Plaute, ou la Comédie latine

Plaute, ou la Comédie latine, comédie en trois actes et en vers, de Népomucène-Louis Lemercier, 20 janvier 1808.

Théâtre Français.

Titre :

Plaute, ou la Comédie latine

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3 actes et un prologue

Vers ou prose ,

en vers libres

Musique :

non

Date de création :

20 janvier 1808

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Louis-Népomucène Lemercier

Almanach des Muses 1809.

Plaute, dépouillé de sa fortune par suite de la guerre des Romains contre les Carthaginois, est réduit, pour vivre, à tourner la roue d'un moulin. Parmi les connaissances qu'il a faites dans sa nouvelle condition, se trouve un roué de l'ancienne Rome, devenu tout-à-coup infidele à une dame de condition, pour une jolie esclave qu'il n'a vue qu'une fois sur un vaisseau corsaire. Le jeune homme ne sait d'autre moyen de posséder l'objet de sa nouvelle passion que de l'acheter du pirate ; malheureusement pour lui, il n'a point d'argent. Un valet malin, qu'il a chargé de lui en trouver, s'adresse au vieil avare Euclion, oncle de son maître, à qui il persuade de racheter la jeune esclave, qu'il lui assure être sa propre niece. L'amante abandonnée a prévenu Euclion, et déjà l'esclave est dans sa maison. Elle va ensuite elle-même, enveloppée d'un voile, chez le vieil avare, se faisant passer pour la jeune esclave. Le pere arrive ; on lui annonce sa fille ; grande surprise du pere en reconnaissant la belle voilée ; grande désolation du fils, qui veut absolument que son valet lui trouve la rançon de l'esclave. Ce dernier, ne pouvant en venir à bout, attache un lacet à une statue qui se trouve là ; il va se pendre ; la statue se brise ; il en sort un coffre-fort dont le valet s'empare, et qu'Euclion, qui survient, réclame comme sa propriété. L'amante abandonnée annonce que la captive est chez elle ; la captive est reconnue pour niece d'Euclion ; et Plaute, qui jusque-là n'avait paru sur la scène que pour y observer les caracteres des différents personnages, se retire comme tout le monde, mais bien pourvu d'observations pour une piece qu'il médite, et ravi d'avoir recouvré ses manuscrits qu'il croyait perdus, et qui se trouvent dans le double fond du coffre-fort d'Euclion.

Idée malheureuse, que celle de nous offrir la comédie latine, lorsque nous avons la comédie française, qui lui est si supérieure.

De l'esprit, de la gaieté, peu d'intérêt. Quelques représentations, dont la premiere a été très orageuse.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Léopold Collin, 1808 :

Plaute, ou la Comédie latine, comédie en trois actes et en vers, Représentée pour la première fois par les Comédiens du Théâtre-Français, le mercredi 20 janvier 1808 ; Par Népomucène Louis LEMERCIER.

Animus æquus est optumum ærumnæ condimentum.      Plaute.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1808, tome I, janvier 1808, p. 432-436 :

[Après une longue analyse de la pièce, un jugement mesuré sur une pièce qui n'est pas sans défaut, mais qui vaut mieux que bien d'autres qu'on a bien jugées.]

THÉATRE FRANÇAIS.

Plaute, ou la Comédie latine; comédie en trois actes et en vers, précédée d'un prologue, représentée pour la première fois le 20 janvier 1808.

Le projet de donner une idée de la comédie latine, ne pouvoit mieux s'exécuter qu'en mettant en scène Plaute(1), le plus ancien et le plus célèbre des poètes latins. Traduire un de ses ouvrages eût été impossible ; Molière a écrémé cet auteur, et en l'imitant l'a bien surpassé. M. Le Mercier, en le mettant en scène, l'a entouré des personnages les plus saillans de ses pièces : Euclion, vieil avare, tiré de l'Aulularia ; Epidique, esclave rusé de l'Epidicus ; Daemone, vieillard libertin du Rudens ; Pleuside, jeune amoureux du Miles gloriosus. Le nom de Zélie qu'il a donné à son amoureuse, n'est pris d'aucune pièce de Plaute.

Le prologue entre Thalie et Mercure, annonce au public les intentions de l'auteur, et le prévient du but qu'il a eu en mettant en scène le père de la comédie latine. Mercure irrité contre Plaute, qui l'a joué dans Amphitrion, jure de se venger de lui, en plaçant au parterre des sifflets. Thalie veut en vain l'apaiser ; les deux divinités se séparent mécontentes l'une de l'autre. On a remarqué dans ce prologue un éloge très-bien fait de Molière.

Plaute paroît seul, il regrette la perte de ses biens, et plus encore celle de ses manuscrits qui lui ont été pris par les Carthaginois, dans le pillage de la ville de Sarcine. En réfléchissant sur ses malheurs et les ressources qui lui restent, il s'interroge, se répond, puis s'apercevant que la chaleur de son imagination l'a emporté, et qu'il parloit ainsi tout haut, il en conclut que le monologue n'est pas une chose inconvenante à la scène, pourvu que le personnage soit animé par quelque violente passion. Il est interrompu par Pleuside qui a confiance en lui, et lui raconte l'embarras où il se trouve. Il est épris d'une jeune esclave nommée Pulchrine, et il n'a pas la première obole pour l'acheter.

Epidique, son esclave, vient lui apprendre qu'au moyen d'une ruse, il a fait acheter Pulchrine par Euclion, oncle de Pleuside, en lui faisant croire que c'est la fille de son frère Daemone qui avoit été enlevée par des pirates. Le vieil avare a eu bien de la peine à avancer cet argent, mais comme il compte bien en être remboursé par son frère, il s'y est enfin décidé.

Daemone revient de la campagne et Euclion lui annonce que sa fille est retrouvée. Il fait paroître alors la prétendue Pulchrine, que le père, surpris, ne reconnoît point pour sa fille. L'avare est furieux ; il se doute que c'est un tour d'Epidique ; Pleuside qui survient croit que cette fourberie lui sera avantageuse ; mais, au lieu de Pulchrine, il voit Zélie, sa maîtresse, à laquelle il vouloit faire cette infidélité, et qui a pris la place de l'esclave. Epidique n'est pas moins étonné. Son maître le menace de le faire mourir, s'il ne répare pas sa faute en tirant Pulchrine des mains du corsaire.

Plaute, que dans le malheur, son génie n'a point abandonné, suit de l'œil cette intrigue, y puise des idées de scènes et de caractères, et se promet bien de tirer parti de tous les incidens.

Il est bientôt témoin d'une scène où Daemone qui a trouvé Zélie à son goût, lui offre de l'épouser, si elle veut oublier son fils. Pleuside arrive, surprend son père(2), et ne le ménage pas beaucoup. Plaute prend de là, occasion de donner une leçon à Daemone, et de lui prouver qu'on ne peut exiger de respect, que quand on se respecte soi-même.

Epidique toujours désolé de l'ordre de son maître qu'il lui est impossible d'exécuter, et ne voyant aucun moyen d'échapper au châtiment(3), veut au moins se donner la mort lui-même, et, en voulant le pendre, il fait tomber un vieux pan de mur(4), et en même temps une cassette pleine d'or. Il passé d'un extrême à l'autre, ne rêve plus que sa liberté, les honneurs, les plaisirs; mais Plaute qui l'a vu, l'appelle, veut lui faire entendre que ce trésor n'est pas à lui, Epidique s'enfuit sans l'écouter. Bientôt Euclion, à qui appartient la cassette, découvre la perte qu'il vient de faire ; il se désespère, prend Plaute pour son voleur. Celui-ci, pour l'apaiser, lui promet de lui faire retrouver sa cassette, s'il veut lui donner, au moins, quelque marque de générosité : Euclion lui baise les pieds et promet tout ce qu'on veut. Tous les personnages réunis sont d'accord, Pleuside est réconcilié avec Zélie ; Epidique à qui Euclion veut prouver qu'on ne doit pas s'approprier le bien d'autrui, est converti tout-à-fait par Plaute, pose la cassette aux pieds de l'avare.... Mais Plaute étonné, ravi, met le pied dessus, et jure par les Dieux que cette cassette lui appartient, et qu'elle lui a été prise dans le pillage de Sarcine. Euclion assure qu'elle est à lui ; Plaute s'écrie :

Romains, vous étiez donc de ces Carthaginois !

Euclion veut garder la casette : Plaute lui adresse les mêmes raisonnemens que l'avare adressoit à l'instant même à Epidique ; puis il lui dit : si cette cassette est à vous, vous devez savoir ce qu'elle contient : — De l'or, s'écrie Euclion, rien que de l'or ! Plaute, à ces mots, ouvre un double fond et fait voir ses manuscrits qu'il préfère au trésor. Il affranchit Epidique, à qui il doit cette heureuse trouvaille, et espère qu'il va bientôt offrir au public, son Amphitrion, et son Rudens, et même son Aulularia et Epidicus dont il vient de concevoir l'idée.

Cette pièce a éprouvé quelque défaveur à la première représentation. Une partie des spectateurs qui apparemment n'a jamais lu Plaute, accusoit l'auteur d'avoir pillé Molière : la seconde représentation a été mieux écoutée et mieux jugée ; la pièce jouit maintenant du succès qu'elle mérite. Les mœurs des Romains y sont peintes avec vérité, les principaux personnages de Plaute y jouent le rôle que lui-même leur a tracé. L'action est bien liée, elle présente des scènes comiques ; le style, quoiqu'inégal, offre des beautés. Le rôle de Plaute brille d'une excellente morale, dont lui-même a fourni à son peintre les principaux traits. Talma, si parfait dans la tragédie, a montré que son talent pouvoit se plier à tous les genres. Il a mis dans le rôle de Plaute une vérité frappante, un naturel exquis. Grandmesnil devoit jouer de droit le rôle d'Euclion. Michot a mis dans celui d'Epidique toute la rondeur convenable. Baptiste aîné et Armand jouoient Daemone et Pleuside ; l'ensemble a été parfait. Mademoiselle Mars cependant ne me paroît pas avoir saisi le rôle de Zélie : c'est une coquette, et elle l'a joué en ingénue : mais son talent est si aimable, et on a tant de plaisir à la voir qu'on lui pardonne volontiers une légère inconvenance.

M. Le Mercier, auteur de cette pièce, doit peu s'affliger des injustes censures qui en ont été faites. Sans doute son ouvrage n'est pas sans défaut, mais il est bien au dessus de beaucoup d'autres que ses détracteurs ont porté aux nues.

Les Deux chasseurs et la laitière, pièce à laquelle renvoie la note, est un opéra-comique en un acte, de Louis Anseaume, musique de Duni, créé à l'Hôtel de Bourgogne le 23 juillet 1763. Elle a connu un très grand succès.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome III, mars 1808, p. 257-265 :

[La pièce de Lemercier est originale : elle tente de faire renaître Plaute, son œuvre, « ses conceptions comiques ». Le compte rendu commence par revenir sur l’histoire de ses comédies à travers le temps. Son comique paraît aujourd’hui « défectueux, borné dans ses moyens », et est bien éloigné de la conception moderne du théâtre comique. Le critique explique ce que ce théâtre a de choquant par son appartenance à « l'enfance de l'art » et rappelle tout ce que Molière et Regnard lui doivent. Leurs œuvres sont « bien supérieures à celles de l'antiquité, mais fortes des conceptions premières des anciens, embellies de leurs meilleures idées, et même de leurs traits les plus heureux » (l’art progresse avec le temps...). Lemercier s’inscrit dans leur lignée, et il veut « non pas donner une comédie imitée des latins, mais à-peu-près la comédie latine elle-même ». Un prologue présente le sujet, l’intrigue est conforme à ce que sont les intrigues des pièces de Plaute. La part d’invention de l’auteur moderne est d’avoir placé Plaute parmi ses personnages, utilisant leur vie pour écrire ses propres pièces. « Ainsi nous voyons Plaute empruntant à la société elle-même ses plus véridiques tableaux, et notre auteur moderne les reproduisant par une fiction assez heureuse ». Une telle pièce fait « naître des opinions très opposées », très élogieuses ou très critiques. Le critique tente de construire un jugement équilibré en partant de la personnalité de Lemercier. Défauts et qualités sont fortement imbriqués, et si on peut y voir une erreur et une fausse conception, cette erreur ne peut être que l'œuvre d’« un homme d'esprit et de talent ». La représentation a été écoutée avec attention, mais à sa moitié des signes d’opposition sont apparus, attribués à « la faiblesse de l'intrigue, la nudité de l'action, la franchise de quelques expressions » sans empêcher le succès. Quant au jeu des acteurs, celui de Talma a permis d ele voir dans un rôle inhabituel, où il a excellé, Michot a réussi, mais Grandmesnil a été trahi par ses moyens. Le petit rôle de Mlle. Mars a été remarqué : elle a su adoucir «  quelques traits un peu libres ».]

THÉATRE FRANÇAIS.

Plaute ou la Comédie latine.

La comédie française vient de donner la première représentation de Plaute ou la comédie latine. Elle s'est ainsi un moment travestie elle-même ; elle a pris un masque antique, adopté des mœurs qui lui sont étrangères, emprunté un langage qui nous est peu familier ; et sollicitant l'indulgence du parterre parisien pour quelques scènes de la vie des Athéniens, transportées sur le théâtre de Rome, elle vient de nous offrir dans le même cadre, le portrait de Plaute, quelques-unes de ses conceptions comiques, plusieurs de ses personnages, et une imitation assez fidelle de la manière de cet auteur.

Plaute était plus estimé de ses contemporains et des écrivains illustres qui vécurent après lui, qu'il ne paraît l'être de nos jours. Cicéron, définissant la bonne et la mauvaise plaisanterie, dit que cette dernière est sans bornes, sans mesure, indécente, obscène ; que l'autre, au contraire, est élégante, pleine d'urbanité, ingénieuse, agréable ; et il la reconnaît, dans Plaute, comme dans l'antique comédie grecque, et comme dans les écrits des philosophes de l'école de Socrate : un grand nombre d'autres noms illustres, Pline le jeune, Quintilien, Varron, confirment le témoignage de l'orateur latin, et Plaute est toujours placé par eux au nombre des écrivains de Rome qui ont le mieux conçu le génie de leur langue, mérite très grand dans un auteur qui florissait avant que cette langue fut arrivée à sa perfection.

Dans le siècle d'Auguste, on paraît avoir jugé plus sévèrement les écrits de Plaute : Horace s'étonne que ses aïeux aient admiré les vers et les bons mots de ce poète avec tant de complaisance : de nos jours, on a oublié l'avis de Cicéron, pour se souvenir seulement de celui d'Horace, et la sévérité de nos commentateurs modernes, pourrait bien aller à l'égard de Plaute jusqu'à l'injustice.

On trouve le comique de Plaute défectueux, borné dans ses moyens : ses personnages, dit-on, sont toujours les mêmes ; l'uniformité des intrigues est égale à celle du style, et ce style est celui de la bouffonnerie, souvent la plus plate et la plus grossière. Il ne connaît point les convenances théâtrales ; les acteurs causent sans cesse avec les spectateurs ; les scènes sont remplies de longs à parte sans motif et sans vraisemblance ; il présente des tableaux révoltans, et peint des mœurs infâmes. Ces reproches peuvent être fondés généralement ; mais il en est qu'il faut reporter au temps où Plaute vivait, et peut-être aux modèles qu'il avait suivis, et que nous ne connaissons point.

Il y aurait plus d'impartialité et de justice à dire : le théâtre de Plaute se ressent de l'enfance de l'art ; il est loin d'être épuré, et d'être ce que son auteur l'eût fait dans un autre siècle ; mais enfin ce Plaute a fourni à Molière Amphytrion, Scapin, et sur-tout l'admirable et profond caractère de l'Avare ; à Regnard l'idée si plaisante des Ménechmes, idée tant de fois empruntée et retournée depuis par les auteurs de toutes les nations, et le sujet si amusant du Retour imprévu. Voilà des titres incontestables à la gloire, et il nous convient de les reconnaître nous-mêmes avec une sorte d'orgueil, pour rehausser d'autant plus l'impérissable renommée de notre Molière qui, en empruntant au comique latin, semble, comme il le disait lui-même, avoir repris son bien ; qui n'a dérobé que pour en faire le plus noble usage ; qui n'a rien emprunté que pour le revêtir d'un nouvel éclat, et, par son choix même, a rendu un hommage solennel au génie qu'il admettait à soutenir le sien.

Molière, Regnard et quelques autres ont étudié la comédie latine, s'en sont nourris; et à l'aide d'un travail soutenu et d'un goût éprouvé, ils ont habilement distingué dans cette mine précieuse ce que le métal offrait de plus pur. Ils ne nous ont point donné la comédie latine, ou plutôt la comédie grecque, reproduite par les comiques latins ; ils nous ont donné des comédies françaises bien supérieures à celles de l'antiquité, mais fortes des conceptions premières des anciens, embellies de leurs meilleures idées, et même de leurs traits les plus heureux.

M. Louis Lemercier a été entraîné sur des traces nouvelles par le charme d'une idée qui, pour un homme aussi familiarisé avec les anciens qu'il l'est en effet, ne laissait pas que d'être séduisante : il a voulu non pas donner une comédie imitée des latins, mais à-peu-près la comédie latine elle-même, et c'est à cette partie de son titre qu'il faut s'attacher pour bien juger sa pièce : un prologue en indique le sujet, et l'auteur y cherche à se concilier les suffrages ; un monologue expose l'action et fait connaître le principal personnage. L'intrigue est absolument et uniquement celle que l'on trouve partout dans les théâtres anciens : c'est un jeune homme amoureux d'une esclave, puis l'achat de cette captive par le père de ce jeune homme, les ruses d'un valet, le vol d'un trésor, les cris de fureur d'un avare, des suppositions de noms, une reconnaissance et un dénouement tels que Molière n'a pas dédaigné d'en employer pour l'Etourdi, le Dépit amoureux, les Fourberies de Scapin, et l'Avare lui-même.

Jusqu'ici il n'y a rien à l'auteur moderne ; il copie beaucoup plus qu'il n'invente, et dans le 1théâtre de Plaute même, l'Eygicippe, le Mercator, et l'Aulularia sont les sources auxquelles il puise très-librement : mais l'idée qui lui appartient est celle ci ; il place Plaute au milieu de ses divers personnages et des intérêts qui les font agir ; Plaute, maltraité par la fortune, privé de ses biens les plus chers, ses manuscrits dérobés par des pirates ; Plaute réduit à tourner la meule comme un vil esclave, mais supportant son adversité avec ce courage que donne et entretient le sentiment d'une situation non méritée, et d'un talent méconnu. Le poëte agit d'abord avec ceux qui l'entourent, mais bientôt étudiant leurs caractères, leurs dispositions, leurs mœurs, il cesse d'agir, il écoute ; il observe, et trouve dans les hommes qu'il a sous les yeux les personnages propres à la scène, dans la conduite qu'ils tiennent, une intrigue toute faite, un plan tout arrêté : ces personnages semblent jouer pour lui la comédie, et lui l'écrire, sous leur dictée ; ainsi nous voyons Plaute empruntant à la société elle-même ses plus véridiques tableaux, et notre auteur moderne les reproduisant par une fiction assez heureuse en présence même et sous les yeux du poëte qui les a tracés.

Il est de la nature d'un tel ouvrage de faire naître des opinions très opposées. Il est impossible de lui marquer sa place parmi nos bonnes pièces ; mais il est possible de dire en en parlant avec beaucoup d'irréflexion, de légéreté et sans une grande connaissance de cause, que c'est un ouvrage détestable. Entre ces deux opinions, il y en a une moyenne que nous essayerons d'établir.

L'ouvrage de M. Lemercier n'est pas celui d'un homme ordinaire et médiocre, habitué à se traîner sur les pas des autres, et à faire comme eux, dût-il faire beaucoup plus mal. Je ne sais s'il vise à l'originalité, et s'il a de la prétention à cette qualité si voisine d'un défaut ; mais certainement il y a de l'originalité dans son esprit, de la force dans son imagination, de la variété dans ses idées, et sur-tout, son talent est secondé de beaucoup d'instruction. Il faut convenir ensuite qu'il paraît susceptible de s'égarer dans les routes nouvelles où il se lance comme à l'aventure, et d'où un goût plus sûr, une réserve plus prudente l'écarterait sans doute pour le faire rentrer dans celle où il avait paru avec tant d'éclat. Sa tête est méditative , et son imagination poétique ; il a l'élan et la verve nécessaire à la poésie, s'il n'a pas toujours l'élégance et l'harmonie du poète ; il est doué du goût le plus sûr quand il discute sur les principes de son art, et sur les écrits des autres, et son goût a besoin d'être éclairé quand il doit revoir ses propres ouvrages, ou en choisir le sujet. Son style se ressent naturellement de ces dispositions de son esprit : épris de cette idée, que plus il choisit le mot propre, fût-il le moins noble, et plus il ajoute à la force de sa pensée, voulant à tout prix être à-la-fois fort et concis, trop disposé à sacrifier la poésie chargée d'ennoblir l'expression, à la philosophie dont le soin est d'approfondir l'idée, il évite difficilement le double écueil de l'incorrection et de l'obscurité : son dialogue a des défauts et des qualités également sensibles ; il est quelquefois long, chargé de détails parasites et de lieux communs ; souvent la phrase y est concise, le trait vif, et le tour heureux : le ton est en général franc et naturel; l'auteur paraît craindre de s'élever, et ne craint pas assez de descendre ; mais il a des idées comiques qu'il exprime du ton et dans les termes qui leur sont propres : sa comédie nouvelle est pleine de traits saillans, ingénieux, qui sortent bien tantôt du caractère, tantôt de la situation ; mais des taches qui n'appartiennent qu'à lui, et que lui seul peut laisser subsister, déparent les meilleurs morceaux : le plus léger examen les ferait disparaître : des coupures faciles donneraient à l'ouvrage plus de mouvement et de vie : la pièce réduite dans quelques parties pourrait encore paraître à quelques-uns le résultat d'une erreur et d'une fausse conception ; mais il serait difficile de nier que ce ne fût là une de ces erreurs peu communes, dont un homme d'esprit et de talent peut seul se rendre coupable.

La pièce a été écoutée avec une attention soutenue, un vif intérêt et une bienveillance marquée pendant un prologue ingénieux et assez bien écrit, mais très-mal joué, et le premier acte : la faiblesse de l'intrigue, la nudité de l'action, la franchise de quelques expressions poussées jusqu'à la rudesse, ont indisposé, vers le milieu du second acte, quelques spectateurs, qui dès-lors se sont obstinément maintenus dans une opposition bruyant : ils ont souvent interrompu sans vouloir entendre, et n'ont point applaudi quand ils ont reconnu qu'ils avaient eu tort d'interrompre ; leur obstination leur gagnait quelques suffrages, lorsque le dénouement est venu les reconquérir à l'auteur ; il est neuf, imprévu, ingénieux ; il fait ressortir à la fois deux caractères , celui de l'avare au désespoir de perdre son or, celui du poëte transporté de joie en retrouvant ses manuscrits. Cette situation a décidé le succès de l'ouvrage ; et lorsque, à la manière de Plaute lui-même, l'auteur a terminé sa pièce par prier les spectateurs d'être indulgens et d'applaudir, le nombre de ceux qui ne l'ont pas exaucé était singulièrement diminué.

Le jeu des acteurs ou plutôt d'un acteur a beaucoup fait pour le succès de la pièce ; il le faut dire à l'auteur lui-même, dont l'ouvrage, revu et châtié avec soin, sera peut-être lu avec plus de plaisir que vu à la scène. Talma a joué le rôle de Plaute, et l'on ne peut se faire une idée de l'aisance, du naturel, de la justesse de diction et de la grace parfaite dans le maintien et dans le geste de ce grand comédien, dénouant ici le cothurne pour chausser le brodequin ; c'étaient d'autres effets, la même intelligence ; d'autres moyens, la même vérité ; un autre genre, le même talent. Michot a été très-plaisant dans le rôle d'Egycippe, qui, réduit à se pendre, craint de passer pour avoir été pendu, et cependant passe par-dessus le point d'honneur, et se résout à mourir sans vanité. Grandmesnil joue trop bien Molière pour n'avoir pas bien joué l'un des maîtres de ce maître immortel dans son art ; il a rendu le rôle d'Euclio, le vieillard avare, avec un feu, une verve et une expression de physionomie inconcevable à son âge ; mais ses moyens l'ont trahi, son organe s'est altéré, et il n'a fait entendre que des cris sans accent où il était nécessaire de faire reconnaître l'accent de la nature et de la passion. Les autres rôles sont trop peu de chose pour être cités ; cependant Mlle. Mars mérite de l'être pour avoir adouci aux yeux des spectateurs français, et comme l'exige la décence de notre scène, quelques traits un peu libres d'un rôle qui appartient tout-à-fait à la comédie latine.                        S.

Annales dramatiques, ou Dictionnaire général des théâtres, tome VII, p. 394-395 :

[Pour le critique, la pièce met aux prises « les partisans du bon goût et ceux de l'auteur » : la pièce « forme un tout monstrueux »...]

PLAUTE, ou LA Comédie Latine, comédie en trois actes , en vers, par M. Lemercier, au« Français.

Un jeune homme, amoureux d'une esclave nommée Pulchérine, mise en vente par des corsaires, voudrait bien l'acheter; mais il n'a point d'argent. Dans son embarras, il s'adresse à son valet qui vient à bout de persuader à Euclyon, vieil avare, que Pulchérine est sa nièce, et qu'il doit la racheter. Mais, après avoir réussi dans cette partie, la plus difficile de son entreprise, il se fourvoie dans l'autre, et confond l'esclave avec Délie que son maître aimait, et dont il ne veut plus. Le maître, furieux du quiproquo, ordonne à son valet, sous peine de la vie, de lui racheter l'esclave. Le valet, hors d'état de remplir cette condition, se décide à se pendre, pour empêcher que son maître ne le tue. Ici, comme dans La Fontaine, le mur auquel tient la corde, s'écroule, et il en tombe une cassette à double fond, renfermant à la fois de l'or et des manuscrits : l'un appartient à Euclyon, les autres à Plaute. Ce dernier, témoin du vol, et jaloux de ravoir ses écrits, avertit Euclyon, qui fait rendre gorge au valet. Quant à l'aventure des deux filles, dont la cassette n'est qu'un épisode, il se trouve à la fin que Pulchérine est vraiment la nièce d'Euclyon, et que Délie elle-même a eu la générosité de la racheter des corsaires.

Cette pièce, très-originale, est semée de traits d'esprit ; on y trouve quelques beaux vers, des pensées hardies, des intentions ingénieuses ; mais elle forme un tout monstrueux, qui n'est ni tragédie, ni comédie , ni drame. Pleine de beautés et de défauts, elle devait plaire aux uns et déplaire aux autres. C'est ce qui arriva. De ce conflit d'opinions est résulté un combat réel entre les partisans du bon goût et ceux de l'auteur. Mais, grâces à M. Talma, la Comédie latine obtint quelque succès.

D’après la base La Grange de la Comédie Française, la pièce, une comédie en trois actes en vers libres et un prologue, de Louis-Népomucène Lemercier, créée le 20 janvier 1808, n’a connu que 8 représentations, toutes en 1808.

(1) Tout ce que l'on sait de Plaute, c'est qu'il étoit de Sarcine, ville d'Ombrie, et qu'après avoir perdu son bien, il fut obligé de tourner la meule d'un moulin, pour vivre. On croit qu'il vivoit vers l'an 500 ou 520 de la fondation de Rome. Il nous reste vingt de ses pièces, presque toutes entières, et des fragmens de quelques autres.

(2) Cette scène où le vieillard veut supplanter son fils a été mise par Destouches dans le Glorieux

(3) On sait qu'à Rome les maîtres avoient sur leurs esclave» droit de vie et de mort.

(4) Comme dans les Chasseurs et la Laitière et dans la fable de La Fontaine.

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