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Le Sabot de fidélité

Le Sabot de fidélité, mélodrame en trois actes et en prose, de L. F. Faur, musique d'Alexandre Piccini, 24 brumaire an 14 [13 novembre 1805].

Théâtre des Jeunes Artistes.

L.-F. Faur est présenté comme l'auteur de la Cinquantaine.

Courrier des spectacles, n° 3217 du 26 brumaire an 14 [17 novembre 1805], p. 4 :

[Un mélodrame qui n'en est pas vraiment un, puisqu'on n'y retrouve pas ce qui est le fonds de tous les autres. L'intrigue repose sur le sens d'une expression populaire, « casser son sabot », perdre sa virginité. Un comte méchant comme un comte de mélodrame (il y a toujours un méchant dans un mélodrame) veut tester sur sa femme l'efficacité d'un « sabot merveilleux, vrai talisman » capable d'attester la fidélité conjugale. Bien sûr la femme échoue à mettre le sabot, et il décide de faire mourir l'infidèle supposée, heureusement sauvée par une « jeune paysanne » qui lui procure un asile contre la fureur de son mari. Mais le comte décide de faire essayer le sabot à toutes les femmes : aucune n'arrive à l'enfiler. Arrive un chevalier (le gentil nécessaire dans un mélodrame) qui provoque le comte en duel « pour prouver la fidélité de la Comtesse » et gagne son défi. La Comtesse qui n'est pas rancunière obtient la grâce de son mari vaincu. Reste à savoir ce qu'est ce curieux sabot. Depuis le début de la pièce, « un bon Hermite » (personnage récurrent des mélodrames) montre que le sabot contient un dispositif mécanique qui empêche qu'on l'enfile. Le critique traite ce dénouement de puéril. Mais il fallait bien finir, et le public s'est bien amusé de toutes les tentatives infructueuses de ces dames. Le critique rappelle encor eune anecdote d'un capucin montrant combien les femmes n'ont pas la conscience tranquille sur la question de la fidélité conjugale (au fond, le sabot de fidélité disait la vérité : les femmes ont toutes quelque chose à se reprocher). Reste à juger la pièce. C'est un succès, avec un bémol : « satisfaisant pour le théâtre qui l'a reçu ». Costumes, combats, tout est de qualité (et c'est sans doute ce qu'on vient voir d'abord dans ce genre de théâtre. Les auteurs sont nommés, sans commentaire.]

Théâtre des Jeunes Artistes.

Le Sabot de fidélité.

Voici un mélodrame qui n’a rien de l’appareil menaçant et terrible de ses confrères. Il ne s’agit point ici d’emporter des places, de forcer des citadelles, il ne s’agit que d’introduire le pied dans un petit sabot. Casser son sabot est une expression populaire dont le sens est plus connu que l’origine. Peut-être le mélodrame nous donnera-t-il quelques renseignemens sur ce point.

Un Comte farouche, soupçonneux et cruel, espèce de Barbe bleue, a épousé une femme jeune et jolie, mais dont la beauté et la conduite lui donnent de vives inquiétudes. Ce Comte possède dans son trésor un sabot merveilleux, vrai talisman dont la vertu est de mettre à l’épreuve celle des femmes, et de constater leur fidelité. L’expérience consiste à le chausser sans résistance et sans douleur. Le Comte oblige sa femme de tenter l’aventure ; elle fait d’inutiles efforts ; son joli pied tout mignon qu’il soit, se trouve constamment repoussé par une force invisible logée dans le fatal sabot.

La fureur du Comte s’exalte au plus haut degré ; il fait jeter sa malheureuse moitié, dans un cachot, et la condamne à mort. Heureusement pour elle, une jeune paysanne s’intéresse à son sort, parvient à la délivrer, et lui procure un azile. Dans l’intervalle, le Comte toujours furieux, forme le projet d’éprouver la vertu du sabot sur toutes les femmes de ses domaines ; il convoque le banc et l’arrière-banc ; depuis l’octogénaire jusqu’à la plus jeune pastourelle. On leur présente à toutes la redoutable chaussure ; elles l’essayent successivement ; aucune ne peut y présenter le pied sans éprouver de vives douleurs et une invincible résistance. Tandis qu’il est occupé de ces belles expériences, un chevalier se présente armé de pied en cap ; c’est un défenseur de l’honneur des dames ; il jette le gant, et offre de rompre une lance pour prouver la fidélité de la Comtesse. Le défi est accepté, la lice ouverte et le combat commence. Le chevalier inconnu terrasse son rival et reste maître de sa vie. La Comtesse, instruite du danger de son tyran, s’élance de sa retraite, invoque le pardon du Comte et obtient sa grâce.

Mais enfin quel est ce Sabot mystérieux, si ennemi de l’honneur des darnes, et que personne n’a encore pu essayer impunément ? Un bon Hermile va nous en instruire. Le saint personnage, qui auroit pu d’un mot sauver tant de douleurs à la Comtesse, et tant d’affronts aux dames, le saint personnage qui, depuis la première scène jusqu’à la dernière, a été témoin de tout ce qui s’est passé, se détermine enfin à révéler tout le secret. Il fait voir que le sabot n’a rien de mystérieux, que tout son mérite se réduit à une mécanique ingénieuse cachée dans son intérieur, et qui, pressée par 1e pied, se lève, fait effort contre la résistance et ne permet pas de pénétrer plus loin.

Le dénouement est un peu puérile, mais il falloit bien sortir d’affaire ; et l’auteur s’est dégagé de son sabot comme il a pu. On imagine bien que le rôle du Sabot est le plus divertissant de la pièce, que tous les essais qu’on en fait amusent beaucoup les spectateurs, et que bien des femmes sont fort aises que son existence ne soit qu’une fiction de comédie.

Cette histoire de Sabot peut rappeler le trait plaisant du Petit Père André. Ce joyeux Minime prêchoit sur la fidélité conjugale : « Je vois d’ici, disoit-il, une femme qui auroit bien besoin que je lui donnasse une leçon ; je ne veux pas la nommer, mais je vais lui jeter ma calotte. »

Il prit sa calotte et feignit de la jeter dans l’auditoire ; toutes les femmes baissèrent aussitôt la tête. « Ah ! mesdames, reprit-il, je n’en voulois qu’une, mais je vois bien qu’il faut grossir mon calpin. »

Le Sabot de fidélité a obtenu un succès satisfaisant pour le théâtre qui l’a reçu. Les costumes sont très-soignés, et les combats fort bien exécutés, ce qui, dans ces sortes d’ouvrages, est un point capital. L’auteur du poème est M, Faur, celui de musique, M. Alexandre Piccini.

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