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Le Roi et le laboureur
Le Roi et le laboureur, tragédie en cinq actes, en vers, d'Arnault, 16 prairial an 10 [5 juin 1802].
Théâtre Français de la République
Almanach des Muses 1803
Don Pèdre, roi de Castille, et connu dans l'histoire sous le nom de Pierre-le-Cruel, s'est égaré à la chasse. Son cheval s'est abattu ; et, seul, blessé, sans connaissance, le prince aurait péri, s'il n'eût été secouru par un laboureur et sa fille, qui, le prenant pour un officier de la suite du roi, lui ont prodigué les plus tendres soins. Ce laboureur, nommé Juan, est connu dans tout le canton par un sens droit, une ame loyale et des mœurs irréprochables. Il ne fut long-temps l'alcade, et c'est encore lui qui est l'arbitre de tous les différens. Il a deux enfans ; Diègue, ardent, ambitieux, se croyant appelé à un sort plus brillant que celui de laboureur ; et Félicie, fille douce et timide, dont la main avait été promise à Léon, jeune soldat, que l'on croit mort depuis deux ans dans les déserts de l'Afrique. Félicie, maîtresse de son cœur par la mort présumée de Léon, n'a pu se défendre pour le roi d'un sentiment tendre. Don Pèdre est revenu près de la chaumière de Félicie. Il veut l'entretenir, savoir s'il est aimé d'elle, si elle est libre, et, sans se faire connaître encore, emmène à sa cour une famille à qui il doit la vie. Il propose à Juan de le suivre avec ses enfans ; mais le laboureur, qui prend le roi pour un courtisan, le refuse, et lui révèle mille abus secrets, lui expose tous les maux dont les vices de la cour font gémir les campagnes. Don Pèdre, de retour à Séville, envoie à Juan l'ordre de se rendre avec sa fille auprès du roi. Ils arrivent, et se trouvent à la porte du palais Léon qu'ils croyaient mort, Léon, qui ne vient réclamer auprès du roi le prix de ses services, que pour en faire hommage à Félicie. Celle-ci, à la vue de Léon, paraît moins satisfaite qu'étonnée. Leur entretien est interrompu par l'arrivée d'un officier, qui annonce que le roi va paraître, et fait sortir Léon. Surprise de Juan et de Félicie, en reconnaissant dans le prince le jeune homme à qui ils ont sauvé la vie. Don Pèdre exprime alors le desir qu'il a de leur témoigner toute sa reconnaissance. Il veut les fixer près de lui. Juan persiste dans son refus ; mais le roi, lui rappelant l'entretien qu'il a eu avec lui, et convaincu plus que jamais de la droiture de son ame, et de la justesse de son esprit, lui annonce qu'il le regarde comme le seul homme en état de faire cesser les abus dont il s'est plaint, et le détermine à accepter les fonctions de grand juge de Séville. Don Pèdre ne croit pas avoir fait assez pour ses bienfaiteurs. Il propose pour Félicie un mariage brillant, et laisse entrevoir à Juan qu'il s'estimerait très-heureux d'être l'époux de sa fille. Le laboureur feint de ne pas entendre, et dit au roi qu'il a rencontré à la porte du palais un brave soldat qui réclamait une audience, et que l'on a repoussé. le roi ordonne qu'on laisse entrer ce soldat, et Léon paraît. Le prince, charmé du récit de ses exploits lui donne le commandement d'une légion ; et Juan, pour ajouter à la récompense, le nomme son gendre en présence de don Pèdre, qui reste muet d'étonnement ; mais le roi n'a pas plutôt appris que le soir même Félicie, contre le vœu de son cœur, doit épouser Léon, que, transporté d'amour et de fureur, il vole sur leurs pas. Il arrive à l'instant où Félicie va marcher à l'autel. Elle veut fuir, il la retient, et obtint presque l'aveu du sentiment qu'elle éprouve pour lui. Cependant Félicie s'éloigne : Léon vient, le roi lui propose des trésors s'il veut céder sa maîtresse ; Léon refuse, et le roi furieux, égaré, lui plonge un poignard dans le sein. Soudain, déchiré de remords, il retourne à Séville avec Diègue, qui est seul dans le secret ; mais un vieillard a vu deux étrangers, qui, après le meurtre commis, fuyaient vers la ville. L'un d'eux est arrêté, c'est Diègue ; il est amené devant le grand juge, qui est prêt à le condamner, quand le roi arrive et s'écrie que l'accusé est innocent. Ces mots, le trouble de don Pèdre, tout éclaire Juan, qui sort et revient bientôt avec la sentence. Le roi la lit et voit son nom. Juan fait alors apporter le corps de Léon, et dit ) don Pèdre, en le lui montrant :
Vous tenez votre arrêt, voilà votre supplice.
Juan abandonne ainsi le roi à ses réflexions, à ses remords, et retourne à sa chaumière.
De beaux vers, et des vers négligés, des situations heureuses, et des situations hasardées.
L'auteur a retiré sa pièce après une première représentation, à laquelle assistait un public très-sévère et très-bruyant.
Le titre complet de la pièce est Don Pedre, ou le Roi et le Laboureur, mais la plupart des sources le réduisent à Le Roi et le Laboureur.
Dans l'édition de ses Œuvres complètes, tome III (La Haye 1818), Arnault fait précéder sa pièce d'un avertissement (rédigé à la troisième personne) et d'une dédicace au général Lafayette :
[Il s'agit, dans l'avertissement, de répondre aux critiques qui ont pu être faites à la pièce, dont l'unique représentation a pu aller à sa fin, mais dans un désordre peu commun. Choix du sujet, rapprochant « les mœurs de cour et celle des champs »,, raisons politiques de l'échec, difficulté de donner à chacun des personnages le langage qui lui convient. Voltaire est appelé comme caution des choix esthétiques d'Arnault.]
AVERTISSEMENT.
Le Roi et le Laboureur (1) est une pièce nouvelle même pour les personnes qui ont assisté à la seule représentation qu'on en ait donnée. Bien qu'elle ait été jouée d'un, bout à l'autre, ce fut au milieu d'un si grand tumulte, qu'il eût été impossible à l'auditeur le plus attentif d'en entendre deux vers de suite : elle a été moins jugée que condamnée.
D'où venait tant de malveillance contre un homme traité jusqu'alors avec ménagement, et auquel son dévouaient, dans la révolution du 18 Brumaire, semblait donner quelques droits nouveaux à la faveur publique ?
C'est ce que nous allons tâcher d'expliquer.
Sa disgrâce doit moins être attribuée à l'étrangeté du sujet qu'il avait choisi, qu'aux conséquences des idées que ce sujet semblait devoir réveiller : en effet, dans le nombreux concours de spectateurs qu'il avait attirés, moins de gens étaient venus pour écouter, que pour empêcher d'entendre.
D'après quelques lectures particulières, cet ouvrage d'un auteur si longtems dénoncé comme royaliste, avait été signalé comme celui d'un démagogue : les discours du laboureur étaient ceux d'un vrai tribun, et la passion du roi ne tendait qu'à dégrader la dignité royale : ces inculpations doivent paraître fort bizarres aux étrangers qui se rappellent qu'à cette époque (1802) la France était en république.
Mais elle n'y était que de nom. Au 18 Brumaire, la monarchie avait été réellement rétablie. Chaque jour, la suprématie du premier consul se fortifiait de tout ce que perdait l'autorité de ses collègues. Rien ne se faisait sans lui, qui pouvait tout sans eux ; il s'était plutôt associé leurs lumières, qu'il ne le» avait associés au pouvoir. De plus, il commandait l'armée, et ne la commandait que pour vaincre. Sous un titre modeste, il régnait dès l'établissement du consulat ; et semblait devoir toujours régner, depuis que le vœu général lui avait déféré le consulat pour la vie.
Soit dans l'intérêt public, soit dans son intérêt privé, le consul crut devoir revêtir le pouvoir qu'il exerçait, d'un titre qui y fût analogue. Tout tendait secrètement vers ce grand résultat. Le peuple s'était de nouveau familiarisé avec les choses : on ne négligeait rien pour le réconcilier avec les noms ; opération non moins importante,.mais peut-être pins difficile que la première.
La .tragédie de Don Pèdre, donnée en ces circonstances, parut peu en harmonie avec de semblables intérêts.
A l'époque où elle a été composée (en 1799) elle n'aurait pas plus concordé avec la politique du jour. Peut-être eût-on repoussé alors, comme trop respectueuse envers l'autorité monarchique, cette pièce réprouvée trois ans plus .tard par un motif tout opposé.
On n'eût pas été plus juste. L'auteur n'avait eu l'intention ni de réhabiliter, ni de déprimer le caractère royal.
Il avait cru, par le sujet qu'il mettait-en scène, offrir d'utiles leçons à plus d'une classe de la société ; apprendre aux grands à ne pas trop mépriser les petits ; aux petits à ne.pas juger trop rigoureusement les grands ; démontrer que le sentiment de la justice est inné dans le cœur de l'homme ; et qu'on peut en attendre d'heureux effets, quand il se trouve uni à un grand discernement et à un caractère supérieur.
De pareilles vues sont utiles, et c'est dans un plan très-dramatique qu'elles nous semblent avoir été développées.
Le sujet de cette pièce appartient au théâtre espagnol : l'analise qu'il en avait entendu faire par un agent diplomatique, donna à M.r Arnault l'idée de le transporter sur le théâtre français. Ce projet était exécuté quand il fit lui-même un voyage à Madrid, où l'ouvrage original lui fut communiqué. Il est intitulé Juan Paschal, famosa comedia, de un ingénio de esta corte, fameuse comédie d'un bel esprit de cette cour (2).
Ce sujet est depuis longtems applaudi en Espagne. En faut-il conclure qu'il devait.être applandi en France ? . non certes, si l'auteur ne l'avait pas soumis aux modifications commandées par la délicatesse française ; ainsi qu'il s'y est étudié.
Les explications données plus haut, font concevoir comment cet ouvrage a été condamné sans avoir été entendu. Mais après avoir été écouté, eût-il été approuvé ? c'est ce qu'il ne nous convient pas d'affirmer.
C'était peut-être s'aventurer que de rapprocher dans un cadre tragique les mœurs des cours et celles des champs. Le contraste est grand. Mais dans les arts, tous les objets qui contrastent entr'eux ne se repoussent pas : bien plus, ils se font souvent valoir. C'est par des contrastes que les grands artistes ont- obtenu leurs plus beaux effets.
Ce rapprochement d'un roi et d'un laboureur répugnerait néanmoins à la dignité de la tragédie, s'il n'offrait que l'opposition de la grossièreté à la politesse, de l'indocilité de l'ignorance à l’autorité de l'instruction ; mais un auteur français ne pouvait faire une pareille faute.
La franchise, la rudesse même des agriculteurs, dans cette tragédie, n'est rien moins que dénuée de noblesse ; et l'énergique simplicité de leurs discours qui peut quelquefois plaire aux esprits justes, n'offre aucune expression dont se puissent offenser- les oreilles délicates. Le langage que l’auteur leur a donné s'élève assez haut pour s'accorder avec celui qu'il conserve aux hommes de cour ; il est aussi éloigné de la trivialité que de l'enflure.
Conclûrait-t-on de là que si l'on n'a pas trop rabaissé le ton des uns, on a dû trop élever celui des antres ; et qu'il n'est pas vraisemblable qu'un homme des champs parle convenablement des matières de gouvernement ? Nous répondrions que La Fontaine a donné la solution de ce problème : qu'on relise la fable du Paysan du Danube (3).
Le ton simple mais noble, que le bonhomme a pris dans cette fable, est celui que l'auteur devait se proposer pour modèle dans sa tragédie ; et soit qu'il y ait pensé ou non, la nature des intérêts qu'il y discute devait l'y conduire. Dans l'une et l'antre composition, ces intérêts sont à la portée de la raison commune. Est-il en effet besoin d'avoir étudié la politique, pour connaître la justice ; d'avoir approfondi l'art du gouvernement, pour juger des fautes de l'administration ? ce ne sont pas là des secrets d'état. Consultez sur la répartition de l'impôt, ou sur le recrutement de l'armée, le premier paysan que vous rencontrerez, et vous verrez si les vices attachés aux modes établis, ont échappé à sa sagacité. Mais c'est dans les formes qui lui sont propres qu'il les dénoncera à votre indignation ; formes d'une éloquence non pas essentiellement brutale, mais nécessairement vigoureuse et franche.
Enfin si l'on nous fait observer que la condition de nos personnages les exclut d'un drame qui, par sa nature, n'admet rien que de noble, ou tout au moins de grand ; nous prierons de remarquer qu'en scène un personnage est grand surtout par la situation où il se trouve, par les intérêts qui l'occupent; et que les hommes y sont moins nobles ou vils par leur condition, que par leurs sentiment et par leurs mœurs.
Le» plus magnifiques accessoires de la souveraine puissance ne sauraient rendre que plus méprisables les Vitellius, les Héliogabale ; tandis qu'on ne peut refuser de l'admiration à Spartacus, dont l'héroïsme est rehaussé même par la bassesse de sa condition. Que si un grand caractère anoblit l'homme dans une condition servile, à plus forte raison doit-il l'ennoblir dans une condition libre ; et surtout dans une profession honorable, telle que celle du laboureur qui nourrit l'État et du soldat qui le défend.
Ajoutons à cela, quant à ce qui concerne notre héros, qu'après tout il n'appartient pas à la classe infime de la société. C'est un homme libre, un propriétaire, un chef de famille ; il a exercé une magistrature ; il a été Alcade. Eût-on jamais songé à lui refuser droit de bourgeoisie sur la scène tragique, où ce droit équivaut à des titres de noblesse, s'il se fût appelé Jacob, Ismaël, ou Ésau ? transportez sur les rives du Jourdain et dans le pays de Canaan, l'action qui se passe en Andalousie aux bords du Guadalquivir ; et le laboureur dans lequel on n'a voulu voir tout au plus qu'un fermier, va, sans difficulté, devenir un patriarche.
Ce que M.r Arnault a exécuté, Voltaire l'avait tenté dans sa tragédie des Scythes, avec plus de réserve à la vérité, et sous la protection de ce vernis de grandeur, dont l'antiquité revêt tout ce qui lui appartient. Son opinion prêtera du poids à la nôtre. Voici comment s'exprime, à ce sujet, celui des hommes de génie qui a eu le plus d'esprit, de raison et de goût.
« C'est une entreprise un peu téméraire d'introduire des pasteurs, des laboureurs avec des princes, et de mê1er les mœurs champêtres avec celles des cours. Mais enfin cette invention théâtrale (heureuse ou non) est puisée entièrement dans la nature. On peut même rendre héroïque cette nature si simple ; on peut faire parler des pâtres guerriers et libres, avec une fierté qui s'élève au-dessus de la bassesse que nous attribuons très-injustement à leur état, pourvu que cette fierté ne soit jamais boursouflée ; car qui doit l'être ? le boursouflé, l'ampoulé ne convient pas même à César. Toute grandeur doit être simple. »
Ces raisonnemens nous semblent snffisans pour réfuter les objections faites à l'auteur relativement à la nature du sujet qu'il a choisi ; quant aux critiques qui portent sur le talent avec lequel il l'a traité, c'est à la pièce à y répondre. Nous ne savons si la lecture lui conciliera. en France les suffrages qui lui furent refusés lors de la représentation ; mais il paraît probable que l'effet en sera du moins favorable chez l'étranger ; où il se trouve souvent des juges dont le goût, pour ne pas être aussi méticuleux que celui de certains Aristarques de Paris, n'en est pas moins conforme aux lois de la raison et aux intérêts de l'art dramatique.
ÉPITRE DÉDICATOIRE AU GÉNÉRAL LA FAYETTE.
GÉNÉRAL,
Vous accueillerez avec plaisir, j'en ai le sentiment, ce témoignage de l'estime d'un proscrit. Cette qualité ne vous épouvante pas. Vous aussi vous avez été proscrit; vous avez honoré la proscription, avant qu'on m'en ait honoré.
Combien le souvenir de la constance héroïque avec laquelle vous avez supporté vos malheurs, n'a-t-il pas fortifié le courage dont j'ai besoin pour supporter les miens !
Je n'en suis point abattu. Mais que j'en serais fier si, comme vous, je m'en étais rendu digne en défendant uniquement la cause de la liberté ; en méritant également la haine des fauteurs du despotisme et de l'anarchie !
Je suis, avec autant d'affection que de vénération,
GÉNÉRAL,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
ARNAULT.
De ma retraite, le 9, Février 1818.
Courrier des spectacles, n° 1918 du 17 prairial an 10 [6 juin 1802], p. 2-3 :
[Le compte rendu dit très vite l’essentiel : c’est la pire pièce que le critique, pourtant fort expérimenté, ait vu au théâtre. Le public a manifesté très tôt son improbation, et celle-ci s’est manifestée de plus en plus brutalement au fil des actes. Suit une longue liste de défauts, sur tous les plans, l’intrigue, les personnages, le style, rien ne trouve grâce à ses yeux. L’analyse qu’il entreprend ensuite est destinée à montrer la légitimité de ces reproches. La pièce montre un roi tombant amoureux d'une de ses sujets, qui l’aime également, mais qui veut rester fidèle à celui à qui elle a promis de se marier. Le père de la jeune fille, le laboureur du titre, a été nommé ministre par le roi, et c’est lui qui est appelé à juger le roi, quand celui-ci assassine son rival en amour. Le dénouement n’est pas clair pour le critique, la pièce étant devenue après le meurtre odieux commis sur la scène une pantomime. Il ne peut que constater qu’elle ne devrait pas être rejouée. Le public a applaudi les acteurs qui ont eu le triste devoir de présenter une aussi mauvaise pièce. Mais le critique souligne qu’ils ont eu aussi la lourde responsabilité de la recevoir.]
Théâtre Français de la République.
Nous avons vu bien de mauvais ouvrages, nous avons été témoins de bien des chûtes, mais si celle qu’éprouva hier la tragédie le Roi et le Laboureur a été la plus complète à laquelle nous ayons jamais assisté, il faut convenir que jamais ouvrage, tragédie, comédie, même drame ne l’a mieux méritée. Après avoir bien patiemment écouté le premier acte, le public a, dès le second, commencé à témoigner son improbation. Au défaut d’intérêt, le mécontentement s’est accru de scène en scène. Bientôt les éclats de rire ont été étouffés par les sifflets, et l’accord étoit tel que plusieurs fois le parterre entier s’est levé spontanément en tournant le dos au théâtre ; mais rien n’en a imposé aux acteurs, qui ont continué avec une intrépidité sans égale. Cependant le bruit étoit si grand, sur-tout au dernier acte, que malgré toute l’attention possible nous n’avons pu en entendre deux vers. « C’est égal, disoit quelqu’un à côté de nous, l’auteur peut exiger une seconde représentation, parce que la pièce a été achevée. – Il est vrai, lui répondit-on, que les acteurs ont voulu tout dire, mais le public n’a voulu rien entendre. »
Sujet ridicule, plan mal conçu, violation de toutes les règles de l’art, nulle espèce d’intérêt, personnages inutiles, caractères manqués, projets formés sans but, abandonnés sans motif, meurtre abominable consommé sans besoin aux yeux des spectateurs, scènes vuides, défaut d’action, déclamations vaines, lieux communs, trivialités dans le style, tels sont les défauts rassemblés dans cet ouvrage.
L’analyse que nous allons essayer de donner suffira pour justifier une partie de ce que nous venons d’avancer.
Dom Pèdre, roi de Castille, étant allé à la chasse, son cheval s’est abattu sous lui. Couvert de poussière et de sang, il a été secouru par Juan, laboureur, et par Félicie, sa fille. Cette dernière sur-tout a témoigné le plus grand intérêt au jeune seigneur blessé, car ce n’est que sous cette qualification que s’est fait connoître Dom Pèdre, qui a remarqué que chez la jeune fille
Quelquefois un sourire éclatoit sous les larmes.
Une remarque aussi précieuse que celle d’un sourire qui éclate sous des larmes, a produit un effet non moins étonnant sur le Roi. Il s’est déterminé à offrir sa main à la jeune paysanne. C’est dans cette louable résolution qu’accompagné d’Alphonse, son favori, il a quitté sa cour pour se rendre à la chaumière de Juan. Telle est l’avant-scène.
Le premier et le quatrième actes se passent devant la chaumière de Juan, et les autres dans le palais du Roi.
Dom Pèdre arrive avec Alphonse, Juan le fils les guide et leur montre que la ville n’est pas loin de la chaumière de son père. Avant de s’en aller au travail il fait un magnifique éloge de sa sœur. Ses discours excitent plus vivement encore la passion du Roi. Il n’en est que moins disposé à écouter les représentations d’Alphonse, mais en revanche il prête fort docilement l’oreille à Juan le père, vieillard un peu bavard, mais très-instruit sur les abus de la Cour. Félicie n’a encore paru que la cruche à la main, sans rien dire : son père l’a envoyée préparer les rafraîchissemens des laboureurs, et Dom Pèdre finit le premier acte en disant à son confident qu’il l’instruira de ses desseins. Ils sont si difficiles à deviner que tout le monde voit déjà que Juan sera fait ministre.
Juan père, mandé à la cour avec sa fille, y arrive non sans inquiétude. Il rencontre dans les vestibules du palais un certain Léon, dont noua n’avons point encore parlé. Celui-ci cru mort depuis long-tems, est l’amant de Félicie. Il vient des bords africains et y a cueilli de nombreux lauriers. On a peine à concevoir comment après une si longue absence il s’est porté plutôt au palais du Roi, où il n’est pas sûr de pouvoir entrer, qu’à la chaumière qu’habite sa maîtresse. Mais enfin c’est dans le palais du Roi que se fait la reconnoissance, assez froide, car la demoiselle malgré sa grande discrétion, laisse appercevoir qu’elle ne l’aime plus. Elle n’est pas plus rassurée que son père sur les raisons qui le font mander à la Cour. Elle se plaint de l’ingratitude du seigneur à qui elle a sauvé la vie ; mais cependant, comme elle n’observe pas moins bien que lui, elle l’excuse en disant :
Un sourire
A sa bouche en effet ne laissoit rien à dire.
Dom Pèdre paroît enfin, se fait connoître pour le Roi, fait accepter la place de Ministre à Juan, qui sollicite la permission de retourner auparavant à sa chaumière :
Et déjà dans les champs où mes bleds me demandent
Pour la première fois mes moissonneurs m'attendent.
Le Roi a chargé Alphonse d’informer Félicie de son amour, mais comme il ne plaît point à M. le Confident , ce dernier forme avec un autre seigneur le projet de le traverser.
Notre laboureur est expéditif : quand il paroît au troisième acte, il a déjà, en qualité de ministre, reprimé quantité d'abus, il rend compte au Roi de tout le bien qu’il a opéré. Le Souverain lui parle de Félicie, l’engage à la marier, et apprend avec douleur que le choix de son époux est fait. Juan demande une grace pour un jeune homme qui a versé son sang pour la patrie, c’est celle d’être présenté à Don Pèdre. Il l’accorde, Léon paroît, le Roi pour récompense, lui donne une compagnie ; bientôt il sait que c'est son rival, et s’abandonne d’abord à la douleur. Juan fils, j à qui la charue et la faucille ne plaisent pas autant qu’à son père, entre dans les vues du Roi sur sa sœur, et promet de l’y aider. Juan père a ramené sa fille à sa chaumière pour y épouser Léon. Plusieurs scènes froides finissent par la sortie du Ministre qui retourne à la cour après avoir envoyé son gendre futur chercher les voisins pour assister à son mariage. Félicie restée seule, nous apprend dans ce quatrième acte qu’elle aime le Roi : mais la promesse faite à Léon, lui impose silence. Elle plaint son malheur quand le Roi arrive ; il la presse de consentir à ses vœux en devenant son épouse : prières, menaces sont inutiles. Elle rentre dans la chaumière de son père. Dom Pèdre conçoit encore l’espoir d’obtenir de Léon qu’il lui cédera sa maîtresse. Les bienfaits ou la violence doivent lui obtenir le succès. Léon qui survient le détrompe bientôt. Alors n’écoutant plus que sa rage, le Roi tire un poignard et le lui plonge dans le sein. Ce trait horrible a tellement révolté toute la salle, que la scène suivante qui termine ce quatrième acte, et le cinquième acte tout entier n'ont point été écoutés.
Nous ne pouvons parler de ce dernier acte que comme d’une pantomime ; nous y avons vu Juan père se désoler en apprenant l’assassinat commis sur la personne de Léon, aller, comme juge, dresser la sentence de l’assassin, l'apporter au Roi pour la signer, faire mettre devant ses yeux le corps de sa victime. Mais du reste nous n’avons point saisi le dénouement de cette pièce révoltante qui, suivant toute apparence , ne sera pas rejouée.
Le public a souvent voulu, par ses applaudissemens, dédommager les acteurs du désagrément de représenter un ouvrage aussi mal accueilli ; mais on se demandoit dans toute la salle, comment ils avoient pu recevoir une pièce aussi mauvaise.
Le Pan.
Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 258 (lundi 18 prairial an 10), p. 1064 :
[A l ‘exception du premier paragraphe, article reproduit dans l’Esprit des journaux français et étrangers, trente-unième année, messidor an X [juillet 1802], p. 185-192.
Dans la Gazette nationale, le compte rendu est précédé d’une sorte de paragraphe introducteur, qui souligne que le Théâtre Français, où les nouveautés sont rares face aux « classiques », vient d’en proposer une, dont le genre n’est pas clair, entre le drame à l’allemande et la tragédie. Puis on entre dans l’analyse du sujet, qui occupe une large place. Une fois que le drame est achevé, le critique choisit de donner son sentiment en se faisant le reflet du combat qui a opposé le soir le la première représentation adversaires et partisans de la pièce, sous les yeux des spectateurs venus voir la pièce sans opinion préconçue. Les partisans de la pièce trouvaient bien des qualités à la pièce, « développement d'une pensée morale & philosophique », peinture des dégâts moraux provoqués par le pouvoir sans frein, caractère profondément tragique de certaines scènes, style « rapide, nerveux, plein de chaleur & de mouvement ». Ses adversaires critiquaient surtout la marche de l’action (et le compte rendu en donne de nombreux exemples) et affirmaient que l’intérêt naissait de moyens inefficaces. Ces mêmes adversaires de la pièce ont fait aussi de nombreuses critiques de détail du style de la pièce, que le critique ne semble pas trouver infondées. Il propose d’ailleurs une solution à ces problèmes de style, de ne pas donner le même langage à tous les personnages, un laboureur ne pouvant parler comme un roi. Il fallait donner au langage de Juan « une simplicité noblement alliée à la dignité tragique ». Puis il s’interroge sur la possibilité d’une deuxième représentation (ce qui rend inutile toute idée d’amender la pièce...).]
Depuis long-tems le Théâtre-Français n'avait offert au public aucune nouveauté ; les chefs-d’œuvre de la scene tragique suffisaient à ses succès. Le Cid, Cinna, Phedre, Mithridate, Andromaque, présentant les intéressans éleves du théâtre auprès des premiers sujets qui le composent, attiraient constamment la foule. Monvel offrait dans le rôle d'Auguste un modele de la déclamation la plus noble et la plus vraie ; Lafond brillait dans le Cid : Saint-Prix s'élevait jusqu'à l'idée que l'on se forme de Mithridate ; Talma nous montrait Oreste tel que l'imagination nourrie de la lecture despoëtes anciens se le représente, ou même tel que les artistes grecs nous l'eussent transmis : un nouvel ouvrage, dont on s'entretenait depuis long-tems, vient d'être donné : c'est une tragédie en cinq actes : le Roi et le Laboureur, tel est son titre ; c'est celui d'une fable peut-être plus que celui d'un drame, peut-être aussi le sujet appartenait-il plutôt au genre des drames que nous avons imité du théâtre allemand, qu'à celui de la tragédie : voici quel est ce sujet.
Juan, alcade, castillan respecté, redevenu simple laboureur, après avoir quitté cette magistrature, vit sous un toit rustique, près de sa fille Félicie et de son fils Diegue. Tous les trois pleurent la mort de Léon, soldat, qui devait être l'époux de Félicie, et qui a trouvé la mort aux champs africains.
Don Pedre, roi de Castille, égaré à la chasse dans les environs de Séville, et entraîné dans la chûte de son cheval, a dû la vie aux secours de Juan, et aux soins touchans de Félicie : il est devenu éperdument amoureux de sa bienfaitrice, et n'est connu d'elle que sous le nom d'un simple courtisan ; mais un seul moment les a charmés tous deux : Félicie répond en secret aux vœux de don Pedre ; son cœur ne conserve l'image de Léon que comme celle d'un frere ou d'un ami qui n'est plus.
Don Pedre s'échappant de nouveau de sa cour, reparaît aux yeux de Juan, et toujours sous le nom qui le cache, veut forcer son bienfaiteur à accepter un gage de reconnaissance. Juan refuse, et saisit cette occasion de déployer devant l'homme qu'il croit un courtisan, l'austérité d'une morale ennemie des vices et de la corruption de la cour de don Pedre. Il gémit sur l'oppression du peuple, sur le mépris des lois, sur l'impunité du crime, sur l'aveuglement du monarque. Amant et roi, don Pedre conçoit l'idée de remplir à la fois et ses vœux les plus chers et son devoir le plus sacré. Il mande à sa cour Juan et sa fille : Juan, pour le proclamer grand juge de Séville ; Félicie, pour la nommer son epouse.
A peine Juan a-t-il accepté la place qui lui est désignée, qu'il reconnaît dans le roi l'étranger qu'il a secouru, et qu'il reçoit l'aveu indirect des desirs secrets du monarque. Il craint dès-lors un piege, une séduction ; il rompt l'entretien, parle des premiers ordres émanés de son ministere, et propose au roi un acte de justice ; c'est d'entendre un soldat qui demande audience.
Ce soldat, c'est Léon, qui échappé au trépas, couvert de blessures et chargé de gloire, revient auprès de Félicie, demander le prix de son amour pour elle, et de sa fidélité pour son prince. Don Pedre l'accueille, l'honore, l'éleve au commandement de cent guerriers.... Voilà mon gendre, dit alors le grand juge :
Laboureur, j'ai choisi le fils d'un laboureur.
Furieux de se voir aussi cruellement abusé, don Pedre exhale les transports de sa rage, sa jalousie demande une vengeance prompte : Juan a ramené sa fille à sa chaumiere, pour l'unir à Léon : Félicie obéit, en renfermant dans son cœur le secret de l'amonr que don Pedre lui inspire, lorsque, suivi de Diegue, qui, jeune et ambitieux, veut servir la passion du roi, et méconnaît les volontés de son pere, don Pedre se rend de nuit à l'habitation de Juan. Ce dernier y a laissé sa fille : Léon est allé convier les témoins de l'hymen qui s'apprête : don Pedre trouve Félicie seule : la fille de Juan ne dissimule qu'avec peine l'amour qu'elle ressent : l'aveu que don Pedre vient de surprendre, double ses espérances, et accroît sa témérité : il presse Félicie de le suivre : celle-ci, invoquant le ciel. et l'honneur, réclame du roi lui-même la protection qu'il doit à l'innocence, et place entre elle et son amant, comme une barriere sacrée, le seuil de la porte de son pere et de son juge.
Léon revient : don Pedre se fait reconnaître ; il avoue à Léon son amour, ses espérances ; il annonce sa volonté. Léon répond en sujet, en soldat, en citoyen : les offres de don Pedre ne peuvent le séduire, ses menaces ne peuvent !'intimider : il veut quitter le roi et rejoindre Félicie sous le toit paternel. Don Pedre, furieux, l'arrête ; Léon s'avance ; don Pedre éclate en menaces, son poignard brille ; Léon marche au-devant du coup, il tombe assassiné.... Diegue survient et entraîne à travers les ténebres, loin du théâtre de son crime, le monarque éperdu, terrifié, et déjà livré aux remords, peine premiere de l'homicide.
Le meurtre découvert, le corps de Léon est transporté à Séville. Juan doit poursuivre l'assassin : on lui présente un prévenu du crime ; c'est Diegue : arrêté dans sa fuite nocturne. Juan reconnaît que son fils n'est que le complice de don Pedre ; il le conjure de se justifier par un mot : Diegue refuse. Juan va le condamner lorsque don Pèdre accourt, et déclare que Diegue n'est pas coupable. Juan dès-lors connaît l'assassin, prononce la sentence, et la soumet à la confirmation du roi. Déjà le supplice s'apprête ; les flammes du bûcher éclairent la place publique ; l'arrêt fatal est porté à don Pedre : il le lit en frémissant ; il y voit son nom.... Juan et sa famille infortunée s'éloignent à l'instant : la punition de don Pedre est assez cruelle ; il doit vivre sous le poids des remords qui le déchirent.
Telle est, sauf quelques erreurs qui sont ici presqu'inévitables, la marche de cette tragédie dont la représentation a été l'une des plus orageuses dont on puisse ou conserver le souvenir, ou se former une idée. Deux partis presqu'égaux en force divisaient hier cette masse de spectateurs plus turbulens qu'attentifs, depuis longtems en possession de dicter ses arrêts au théâtre : l'une applaudissait avec chaleur, l'autre interrompait avec une obstination affectée ; la seule partie des spectateurs qui n'ait pu se faire entendre dans ce tumultueux débat, est celle qui voulait écouter. Rapporteurs plutôt que juges, dans un procès que nous eussions desiré voir débattre avec plus d'impartialité et terminer avec moins de violence, nous nous bornerons à retracer les motifs qui paraissaient animer les spectateurs en les partageant.
Les uns croyaient devoir applaudir l'auteur de s'être élancé dans une carriere nouvelle, d'avoir donné une forme dramatique au développement d'une pensée morale et philosophique, d'avoir peint sous leurs traits hideux, les passions libres du joug, impatientes, insatiables, troublant dans leur asyle l'innocence et la vertu, assiégeant sur son trône, forçant au crime leur esclave couronné. Ils regardaient comme neufs au théâtre, et comme placés dans des situations dramatiques, les personnages de Juan et de Léon. L'intention de la scene où Léon paraît devant don Pedre, leur semblait belle, le caractere de ce roi habilement dessiné : ils citaient plusieurs scenes dont les développemens sont tragiques, dont le style est rapide, nerveux, plein de chaleur et de mouvement, et répétaient nombre de vers faits pour être retenus.
D'autres spectateurs suivaient l'action pour critiquer sa marche : dès l'exposition, ils trouvaient étranges les détails domestiques donnés par Diegue à des inconnus. L'amour subit de don Pedre, celui de Félicie oubliant tout-à-coup, pour un étranger, le compagnon de son frere et l'ami de son enfance, leur inspirait peu d'intérêt. L'indécision, l'incertitude du caractere de Félicie leur semblaient nées de ce défaut principal et le rendre plus sensible. La précipitation avec laquelle les déplacemens s'operent, et les événemens se succedent en pressant le moment de la catastrophe, était trouvée choquante, et la catastrophe elle-même a paru révolter. On s'étonnait que l'auteur eût fait commettre à don Pedre un crime inutile, et n'eût pas trouvé d'autres moyens qu'un assassinat, pour faire obtenir à un monarque la main d'une sujette dont il possede le cœur. La scene où Léon est présenté au roi, a été jugée dramatique, mais mal amenée et terminée brusquement et sans effet, Le grand-juge s'y trouve dans une situation pénible ; son austérité y tient presque de l'ingratitude ; et quant à Léon qui, pour un brave, parle beaucoup trop souvent de ses services, et du sang qu'il a versé, et qui paraissant suivi de soldats, devant son roi, demande trop hautement le prix de ses actions. pour ne pas en ternir l'éclat, il semble que, sans être injuste ou cruel, don Pedre, avant de récompenser en lui le guerrier, aurait à réprimander le mutin. On trouvait également que les scenes du quatrieme acte offraient de l'intérêt ; mais le moyen qui produit ces scenes, c'est-à-dire l’abandon de Félicie laissée seule par Léon, auquel son pere l'a confiée, en avait à l'avance détruit tout l'effet.
Il est à remarquer de plus que les mêmes spectateurs s'attachaient avec un soin extrême et une rigueur peu commune à détailler les défauts du style, à relever une épithete faible ou douteuse, à saisir le côté ridicule de quelques expressions, à repeter une consonnance désagréable ou un hémistiche prosaïque, à marquer certaines négligences, qu'assurément l'auteur eût pu facilement éviter l’emploi trop fréquent du style pastoral, la répétition de certaines expressions qui n'appartiennent qu'à ce style, où qu'un emploi trop fréquent de la part des déclamateurs, semble bannir de la scene secondait malheureusement ces censeurs.
Peut-être pour donner à l'ouvrage le style qui lui convenait, eût-il fallu qu'il n'eût pas été le même pour tous les personnages : que celui du laboureur et du soldat n'eût pas été plus ?? que celui du roi même, et qu'au lieu de rencontrer sous le chaume l'éloquence et le ?? de l'homme d'Etat, don Pedre n'y eût trouvé que le naturel, le bon sens et l'équité de l'homme des champs : donner au langage de cet homme une simplicité noblement alliée à la dignité tragique, était alors le difficile problême qu'il importât de résoudre : c'est sans doute à cette solution que, dans un sujet de cette nature, la gloire pouvait être attachée.
Nous ignorons si cet ouvrage sera reproduit à la scene ; le nom de son auteur n'y a point été prononcé.
Gazette nationale, ou le Moniteur universel, n° 260 (mercredi 20 prairial an 10), p. 1072 :
Les journaux annoncent que l'auteur de la tragédie, intitulée le Roi et le Laboureur, a retiré sa piece malgré les vives instances de ses amis qui desiraient que cet ouvrage, qui n'avait pas été entendu le jour de la premiere représentation, fût donné une seconde fois.
La décade philosophique, littéraire et politique, n° 26, an X, 3me trimestre, 20 prairial, p. 496-497 :
Théâtre-Français de la République , rue de la Loi.
Le Roi et le Laboureur, tragédie en cinq actes.
La bizarrerie du titre avait jeté d'avance quelque défaveur sur cet ouvrage. Les uns s'obstinaient à se rappeler que c'était le titre d'un ancien opéra-comique, les autres n'y voyaient que celui d'un apologue : cependant les hommes éclairés, les vrais littérateurs, tout en blâmant aussi le choix du titre, se disaient que le sujet d'Abdolonyme, celui du Paysan magistrat, de Calderon, avaient pu fournir à l'auteur l'idée assez dramatique de mettre la simplicité des mœurs pures de la chaumière en opposition avec l'éclat du pouvoir et la corruption des trônes, et qu'une fable bien conçue et conduite avec adresse pouvait produire quelqu'effet théâtral. Mais dès le second acte, il est devenu absolument impossible d'entendre et de suivre la marche de l'action. Quelques inconvenances de style, quelques invraisemblances ont ouvert sur le champ carrière aux murmures et aux sifflets, qui sans doute en attendaient l'occasion avec impatience ; ils se sont exclusivement emparés de la pièce, et avec une frénésie tellement démesurée, qu'il serait au moins téméraire de juger jusqu'à quel point le sort de la tragédie était juste ou injuste. Il a fallu nous borner à réitérer nos doléances sur l'indécente légèreté des juges actuels qui, une fois déchaînés, ne connaissent plus de frein, ne tolèrent plus rien, sifflent sans ménagement, et ne permettent pas même le désir d'écouter.
On a cru démêler à travers le tumulte quelques situations qui méritaient au moins l'attention ; des. aperçus de scènes tragiques, des mouvemens d'éloquence qui annonçaient un écrivain exercé. Mais il est aujourd'hui prouvé que les auteurs vivans ne doivent plus espérer d'indulgence, et qu'à cet égard le but de nos détracteurs hebdomadaires est entièrement rempli. A force de répéter au public que nous ne sommes plus en état de faire un ouvrage même supportable, on l'accoutume à ne venir au spectacle qu'avec un préjugé défavorable ; et plus la carrière se rétrécit pour les auteurs, plus la sévérité augmente, ce qui porte le caractère de la plus extrême injustice. Que les feuillistes s'applaudissent du scandale qu'ils déchaînent, ils ont complètement atteint leur but si, comme je n'en doute point, leur intention est de décourager tous ceux qui conservaient encore une étincelle de talent. Mais de quoi vivront-ils, et que leur restera t-il à mordre quand on n'écrira plus ? Le théâtre français est déjà menacé d'une paralysie terrible par les pertes qu'il éprouve ; que sera-ce quand la disette des ouvrages viendra se joindre à celle des acteurs? L. C.
(1) Quelques critiques ont prétendu que ce titre convenait moins à une tragédie qu'à un apologue. Ainsi un auteur tragique n'aurait pas le droit d'ajouter au nom de son héros un titre moral qui indiquât plus particulièrement le caractère du sujet qu'il traite ou le but qu'il se propose; ainsi Voltaire aurait eu tort de donner à son Alzire pour second titre les Américains, et à Mahomet, le Fanatisme ; titres dont l'un peut convenir à une nouvelle et l'autre a un traité de morale, tout aussi bien qu'à un drame ? Loin d'être de cet avis, nous pensons que notre auteur n'a pas eu tort de joindre au titre très-vague Don Pèdre, un second titre, qui prévient les spectateurs ou les lecteurs de l'innovation par laquelle il rapproche, dans cette tragédie, des héros de conditions si opposées.
(2) Famosa comedia.
Les Espagnols donnaient autrefois assez facilement ce titre emphatique aux ouvrages qu'ils imprimaient ou représentaient. Le Cid de Guilain de Castro est appelé aussi famosa Comedia. Cela ne tire pas plus à conséquence que les propos d'un marchand qui vante ce qu'il débite.
Il était assez d'usage encore de présenter la famosa comedia comme l'ouvrage d'un bel esprit de la cour, de un ingenio de esta corte, ce qui était vrai quelquefois. Lopez de Vega, et Calderon ont été attachés à des ministres. On attribue même plusieurs anciens drames, et Juan Paschal paraît être de ce nombre, à un roi de la famille de Charles-Quint.
(3) La fable du Paysan du Danube.
Le discours que la Fontaine met dans la bouche de cet homme à demi-sauvage, porte tout entier sur des objets de gouvernement. Rien de plus naturel. L'intérêt lui a fait sentir tous les vices d'un système dont il est victime. Un sens droit suffit à l'intelligence de ces matières ; et l'expérience vaut bien l'étude pour enseigner à en raisonner.
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