Les Sauvages de la Floride, ballet-pantomime en trois actes de L. Henry, musique de Darondeau, 6 juin 1807.
Théâtre de la Porte-Saint-Martin.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Barba, 1807 :
Les Sauvages de la Floride, ballet-pantomime en trois actes, de L. Henry. Musique de H. Darondeau. Décors de MM. Mathis et Desroche. Représenté, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Porte Saint-Martin, le 6 juin 1807.
En 1816, Auguste Jacquinet fera jouer sur le Théâtre de Toulouse le 20 novembre 1816 un ballet en trois actes, Atala et Chactas ou les Sauvages de la Floride.
Journal de l'Empire, 8 juin 1807, p. 3-4 :
[Compte rendu tout à fait atypique : il contient de larges développements politiques et donne une image très intéressante des mœurs théâtrales du temps (le ballet a été attaqué avant même d'être créé, et il a fallu que le pouvoir le défende avec vigueur). Les ennemis du ballet (ou de ses danseurs) ont tenté de le faire passer pour impie, excellent moyen de le faire interdire, mais les pouvoirs publics ont su déjouer le pièce et ont autorisé le ballet, mais sous un titre ne faisant pas allusion à Atala, sa source, mais utilisée seulement pour des situations profanes. Le critique ne ménage pas ses flatteries quand il parle des responsables politiques qui ont tout fait pour que le ballet soit joué. Et le ballet a connu un succès très marqué, au point de décourager tous ceux qui voulaient le dénigrer. Il est présenté comme « une grande et riche composition, d'un style large, d'un dessin vigoureux, d'une belle ordonnance », contenant les éléments nécessaires à ce genre de ballet, « des danses joyeuses, des situations pathétiques et des pas voluptueux ». Il donne une image frappante de ce que sont les mœurs des sauvages (tels qu'on les imagine en 1807 !). Et le critique oppose la cruauté des sauvages dans la vie réelle (il polémique contre les philosophes qui exaltent la vie naturelle, sans donner de nom...) et l'agrément de leur représentation sur la scène. Il en profite pour donner en quelques mots une idée du sujet, avant de signaler le nom des acteurs, des danseurs, et d'insister sur la beauté des décors, manifestement nouveaux.
L'esclave cimbre jetant son sabre et semontrant incapable de tuer Marius renvoie à la tragédie d'Arnault, Marius à Minthurnes (1791)]
THÉATRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN.
Les Sauvages de la Floride, ballet-pantomime, de la composition de M. Henry
musique de M. Darondeau.
Faire une pièce, ce n'est rien ; la faire jouer, c'est là le difficile : c'est ce qu'a éprouvé l'auteur des Sauvages de la Floride. Dès que l'envie a eu la première nouvelle de ce ballet, elle s'est d'autant plus éveillée, qu'il s'agissoit d'un jeune danseur qui, déjà célèbre par son exécution vigoureuse et brillante, annonce le plus beau génie pour la composition. Une réputation naissante à détruire, un jeune talent à étouffer, quelle aubaine pour l'envie ! Elle n'a pas manqué d'instrumens ; et les plus vils, pour elle, sont les meilleurs : elle aime à faire couler ses poisons par les canaux les plus impurs : des misérables qui n'ont rien à perdre sont ses plus dignes agens.
On a donc attaqué le ballet dans son germe, pour l'empêcher d'éclore ; on l'a attaqué, qui le croiroit ? du côté de la religion : des imposteurs qui ne connoissoient pas le ballet, ont crié que c'étoit une farce impie, une dérision des choses saintes. Le bruit s'étoit répandu que le sujet du ballet étoit pris dans Atala, ouvrage justement célèbre, où la religion est présenté sous l'aspect tout-à-fait le plus touchant et le plus solennel. Il n'en falloit pas davantage aux malveillans pour fabriquer leurs mensonges ; mais les magistrats éclairés qui veillent au maintien des mœurs et de l'honnêteté publique, n'ont pas souffert qu'on abusât; contre le talent et les arts, de ce qu'il y a de plus révéré parmi les hommes. Après s'être assurés que le ballet ne contenoit rien qui fût contraire à la décence et au respect dû à la religion, ils ont fait taire la calomnie ; et pour ne lui pas laisser le moindre aliment, ils ont permis la représentation du ballet sous le seul titre des Sauvages de la Floride. S'il y a quelques belles situations empruntées d'Atala, elles sont absolument profanes, et l'on n'y retrouvera pas même les noms des personnages de ce roman, si digne de sa réputation, et qui, par la sublimité des idées qu'il présente, ne peut jamais avoir rien de commun avec un ballet-pantomime.
Ainsi, la profonde sagesse de monseigneur l'archichancelier, protecteur zélé des arts et des talens, mais observateur sévère des convenances sociales, a su rendre aux arts ce qui leur appartient, sans blesser ce que l'on doit d'égards et de respect au culte religieux. Digne de seconder les vues utiles et bienfaisantes de monseigneur l'archichancelier, le ministre de l'intérieur, dont l'intégrité égale les lumières, n'a pas laissé surprendre sa religion par les fourberies des tartufes qui vouloient assassiner le compositeur et son ballet avec un fer sacré. Je me reproche d'employer de si grands noms dans une affaire en apparence si frivole ; mais démasquer l'hypocrisie, rendre justice au talent persécuté, est une fonction par elle-même si auguste, si consolante pour l'humanité, que les magistrats qui s'en acquittent aussi noblement, doivent permettre qu'on leur rende un hommage public, lors même que l'occcasion n'est pas aussi illustre que l'action.
Le ballet, par son mérite, achève d'écraser ses ennemis. Le succès a été brillant et complet : on n'a pas osé hasarder la plus légère marque d'improbation. Henry, à force de talent, a désarmé l'envie ; les plus enragés jetoient leur sifflet de dépit, et sortoient en criant : Il n'y a pas moyen de siffler ce maudit ballet. Semblables à cet esclave cimbre qui, jetant son sabre, sortit de la prison de Minturnes en criant : Il n'y a pas moyen de tuer Marius !
C'est une grande et riche composition, d'un style large, d'un dessin vigoureux, d'une belle ordonnance ; c'est une suite de tableaux très-variés : des pas guerriers, des fêtes militaires, sont mêlés avec des danses joyeuses, des situations pathétiques et des pas voluptueux. Le tout forme un ensemble qui fixe et qui attache. Les mœurs sauvages ont un charme particulier : les esprits sont exaltés par cette image de l'indépendance ; il semble qu'on remonte au berceau du monde, et qu'on soit transporté loin du joug de la société, dans toute la liberté primitive de la nature. C'est ce qui rend ces mœurs si théâtrales, surtout dans les pantomimes ; car on est toujours fort embarrassé à faire parler des Sauvages. On est d'abord tenté de croire que ces hommes, dans la simplicité de leur vie solitaire, ne connoissent pas nos vices, et que du moins l'innocence les dédommage, dans leurs déserts, des plaisirs de la société. N'est-il pas fâcheux qu'ils soient toujours en guerre, avides de la chair de leurs ennemis, tyrans de leurs femmes, menteurs, traîtres et voleurs ! En vérité, cela ne fait pas honneur à la nature et aux philosophes qui l'ont tant prônée. N'avons-nous pas vu d'ailleurs ce que sont des hommes naturels, à l'époque où la philosophie, pour régénérer l'espèce humaine, a essayé de l'affranchir du joug des sentimens et des devoirs ? Il faut assurément bien aimer la nature pour n'en être pas pour jamais dégoûté par cet essai.
Mais les Sauvages, si odieux dans la société, sont fort amusans sur la scène, lors même qu'ils condamnent un jeune prisonnier de guerre à être brûlé vif. Ce prisonnier est délivré par sa maîtresse et après avoir éprouvé dans leur fuite à travers les forêts, les fatigues et les dangers les plus terribles, ils sont enfin réunis par le doux hymen : voilà le fond du sujet. Madame Quériau, sous le nom d'Atalamide, est l'amant ; mademoiselle Caroline est sa maîtresse, et s'appelle Omaï : les deux amans jouent leur rôle avec beaucoup d'ame, et leur pantomime est très-touchante. Les décorations sont d'une fraîcheur et d'une beauté qui contribue beaucoup à l'agrément de ce spectacle, l'un es plus intéressans qu'on ait jamais vus au Théâtre de la Porte Saint-Martin.
Parmi les danseurs, on a distingué Mérante, qui a beaucoup de vigueur et d'aplomb dans la danse noble. Robillon est charmant dans la danse de caractère ; c'est un excellent mime, et il a fait beaucoup de plaisir dans les pas comiques qu'il a exécutés avec une jeune danseuse fort aimable, nommée Agathe.
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