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Poinsinet, ou Que les gens d'esprit sont bêtes !

Poinsinet, ou Que les gens d'esprit sont bêtes ! comédie en un acte, en prose & vaudevilles, de J. M. Deschamps, 13 avril 1793.

Théâtre du Vaudeville.

Titre :

Poinsinet, ou Que les gens d'esprit sont bêtes !

Genre

comédie en vaudevilles

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

13 avril 1793

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville

Auteur(s) des paroles :

J. M. Deschamps

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 8 (août 1793), p. 328-333 :

[Le critique n’aime pas le sous-titre de la pièce : il ne pense pas que « les gens d’esprit sont bêtes », et il argumente contre l’exclamation ironique de l’auteur. Il est également fort choqué par l’idée qu’un homme puisse être séduit par un dragon déguisé en femme. C’est à ses yeux « une mystification […] que la délicatesse auroit voulu qu'on [...] épargnât » au public. « Ce qui nous choque dans ce couplet », le critique ne peut même pas le nommer : « il est de ces choses qu'on ne sauroit laisser entrevoir sans faire rougir la pudeur toujours prête à s'allarmer ». Occasion de rappeler « qu'au théatre on ne doit jamais perdre de vue le but moral, & qu'il ne faut pas prendre pour une pensée simple, & encore moins pour une maxime, une phrase qui n'offre qu'une antithese ». Maxime que l’auteur est évidemment invité à méditer, et qui lui évitera sans doute de se tromper dans le choix de ses intrigues, comme il l’a fait (aux yeux du critique) avec l’histoire de ce pauvre Poinsinet. Ce qu’il faut représenter au théâtre, c’est les ridicules « qui tiennent des mauvaises mœurs et des vices », et non « ceux qui viennent de la nature ».]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Poinsinet, ou Que les gens d'esprit sont bêtes ! comédie en un acte, en prose & vaudevilles ; par M. Deschamps.

Est-il bien vrai que M. Deschamps ait fait cette piece pour prouver que les gens d'esprit sont bêtes ? Qu'il nous soit permis d'en douter : au surplus, nous allons voir. Réfugié à la campagne, à cause d'une mystification qu'on lui a faite à la ville, le malheureux Poinsìnet trouve encore des mystifications dans sa retraite. Le neveu de madame d'Ermance, sa voisine, & caché chez elle, déguisé en femme, pour éviter les poursuites de la justice, à cause d'un duel dont il est resté vainqueur, est du nombre de ces derniers. Il peut d'autant plus facilement se moquer de Poinsinet, que ce pauvre diable est devenu amoureux de cet officier de dragons, connu dans le village sous le nom de mademoiselle Adele. Pendant que l'homme-de-lettre file l'amour parfait, Versac, son ami, qui ne connoît d'autre plaisir que le persifflage, veut aussi le mystifier, & c'est pour cela qu'il lui inspire les plus vives craintes, en lui assurant que le bailli du village, avec lequel il est d'intelligence, a des ordres pour s'assurer de sa personne, à cause d'une lettre qu'il a écrite à l'impératrice de Russie, pour la remercier de ce qu'elle a daigné le faire recevoir de l'académie de Pétersbourg.

Poinsinet veut en venir à des explications avec le bailli. Celui-ci prétend que le ministre a trouvé Poinsinet suspect, parce que sa lettre ayant été interceptée, n'a été comprise de personne. L'auteur proteste qu'elle ne contient que les expressions de la plus vive reconnoissance, & que ceux qui se sont mêlés de la traduire sont des ignorans. Pour le prouver, il montre une copie de cette lettre ; le magister la prend, reconnoît le jargon de Quimpercorentin, & déclare que cette lettre est écrite en bas-breton.

Poinsinet est désolé d'avoir perdu quatre mois à l'étude de cette langue, tandis qu'il croyoit apprendre le russe ; mais l'amour lui fera oublier ce désagrément, & la charmante Adele le consolera bientôt en lui donnant sa main. Alors Dorval-Adele paroît en habit militaire, & conseille au poëte de ne pas épouser un capitaine de dragons, quand il voudra se marier.

Heureusement, pour mettre fin à tant de mystifications, madame d'Ermance arrive de Paris, & apprend à Poinsinet que sa comédie du Clercle [sic] vient d'obtenir le plus grand succès. Ah ! lui dit-elle :

Que n'avez-vous vu votre ouvrage
Couronné du plus beau succès,
N'éprouvant pas le moindre orage,
Malgré les cabaleurs tout prêts ;
Forçant de rire & de se taire
Les spectateurs les plus distraits.
Et ce qui doit encore vous plaire,
Joué.... comme on joue aux François.

Quoique vez, vous, vu, vo, vra, formant de bon compte cinq syllabes, ne fassent pas un bien harmonieux effet dans un vers de huit pieds, il n'en est pas moins certain que le couplet est charmant, à cause de la vérité qui lui sert de pointe, & que le public a raison de le faire répéter.

Mais est-il bien vrai que les amours de l'Adele-capitaine soient une mystification ? & si cela est, peut-on, à cause de cela, reprocher à Poinsinet d'être trop bête pour un homme d'esprit ? Nous ne le croyons pas. L'officier de dragon ressemble si parfaitement à une femme, que tous les paysans & toutes les paysannes du village partagent l'erreur du poëte. Or, quand une erreur est celle de tout le monde, il n'est pas très-ridicule de la prendre pour une vérité. Il s'ensuit donc de-là que Poinsinet n'est pas si bête pour un homme d'esprit, ou bien que les paysans sont bêtes comme les gens d'esprit, & alors il falloit généraliser la proposition, & il ne falloit pas dire : Que les gens d'esprit sont bêtes, mais que les hommes sont bêtes ; ce qui peut-être auroit été plus vraisemblable.

Quoi qu'il en soit, nous dirons, quand bien même l'auteur de Poinsinet voudroit nous mettre au rang des gens d'esprit, qu'il n'est rien moins que comique de voir persiffler, berner par de mauvais plaisans, un homme foible & crédule, mais estimable ; & que les ridicules qu'on doit châtier au théatre ne font pas ceux qui viennent de la nature, mais ceux qui tiennent des mauvaises mœurs & des vices ; sans cela le poëte, pour faire rire, n'auroit qu'à aller chercher ses personnages & leurs caracteres aux petites maisons. Diantre, ce seroit une idée nouvelle ! & îl est bien singulier qu'on ne se soit pas avisé jusqu'à présent de mettre Bicêtre & Charanton sur la scene.

Les détails de la comédie de Poinsinet sont allez agréables. Il y a trop de récits, pas assez d'action. En convenant pour un moment que les mystifications de Poinsinet pourroient être plaisantes, il falloit les voir, & ne pas les entendre raconter. Mais une mystification que l'officier Dorval, amoureux d'Hortense, fait au public, & que la délicatesse auroit voulu qu'on lui épargnât, est le couplet suivant, que le capitaine de dragons chante à sa maîtresse, sur l'air du vaudeville d'Arlequin afficheur.

Chere Hortense, que diriez-vous,
Si vous saviez qu'ici l'on m'aime ;
Que l'on m'envoie des billets-doux,
Qu'on me marie aujourd'hui même ?
Je n'en serai pas moins à vous.... (Mais,)
Laissez-moi sans être jalouse,
Avant le bonheur d'être époux,
        Le plaisir d'être épouse.

Nous ne voulons pas dire ce qui nous choque dans ce couplet, on doit assez le sentir ; il est de ces choses qu'on ne sauroit laisser entrevoir sans faire rougir la pudeur toujours prête à s'allarmer. Il vaut mieux faire observer que le vaudeville de Poinsinet est terminé par un couplet singulier, dont le refrain est : Qu'aujourd'hui l'auteur est bête ! C'est ce dont nous ne conviendrons pas, quoique M. Deschamps ait déjà plusieurs fois prouvé au théatre qu'il peut être compté parmi les gens de goût & d'esprit. Nous aimons mieux assurer qu'il s'est trompé cette fois, aliquando bonus dormitat Homerus, & qu'il a eu tort de faire chanter au public, au sortir de la représentation : Qu'aujourd'hui l'auteur est bête ! Mais ce petit malheur sera bon à quelque chose, s'il lui prouve qu'au théatre on ne doit jamais perdre de vue le but moral, & qu'il ne faut pas prendre pour une pensée simple, & encore moins pour une maxime, une phrase qui n'offre qu'une antithese dont les mots, comme le dit Boileau, sont tout surpris de se trouver ensemble.

César : le titre donné se réduit à Poinsinet. Auteur inconnu, d'après César. Première le 13 avril 1793. 17 représentations jusqu'au 5 août 1793.

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