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Romulus, ou l’Origine de Rome
Romulus, ou l’Origine de Rome, mélodrame en trois actes, en prose et à grand spectacle, d'Auguste Lamey, musique d'Alexandre Piccini, ballets de Hus,30 mars 1807.
Théâtre de la Porte Saint-Martin.
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Titre :
Rmulus, ou l’Origine de Rome
Genre
mélodrame à grand spectacle
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
en prose
Musique :
oui
Date de création :
30 mars 1807
Théâtre :
Théâtre de la Porte Saint-Martin
Auteur(s) des paroles :
Auguste Lamey
Compositeur(s) :
Alexandre Piccini
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1807 :
Romulus, ou l’Origine de Rome, mélodrame en trois actes, en prose et à grand spectacle ; Par Auguste Lamey. Musique de M Alexandre Piccini, attaché à la musique particulière de S. M. l’Empereur et Roi. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Porte Saint-Martin, le 30 mars 1807.
Le texte de la pièce est précédé d’un avant-propos :
[Non pas une préface, mais un avant-propos, qui ne cherche pas à justifier la pièce, mais une liste de remerciements, pour le théâtre, et en particulier pour son directeur, attentif à la mise en scène de la pièce, et pour les artistes qui ont accepté de porter un costume romain qui ne leur est pas familier (c’est dans les tragédies qu’on porte la tunique, pas dans le mélodrame), et en particulier deux acteurs mis en avant, un jeune acteur prometteur, et un acteur confirmé qui a accepté de jouer un petit rôle.
Ce mélodrame d’une nature sévère a obtenu le suffrage du public ; son accueil ne pouvait être plus favorable. Je déclare avec plaisir que je crois le devoir en grande partie à la manière distinguée dont l'administration du théâtre de la Porte St.-Martin a monté mon ouvrage ; la musique de M. Piccini, le beau caractère des ballets, et surtout les décorations peintes par MM. Mathis et Desroches ont ravi les spectateurs.
J'offre particulièrement à M. Dubois, administrateur et directeur du même théâtre, les témoignages de ma reconnaissance. Le zèle avec lequel je l'ai vu soigner tous les détails de la mise en scène, m'y porterait déjà quand je ne lui aurais pas d'autres obligations : mais c'est en écoutant ses avis que j'ai fait à ce premier essai dramatique nombre de changemens heureux et que le succès a justifiés.
Je ne dois pas me montrer plus ingrat envers les artistes qui ont représenté mon mélodrame. Ils ont fait un acte de dévouement en paraissant dans un costume que le public n'est pas accoutumé à leur voir. Tous les acteurs chargés des principaux rôles, quoique d'abord la tunique dût les étonner un peu, semblaient avoir à cœur de prouver cette assertion de La Motte, qu'on peut, même en disant la prose, faire triompher Melpomène.
J'ai eu le bonheur de trouver dans M. Philippe un talent, tel qu'il le fallait pour remplir le personnage de mon Romulus ; ce jeune acteur, dont les moyens s'accroissent chaque jour, peut espérer de parcourir une carrière très-honorable.
M. Bourdais, tant aimé dans les emplois comiques, a bien voulu se charger du petit rôle de Faustulus ; je l'en remercie, et je crois qu'il a été à portée de reconnaître que le vrai mérite se fait apprécier par tout.
Courrier des spectacles, n° 3702 du 31 mars 1807, p. 3 :
[Premier article sur le nouveau mélodrame, avant l’article complet du lendemain. Un peu de surprise de voir cette pièce, sur ce sujet, sur ce théâtre. Et il n’y a pas ce qui fait le vrai mélodrame : « pas le plus petit mot pour rire. On n’y a pas vu de niais » (le mélange des genre est habituel dans le mélodrame). La pièce a réussi, et elle est saluée de toute une série de compliments : style, action, habileté des incidents, belles décorations, beaux ballets. Les auteurs ont été nommés, y compris le décorateur.]
Le Théâtre de la Porte St. Martin vient de s’enrichir d’un nouveau mélodrame dont l’auteur s’est écarté de la ligne suivie jusqu’à ce jour ; c’est un ouvrage sérieux où il n’y a pas le plus petit mot pour rire. On n’y a pas vu de niais, comme dans tant d’autres pièces, mais le sujet ne le comportoit pas. Le succès n’en a pas été moins beau. Le style en est soigné, l’action marche assez bien, plusieurs incidens sont adroitement ménagés ; les décorations et les ballets rendent ce spectacle vraiment curieux. Les auteurs ont été demandés ; on est venu nommer M. Lamé pour les paroles, M. Piccini pour la musique, et M. Eugène Hus pour les ballets. Les décors sont de M. Mathis.
Courrier des spectacles, n° 3703 du 1er avril 1807, p. 2-3 :
[Après le court article de la veille, un long article très complet et très organisé. Le premier point est celui de l’historicité de la pièce. Le sujet choisi pour ce mélodrame concerne un des personnages les plus importants de l’histoire, qu’on montre ici au moment où il « jette les fondemens de son nouvel empire ». Le critique enchaîne avec le résumé de l’intrigue, racontée comme l’intrigue de n’importe quel mélodrame, à grand renfort de trahisons, de combinaisons politiques, de combats. S’y ajoutent de nombreuses allusions à la tradition historique, entre autres sur la naissance et l’éducation de Romulus et Rémus. La fin de la pièce n’est pas très clairement racontée. Mais le critique passe au jugement sur « ce poëme [qui] est tout-à-fait dans le genre héroïque » (mais pas tragique). S’il a évité les traits habituels du mélodrame (« point de niais, point d’amoureux transis ; point de contes d’ogres, de faits gigantesques », le critique lui reproche de ne pas avoir été « plus fidèle à la vérité historique » du personnage d’Hersilie. Cette infidélité à l’histoire est excusée, comme privilège des poètes, auxquels le critique joint les prosateurs. Ce personnage inventé est d’ailleurs jugé « assez inutile ». Le meilleur rôle est celui de Romulus, « le mieux traité, le mieux soutenu et le plus intéressant ». Les jugements portés sur la pièce sont globalement positifs : pureté du style, coulant et rapide ; « belles pensées rendues avec élégance ». De ce point de vue, ce mélodrame se distingue des autres pièces du genre. La distribution est ensuite traitée favorablement : tous les acteurs cités le sont de façon élogieuse, et tout le monde a su jouer avec ensemble. Mêmes éloges pour le ballet et pour la musique, « une des compositions les plus soignées que l’on ait encore entendues dans les mélodrames ». Et l’article s’achève sur les décorations, détaillées acte par acte : « ces décorations font le plus grand honneur aux artistes qui les ont exécutées ». Il faut insister sur le traitement étonnamment favorable du jugement porté sur l’ensemble de la pièce, dans toutes ses composantes.]
Théâtre de la Porte St-Martin.
Romulus.
L’auteur de ce mélodrame n’a point imité ses confrères ; il n’a pas choisi pour sujet de son poëme un héros de roman, un être imaginaire aussi obscur que son historien, il s’est élevé jusqu’au chef du plus fameux empire du Monde, jusqu’au fondateur de la ville la plus célèbre qui ait existé. Que de souvenirs mémorables ne retrace pas ce nom de Romulus ? Petit-fils d’un Roi, exposé à la mort dès sou berceau, nourri dans les forêts ; sauvé par un berger, devenu lui-même chef des pâtres, il bâtit une ville, l’entoure de murailles, forme un peuple, lui donne des loix, un sénat, et meurt de la main de ceux qu’il a élevés, et qui le déifient après son trépas. Jamais plus noble sujet put-il enflammer la verve d’un auteur de mélodrames ? Ici on l’a représenté au moment où il jette les fondemens de son nouvel empire. Il n’est encore que le plus intrépide des pâtres ; mais il aspire à régner, et déjà il a le sentiment de sa grandeur future.
Au premier acte, qui représente le Mont Saturnin, et quelques cabanes éparses sur son sommet. Un émissaire d’Amulius, roi d’Albe, et grand-oncle de Rornulus et de Rémus, forme le projet de tuer Romulus. Il arrive pendant le sommeil du héros ; mais il n’a pas le tems d’exécuter son crime. Romulus, à son réveil, se plait à se rappeler les images flatteuses qu’un songe enchanteur lui a offertes. Il a vu Rome s’élever, s’agrandir et devenir la reine des cités. Sa grande ame s’enflamme ; il ne songe plus qu’à réaliser les promesses des Dieux. Il rassemble ses fidèles compagnons, et Rémus avec eux ; il leur déclare ses projets, leur propose de faire tomber leurs premiers coups sur Vulpérinus, chef de brigands qui infecte la forêt voisine.
Mais à l’instant même, on annonce l’arrivée d’un envoyé de ce chef ; il cherche d’abord à calmer le ressentiment de Romulus ; le héros paroissant peu disposé à l’entendre, il se nomme ; c’est Vulpérinus lui-même, qui vient, dit-il, unir son ressentiment contre le Roi d’Albe à celui de Romulus, et lui remettre le commandement des hommes dévoués à sa cause ; fort d’un tel appui, Romulus marche contre Albe, et laisse peu de monde sous la conduite de Rémus pour défendre les montagnes qui lui servent d’azile.
Le traitre qui a tenté de l’assassiner, se hâte d’instruire Amulius de ce départ ; bien-tôt il revient, et surprend Rémus, qui est presque sans défense, le fait prisonnier et le conduit à Albe, devant Amulius. Déjà Romulus s’est avancé avec ses soldats jusqu’au bois sacré où s’élève un temple antique consacré aux mânes d’Enée, d’Anchise et d’Ascagne. Il protège leurs dépouilles mortelles, et empêche qu’on ne les enlève pour les transporter à Albe. En ce moment, Vulpérinus apprend le malheur arrivé à son frère. Il laisse aussi-tôt une garde suffisante pour défendre le temple, et il marche avec sou armée contre la capitale d’Amulius.
Ce prince coupable étoit en proie à toutes les furies vengeresses. Usurpateur du trône, il n’avoit laissé à son frere Numitor que les honneurs de la toge et le titre de chef suprême des loix. Les rapports qu’on lui a faits sur la naissance de Romulus et de Rémus portent le trouble dans sa conscience criminelle, et lui font craindre qu’ils ne soient les fils de Numitor ; il se dispose aussi-tôt à faire périr Rémus ; et ordonne à Numitor de le juger et de le condamner à mort ; mais à la vue de Rémus, le vénérable vieillard se sent ému ; il ne peut le regarder, lui parler sans se rappeler sa fille. Enfin le mystère de la naissance de Rémus se découvre. Le berger Faustulus qui a élevé secrettement Romulus et son frère, vient déclarer hautement qu’ils sont fils de Rhéa Sylvia. Amulius furieux, donne l’ordre de conduire Rémus au supplice. En ce moment Vulpérinus arrive :; Remus lui succède ; il épargne le sang d Amulius, mais il lui déclare que son règne est fini, et que le sceptre va passer dans la ville nouvelle qui s’élève sur les sept collines.
On voit que ce poëme est tout à-fait dans la genre héroïque ; l'auteur a voulu se rendre digne de son sujet ; point de niais, point d’amoureux transis ; point de contes d’ogres, de faits gigantesques. On regrette seulement qu'il n’ait pas été plus fidèle à la vérité historique. Il crée de son plein pouvoir une princesse Hersilie, qui n’a jamais connu Romulus. Il la fait fille du Roi des Antemnates, tandis que tout le monde sait qu’elle étoit fille de Tatius, Roi des Sabins. Son arrivée au camp de Romulus est encore une fable de l’invention de l’auteur ; mais il faut bien que les poëtes, même ceux qui ne font pas de vers, jouissent de leur privilège Ce rôle d’Hersilie est assez inutile et produit peu d’effet. Le personnage de Romulus est celui qui semble avoir été le mieux médité ; c’est aussi le mieux traité, le mieux soutenu et le plus intéressant. Presque tous les rôles sont écrits avec pureté ; le style est coulant, rapide ; il offre de belles pensées rendues avec élégance. En général, on trouve peu de mélodrames qui, sous ce rapport, aient autant de mérite.
La pièce est jouée avec ensemble ; les premiers acteurs de ce théâtre n’ont pas dé daigné d’y paroitre dans des rôles accessoires. Adnet remplit avec noblesse le rôle de Vulpérinus ; Dugrand a de la chaleur et de la dignité d’y paroître dans des rôles accessoires. Adnet remplit avec noblesse le rôle de Vulpérinus ; Dugrand a de la chaleur et de la dignité dans celui de Grand Prêtre ; Dugy, Dherbouville et Mlle. Rose se sont fait applaudir dans les personnages d’Amulius et d’Hersilie. Le principal rôle, celui de Romulus, étoit confié à Philippe. Ce jeune acteur y a déployé beaucoup de force et de noblesse. C’est un des rôles qu’il a joués avec le plus de succès.
Les ballets du premier et du troisième actes sont tracés avec infiniment de goût. Madame Quériau et Morand, mesd. Caroline, Aline et Mérante s’y font tour-à-tour applaudir par leur grâce, leur légèreté, ou leur vigueur. La musique est une des compositions les plus soignées que l’on ait encore entendues dans les mélodrames. L’ouverture et les airs des ballets ont été généralement goûtés.
Il nous reste à parler des décorations. Nous avons déjà dit que la première représentoit les cabanes disséminées sur les montagnes où Rome devoit s’élever. Le second acte se passe dans un bois touffu et silencieux au fond duquel on distingue les colonnes d’un temple antique. Cette décoration a quelque chose d’imposant et de religieux. Au troisième acte, on apperçoit les jardins du palais du Roi d’Albe. Ces décorations font le plus grand honneur aux artistes qui les ont exécutées.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1807, p. 282-286 :
[Le critique commence par faire part de sa surprise : qu’on joue, dans un théâtre de second ordre, sur le boulevard, une pièce dont les héros sont Romulus et Rémus, une intrigue puisée chez Denis d’Halicarnasse, un sujet qui pourrait relever de la tragédie, et non plus du mélodrame. C’est une utile révision des débuts de l’histoire de Rome qui est proposé, et le critique raconte avec un brin d’ironie l’intrigue de cette pièce si particulière à ses yeux. Une large part du compte rendu est consacré à ce récit, avec peu d’allusion à la pièce et beaucoup à la légende, avec des digressions, sur les opinions de Denis ou la philosophie de Platon. une fois arrivé à la fin de l’intrigue (la remise sur son trône de Numitor, le grand père de Romulus et de Rémus), il faut dire comment cette intrigue a été accommodée pour devenir mélodrame. Il y a toute une série de personnages créés par l’auteur : le père des fameux jumeaux, un descendant d’Ascagne, une princesse qui fuit son père qui veut la marier et un ennemi de Romulus. Une scène de dispute entre les deux frères se termine heureusement par la soumission de Rémus (mais on n’est pas encore à la fondation de Rome). Le critique formule un certains nombres de reproches à la pièce : concentration du pathétique dans le troisième et dernier acte, la pièce n’ayant pas de vraie exposition, ni marche dramatique, ni gradation d’intérêt. Assez perfidement, il affirme la large supériorité du sujet sur son traitement : « il y a peu d’art dans cet ouvrage ». C’est un mélodrame, et le genre ne dispose ni de bons auteurs, ni de bons acteurs. Ce qui n’empêche pas al pièce d’être un bon spectacle, « une des pièces les plus nobles, les plus sages et les mieux écrites qu'on ait présentées aux Boulevards ». Ellle a des costumes et des décors dignes des meilleurs théâtres, et même les danses y sont d’un niveau supérieur à ce quon voit habituellement dans ce théâtre.]
THÉATRE DE LA PORTE ST.-MARTIN.
Romulus.
Le fondateur de Rome au Boulevard ! Romulus héros de mélodrame à la porte St.-Martin ! Quelle gloire pour le mélodrame ! Quel titre de noblesse pour le Boulevard ! L'aventure de Romulus et de Rémus joint au merveilleux du roman l'autorité de l'histoire et le poids des plus grands noms, Qui jamais eût pu croire qu'un auteur de mélodrame, au lieu de mettre à contribution les romans et les théâtres étrangers, irait puiser son sujet dans les antiquités romaines, dans le grave Denis d'Halicarnasse, vénérable écrivain, qui n'est guères connu aujourd'hui que des érudits de la première force ? Cette ancienne fable sur les deux illustres bâtards du dieu de la guerre, semble taillée pour un mélodrame : il y a un tyran et des victimes ; des enfans jettés dans la rivière, allaités par une louve, recueillis par un berger, élevés comme ses fils, reconnus pour des princes, et finissant, comme de raison, par exterminer le tyran : voilà un fond théâtral, riche en situations, et qui pourrait même, à quelques égards, convenir à la tragédie.
Le nouveau mélodrame fournira aux spectateurs l'occasion de s'instruire des commencemens de l'histoire romaine : ce sera pour eux un plaisir utile. Ils apprendront qu'Amulius abusa de la faiblesse de son frère aîné Numitor, pour lui ravir le trône d'Albe. Jaloux d'assurer son usurpation, il imagina d'éteindre la postérité de son frère : il tua lui-même à la chasse son neveu Egeste, et fit de sa nièce une vestale; mais l'Amour déconcerta ses projets meurtriers. Sa nièce, la vestale, allant seule puiser de l'eau à la fontaine, dans un bois sombre et solitaire, vérifia le proverbe de Figaro : Tant va la cruche à l'eau, qu'à la fin elle s'emplit. La vierge Rhéa Sylvia ne revint pas du bois comme elle y était allée : un de ses amans, qui la guettait depuis long-temps, profita de la solitude et de l'obscurité du lieu ; pour n'être pas reconnu, il s'était armé de pied en cap, et son visage était couvert d'un casque. De là le bruit que le dieu Mars lui-même était l'auteur de cette violence. Les réflexions du bon Denis d'Halicarnasse sur un pareil conte, sont naïves et curieuses ; il n'ose pas attribuer à un dieu l'outrage fait à une Vestale, parce que la nature divine, heureuse et pure, n'admet aucune action indigne d'elle ; mais il est tenté de mettre le fait sur le compte d'un demi-dieu ou démon, mitoyen entre la divinité et l'humanité, et pouvant avoir commerce avec les déesses comme avec les mortelles : mélange dont, selon lui, sont nés les héros. Cependant il ne veut pas approfondir l'existence de ces êtres amphibies, et renvoie ses lecteurs à ce qu'en ont dit les philosophes : c'est en effet un des points de la doctrine de Platon ; et ce fameux disciple de Socrate est le père de nos fées et de nos génies : il a donné sa sanction à la riante mythologie des anciens et à nos contes bleus.
Nous avons laissé notre vestale dans un état critique : l'aventure du bois ne tarda pas à se manifester par des signes sensibles. Amulius la fit étroitement garder pendant sa grossesse ; elle accoucha de deux jumeaux que le tyran fit jetter dans le Tibre. Le plus court et le plus sûr était de les faire mourir ; mais les tyrans manquent toujours à quelque chose, sans quoi il n'y aurait point de mélodrames : il en est de même des pères, des tuteurs et des maris, qui ne s'avisent jamais de tout, sans quoi il n'y aurait point de comédies.
Les enfans ne furent pas noyés : le Tibre, alors débordé, les laissa à sec en se retirant ; et une louve, beaucoup meilleure que leur oncle, leur donna du lait. On dit cependant que cette louve n'était autre chose qu'une femme galante : on donnait alors à ces femmes le vilain nom de Lupa, c'est-à-dire louve , tant les mœurs de ce temps-là étaient tristes et austères. Cette louve était précisément la femme du berger qui trouva les enfans. Les nourrissons de la louve ne devinrent pas de fort bons sujets : dès qu'ils furent grands, ils se joignirent à des pasteurs du mont Palatin, qui passaient un peu pour brigands, quoiqu'on en ait fait des espèces d'hermites dans le nouveau mélodrame ; ils se distinguèrent dans la troupe, par leur courage et leur audace héroïque. Dans un des combats qu'ils avaient coutume de livrer aux bergers du roi, Rémus, l'un des frères, fut fait prisonnier : son grand-père Numitor l'interrogea ; il admira son air noble, son intrépidité. Amulius fut consterné au récit de ces aventures ; il fit venir le berger qui leur avait servi de père, et sur son rapport, soupçonnant que c'étaient ses petits-neveux, il donna des ordres pour qu'on lui amenât Romulus, résolu de faire périr ces deux héritiers de Numitor ; mais Romulus, instruit, par le berger, du danger de son frère, avait déjà rassemblé à la hâte une petite armée de paysans et de vagabonds : à la tête de ses braves, il marche contre Amulius, l'immole à sa vengeance ; et après avoir conté au peuple son histoire, il replace sur le trône d'Albe son aïeul Numitor.
Il fallait accommoder ce sujet au théâtre ; ce qui n'était pas très-facile. L'auteur a créé quelques personnages, entr'autres le père de Rémus et de Romulus, qui, sous le nom de Vulpario, est à la tête d'une troupe de pasteurs dans les environs d'Albe ; ce Vulpario a un entretien fort intéressant avec Romulus. On remarque aussi un descendant d'Ascagne, espèce de pontife qui habite un bois sacré, où il reçoit ceux qui viennent faire leurs dévotions : l'un des plus dévots, c'est Romulus. Les plus farouches guerriers sont souvent plus susceptibles que les autres de faiblesses superstitieuses : il y a aussi une princesse de la façon de l'auteur. Cette princesse, pour se dérober à la violence d'un père qui veut la marier malgré elle, s'est mise sous la protection de Romulus , dont elle est devenue amoureuse ; elle suit la troupe, toute composée de gens vertueux, hospitaliers, polis, respectueux pour les femmes; ajoutez à cela un ennemi de Romulus dont j'ai oublié le nom, lequel vient pour l'assassiner pendant qu'il dort et n'en a pas le courage : voilà à-peu-près toutes les créations de l'auteur. Il est aussi l'inventeur d'une scène assez adroite où Romulus et Rémus prennent ensemble querelle. Cela ne finit pas comme dans l'histoire par l'assassinat de Rémus : Rémus cède à Romulus, et consent à lui obéir comme à son chef.
Tout ce qu'il y a de pathétique et de théâtral est réuni dans le troisième acte qui est très intéressant ; mais on l'a fait aux dépens des deux autres. On désirerait une exposition, un ensemble, une marche dramatique, une gradation d'intérêt. On ne peut pas dire de ce mélodrame, ce qu'Ovide disait du char du soleil
Materiam superabat opus.
« La main-d'œuvre était plus précieuse que la matière ». Ici, au contraire, la matière l'emporte de beaucoup sur la main-d'œuvre : il y a peu d'art dans cet ouvrage ; mais s'il y en avait beaucoup, ce serait une tragédie. Malheur au théâtre français, quand un homme de quelque talent, et connaissant les effets de la scène, s'avisera de faire des mélodrames ! Il est vrai qu'il lui faudrait en outre des acteurs capables d'exécuter : ainsi l'on peut se rassurer. Pour que le mélodrame exerce sa maligne influence au point de paralyser la tragédie, il lui manque encore deux bagatelles, des auteurs et des acteurs.
Cependant on peut dire que dans ce genre, Romulus est une des pièces les plus nobles, les plus sages et les mieux écrites qu'on ait présentées aux Boulevards. Ce qui doit exciter sur-tout la curiosité et attirer longtemps la foule, c'est la magnificence extraordinaire avec laquelle ce mélodrame est monté. Les costumes ne le cèdent point à ceux du théâtre français et de l'opéra. Les décorations sont admirables : il y a surtout un ciel tel qu'on n'en voit pas même à l'opéra, Les danses ne soutiendraient pas la comparaison ; mais il y a long-temps qu'on n'en a vu d'aussi brillantes à la Porte Saint-Martin En un mot, pour bien apprécier Romulus, il faut dire ; c'est un beau spectacle.
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