Roxelane mariée, ou la Suite des Trois sultanes

Roxelane mariée, ou la Suite des Trois sultanes, comédie en trois actes et en vers, de Pigault-Lebrun, 2 juillet 1810.

Théâtre de l'Impératrice.

L’auteur de la pièce n'a pas été nommé, mais l'anonymat de l’auteur est tout relatif, et Paul Porel et Georges Monval dans leur L'Odéon : histoire administrative, anecdotique et littéraire, p. 246 nomment Pigault-Lebrun.

Titre :

Roxelane mariée, ou la Suite des trois Sultanes

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers ou prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

2 juillet 1810

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Pigault-Lebrun

Almanach des Muses 1811.

Piece que le public n'a pas voulu entendre.

La nouvelle pièce prétend continuer la comédie en trois actes de Charles-Simon Favart, musique de Paul-César Gilbert, les Trois Sultanes, ou Soliman II, créée en 1761 et qui mettait en comédie un conte de Marmontel. Les critiques, devant l'échec de la suite qu'on a voulu lui donner, s'interrogent sur la possibilité d'une telle appropriation : pourquoi ce qui charmait dans la Roxelane fiancée a déplu dans la Roxelane mariée...

Mercure de France, journal littéraire et politique, tome quarante-troisième, n° CCCCLXX (samedi 21 juillet 1810), p. 180 :

[La pièce est tombée, et on attend une version remaniée pour en faire la critique, d’autant que l’auteur, non nommé, est connu par des succès « très-mérités ».]

Nous n'avons point parlé de Roxelane mariée ou la suite des trois Sultanes, comédie en trois actes et en prose, jouée et tombée à ce théâtre le 2 de ce mois. La raison de notre silence est que l'auteur, connu par des succès très-mérités, a retiré sa pièce pour la refondre. Il sera tems de la juger lorsqu'il l'aura remise au théâtre avec ses corrections; et rien n'était moins pressé que d'annoncer simplement sa chute.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, année 1812, tome IV, p. 170-171 :

[Inutile d’accabler l’« auteur aimable » d’une pièce tombée, et qui s’est « complètement trompé ». Pas de critique, juste la recherche d’une explication pour cette Roxelane si amusante dans la pièce de Favart qui utilisait fidèlement un conte de Marmontel, et si ennuyeuse ici. C’est que le personnage a changé, qu’elle s’est mariée et est devenue raisonnable. Et puis, elle ne bénéficie plus du charme de madame Favart dont « le petit nez retroussé » faisait merveille. Cette nouvelle Roxelane n’amuse pas plus qu’elle n’intéresse, et « le public a fait comme son mari, il lui a été infidèle ».]

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

Roxelane mariée, ou la suite des trois Sultanes, comédie en trois actes et en prose, jouée le 2 juillet.

N'affligeons pas, par la critique, un auteur aimable qui nous a fait rire tant de fois, et qui celle-ci s'est complètement trompé.

Lorsque FAVART fit ses trois Sultanes, il mit en vers libres la prose de MARMONTEL, à laquelle il changea fort peu de chose ; il n'eut ni la peine d'inventer une intrigue, ni celle de trouver du comique pour son dialogue : le conte moral intitulé Soliman II lui fournissoit tous ses matériaux. Le joli rôle de Roxelane y est tracé de main de maître. Mais ici Roxelane est mariée ; adieu son enjouement : adieu toutes ces piquantes saillies qui sont si aimables dans la bouche d'une maîtresse ; mais qui semblent bien déplacées dans celle d'une femme. Il faut dire aussi que le petit nez retroussé de Madame Favart avoit donné bien du charme à Roxelane; et que cette Sultane ayant perdu de sa jeunesse depuis son mariage, elle ne devoit plus s'attendre à cette indulgence que l'on a pour une enfant vive et piquante à qui l'on pardonne toutes ses folies. Roxelane, devenue raisonnable, ne pouvoit plus amuser ; il falloit au moins qu'elle intéressât ; le public a fait comme son mari, il lui a été infidèle.

L'Esprit des journaux français et étrangers, année 1810, tome VIII, août 1810, p. 271-275 :

[Vouloir achever une intrigue commencée par un autre, surtout si elle l’a été d’excellente manière, voilà qui est bien risqué. Même ceux qui ont continué leurs propres œuvres réussies n’ont pas été heureux (on note que le critique juge le Barbier supérieur au Mariage de Figaro, ce dont on pourrait débattre longuement !). Pour réussir, il faudrait qu’une telle suite apparaisse nécessaire, ce qui ne semble pas le cas de Roxelane, l’héroïne des Trois Sultanes. Le critique annonce un « léger apperçu » de la nouvelle pièce, et nous compte par le menu les aventures de la malheureuse Roxelane. L’intrigue est compliquée, et le public s’est rapidement lassé de l’entendre. Son hostilité a été accrue à l’écoute de propos « de la plus triviale coquetterie » : « lassé de tant d'allées et de venues sans objet et de tant de scènes parasites, n'espérant plus d'intérêt, de situations, ni même d'action, puisque la pièce finissait, il a fait baisser le rideau » et le nom de l’auteur n’a pas été demandé.]

Roxelane mariée, ou la Suite des Trois Sultanes.

C'est toujours une idée fâcheuse que de chercher à terminer un roman commencé par une plume étrangère, surtout lorsque la première partie est excellente. Il faudrait alors un rare bonheur pour se soutenir à côté de son modèle ; et l'auteur qui se détermine à profiter de l'imagination d'autrui, se donnerait, à coup sûr, beaucoup moins de peine, s'il se bornait à travailler sur un fond qui lui appartînt en toute propriété. On ne s'avise guère ordinairement que de continuer de bons ouvrages et toutes ces suites ont été si mal accueillies, que les continuateurs devraient bien en être enfin dégoûtés. Corneille, lui-même, qui avait plus de droits qu'un autre à renouer une intrigue qu'il avait déjà débrouillée, ne fut pas heureux dans la Suite du Menteur ; et Beaumarchais, dans le Mariage de Figaro, resta bien loin du Barbier de Séville, S'il est si difficile de se continuer soi-même, on peut juger des obstacles qui se rencontrent quand il s'agit de continuer les autres. Il n'est pas aisé de saisir le caractère du talent, le genre d'esprit, les graces du style de l'auteur que l'on imite, et le spectateur se montre d'autant plus sévère sur la nouvelle forme que l'on prête à des personnages de sa connaissance, qu'il leur a fait un meilleur accueil, lorsqu'ils ont paru pour la première fois. Il faut au moins qu'une suite paraisse tant soit peu nécessaire, ou motivée, et je pense que, sachant la pétulante Roxelane tranquillement assise sur le trône de Constantinople, chacun regardait ses aventures comme bien terminées, et que personne ne s'attendait à la voir reparaître dans le monde. On n'a donc pas été médiocrement surpris de voir Roxelane mariée, sur l'affiche, et l'envie de juger comment ce petit nez retroussé gouvernait l'intérieur de son ménage, n'avait pas manqué d'attirer la foule au théâtre de l'Odéon. Jamais chûte n'a été plus complette, ni mieux méritée. Il est assez difficile de faire connaître l'intrigue d'une pièce sans plan, dans laquelle on n'a pu remarquer que de longues et interminables conversations, la plupart sans objet fixe. L'ennui qu'elles faisaient éprouver n'était pas même racheté par la vivacité du dialogue, ni par des saillies qu'on avait droit d'attendre d'un homme de lettres à qui plusieurs personnes attribuaient ce malheureux ouvrage, dont voici un léger apperçu.

Roxelane, mariée depuis deux ans, s'apperçoit fort bien qu'elle n'a plus le cœur de son époux, ou du moins que Soliman commence à se lasser d'un bonheur monotone. Deux années de mariage ont donné de l'expérience à la sultane ; mais elle a perdu, en revanche, sa vivacité, sa pétulance, sa légéreté ; elle est devenue froide et sentencieuse ; au lieu des brillans caprices qui faisaient le charme de sa jeunesse, elle n'offre au très-ennuyé sultan que le magnifique projet d'une union d'amitié qui leur fera trouver encore quelque plaisir à se voir. Soliman dînera quelquefois chez sa femme : pas tous les jours, dit-elle, car elle est prudente, et sait fort bien que rien n'est plus dangereux que l'habitude.

Soliman est enchanté et redeviendrait presque amoureux, si par malheur il n'apprenait que le duc de Palacios, nouvel ambassadeur de Charles Quint, vient d'amener avec lui, à Constantinople, la jeune duchesse, à peine âgée de quinze ans, et confiée à la garde d'une duègne sévère. L'éloge que fait Osmin de la beauté de la jeune espagnole, excite la curiosité du sultan ; mais comment la, voir ? Comment tromper Roxelane ? L'ambassadeur n'a pas encore été présenté ; il est allé ce jour là même visiter les châteaux des Dardanelles, et n'a pas emmené l'ambassadrice dont la tête est exaltée par la lecture des romans, et qui désire vivement visiter l'intérieur du sérail. Soliman l'a fait inviter, de la part de la sultane, à se rendre au palais, et, ne voulant pas être connu, il change de nom avec Osmin, qu'il décore du titre d'Empereur, et qu'il revêt des ornemens impériaux. La duchesse arrive ; Soliman, ébloui de ses charmes, oublie bientôt auprès d'elle le dîner conjugal, si joliment arrangé un instant auparavant. Jusques-là, tout va bien ; mais la fidèle Roxelane ne tarde pas à être avertie de tout ce qui se passe. Les absurdités que lui débite Osmin ne peuvent lui faire prendre le change, et pour surcroit d'embarras le duc, qu'on n'a pas manqué de prévenir, accourt pour réclamer sa femme. Osmin, qui joue toujours le rôle d'empereur, n'hésite pas à envoyer aux Sept-Tours le malencontreux mari. Mais heureusement le véritable Soliman qui trouve ce procédé un peu violent, se dépêche de réparer les sottises de son ministre. On appaise l'ambassadeur en lui rendant sa femme et en lui débitant une petite histoire qu'il a la bonté de prendre pour argent comptant. Jusqu'ici on avait écouté d'abord avec bienveillance, puis froidement, puis enfin avec impatience. Les murmures et les sifflets avaient même couvert une grande partie du second acte ; mais lorsqu'au troisième on a entendu la duchesse, que l'auteur avait voulu représenter comme une jeune personne, étourdie, vive, inconséquente, demander à Roxelane de lui donner le faux Osmin en présent, afin de le substituer à sa duègne ; quand on a entendu l'impératrice des Turcs donner à la duchesse les leçons de la plus triviale coquetterie ; quand on a vu cette jeune femme se disposer à mettre en pratique les préceptes de son auguste institutrice, la patience du public a été poussée à bout ; lassé de tant d'allées et de venues sans objet et de tant de scènes parasites, n'espérant plus d'intérêt, de situations, ni même d'action, puisque la pièce finissait, il a fait baisser le rideau, sans se soucier d'apprendre ce que le duc pensait de la curiosité de sa femme, si le sultan irait dîner une autre fois chez Roxelane, et sans demander le nom de l'auteur qui, dans une prose fort commune, avait prétendu rappeller la grace et l'esprit des vers de Favart.

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