Proserpine

Proserpine, tragédie lyrique en trois actes de Quinault, retouché par Guillard, musique de Paësiello. 8 germinal an11 [29 mars 1803].

Théâtre de la République et des Arts

Almanach des Muses 1804

Corrections heureuses, mais point d'intérêt. Musique plus agréable que théâtrale et digne cependant du célèbre Paësiello.

Sur la page de titre de la partition, à Paris, chez Imbault :

Proserpine Tragédie Lyrique de Quinault Remise au Théâtre avec des Changements et réduite en trois actes Par M. Guillard Mise en Musique par Mr. G. Paisiello

Courrier des spectacles, n° 2215 du 9 germinal an 11 [30 mars 1803], p. 2:

[La première a été visiblement un événement, et le Courrier des spectacles a publié deux articles copieux sur cet opéra rénové, et il avait même prévu d’en publier au moins un troisième, que je n’ai pas trouvé. Le succès n’a pas vraiment été au rendez-vous, et il n’y a eu que 13 représentations de Proserpine.]

Théâtre de l'Opéra.

Un succès brillant vient de placer l’opéra de Proserpine au rang des premiers chef-d'œuvre de notre scène lyrique, et d’ajouter encore à la célébrité de Paësiello. Il n’y a point de genre pour le génie, et d’un vol également assuré il passe du gracieux au terrible, du simple au sublime. L’homme étonnant dont la lyre accompagne les pas d’une Meûnière coquette ou la voix d’une Pupile captive, change de ton, et exprime avec une habileté nouvelle les plaintes de Proserpine, la sombre passion de son ravisseur, les inquiétudes de ses compagnes et le désespoir de Cérès. Toutes les parties de cette belle composition sont autant de tableaux achevés, et l’impression qu’ils laissent au fond de l’ame est telle qu’il y auroit de la témérité à prétendre les retracer ici. Ils exigeront des détails suivis, et le temps aujourd’hui ne nous laisse que la liberté de dire quelque chose du poëme.

C’est la Proserpine même de Quinault, que Paësiello a mise en musique cent vingt-quatre ans après Lulli, et tel étoit aussi le génie de ce dernier, que quelques-uns des morceaux de son opéra exciteroient encore aujourd’hui l’admiration des amateurs les plus délicats. Proserpine fut représenté pour la première fois en 1680, à St-Germain-en-Laye, où la cour étoit alors, et donné quelques mois après à Paris. Ce fut dans cet opéra que débuta par le rôle d’Aréthuse la fameuse mad. Rochois, la Saint-Hyberti de son tems. Lully la consultoit sur ses ouvrages et lui en attribuoit souvent la réussite. C’étoit le dixième qu’il composoit et le douzième de ceux qui avoient été représentés jusqu'alors. Le goût de la musique n’étoit pas ce qu’il devoit devenir un sièce plus tard. Les yeux ne pouvoient se rassasier d’un spectacle nouveau pour la France, et on ne traitoit pas un sujet sans mettre à contribution pour ainsi dire toute la mytologie. De là des métamorphoses, des effets de théâtre et des changemens qui multipliant les jouissances, rendoient plus difficiles sur la régularité de l’action ; de là une foule d’épisodes étrangères au sujet. Dans Proserpine, par exemple, la scène se trouvant en Sicile, il paroissoit naturel d’introduire Alphée et Aréthuse. Ce défaut, la prodigieuse surabondance des récitatifs et des cœurs [sic], nécessitoient des changemens considérables, et ils ne pouvoient être confiés qu’à un homme digne par ses talens éprouvés, de toucher aux vers du premier de nos poêtes lyriques ; ce soin appartenoit à l’auteur d'OEdipe à Colonne, et M. Guillard s’en est parfaitement acquitté. Les retranchemens judicieux qu’il a faits, les vers qu’il a été obligé d’ajouter pour lier les scènes et continuer le sens, ont fait de Proserpine un poême régulier. Par une poésie aussi facile que celle dont il avoit le modèle sous les yeux, il a secondé la verve du compositeur.

On ne voit dans le nouvel opéra que les personnages nécessaires. Proserpine, Cyanée sa fidèle compagne, et les autres nymphes interrompent leurs jeux et leurs chants pour témoigner des regrets de Cérès, qui par un ordre de Jupiter quitte la Sicile pour aller fertiliser la Phrigie. Pluton, profitant de la scurité des Nymphes et d’un moment où elles se sont toutes éloignées en cueillant des fleurs, enlève Porserpine malgré les efforts de Cyanée, qui d’après la menace du dieu des Enfers, doit perdre l’usage de la voix si elle se hasarde jamais à révéler ce qu’elle a vu.

Cérès est de retour, aucune des Nymphes n’ose paroitre à sa vue : elle les appelle, les interroge sur le sort de sa fille. Cyanée accourt éplorée ; elle va nommer le ravisseur, elle est tout-à-coup privée de sa voix. Cérès accuse l’injustice des Dieux, et par ses ordres les Nymphes vont allumer des flambeaux dans les flancs de l’Etna, et embrasent les forêts et les moissons.

Pluton cherche à captiver le cœur de Proserpine par les plaisirs que présente le séjour de l’Elysée. Les ombres forment des jeux qui bientôt sont interrompus par l’arrivée d’un messager de Jupiter, chargé de redemander Proserpine. Le conseil des Enfers s’assemble, Pluton le préside, et la sentence est prononcée sans retour : Les Enfers ne rendent rien. Les divinités infernales se sont même armées pour s’opposer aux volontés de Jupiter ; mais Pluton a cédé. Proserpine unie à ce dieu, doit habiter alternativement l’Olympe et le Ténare ; et les Dieux célèbrent en chœur les charmes d’une éternelle paix.

Comme on le voit, par cet apperçu, plus d’épisodes ni de personnages superflus ; l’action est plus régulières et plus rapide, mais il y a des scènes, principalement dans le troisième acte, qui sont necre trop longues. La composition a dû nécessairement se ressentir de ce défaut, et à cet égard, quelques retranchemens seront peut-être indispensables.

On a tout employé pour donner de l’éclat à ce nouvel opéra. Plusieurs décorations sont fort belles ; on a sur-tout admiré celle qui représente les campagnes voisine de l’Etna, vues à travers les ruines d’un temple d’ordre pestum ; et une autre représentant les Champs-Elysées. Les ballets sont tous remarquables par le goût avec lequel ils sont composés.

Nous reviendrons très-incessamment sur ces différens objets, et c’est encore avec regret que nous différons de parler de la beauté de l’orchestre dans tout le cours de l’ouvrage, ainsi que de la manière distinguée dont les artistes ont rempli leurs rôles. Le plus considérable de tous est celui de Cérès, dans lequel Mlle Armand a fait preuve d’un talent supérieur.

Boucher.

Courrier des spectacles, n° 223 du 17 germinal an 11 [7 avril 1803], p. 2-3 :

Sur l’opéra de Proserpine.

Si l’expression et le caractère sont les deux qualités qui constituent le mérite de la composition en musique, il est aisé d’apprécier les beautés qui distinguent la Proserpine de M Paesiello. Une mélodie toujours riche, toujours variée, une harmonie toujours sage, toujours pittoresque, dans les airs le mouvement le mieux adapté, le ton le plus convenable à la situation, la coupe la plus favorable au rithme de la poésie, souvent des beautés frappantes à l’accompagnement, mais sur tout l’art plus difficile qu’on ne pense de bien prosodier rangeront la partition de cet opéra au nombre de celles sur lesquelles on se plaira toujours à revenir. Seulement il seroit important de supprimer encore quelques redites ; et ce sacrifice deviendroit d’autant plus nécessaire dans le poëme différentes situations sont foibles, languissantes, presque sans intérêt.

La simphonie est du stile le mieux soutenu ; ce n’est pas un travail dans lequel on ait voulu donner l’apperçu de toutes les situations du drame. Tous les sujets lyriques ne comportent pas cette espèce d’effort; et quelquefois le musicien pour s’être astreint à faire d’une ouverture ce qu’il appeloit le programme de la pièce n’a présenté qu’un assemblage scientifique d’incohérence. Le goût sage et raisonné peut-il attendre autre chose de ces morceaux de simple préparation que le ton d’expresiion qui caractérise le plus généralement l’ouvrage. Telle est la teinte douce et animée qui règne dans la simphonie de Paésiello. Un seul crescendo est tout ce qu’on y remarque de plus vigoureux que le reste ; s’il avoit multilié les grandie effets d’harmonie, il auroit écrasé ce chant léger des nymphes qui se retrouve à chaque instant : ce qu’il y a d’admirable, c’est la liaison de toutes les idées, c’est la continuité et l’analogie des phrases les plus mélodieuses, et la manière douce, pour ainsi dire insensible dont est ramené léchant gracieux qui forme le motif. A l’occasion du chœur des Parthes dans l’opéra d’Adrien, nous avons parlé de l’effet que produisoient toujours les tutti bien employés soit de voix, soit d’instruments. La simphonie et l’opéra même de Proserpine présentent plus d’un exemple de cette nature. En un mot, il y a peu d’ouvertures dont le style soit mieux soutenu. Eu se livrant au détail des beautés qui règnent dans le premier acte il est impassible de ne pas remarquer à quel point les défauts du poëme ont entravé le génie du compositeur , et ce qu’il a fallu d’intelligence ou plutôt de profondeur à ce dernier pour corriger ce que le sujet avoit de lent dans sa marche et ce que l’action avoit quelque-fois d'invraisemblable ou d’inutile. Il est à regretter surtout que dans la retouche de ce poême on n’ait point changé le ton du fadeur et de galanterie qui domine dans toute la scène d’enlevement, justement la catastrophe du premier acte. Point de doute que si Pluton au lieu d’être le plus civil des ravisseurs étoit dans l’opéra ce que la Mythologie le représente, 1e musicien n’eût eu de quoi completter cet acte par quelque chose de caractérisé. Nous laissons à penser ce qu’alors le mouvement de la scène et la vigueur de la composition auroient eu de beau et sur-tout de régulier. Le têéme étoit tout tracé par l’entrée même de Pluton : Dieux infernaux accourez sur mes pas ; mais malheureusement un duo langoureux où domine le ton de la pastorale, en dénaturant la situation la plus importante et en obligeant le musicien à mettre du doucereux là où il falloit de la force, en détruit l’illusion qui ne repose que sur la vraisemblance et refroidit le spectateur qui s'attendoit à quelque chose de plus mâle et de plus frappant dans l’enlèvement de Proserpine par le redoutable dieu des Enfers.

Cette réflexion pour ne concerner que la fin de l’acte n’est cependant pas anticipée ; elle fera mieux connoitre que M. Paësiello a été constamment au niveau des plus célèbres compositeurs, lorsque son ame étoit saisie par la justesse des situations, électrisée par la vérité des caractères. Les Nymphes et les habitans de la Sicile ont à rendre des impressions opposées ; les douceurs de la paix leur sont plus sensibles par la sécurité ou les a laissés la punition des Géans ensevelis sous la masse pesante des monts, etc., et toutes ces images sont sublimes dans le chœur ; la coupe fiere et harmonieuse de cette idée supérieurement soutenue à la partie d’orchestre : Jupiter est victorieux ; le travail qu’exprime l’ensemble et l’accent des voix à ce beau vers, Et tout cede à l’effort de sa main foudroyante, la maniere heureuse dont le premier chant est ramené, en faut-il davantage pour dénoter le grand talent ?

Où les connoisseurs difficiles pouvoient attendre avec incertitude un étranger peu fait au genre de notre lyrique sérieux c’étoit au récitatif. Qu’on fasse alors attention à la césure et au ton correct du récitatif de Cérès dans le cours de la seconde scene ; qu’on remarque également avec quel goût ce récitatif se trouve coupé par le chant à mezza-voce. vif et pressant des Nymphes exprimant leurs regrets sur le départ de Cerès. Plus loin ces instances ont une teinte plus vive , plus forte et plus assurée ; le sens des paroles l’exige : Fiez-vous à nos soins. L’air de Cerès qui succede, quoique très beau, est dans un genre moins analogue peut-être à la situation, parce qu’il exprime par opposition deux sentimens, tandis que la strophe entiere n’en présente qu’un seul, celui du regret. Le luxe de ce morceau a tourné entièrement à l’avantage de la cantatrice, et Mlle Armand en cette occasion fait preuve d'une grande habileté.

A l’entrée de Pluton avec Ascalaphe, on retrouve la hardiesse et la dignité convenables au récitatif, on retrouve la justesse des inflexions et l’entente de la prosodie : l’air chanté par Ascalaphe est très-dramatique, mais toute cette strophe coupe encore 1’intérêt du dialogue de la scène, dont l’action gagneroit à ce léger sacrifice et à laquelle i1 suffit de l’air superbe et du duo moins parfait qui la terminent, pour être l’une des mieux écrites qu’on ait entendues à ce théâtre.

Ce qui suit est un tableau délicieux : les Nymphes s’annoncent en chantant dans le lointain ; le chant est ravissant , et cependant il est si simple, d’une mélodie si pure qu’il étoit presque impossible de ne pas le retenir en entier. Ce sont de ces jolies choses qui par leur seule expression se gravent d’elles-mêmes dans la mémoire.

Un court monologue de Pluton accompagne les dernières phrases dans le genre de ce qui forme le premier chœur d’Iphigénie en Aulide. On remarque ensuite dans le poëme un couplet qui devroit être chanté par Proserpine et qui n’est point exécuté ; il est cependant presque de rigueur à la situation ; la poésie en est d’ailleurs d’une extrême fraîcheur : Belles fleurs, charmant ombrage, il ne faut aimer que vous, etc. Ce passage est parfait dans Lulli, qui a composé dessus un chant doux en la mineur, dont la seconde phrase passe légèrement en ut majeur, et dont la chûte finale est mi mineur. Le caractère de ce morceau feroit encore une véritable sensation aujourd'hui. Dans la partition de M. Paësiello il est d’un effet très-pittoresque et doit certainement exciter les regrets des amateurs : a-t-on craint de ramener trop souvent les Nymphes en chœur, quand elles forment le principal agrément de ce premier acte ? On ne pouvoit au surplus couronner; mieux tant de beautés que par le Chant délicat, Séparons-nous ; une grace particulière respire dans tout ce morceau, et il faut bien remarquer encore l’expression de la ritournelle qui racheve ce chœur. Les bassons ont un véritable langage, ils sont en contrepoint avec les premiers violons et produisent l’effet le plus doux. (La suite incessamment).

B * * *.

J’ai feuilleté les numéros du Courrier des spectacles jusqu’au 30 avril, sans trouver cette suite promise.

Rapport du jury institué par s.m. l'empereur et roi, pour le jugement des prix décennaux (1810), p. 131 :

Proserpine n'a eu que treize représentations. La musique n'a pas paru digne de la célébrité de son auteur, quoiqu'on y ait trouvé un chœur d'une belle facture, un duo charmant, et quelques chants d'une mélodie agréable ; mais l'ouvrage, dans l'effet général, a paru froid, monotone et d'une longueur fatigante.

Félix Clément et Pierre Larousse, Dictionnaire lyrique ou Histoire des opéras (Paris, 1876-1881, Genève, Slatkine Reprints 1999), p. 555 :

PROSERPINE, tragédie lyrique de Quinault, réduite en trois actes par Guilllard, musique de Paisiello, représentée à l'Opéra le 30 mars 1803. Paisiello pouvait faire oublier Lulli dans cet ouvrage, s'il ne l'avait pas été déjà. Les situations de cette pièce convenaient parfaitement à son génie, mais non aux idées de l'époque. Cette mythologie avait trop longtemps défrayé le théâtre. Après avoir revêtu des formes majestueuses et solennelles sous Louis XIV, elle s'était rapetissée ; elle était devenue mignarde et familière au xviiie siècle. Elle ne pouvait reprendre une existence qu'en subissant une transformation conforme aux idées ou aux prétentions qui ont ouvert le xixe siècle. Paisiello a écrit un bel ouvrage qui, malgré la haute protection de Napoléon, n'a eu que treize représentations, et n'a jamais été repris. Toutefois, on chanta alors l'air de Cérès : Déserts écartés, sombres lieux, et le duo : Rendez-moi donc le bien qui m'était destiné.

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