Rien de trop, ou les Deux paravents

Rien de trop, ou les Deux paravents ; comédie en 1 acte et en vaudevilles, de Joseph Pain, 4 janvier 1808, puis opéra-comique, paroles de Joseph Pain, musique de Boieldieu, 19 avril 1811.

Théâtre du Vaudeville (1808), Théâtre de l’Opéra-Comique (1811).

Il existe deux versions de cette pièce de Joseph Pain, le vaudeville, joué en 1808, et l'opéra-comique avec la musique de Boieldieu, joué à Paris en 1811.

Titre :

Rien de trop, ou les Deux paravents

Genre

comédie, puis opéra comique

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ,

prose, avec des couplets en vers

Musique :

vaudevilles pour la comédie, airs pour l’opéra comique

Date de création :

4 janvier 1808 (comédie), 19 avril 1811 (opéra-comique)

Théâtre :

Théâtre du Vaudeville, puis Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Pain

Compositeur(s) :

Boieldieu (pour l’opéra-comique)

Almanach des Muses 1809.

Sur la page de titre de la brochure de la comédie, à Paris, chez Barba, 1808 :

Rien de trop, comédie en un acte, en prose, mêlée de vaudevilles ; Par M. Joseph Pain. Représentée, pour la première fois à Paris, sur le théâtre du Vaudeville, le 4 janvier 1808.

Le Dieu de Cythère.............
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Ce n’est qu’un enfant volage
Qui veut, pour aimer l’ouvrage,
Avoir des jours de congé.

Scène dernière.

Sur la page de titre de la brochure de l’opéra-comique (sur le site archive.org), Paris, Barba, 1811 :

Rien de trop, ou les deux paravents, opéra-comique ; Paroles de M. Joseph Pain, Musique de M. A. Boieldieu. Représenté, pour la première fois, sur le théâtre de l'Opéra-Comique, le 19 avril 1811.

                 .........L'Amour,
       C'est un écolier volage,
       Aisément découragé,
Qui veut, pour aimer l'ouvrage,
Quelques heures de congé.

                       Scène IX.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 13e année (1808), tome 1, p. 216-218 :

[Après avoir donné la source de la pièce, c’est la situation des deux jeunes époux qui est mise en avant : ils ont voulu montrer que leur amour se suffit à lui-même, et leur oncle a parié qu’ils s’ennuieraient avant huit jours, et il a bien sûr raison, et il trouve moyen de réconcilier les jeunes gens, en jouant de leur jalousie, mais une jalousie sans motif. Jugement positif : « cette petite comédie a mérité son succès par l'esprit et la grâce du dialogue, et l'art avec lequel est traité un sujet froid par lui-même ». Qualité des couplets : ils sont « bien tournés, et gais sans jeux de mots » (grand compliment, à un moment où le calembour sévit lourdement au théâtre !). Pièce bien jouée, auteur nommé.]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Rien de trop, ou les deux Paravents.

Un joli conte d'Imbert a fourni l'idée de ce vaudeville qui vient d'être joué avec beaucoup de succès. Il est bien vrai que deux époux dans la première ivresse, croyent devoir se suffire à eux-mêmes, et voudroient, s'il étoit possible, se dérober au reste du monde : c'est dans ce cas que sont Léon et Evelina. Leur oncle qui veut leur donner une petite leçon, les envoie dans un vieux château, accompagnés d'un valet affidé qui doit lui rendre compte de tout ce qui se passera. L'oncle a parié avec les jeunes gens que huit jours ne se passeroient pas sans qu'ils voulussent revoir la capitale. Les jeunes gens ont assuré que jamais ils n'auroient d'autre désir que celui de s'adorer. A peine six jours sont écoules et l'ennui est venu, les querelles l'ont suivi; les querelles amusent d'abord, elles amènent des raccommodemens; mais on ne peut pas toujours disputer. On est réduit à faire conter des histoires au valet, mais il n'a pas un répertoire inépuisable. Enfin l'oncle reparoît, voit séparément et en secret les deux jeunes époux, double leur desir de revoir Paris. C'est alors que les ressources manquent, que l'impatience est au comble. On imagine de s'écrire : mais on se voit, cela détruit l'illusion. Deux paravents qui se trouvent là séparent nos époux ; l'un date sa lettre des grandes Indes, l'autre de Paris. La correspondance est refroidie dès la seconde lettre. L'oncle la rechauffe en substituant aux dernières missives des lettres d'un ancien amant d'Evelina, et d'une ancienne maîtresse de Léon. On va éclater, la jalousie s'éveille ; les paravents s'ouvrent, mais on voit au milieu l'oncle qui éclate de rire, se moque des deux étourdis et les emmène à Paris.

Cette petite comédie a mérité son succès par l'esprit et la grâce du dialogue, et l'art avec lequel est traité un sujet froid par lui-même, et dont l'Auteur a tiré le plus heureux parti : les couplets sont bien tournés, et gais sans jeux de mots.

Saint-Léger, Henri et Madame Hervey ont joué avec beaucoup de finesse. Laporte, si aimable sous le masque, a fait preuve de talent dans le rôle du valet qui joue l'imbécille avec ses nouveaux maîtres.

Cet ouvrage est de M. Joseph Pain : il fera le pendant de sa dernière pièce, Amour et Mystère.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome II, février 1808, p. 288-293 :

[La pièce nouvelle est une assez petite chose, un vaudeville sur un sujet plutôt mince, l’ennui de deux jeunes mariés à la campagne, et comment leur éviter de se disputer. L’auteur du compte rendu s’amuse beaucoup à faire ressentir la monotonie de la vie campagnarde pour ce jeune couple de parisiens perdu au milieu de rien et de nulle part. C’est le vieil oncle des jeunes mariés qui mettra un peu de sel dans leur ennui, ce qui amènera à un dénouement que le critique se permet de trouver artificiel (pourquoi finir là, plutôt qu’ailleurs ?). La pièce est donc jugée inégale, sur une idée heureuse, une première moitié amusante sur l’ennui des deux époux, et une deuxième un peu morne. Au total, malgré une fin un peu longue, de la « gaîté naturelle », dialogue et couplets pleins d’esprit. L’auteur a été nommé.]

Rien de trop, ou les deux Paravents

L'amour et la campagne ! ! ! … Je ne sais pas qui a dit cela, mais quelqu'un l'a dit sûrement. Et qui n'entend pas tout ce que cela veut dire ! Des prairies, des bosquets , des ruissaux [sic], des siéges de gazon, et l'amour, toujours l'amour, pas autre chose que l'amour ! Mais non, il n'est pas encore assez seul ; plaçons-le dans un vieux château, au milieu de l'hiver, le 4 Janvier, par exemple, deux pieds de neige autour du château, quatre grands fauteuils et un vieux secrétaire dans un immense salon, du bois verd dans une énorme cheminée, point de domestiques, point de visites, une parfaite solitude et l'amour. Je réponds qu'il se trouvera bien-là, très-bien, à merveille, tant qu'il y sera ; seulement quand il n'y sera plus, il faut savoir comment s'y trouveront les amoureux qui l'auront amené. C'est une distinction que n'ont pas faite Léon et Evélina, qui, mariés depuis quinze jours, sont venus, depuis près de huit, réfugier leur amour à la campagne, s'y mettre en sûreté contre le monde et les plaisirs, sans se douter que l'amour ne soit pas toujours un remède contre l'ennui. Est-ce qu'ils s'ennuieraient par hasard ? Dieu les en garde! Ce n'est pas qu'on ne fasse tout ce qu'il faut pour cela Un oncle qui les a mariés, piqué de leur retraite à la campagne, a résolu de les en punir en la rendant complette ; la vieille femme-de-chambre est malade, le seul domestique qui les ait accompagnés a reçu ordre de feindre la niaiserie la plus parfaite ; on a cassé les roues de la voiture ; on a démonté les fusils de chasse ; on a brisé en route les crayons de dessin ; aussi le temps pouvait bien commencer hier à leur paraître un peu long. Mais avec l'amour on a tant de ressources ! Les époux se sont querellés, ils se sont raccommodés aujourd'hui ; cela a renouvellé l'air : les voilà les plus heureux du monde. Mais, dit La Bruyère, il n'y a qu'un premier dépit en amour dont on puisse faire un bon usage, sur-tout à la campagne; des gens qui se voient toujours, qui peuvent se quereller, s'ils le veulent, à tous les instans de la journée, n'en prennent plus qu'à leur aise ; après s'être racommodés deux ou trois fois, on ne se brouille plus : gare la seconde querelle des deux époux, elle finira tout simplement comme elle aura commencé, sans qu'on sache trop comment, et comme la lettre qu'une femme écrivait à son mari : Je vous écris, parce que je n'ai rien à faire, et je finis, parce que je n'ai rien à vous dire. C'est à-peu-près comme cela que se querellent les gens qui ont de l'humeur. Je ne dis pourtant pas assurément que Léon et Evélina aient de l'humeur : d'autant plus heureux, au contraire, qu'ils commencent à sentir combien il faut s'aimer pour se plaire dans le triste séjour où ils se trouvent, ils en sont déjà à analyser leurs jouissances, et c'en est une que chaque privation qu'ils ont à supporter, car c'est une nouvelle preuve d'amour, et le vieil oncle a eu soin que le château leur en fournît beaucoup. Il n'y manque rien que ce qui se trouve par-tout, dit Léon, et ce qui se trouve si peu, l'amour. Ah ! l'amour......

Il faut pourtant déjeûner. Léon fait l'éloge de ces mets champêtres, du lait, des fruits, voilà la simplicité de l'âge d'or ; à la vérité, comme nous sommes en Janvier, Evélina trouve le lait un peu froid ; Léon jette avec humeur deux ou trois poires gâtées ; on se lève de table, on parle de Paris, du vuide de ses plaisirs ; on se dispute un peu, et puis on cesse, et puis on recommence ; dans un intervalle, l'un des époux demande : A présent que nous ne nous querellons plus, à quoi passerons-nous la journée ? On serait d'avis d'envoyer chercher à Paris quelques objets intéressans ; les bijoux de madame, l'équipage de chasse de monsieur. Mais quoi, les mauvais plaisans diront que Léon et Evélina commencent déjà à s'ennuyer l'un de l'autre, puisqu'ils cherchent des distractions. Ah ! sans doute, ils le diront; ces gens-là savent si peu comme on aime ! observe Evélina. Il faut le leur apprendre ; il faut soutenir la gageure : Léon et Evélina ont promis de se suffire pendant trois mois ; il faut bien espérer que le printemps viendra ; et puis d'ailleurs, ils ont du caractère. Les voilà donc au moment des grands efforts ; c'est ordinairement celui où on a le plus envie de céder. L'oncle, qui épie l'instant de leur retour à la raison pour en faire celui de leur retour à Paris, est arrivé comme par hasard, jugeant bien que c'en est assez de huit jours de tête-à-tête pour faire revenir la raison à deux amans ; mais ils ont promis de ne voir personne ; aussi chacun des deux veut le voir à l'insu de l'autre. Et c'est comme une bonne fortune, avec tous les agrémens et tous les assaisonnemens du mystère, que chacun des deux époux attend la visite du vieil oncle qu'ils ont quitté, il y a huit jours, pour trois mois. Tout est bien jusqu'ici, tout est piquant, plein d'esprit et de gaîté ; c'était à - peu-près là qu'il fallait finir la pièce, et il n'y aurait eu rien de trop. Mais la double entrevue ne produit rien que quelques indécisions ; les deux époux recommencent à s'ennuyer mutuellement, et on commence à trouver qu'ils pourraient bien avoir raison ; l'ennui n'est pas un moyen dramatique, car l'uniformité est son essence, langueur son attribut ; il reste à la même place quand il faudrait marcher ; l'intérêt d'une pièce

    Est un feu qu'il faut nourrir
Et qui s'éteint s'il ne s'augmente.

Pour que la situation ennuyée des personnages pût se soutenir d'une manière piquante, il fallait qu'elle produisît l'agitation, l'impatience, l'aigreur ; mais ils prennent leur mal trop en douceur. De tous les plaisirs du mariage, il ne leur reste plus à éprouver que ceux de l'absence ; ils imaginent de s'asseoir chacun derrière un paravent, d'où ils s'écriront comme s'ils étaient l'un à Paris, l'autre à Pondichéry. Pour varier la correspondance, l'oncle, placé sans qu'ils le sachent entre les deux paravents, fait passer, par-dessus l'un à Léon une lettre sans date qu'écrivait à Evélina avant son mariage un colonel Valmont, qui lui faisait alors la cour ; par-dessus l'autre, Evélina reçoit, par le même ordinaire, une lettre qu'a écrite à son mari une Emilie à qui il faisait la cour à la même époque. On ne voit pas trop là-dedans de quoi amener le dénouement, c'est pourtant ce qui l'amène ; tous deux sortent furieux de derrière leur paravent, sont tout étonnés de trouver l'oncle qui les rassure en leur apprenant que Valmont épouse Emilie, leur fait une petite morale, les ramène à Paris, et la pièce finit là sans qu'on y voie d'autre raison, si ce n'est qu'il faut qu'elle finisse quelque part.

Il faudrait bien que l'auteur tâchât d'en trouver une meilleure ; la première moitié de sa pièce mérite cet effort en faveur de la dernière. L'idée de cette petite comédie est heureuse, et excepté les longueurs de la fin, heureusement exécutée, l'ennui sentimental des deux époux est rendu avec une vérité, une gaîté naturelle qui deviennent tous les jours plus rares. Le dialogue et les couplets brillent d'esprit, et sauf un ou deux sur le temple de Gnide, d'un véritable esprit que le public aime bien autant que l'autre, même au Vaudeville quand il s'y rencontre ; il l'a prouvé ce soir, et n'a pas dû être étonné de son plaisir quand on lui a nommé M. Joseph Pain, auteur du joli vaudeville d’Amour et Mystère.                    P.

 

Journal du soir de politique et de littérature des Frères Chaigneau, n° 4653 du 21 avril 1811,, p. 4 :

[L'article s'ouvre sur les circonstances de la création (ou de la recréation) de Rien de trop, Boieldieu exilé en Russie cherchant un livret (un « poëme ») et n'en trouvant pas vraiment. Il s'est rabattu sur un sujet peu propre à l'opéra-comique, sur les paroles duquel il a pu mettre « une jolie musique ». Cet ennui éprouvé sur les bords de la Neva explique qu'un aussi bon musicien se soit attelé à un pareil travail. La pièce qu'il a utilisé montre deux jeunes gens qui s'ennuient à la campagne, et regrettent la vie citadine. Un tel sujet est impropre à « une action bien intéressante » : il ne se prête qu'« à des détails comiques, à des plaisanteries, à des mots heureux », à « quelques scènes amusantes. Mais le résultat est décevant : l'ouvrage est « froid, lent, prétentieux et vide d'action, sauf au dénouement (il était bien temps !), on y sent l'esprit de son auteur, mais c'est trop peu de choses. Seule la musique peut masquer ces « petits défauts » : tous les morceaux ont été « prodigieusement applaudis », le critique utilise tout le vocabulaire de l'éloge, avant de faire tout de même quelques reproches : trop de roulades, trop de recherche de l'originalité. Les chanteurs ont été remarquables, et les acteurs sont aussi bien joué que les chanteurs ont chanté. Le compositeur a paru sur la scène, salué avec enthousiasme.]

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Première représentation de Rien de trop,
opéra-comique en un acte.

Cette première représentation n'est que la reprise d'une pièce jouée, il y a peu de temps, au Vaudeville avec un petit succès sans conséquence. En se promenant sur les bords de la Newa, M. Boieldieu, un de nos plus agréables musiciens accusait la négligence des lyriques français dont il ne recevait aucun poëme ; dans cette extrémité, il jeta les yeux sur quelques pièces étrangères à la famille de l'opéra-comique, telles que la Jeune Femme colère, Agnès Sorel, Rien de trop, etc. ; il fit sur ces poëmes une musique aussi française que si elle eût été composée rue Feydeau, et lorsqu'un congé le ramena dans la capitale, il mit dans un coin de sa valise tous ces petits enfans de l'ennui qui commençaient à s'acclimater sous le ciel rigoureux de Saint-Pétersbourg.

Ce court récit d'une petite histoire suffit pour faire cesser l'étonnement des personnes qui ne concevaient pas comment un musicien aussi distingué avait pu travailler sur un canevas aussi mince que celui de Rien de trop. Le désœuvrement a produit des choses plus extraordinaires, et nous devons louer l'infatigable activité de M. Boieldieu puisqu'elle lui a fourni l'occasion d'une jolie musique sur un ouvrage qu'il n'en faut regarder que comme le prétexte.

Dans une petite pièce jouée anciennement aux boulevards, on voit deux jeunes gens mourir d'ennui à la campagne, qu'ils croyaient trouver comme dans les romans, sur le théâtre ou dans les églogues, et regretter la ville que par une ridicule boutade d'amour philosophique ils avaient étourdiement quittée. Ce sujet est celui de Rien de trop, il ne se prete pas à une action bien intéressante, et sous ce rapport l'auteur ne l'a pas tourmenté ; mais il peut donner lieu à des détails comiques, à des plaisanteries, à des mots heureux, et offrir quelques scènes amusantes ; il me semble que, sous ce point de vue, le nouvel opéra-comique n'a pas réalisé ces espérances, il est froid, lent, prétentieux et vide d'action jusqu'à la dernière scène, qui s'anime quand il n'est plus temps. Cependant il y a de l'esprit dans le dialogue et une certaine grace que l'on remarque dans tous les ouvrages de M. Joseph Pain : c'est dommage que cela ne suffise pas pour constituer une comédie.

La musique a couvert de son mieux ces petits défauts. Depuis l'ouverture jusqu'au final, tous les morceaux ont été prodigieusement applaudis ; deux couplets chantés par Martin ont été redemandés. Sans être savante, cette musique est ingénieuse, elle est remplie de traits légers, gracieux, spirituels, elle a les qualités qui mettent ces ouvrages à la mode ; on y a pourtant blâmé l'abondance abusive des roulades et un peu trop de recherche dans l'originalité qui la caractérise. Du reste, elle porte l'empreinte de l'aimable talent de son auteur, et si elle n'ajoute rien à sa couronne, elle n'en détruira pas un fleuron.

Mme Duret a chanté de la manière la plus admirable tous ses airs parfaitement appropriés à la nature de sa voix. Martin l'a combattue sans la vaincre, et tous deux ont partagé les honneurs de la victoire. Gavaudan et Chenard ont aussi bien joué que leurs camarades ont chanté.

M. Boieldieu s'est rendu aux vœux du public, qui l'a reçu avec transport.

M.D.          

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 16e année (1811), tome 2, p. 394-395 :

[Après la comédie, l’opéra-comique. la musique (de Boïeldieu) a déjà été jouée à Saint-Petersbourg, et son exécution à Paris a été un succès. Elle a « de la grâce et de la légèreté », et des accompagnements riches.]

Rien de. trop, ou les deux Paravents, opéra comique en un acte, joué le 19 avril.

L'intrigue de cette pièce est légère ; elle roule sur les petites brouilleries de jeunes époux, qui ont voulu se séquestrer du grand monde, et qui ne peuvent échapper à l'ennui dans la. solitude où ils croyoient se suffire à eux-même ; ils ont promis plus qu'ils ne peuvent tenir. Un oncle les corrige de la manie de la retraite. Le dénouement est un peu brusque.

Cette pièce avoit eu du succès au Vaudeville. M. Boyeldieu, qui en avoit fait la musique à Saint-Pétersbourg, a désiré qu'elle fût exécutée à Paris, et le succès a rempli son attente. On y a trouvé de la grâce et de la légèreté : ses accompagnemens sont riches et variés. Les deux plus jolis airs sont celui où le valet raconte l'infidélité de sa maîtresse, et le petit duo entre Gavaudan et Madame Duret, Cette dernière a brillé dans cette pièce comme cantatrice et comme actrice.

Les auteurs sont, pour les paroles, M. Joseph Pain ; et, pour la musique, M. Boyeldieu, qui a paru pour se rendre aux désirs du public.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1811, p. 276-280 :

[Rien de nouveau : les paroles sont celles d’une comédie jouée en 1808, la musique de Boyeldieu a été déjà exécutée à Saint-Pétersbourg, et elle est créée à Paris à la demande du compositeur. Le critique doit d’abord justifier l’idée de la transformation d’un vaudeville en opéra-comique. Il le fait en regrettant le déclin du vaudeville, devenu simple prétexte à pointes et à calembours. Ce qui est inédit à Paris, c’est donc la musique, composée dans les glaces du Nord, mais restée riche de l’imagination de son compositeur. C’est la musique que l’article met en avant : « variée, légère et brillante », elle met en valeur le chant, jamais écrasé sous les accompagnements. Elle est servie par de merveilleux interprètes, à qui on pourrait seulement demander de ne pas abuser des roulades. Pour l’intrigue, elle était déjà connue. D’un « plan extrêmement léger », elle vaut par les détails que l’auteur y a introduits. C’est e compositeur qui a été « demandé d'une voix unanime »]

Rien de Trop, ou les Deux Paravens.

L'auteur des paroles n'avait, cette fois, qu'une part assez médiocre dans l'empressement du public ; son ouvrage n'est pas nouveau, et malgré quelques jolis détails que l'on y rencontre, il est probable que la simple translation d'un vaudeville sur le théâtre de l'Opéra-Comique n'aurait pas suffi pour exciter la curiosité. Ce n'est pas que M. Joseph Pain ne puisse être satisfait de sa bonne fortune, et qu'il ne doive s'applaudir du hasard heureux qui a fait monter sa pièce à un rang auquel, sans doute, il ne songeait guère à prétendre pour elle ; jadis, il est vrai, le Vaudeville et l'Opéra-Comique marchaient presque sur la même ligne ; mais alors les auteurs de vaudevilles ne cherchaient pas seulement un canevas pour leurs couplets, et ne regardaient pas les pointes et les calembourgs comme la partie principale du dialogue ; depuis, nos chansonniers ont changé de système ; ils trouvent incontestablement de grands avantages dans la nouvelle méthode qu'ils ont adoptée ; mais, en se reportant du point où ils sont arrivés, jusqu'à celui d'où ils sont partis, on peut aisément calculer ce que le genre des Favart et des Collé a gagné entre les mains de leurs successeurs. Ce qu'il y a de sûr, au moins, c'est que la plupart de nos petits vaudevilles ne gagneraient pas grand chose à quitter leur petite sphère, et c'est un honneur pour l'ouvrage de M. Joseph Pain que d'avoir résisté à une pareille épreuve. Il est certain qu'il n'a tenté l'aventure qu'avec le secours d'un puissant auxiliaire. La musique de M. Boyeldieu était la véritable, la seule nouveauté, et nouveauté d'autant plus piquante, que l'on pouvait la considérer comme production étrangère. Voltaire disait aux beaux-esprits de son temps :

Faites tous vos vers à Paris,
Et n'allez pas en Allemagne.

Peut-être pourrait-on également conseiller à nos musiciens de ne pas se risquer sur les rivages glacés de la mer du Nord, et de diriger plutôt leurs courses vers la patrie privilégiée de la mélodie ; mais au-delà des Alpes, on se contente d'apprécier le mérite, et, sur les bords de la Newa, on le paie. Le talent est d'ailleurs à l'abri de l'influence des climats. Ovide, exilé vers l'Euxin, sut y retrouver les inspirations de sa muse ; sa lyre n'y rendit pas des sons moins harmonieux que sur les rives du Tibre. Et M. Boyeldieu, qui n'a pas eu besoin des ordres d'un maître rigoureux pour aller encore plus loin qu'Ovide, a su conserver comme lui, au milieu des frimats, la chaleur et les grâces de son imagination. Je ne sais si les boyards de Russie ont vivement senti tous les charmes de la musique qu'il vient de nous rapporter en France ; mais je doute que les applaudissemens aient été plus soutenus au théâtre de St.-Pétersbourg qu'au théâtre Feydeau.

Une facture variée, légère et brillante forme le caractère principal de cette composition. Quelques airs sont d'une expression charmante et d'une heureuse mélodie. Les accompagnemens, presque touiours gracieux, n'étouffent jamais le chant. Et ce que M. Boyeldieu n'a sûrement pas trouvé en Russie pour faire sentir tout le mérite de sa musique, ce sont deux gosiers tels que ceux de Martin et de madame Duret. Ce ne sont plus des voix, ce sont des instrumens, et à moins de les entendre, il est impossible de se faire une idée de tout ce qu'ils exécutent. Peut-être même le compositeur devrait-il, pour l'avantage de sa musique, exiger le sacrifice de quelques roulades ; le chant disparaît quelquefois sous la foule d'ornemens dont on le couvre, et plus la chanteur entasse de difficultés, moins le spectateur est sensible aux charmes de la mélodie. On a cependant applaudi particulièrement plusieurs morceaux ; entr'autres le duo : Aux champs, à la campagne ; celui qui commence ainsi : J'ai vu le Parnasse des dames ; un air chanté par Martin, et que l'on a fait répéter; et l'on a remarqué facilement que les témoignages de satisfaction étaient communs aux chanteurs et au musicien.

Je n'ai pas cru devoir rappeller l'intrigue de la pièce ; d'abord elle était déjà connue, et puis le fond en est fort peu de chose. Deux jeunes époux se retirent à la campagne pour y jouir paisiblement de leur amour ; mais au bout de huit jours, ils commencent à s'ennuyer du tête à tête, et prennent le parti de se voir moins souvent pour s'aimer davantage. Tel est le plan excessivement léger que l'auteur de cet ouvrage a semé de jolis détails, parmi lesquels on trouve de temps en temps un peu d'enfantillage ; mais son plus grand mérite, à coup sûr, consiste maintenant dans la musique de M. Boyeldieu, que le parterre a demandé d'une voix unanime. Il a paru, conduit par Chenard et par Gavaudan, qui avaient contribué de tous leurs moyens au succès de la pièce.

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