Le Retour du mari

Le Retour du mari, comédie en un acte et en vers, de Ségur jeune, 25 janvier 1792.

Théâtre de la Nation.

Titre :

Retour du mari (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

en vers

Musique :

non

Date de création :

25 janvier 1792

Théâtre :

Théâtre de la Nation

Auteur(s) des paroles :

Ségur jeune

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Louis, marchand de Musique :

Le Retour du mari, comédie en un acte et en vers, par M. de Ségur le Jeune. Représentée pour la première fois au Théâtre de la Nation, le 25 Janvier 1792.

Mercure français, n° 8 du 25 février 1792, p. 105

[On sent un peu de regret dans la remarque initiale : le Théâtre de la Nation a choisi la solution de facilité en ne jouant que des « petites Pieces », mais cela n’enlève aucun mérite pourtant à ce Retour du mari, en un acte. Le récit de l’intrigue nous transporte dans un monde d’élégance tout à fait charmant, et le dénouement contient une bien belle morale. De plus, le style est sans reproche : «  toute l’élégance & la délicatesse possibles », tout comme l’interprétation, à la hauteur de ce que peut produire ce théâtre (c'est un compliment).]

Le Théâtre de la Nation paraît préférer aujourd’hui aux grands Ouvrages les petites Pieces, dont la mise est plus prompte & le succès plus certain, qui exigent moins de dépenses & coutent moins de peines. Presque tout cet hiver, ils n’en ont donné que de ce genre. On n’en a pas vu de plus jolies que le Retour du Mari par M. de Ségur.

Un mari, très-estimable & très-confiant, obligé de faire un voyage d’assez longue durée, laisse avec sa femme aimable & jeune, un jeune homme dont il a formé l’éducation. Une passion violente est entrée dans le cœur du jeune homme, & la femme elle-même n’y a pas été tout-à-fait insensible ; elle a eu au moins la faiblesse d’en souffrir l’aveu qui lui est répété chaque jour. C’est dans cette disposition des cœurs que le mari revient. L’embarras que cause sa vue lui fait assez deviner ce qui se passe. Une étourderie de Soubrette confirme ce soupçon. Il croit cependant que sa femme n’est pas coupable, & il en a bientôt la certitude. Reste le jeune homme, qu’il aime toujours, qu’il veut ramener & non punir. Il y parvient dans une Scène charmante, filée avec un art infini. Sous prétexte de connaître & de dissiper le chagrin qu’il a remarqué dans le cœur de son Elève, il lui fait une fausse confidence, & s’accuse d’avoir eu lui-même dans sa jeunesse le tort d’une ingratitude affreuse, celui d’avoir voulu séduire la femme de son bienfaiteur. Il feint que celui-ci lui en fit les reproches les plus tendres ; & cette leçon indirecte produit tout son effet.

Cette Piece, écrite avec toute l’élégance & la délicatesse possibles, est jouée, comme la Comédie est jouée sur ce Théâtre, par Mlles. Contat & Joli, par MM. Molé & Dupont.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 4 (avril 1792), p. 352-353 :

[Le compte rendu de la pièce est positif : versification élégante et facile, interprétation parfaite, scènes filées avec art. « La situation de Lindor présente une belle leçon à la jeunesse qui n'est pas entiérement dépravée. » Un seul reproche : le rôle peu utile de la soubrette (simple moyen de transporter le coffre de lettres). Ce coffre est d’ailleurs « un moyen que l’on n’a pas approuvé ». Ce qui ne gâche pas l’ensemble.]

THÉATRE DE LA NATION.

Le mercredi 25 janvier, on a donné la premiere représentation du Retour du Mari, comédie en un acte & en vers.

Cette piece a eu beaucoup de succès. Un baron, homme estimable & aimé de sa femme, est en voyage pour affaires. Le jeune Lindor (on ne sait d'abord à quel titre il est dans la maison) a conçu un amour très-vif pour la baronne, qui ne peut se défendre de beaucoup d'intérêt pour lui. Sur ces entrefaites, on apprend le retour du mari : il ne tarde pas à paroître, & trouve ensemble Lindor & la baronne qui le reçoivent avec un air d'embarras assez marqué. Il n'a jamais été jaloux ; il le devient malgré lui, & bientôt avec raison, puisqu'il rencontre Lisette avec un coffre, & que celle-ci avoue qu'il est rempli de lettres à la baronne qu'elle renvoie à Lindor. Le baron a un entretien avec sa femme ; & cet entretien, dans la circonstance, est de part & d'autre un modele de délicatesse. Enfin il prend son parti. Il envoie chercher Lindor, lui parle de son trouble & de la foiblesse qui rend souvent coupables les ames les plus honnêtes. « Le croiriez-vous, lui dit-il ? j'ai aussi été coupable moi-même. Elevé par un bienfaiteur qui a pris soin de ma jeunesse, & a réparé envers moi les torts de la fortune, je n'ai pu voir sa femme sans en être épris, & j'ai cherché à lui enlever son cœur. » C'est précisément l'histoire de Lindor. De vifs remords s'emparent de lui : il va le déclarer à la baronne, & ajoute à plusieurs reprises qu'elle n'a rien à se reprocher. Le mari qui entre à propos entend cette particularité, qui acheve de le rassurer, & Lindor prend la résolution de s'éloigner pour ne plus troubler la tranquillité de ce digne bienfaiteur.

Cette piece, dont la versification est élégante & facile, a été parfaitement jouée par Mlle. Contat, Mlle. Joli, M. Molé & M. Dupont. Les principales scenes sont filées avec art ; celle du baron avec le jeune-homme a paru extrêmement ingénieuse, & M. Molé y a déployé toutes les ressources du talent le plus éprouvé. La situation de Lindor présente une belle leçon à la jeunesse qui n'est pas entiérement dépravée.

Il y a dans cette petite comédie un rôle de soubrette qui ne sert presque à rien, & que l'on auroit peut-être pu retrancher. Le coffre rempli de lettres que porte cette suivante est aussi un moyen que l'on n'a pas approuvé : mais, à tout prendre, c'est un charmant ouvrage, & il a été fort applaudi. On a demandé l'auteur, M. Molé a nommé M. de Sègur.

Mercure Français, n° 18 du 5 mai 1792, p. 23

[A l’occasion de la publication de la brochure de la pièce, le critique revient sur une pièce qu’il a jugé favorablement quelques semaines auparavant. Il commence bien sûr par un résumé de l’intrigue, avant de porter un jugement nuancé : si « le fond de ce petit Drame est moral & intéressant » (deux critères importants !), il lui manque une intrigue un peu consistante, tout étant « prévu d’avance », et la pièce étant plus « un Proverbe moral qu’un véritable Drame », ce qui n’empêche pas qu’on s’intéresse à « la situation des deux jeunes gens & [à] la noble confiance du Baron ». Le style est lui aussi à la fois « faible & négligé » et « facile & sans affectation ni mauvais goût » (et le critique, qui est plein de nostalgie, pense que ces dernières qualités sont devenues bien rares). Il donne une série d’exemples de « quelques fautes de sens & d’expression qu’il serait aisé de corriger », et dont on peut trouver la condamnation bien sévère, voire discutable. L’article s’achève sur un fait plus grave et qu’il faudrait vraiment corriger : « une faute contre les bienséances théâtrales qu’il était facile d’éviter », le fait que la Baronne ne suive pas son mari sans discuter, mais s’éloigne sans donner de motif. Le critique donne le remède : il suffirait que ce soit le Baron qui s’éloigne un instant, et les bienséances seraient sauves. Il y a là de quoi méditer sur le sens des bienséances théâtrales...]

Le Retour du Mari, Comédie en un Acte & en vers ; par M. de SÉGUR le cadet, représentée pour la premiere fois, au Théâtre de la Nation, le 25 Janvier 1792. A Paris, chez Gattey, Libraire, au Palais-Royal, & chez les Marchands de Nouveautés.

Un jeune Militaire de vingt ans, logé chez une Baronne sa cousine, en devient amoureux pendant une absence de six mois qu’a faite le Baron qui l’a élevé & qui lui tient lieu de pere. Il a produit une impression assez vive sur le cœur de sa cousine, femme honnête & sensible, qui se reproche sa faiblesse, au moment où elle reçoit des nouvelles du retour prochain de son mari. Elle est déterminée à éloigner ce jeune homme, & parvient, à peu près, à l’y résoudre lui-même, quand le Baron arrive. Il aime tendrement sa femme & a beaucoup d’amitié pour le jeune Lindor : il s’apperçoit bientôt de quelque intelligence entre eux & de leur situation contrainte. Un message d’une Femme de Chambre qu’il surprend portant à Lindor une cassette remplie de ses lettres que la Baronne lui renvoie, confirme encore les soupçons du Baron. Mais ne doutant ni de la vertu de sa femme, ni de l’honnêteté de son éleve, il se flatte de guérir celui-ci en l’éclairant sur le danger où il s’exposait d’être à la fois ingrat & perfide. Dans une scene de confidence, il feint qu’il s’est trouvé lui-même dans une situation toute semblable à celle de Lindor, & ne manque pas de faire sentir l’aiguillon du remords à ce jeune homme, qui, de lui-même, en avait déjà éprouvé quelques atteintes. Il le quitte, lorsqu’il le voit attendri & troublé. Lindor prend le parti de quitter sur le champ la Baronne en lui témoignant tout son repentir ; mais le Baron qui les entend, & qui, dès ce moment, se croit sûr du cœur de tous les deux après la leçon qu’ils ont reçue, veut s’opposer à leur séparation ; ce qui n’empêche pas que le jeune homme, devenu sage, ne persiste dans sa résolution, la seule qu’il eût à prendre, & ne parte aussi-tôt, emportant les regrets de la femme & l’estime du mari.

Le fond de ce petit Drame est moral & intéressant. Il eût fallu, sans doute, en tirer quelques situations & nouer une intrigue ; c’est ce qu’exige toute piece dramatique, même en un acte. Ici le sujet n’est qu’effleuré. Le Baron a trop peu à faire, puisque Lindor, à la fin de la premiere scène, qui est un peu longue, est déjà presque entiérement décidé à partir, & que la Baronne lui renvoie ses lettres, sacrifice qu’on ne fait guere que quand la raison est déjà plus forte que l’amour. Il s’ensuit que l’effet de la scène décisive entre le Baron et Lindor est trop prévu d’avance, & que le dernier se rend sans aucune résistance ; en sorte que cette Piece, faute de ressorts essentiels, est plutôt un Proverbe moral qu’un véritable Drame. Mais la faiblesse des moyens ne détruit pas l'intérêt naturel qu’inspire la situation des deux jeunes gens & la noble confiance du Baron. Le style est faible & négligé, mais facile & sans affectation ni mauvais goût, ce qui est quelque chose aujourd’hui. Il y a quelques fautes de sens & d’expression qu’il serait aisé de corriger. Dans la premiere scène, par exemple, la Baronne dit à Lindor :

                                         Je sens à mes remords
Qu’on peut être
coupable avant d’avoir des torts.
Lindor, séparons-nous.

Ce mot de coupable est ici très-déplacé, sur-tout en l’opposant à celui de torts, qui est beaucoup plus faible. Le rapport des idées & des expressions demandait précisément l’inverse ; car la Baronne a eu des torts, & n’est point encore coupable. Il fallait donc dire :

                                        Je sens à mes remords
Qu’avant d’être coupable, on peut avoir des torts.

Elle s’exprimerait avec justesse ; car elle a eu le tort d’écouter l’amour de son cousin, de recevoir ses lettres, &c.

C’est encore une disconvenance d’expression, mais beaucoup plus légere, de faire dire au Baron, en parlant de la femme, celle que je révere. On respecte sa femme, on ne la révere pas, à moins de grands motifs & de grandes occasions, & la Baronne n’est pas dans ce cas. Cette nuance est délicate ; mais elle est utile à observer pour ceux qui veulent reconnaître la valeur des termes : révérer est le dernier terme du respect.

          Rarement pourrait-on trouver
Un cœur,
plus que le mien, loin de l’indifférence.

On entend ce que l’auteur a voulu dire ; mais la construction est vicieuse : elle devait être ainsi : un cœur qui soit plus loin de l’indifférence que le mien. Plus ne peut pas ici se séparer de loin, parce que c’est sur loin que porte l’idée de comparaison.

                           Tout le bien que dissipa ma mere
Est
réparé par lui.

On répare la perte d’un bien ; mais on ne répare pas un bien : c’est une impropriété de mot. En voici une plus forte, parce qu’elle forme un contre-sens.

                                 Celle que ton coeur aime,
Ouvrant enfin les yeux & voyant tous ses torts,
Par ses reproches
vains aigrirait tes remords.

L’Auteur voulait dire, par ses reproches tardifs & inutiles, ce qui est très-différent de reproches vains, qui signifient reproches non fondés, & les reproches dont il s’agit seraient très-fondés, & ne seraient rien moins que vains. On voit par ces exemples qu’en négligeant la justesse des termes, on pèche contre la justesse des idées : c’est par cette raison qu’il n’y a point de style sans le mot propre.

Dans la scène troisieme, celle du retour du Baron, il y a une faute contre les bienséances théâtrales qu’il était facile d’éviter. L’Auteur a besoin de ménager à la Baronne une scène avec Lisette sa Femme de Chambre, pour renvoyer les lettres de Lindor. Le moyen qu’il emploie est de faire dire à la Baronne, quand son mari veut entrer chez lui & l’invite à le suivre :

         Souffrez qu’un instant je vous quitte,
Je vous suivrai tantôt.

Mais cette absence, sans aucun motif énoncé, au moment du retour de son mari, est contraire aux bienséances. Il était bien plus simple de faire dire au Baron qu’il a des ordres à donner, & qu’il va revenir sur le champ pour se livrer tout entier au plaisir d’être avec sa femme & son jeune ami. Cette faute peut être corrigée sans peine ; mais elle doit l’être, d’autant plus que la représentation de cet Ouvrage, qui est parfaitement exécuté, ayant paru agréable, il est susceptible d’être rejoué.

César : l'auteur, c'est le vicomte Joseph-Alexandre de Ségur dit Ségur jeune. La pièce, comédie en un acte et en vers, a connu un certain succès : créée le 25 janvier 1792, elle est jouée 9 fois en 1792 et 1 fois en 1793 au Théâtre de la Nation (plus 2 représentations au Grand Théâtre de la Monnaie de Bruxelles en 1792) ; elle est reprise en 1794 pour 17 représentations (15 au Théâtre National, 2 au Théâtre de la Montagne) ; elle est jouée 10 fois de 1796 à 1798 au Théâtre Feydeau (3 fois en 1796, 5 fois en 1797, 2 fois en 1798), et 2 fois en 1797 au Théâtre français de la rue de Richelieu.

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