau Théâtre a un « rival dangereux » près de lui dans le Théâtre de l’Ambigu-Comique, au répertoire proche. Il est impératif pour le Théâtre de la Porte Saint-Martin de trouver une autre « grande pièce » pour éviter de lasser le public en présentant toujours le même mélodrame. Il faut satisfaire un public avide de nouveauté et de grands effets : pourquoi pas « la première représentation d’un petit opéra, d’un vaudeville, d’une comédie », mais surtout celle d’une « grande pièce » (et non pas simplement des pièces en un acte, les petites pièces qui raccompagnent les « grandes pièces ») ?
Théâtre de la Porte St-Martin.
La foule continue de se porter à ce théâtre. On veut voir la salle dont on vante généralement la coupe élégante, les acteurs qui ne sont pas assez connus à Paris, les décorations qui sont fort belles, les ballets qui sont soignés tant pour le dessin que pour l’exécution et la pièce elle-même de Pizarre, malgré les critiques que l’on en fait. C’est une question maintenant agitée dans le public, si cette curiosité des Parisiens se soutiendra, et si ce théâtre conservera l’ascendant que semblent lui assurer son emplacement et sa beauté. Il a dans l’Ambigu-Comique un voisin redoutable, un rival dangereux, du moins quant au mérite des pièces qui forment son répertoire. Il n’a jusqu’ici pour grande pièce que Pisare, qui se joue chaque jour avec plus d’ensemble ; mais on doit se hâter de lui adjoindre quelque autre mélodrame :
L’ennui naquit de l’uniformité.
Nous ne pouvons donc qu’engager l’administration à redoubler d’efforts pour varier les plaisirs d’un public qui aime qu’on ne lui présente pas toujours la même chose. Il lui faut surtout de grands effets. Il pourra consacrer un jour à voir la première représentation d’un petit opéra, d’un vaudeville, d’une comédie, mais le grand ressort, le moyen de l’attirer, c’est une grande pièce ; et il est urgent d’en monter une au plutôt.
F. J. B. P. G ***.
Dans la chronologie de ses œuvres, placée en tête de son Théâtre choisi, tome I (Nancy, chez l'auteur, 1841), p. lxii, Pixerécourt affirme que sa pièce, qui ne fait pas partie de cette anthologie, a été jouée 92 fois à Paris, et 71 fois en province.
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