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Les Suites d'un bal masqué

Les Suites d'un bal masqué, comédie en un acte et en prose, par Mme de Bawr, 9 avril 1813.

Théâtre Français.

Titre :

Suites d’un bal masqué (les)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

9 avril 1813

Théâtre :

Théâtre Français

Auteur(s) des paroles :

Mme de Bawr (ou de Baur)

Almanach des Muses 1814.

Versac doit épouser Mme de Belmont, pour terminer un procès. Il s'y refuse bientôt, d'après l'idée peu avantageuse qu'on lui a fait concevoir de sa prétendue. Il a rencontré à un bal masqué une femme charmante, dont ile st épris sans avoir vu ses traits. Cette femme est une amie de Mme de Belmont. Elle conçoit le projet de vaincre les préventions de M. de Versac, en engageant son amie à le recevoir sous son nom. Ce stratagème réussit. Versac est enchanté des grâces de Mme de Belmont ; il n'apprend qu'elle est sa prétendue qu'au moment où il tombe à ses pieds pour lui demander sa main.

Fonds un peu léger ; la première partie de la pièce est un peu longue, la seconde charmante. Au total, de l'esprit, du naturel. Et cette pièce est d'une femme ! Il est peu d'hommes qui ne soient aujourd'hui dans le cas de la lui envier.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, treizième volume, n° 217 (Quatrième année), 15 Avril 1815. p. 62-63:

[Le compte rendu se présente comme une rectification de ce qui a été dit de la pièce dans la presse. Non, elle n’est pas écrite « avec le goût le plus pur », ni « avec le meilleur ton ». Pour sa part, le critique juge que « le fond est nul », et il trouve peu convenables certains passages. Il voit « le style de l’ouvrage », « séduisant et facile », aller de « la hauteur du théâtre Français » au « mauvais goût et [au] mauvais ton ». Il relève même « les grossièretés les plus étranges » dans une scène, qui constituent « un oubli des convenances ». Mais il y a aussi des aspects positifs, et il ne faut pas juger si sévèrement une « petite comédie ». Son « plus grand défaut » est de ne pas être à sa place au « théâtre Français ». L’interprétation se montre d’ailleurs très inégale (les comédiens français ne sont peut-être pas aussi compétents pour ce genre de pièce que les acteurs du boulevard ?).]

THÉATRE FRANÇAIS.

Première représentation des Suites d'un Bal masqué, comédie en un acte et en prose.

J’en suis fâché pour ceux qui ont rendu compte de la pièce nouvelle ; mais peu de gens partageront leur opinion. S'il faut les en croire, l'ouvrage entier est écrit avec le goût le plus pur, et surtout avec le meilleur ton. C'est peut-être sous ce seul point qu'on pourrait le critiquer

La pièce a réussi ; quelques situations sont d'un bon comique, les détails sont agréables ; mais le fond est nul, et plusieurs passages contrastent un peu avec le ton ordinaire de la société. Je les ferai remarquer après l'analyse de l'ouvrage.

Mme. de Mareuil veut marier son amie, Mme. de Belmont, avec un jeune homme nommé Versac, qu'elle a rencontré cinq ou six fois au bal de l'Opéra, et contre lequel Mme. de Belmont soutient un procès considérable. Sans égard pour la jalousie de M. Saint-Alm, dont elle est aimée, Mme. de Mareuil consent à recevoir chez elle M. de Versac, qui est parvenu à découvrir sa demeure ; seulement elle lui impose la condition de ne se présenter que sous le nom de Gerville. D'un autre côté, sous le singulier prétexte d'épargner à M. de Saint-Alm un peu d'ombrage, Mme. de Mareuil prie Mme. de Belmont de recevoir, en son absence, le prétendu Gerville, et, comme les deux adversaires ne se sont jamais rencontrés, l'obligeante amie espère que cette entrevue conciliera tous leurs débats. Effectivement, Mme. de Belmont et M. de Versac, ignorant mutuellement qu'ils parlent à leur adverse partie, s'adressent les choses du monde les plus gracieuses. En un quart-d'heure, ils deviennent éperduement amoureux l'un de l'autre ; et du train dont vont les choses, dès que le quiproquo cesse, ils n'ont rien de mieux à faire que de se marier. – J'oubliais de dire qu'afin de leur donner le bon exemple, Mme. de Mareuil épouse aussi Saint-Alm. La meilleure conclusion que l'on puisse tirer de tout cela, c'est qu'un procès se termine plus aisément à la suite d'un bal masqué, qu'à la suite d'une plaidoirie. Cette morale est excellente, et fort bonne à pratiquer. Peut-être bien porterait-elle M. Duval et M. André Murville à se réconcilier au carnaval prochain.

Le style de l'ouvrage est séduisant et facile ; quelquefois il se soutient à la hauteur du théâtre Français ; mais quelquefois aussi l'auteur laisse percer le mauvais goût et le mauvais ton. Saint-Alm, dans sa scène de jalousie, reproche à Mme. de Mareuil de former des intrigues, et de suivre M. de Versac dans les bals. – Mais, monsieur, vos expressions..... – Il est vrai, madame, je me trompais : vous vous faites suivre. – Si l'on trouve que ce soit là le ton du monde, il faudra dire, avec M. Jourdain, en vérité, je ne sais pas comment le monde est fait !

Dans le quiproquo, l'auteur a voulu rendre comique la situation de Versac, et, pour cela, il lui fait adresser à Mme. de Belmont les grossièretés les plus étranges, parce que Versac croit parler à Mme. de Mareuil. C'est encore là, ce me semble, un oubli des convenances. Versac peut bien traiter avec humeur, avec légèreté Mme. de Belmont, contre laquelle il plaide ; mais rien ne l'oblige à se servir d'épithètes accablantes : ses expressions doivent être nobles, mesurées ;elles doivent surtout déceler l'homme du monde. L'auteur, avant tout, aurait dû penser que son jeune plaideur parlait d'une femme, et qu'il parlait devant une femme.

Mais c'est pousser beaucoup trop loin la critique. La pièce n'a qu'un acte. Si l'examen se prolongeait davantage, la forme emporterait le fond ; ce qui ne serait pas juste. D'ailleurs ce serait aussi blesser la vérité, que de ne pas accorder quelques éloges à cette petite comédie, après l'avoir traitée si sévèrement. Le plus grand défaut qu'elle puisse offrir, c'est d'avoir pris pris rang au répertoire du théâtre Français ; là seulement elle n'est point à sa place : sur toute autre scène elle aurait été irréprochable.

Mlle Mars et Mlle. Levert ont été justement applaudies dans les rôles de Mme. de Belmont et de Mme. de Mareuil. Armand, qui joue Versac, s'est montré fat plutôt qu'amoureux. Michelot a rendu tout à fait nul le rôle ingrat de Saint-Alm.                    M.

Ce numéro du Journal des arts, des sciences, et de la littérature revient abondamment sue la pièce, tant pour signaler les opinions contradictoires qu’on a portées sur elle, que pour signaler son succès en province (Rouen, Caen, Bordeaux).

Dans le numéro 216 du 10 avril 1813, p 47, dans le Bulletin de Paris, à la date du 9 avril :

Au Français, la première représentation, depuis long-temps attendue, de la Suite d’un Bal masqué, a obtenu le plus grand succès ; mais l’auteur a voulu garder l’anonyme.

Dans le numéro 217 du 15 avril 1813, p. 68, dans le Bulletin de Paris, à la date du 10 avril :

Le Journal de Paris a jugé la suite d’un Bal masqué comme une bonne comédie, et un ouvrage du meilleur ton. On ne saurait contester la première partie de cet éloge.

Dans le même numéro, p. 69, dans le Bulletin de Paris, à la date du 12 avril :

La foule s’était portée surtout aux Français, pour Zaïre et la deuxième représentation de la Suite d’un Bal masqué.

Dans le même numéro, p. 70, dans le Bulletin de Paris, à la date du 13 avril :

La Suite d’un Bal masqué a reçu des éloges dans le Journal de l’Empire et dans le Journal de Paris.

Dans le numéro 218 du 25 avril 1813, p. 91, dans le Bulletin de Paris, à la date du 15 avril :

Le feuilleton du Journal de l’Empire adresse aujourd’hui à Mme. un madrigal-calemboug, en disant que les Suites d’un Bal masqué ne peuvent avoir que d’agréables suites pour l’auteur.

Dans le même numéro, p. 95, dans le Bulletin de Paris, à la date du 19 avril :

On nous avait déjà donné un mariage à la Suite d’un Bal masqué. On va jouer au Vaudeville une pièce intitulée : Le Mariage à la course. Ne serait-ce pas une Suite de Longchamp ?

Dans le numéro 224 du 20 mai 1813, p. 243, dans le Bulletin de Paris :

On vient d’imprimer la Vivandière et la Suite d’un Bal masqué.

Dans le numéro 226 du 30 mai 1813, p. 292, dans le Bulletin de Paris, à la date du 29 mai:

La Suite d’un Bal masqué, petite comédie qui a obtenu beaucoup de succès à Paris, commence à percer dans les départemens. Elle a déjà été jouée sur le grand théâtre de Rouen.

Dans le numéro 228 du 10 juin 1813, p. 336, dans les Variétés :

La Suite d'un Bal Masqué a obtenu beaucoup de succès au grand théâtre de Bordeaux. Le rédacteur du Journal de cette ville dit que les détails sont aimables et que c'est une petite comédie fort aimable. Le même rédacteur trouve que ce cadre est neuf et piquant. Le Journaliste de Rouen avait prétendu, a contraire, que le sujet de cette pièce n'avait rien de neuf.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1813, p. 267-274 :

[La pièce a réussi, même si les ennemis du marivaudage l’ont condamnées, comme si son langage naturel et son dialogue facile ressemblaient aux « phrases quintessenciées de Marivaux, [ou à] l’ entortillage de ses idées. Si la pièce nouvelle ressemble aux pièces de Marivaux, c’est par le choix du milieu où elle se déroule, le monde « des gens de bonne compagnie » où l’on s’aime par désœuvrement. L’analyse est censée montrer que « l’intrigue est agréable, et le nœud bien tissu », une analyse très minutieuse, au risque de perdre le lecteur entre les personnages et leurs changements d’identité. Qu’il s’agisse ou non de marivaudage, a pièce a connu le succès, et le critique entreprend de défendre les pièces de Marivaux contre le préjugé qu’on a contre elles : on les dénigre, mais on va les voir. Son théâtre montre au peuple la bonne société, après le théâtre de Molière, qui montrait aux gens de la cour le peuple. Il n’y a pas d’inconvénient « à l'imiter avec discrétion, pourvu sur-tout qu'on ne s'éloigne pas de l'observation des traits caractéristiques de la société actuelle ». Le critique invite à ne rejeter aucun genre de théâtre, ni les œuvres des grands maîtres, ni « les compositions gracieuses dues à des talens inférieurs ». Il ne pouvait finir sans parler de l’auteur, dont il ne donne pas le nom. C’est une femme, ce que la pièce montre clairement (il y a selon lui une façon féminine de montrer la bonne société, avec l’« observation des limites « de ce qui est convenable.]

Une suite de bal masqué.

Succès complet et mérité : « Charmant ! délicieux » ! s'écriait-on de toutes parts en ouvrant les loges à la fin de la pièce. Si l'auteur a paru être témoin de ce concert de louanges, il a sans doute été satisfait de ce jugement du public, dans lequel il entrait encore plus d'équité que d'esprit de galanterie. « Marivaudage tout pur ! jargon de boudoir » ! murmuraient tout bas quelques dissidens qui avaient tort. Un langage naturel, un dialogue facile, n'ont rien de commun avec les phrases quintessenciées de Marivaux, ni avec l'entortillage de ses idées. A la vérité, bien qu'écrite avec plus de simplicité que les pièces de Marivaux, celle-ci rentre effectivement dans le cercle des siennes : l'action s'y passe entre des gens de bonne compagnie ; elle roule sur un amour où l'oisiveté et le désœuvrement ont beaucoup de part ; sur cet amour qui commence par la galanterie, que la coquetterie entretient, qui laisse à l'esprit toutes ses ressources, qui se joue, pour ainsi dire, autour du cœur, et semble plutôt imaginé comme un expédient contre l'ennui, qu'enfanté par le besoin d'éprouver et d'inspirer un sentiment. L'intrigue est agréable, et le nœud bien tissu ; on en peut juger par cette analyse :

Madame de Belmont, jeune veuve, a un procès d'où dépend toute sa fortune ; celui contre qui elle plaide est un jeune homme qu'un ami commun a voulu lui donner pour époux, afin de confondre leurs intérêts. Outrée d'un refus qui lui est d'autant plus sensible qu'elle n'avait eu aucune part à la démarche de cet ami, Mme. de Belmont vient à Paris pour suivre le jugement de son affaire ; elle se loge chez Mme. de Mareuil, la compagne de son enfance, veuve comme elle, mais aussi vive, aussi étourdie que Mme. de Belmont est sérieuse et réfléchie. C'est le temps des bals masqués : Mme. de Mareuil y va, est suivie d'un jeune homme dont elle fait la conquête sous le masque, et ce jeune homme n'est autre que M. de Versac, la partie adverse de Mme. de Belmont. Enchanté de l'esprit et des graces de Mme. de Mareuil, il parvient à découvrir son adresse et lui écrit pour demander la permission de se présenter chez elle ; il l'obtient, mais à une condition : c'est de paraître sous un nom supposé, sous le nom de Gerville. Il accepte, sans rien comprendre à cette loi bizarre, qui l'est pourtant moins qu'on ne pense. A l'aide de ce nom, Mme. de Mareuil veut rapprocher les deux ennemis, qui ne se connaissent pas, faire passer Mme. de Belmont pour elle, mettre à profit, en faveur de celle-ci, le goût naissant de Versac, les engager tous les deux plus loin qu'ils ne supposent, et les amener à la conclusion de leur procès, non par un jugement, mais par un contrat de mariage. Il n'y a qu'un obstacle à ce projet : comment trouver un motif raisonnable pour déterminer son amie à prendre son nom et à recevoir pour elle le prétendu Gerville ? Les femmes ne sont jamais embarrassées. Une dispute que Mme. de Mareuil fait naître à propos entr'elle et Saint-Albe, qu'elle doit épouser, lui fournit le prétexte qu’elle désire. Saint-Albe est, heureusement , un de ces jaloux qui ne peuvent souffrir un nouveau visage dans le salon de leur maîtresse. Quand on lui annonce l'introduction prochaine de Gerville dans la maison, il fait une scène horrible : on se fâche de son côté. Saint-Albe fuit, en jurant qu'il ne reviendra plus. L'amitié cherche à calmer l'orage. Mme. de Mareuil est grondée ; elle reconnaît ses torts ; mais le moyen de consigner à la porte, M. de Gerville, après un engagement formel ! Et d'ailleurs, ne serait-ce pas avouer un tort et autoriser par là les fureurs de Saint-Albe ? Que faire ? Il y aurait bien un expédient qui concilierait tout ; on le devine : si Mme. de Belmont reçoit Gerville, à la place et sous le nom de Mme. de Mareuil, Saint-Albe n'aura plus rien à dire, et l'on n'aura pas une impolitesse à se reprocher : on est encore dans le carnaval ; cela excuse toutes les folies. La sagesse refuse, mais la curiosité accepte. Mme. de Belmont commence par un non, et finit par un oui. On annonce Gerville. Mme. de Mareuil se sauve : premier entretien fort piquant, interrompu par le retour de cette dernière, qui, après s'être amusée un moment des impatiences de Versac, fait sa paix avec lui en l'engageant à passer la soirée. Un rendez-vous avec son avocat le force de sortir un moment, mais pour revenir bien vîte. Resté seul et prêt à partir, il voit entrer Saint-Albe, qui rompt déjà son serment en revenant chez sa maîtresse. Ici, une scène charmante, où Versac explique à SaintAlbe, qui est son ami, l'amour qu'il a pour Mme. de Mareuil, la permission qu'il en a reçue de venir chez elle, et sur-tout la défense de se présenter sous son vrai nom. Il annonce l'intention formelle d'épouser, et prie Saint-Albe de le servir. On juge de la réponse : Saint-Albe, furieux contre son ami et sa maîtresse, veut se battre avec. l'un et se brouiller avec l'autre. Versac lui promet satisfaction quand il voudra ; mais il obtient de lui le serment de garder un secret qu'il n'a dû qu'au hasard, et court chez son avocat. Mme. de Belmont, qui a passé chez Mme. de Mareuil, à son retour trouve Saint-Albe, et apprend de iui que Gerville est Versac lui-même. Autre surprise, autre colère : elle engage cependant Saint-Albe au silence. Elle médite à son tour de faire tourner contre Mme.. de Mareuil sa propre ruse et de lui donner son nom puisqu'elle a fait prendre le sien à Mme. de Belmont. Versac revient et apprend que celle qu'il a vue en passant est la personne avec laquelle il est en procès, qu'elle est l'amie intime de celle qu'il aime, car il a déjà fait sa déclaration dans les règles. On va plus loin ; on l'exhorte à voir Mme. de Belmont, à lui rendre justice, à terminer à l'amiable avec elle; en l'épousant, par exemple. Il ne veut pas entendre parler de ce dernier article. Il dit qu'il signera tout ce qu'on voudra, excepté un contrat de mariage ; et quand la fausse Mme. de Belmont se présente, il lui tient le discours le plus pathétique pour la déterminer à se contenter de l'abandon qu'il fait de tous ses droits, sans exiger qu'il y joigne le don de sa main. « Et qui vous dit, monsieur, que je demande votre main » ? s'écrie-t-elle, impatientée de tout le galimatias qu'elle entend depuis une heure. Alors tout s'éclaircit : Mme. de Belmont pardonne sans peine à son amie une supercherie qui la rend heureuse; Mme. de Mareuil pardonne à Saint-Albe ses jalousies et ses transports, et le public, qui n'a pas voulu être en reste, a pardonné à l'auteur le peu de fonds de son sujet, en faveur des détails piquans, des scènes spirituelles, et sur-tout de la vivacité et de l'intérêt qui rendent l'intrigue de cette jolie pièce aussi attachante qu'elle est de bon ton.

Marivaudage ou non, le succès n'en est pas moins mérité, comme je l'ai dit, et comme tout le monde l'a jugé. Au surplus, serait-ce un grand crime de faire des comédies comme Marivaux, en s'attachant pourtant à mettre plus de simplicité dans le style ? J'entends tous les jours crier haro sur l'auteur des Fausses Confidences, du Legs, des Jeux de l'Amour et du Hasard, et je vois tous les jours la salle pleine quand on joue ces pièces. On les déprécie, parce que c'est le ton à la mode, et l'on y court, parce qu'elles amusent. A quoi tient leur succès ? Aux mêmes causes qui les ont fait réussir dans leur nouveauté. S'il ne peignit pas les mœurs du monde, Marivaux peignit celles de la société ; cette société, qui était la première de Paris, exerçait alors une grande influence sur l'esprit de la capitale. Aussi Marivaux fit-il une espèce de révolution. On ne voulut plus sur la scène que des gens de qualité et des conversations musquées. Du temps de Molière, la comédie était sur-tout pour la cour : il l'égayait en lui offrant souvent les mœurs du peuple, inconnues aux grands seigneurs. Marivaux montra les grands seigneurs au peuple, et le divertit à son tour en l'admettant dans leur intimité, en lui révélant le secret de leur vie privée. Ce fut la cause réelle de son succès. Quand on vit qu'il réussissait follement, chacun le prit pour modèle. Maintenant que nos mœurs sont plus fortes, il est tombé dans l'opinion, mais il s'est soutenu à la scène par la vérité de ses portraits, et je ne crois pas qu'il y ait grand malheur à l'imiter avec discrétion, pourvu sur-tout qu'on ne s'éloigne pas de l'observation des traits caractéristiques de la société actuelle. Ne proscrivons aucun genre, ne rétrécissons pas le champ des arts ; et en admirant les tableaux sortis de l'école sévère des grands maîtres, ne dédaignons pas les compositions gracieuses dues à des talens inférieurs.

L'ouvrage est d'une femme : on le devine ; on le reconnaît en l'écoutant ; une femme seule pouvait mettre des personnes de son sexe dans les situations qu'elle a imaginées avec ce naturel à-la-fois et cette délicatesse, avec ces précautions amies des convenances, et cette observation des limites que le ton de la bonne compagnie sait mettre à la coquetterie, à la malice, à la gaîté.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, p. 332:335 :

[L’article de Geoffroy est conforme à l’image qu’il se donne. Il commence par un paradoxe : cette pièce nouvelle est de facture antique, et il commence par montrer qu’elle « a cent ans pour le style et pour la conduite ». Dans l’esprit de Geoffroy, c’est un véritable éloge : « son antiquité se reconnaît à cette couleur de raison et de bon sens, à cet air naturel et vrai répandu sur le dialogue, sur le comique, et sur tout l'esprit de la pièce ». Il s’en prend ensuite aux « jeunes auteurs », ignorants de ce qu’est le théâtre, et pleins d’illusions sur leur talent. « Il est plaisant que ce soit une femme qui vienne remontrer leur devoir à ces jeunes écoliers, et refaire leur éducation dramatique. » Ce qui ne veut pas dire que « le genre de la pièce nouvelle » soit bon : ce qui est jugé favorablement; c’est la facture de ma pièce qu’il rapproche de Marivaux, mais un « Marivaux sans marivaudage » (Geoffroy ne semble guère apprécier Marivaux, ce que montre le long paragraphe qu’il consacre à décrire « le genre de Marivaux »). On arrive ensuite à la pièce, à la fois comédie d’intrigue et comédie de caractère, chaque personnage ayant son caractère. La pièce lui paraît composée avec « beaucoup d'art et de talent ». L’interprétation est présentée comme très utile à rendre la pièce excellente. « Le grand mérite de la pièce est de marcher rapidement, d'avoir de l'esprit juste et à propos, de former un tout de diverses parties bien liées ensemble ». Et Horace est appelé à la rescousse pour dire combien cette liaison est essentielle.]

LES SUITES D'UN BAL MASQUÉ.

La pièce est nouvelle, mais la facture est antique : il semble que l'auteur ait conservé la pureté de son goût en passant au travers de la corruption actuelle, comme Aréthuse avait gardé, dit-on, la douceur de ses eaux en traversant l'onde amère. La pièce faite et représentée hier, a cent ans pour le style et pour la conduite ; son antiquité se reconnaît à cette couleur de raison et de bon sens, à cet air naturel et vrai répandu sur le dialogue, sur le comique, et sur tout l'esprit de la pièce. La liaison et la justesse des idées, l'enchaînement des scènes, un ensemble où tout se tient, un plan où tout marche et se suit, sont de vieilles vertus d'un autre âge, de vieilles lois tombées en désuétude, depuis l'usurpation du faux esprit qui a voulu régner seul sur tous les domaines de la littérature.

La plupart des jeunes auteurs ne savent pas les élémens, ne connaissent pas le métier ; c'est un mal qui s'est étendu fort loin : tous veulent être maîtres avant d'avoir été apprentis ; tous veulent brusquer les succès et la fortune, sans se donner la peine de les attendre et de les mériter. Un acteur, une actrice, qui ne savent pas même parler, s'occupent des effets et du prestige théâtral. Le jeune poëte qui prépare une comédie, croit qu'il en est de la littérature comme de l'amour, où l'on sait tout quand on sait plaire, comme dit la chanson ; il s'imagine qu'on sait tout quand on a de l'esprit : avec une honnête provision de traits, de jeux de mots, de vers brillans, il croit pouvoir se passer d'invention, de bon sens, de liaison, d'ordre, et de toutes les autres qualités auxquelles les anciens avaient la sottise d'attacher tant de prix : il dédaigne surtout le naturel, la vérité, la clarté, comme autant de symptômes fâcheux d'un esprit commun et rétréci, qui se traîne dans les sentiers vulgaires. Il est plaisant que ce soit une femme qui vienne remontrer leur devoir à ces jeunes écoliers, et refaire leur éducation dramatique. Je suis bien aise du succès d'un ouvrage où il y a du bon sens et de l'art ; ce doit être un encouragement pour les jeunes gens égarés qui seraient tentés de revenir aux bons principes, et d'abjurer un luxe faux et frivole qui donne le superflu et prive du nécessaire.

Ce n'est pas que le genre de la pièce nouvelle soit fort bon ; ce n'est pas le genre que je loue, c'est la facture. Le genre est celui de Marivaux ; c'est une surprise de l'amour, c'est une passion qui frappe comme une attaque d'apoplexie; en un mot, c'est du Marivaux, mais non pas du Marivaux tout pur ; c'est du Marivaux sans marivaudage, sans jargon précieux, sans pointes déguisées en naïvetés, sans babil à prétention, sans assauts d'esprit, sans anatomie du cœur, sans tous les vices qui défigurent le dialogue de Marivaux.

Quand Marivaux introduisit sur la scène comique cette métaphysique du sentiment, on peignait encore les mœurs et les caractères ; on n'était point encore dégoûté de la gaieté, du naturel et du comique. Son genre n'eut guère de succès qu'au Théâtre Italien, qui, pour se distinguer du Théâtre Français, n'avait que la ressource du mauvais goût ; mais depuis quelques années, sous prétexte de grands changemens arrivés dans la société, le genre de Marivaux a pris faveur et s'est mis en crédit. Les Fausses Confidences, le Jeu de l'Amour et du Hasard, le Legs, l'Epreuve nouvelle, sont des pièces à la mode, des pièces applaudies, et j'ignore ce qui empêche qu'on ne joue la Surprise de l'Amour, l'Heureux Stratagème, la Double Inconstance, et plusieurs autres ; car Marivaux a beaucoup produit : c'était un auteur fécond, mais peu varié ; ses nombreuses pièces, renfermées en sept volumes, ne sont qu'une seule et même comédie, la Surprise de l'Amour. Il n'est pas étonnant que l'auteur des Suites d'un Bal masqué ait écrit dans le genre de Marivaux, genre agréable au public, agréable surtout aux femmes, qui regardent les aventures du cœur comme les incidens les plus intéressans de la société ; mais ce qui n'est pas moins surprenant qu'une surprise de l'amour, c'est qu'une femme se soit défendue contre les surprises du bel-esprit, et qu'avec autant d'esprit qu'elle en a, elle n'ait point été tentée d'en abuser, et d'en dépenser une grande partie en bagatelles et en folies.

La pièce est d'intrigue : mais tous les personnages ont leur caractère : des deux femmes, l'une est vive, étourdie, frivole et dissipée ; l'autre est douce, décente, raisonnable et sensible. Les deux amans ont de même leur physionomie : l'un est sombre, défiant et jaloux ; l'autre, ardent, généreux, passionné. La soubrette n'est dans la pièce qu'une véritable femme de chambre, qui ne dit que ce qui convient à son état, et qui n'a pas à beaucoup près le ton, l'esprit et la gaieté de nos Lisettes, de nos Finettes et de nos Marions. C'est par zèle pour ses devoirs et par complaisance pour l'auteur, que Melle. Emilie Contat s'est chargée de ce petit rôle ; cependant quelque petit que soit le rôle, il est toujours agréable de paraître dans une pièce nouvelle qui réussit.

Il y a beaucoup d'art et de talent dans la manière dont cette petite intrigue se noue et se dénoue. La grande difficulté consistait à éviter que madame Belmont ne parût se rendre trop tôt, et céder à des vues d'intérêt plus qu'au sentiment : l'auteur s'est tiré de ces embarras avec une adresse digne de son sexe. Il a ménagé dans la conversation de Versac et de madame Belmont des interruptions, des contrariétés, des incidens qui jettent de la variété et raniment l'intérêt. Madame Belmont examine Versac ; elle le soumet à des épreuves, elle s'assure, par tous les moyens possibles, de son caractère et de son cœur : ce rôle est un des triomphes de mademoiselle Mars. Celui de Versac que joue Armand ajoute encore à sa réputation dans l'emploi des amoureux ; il y met de la vivacité, du sentiment, de la grâce, tout ce qui tient à l'art et au talent, et tout cela est relevé par des qualités physiques, qui ne sont pas le talent, mais qui l'embellissent, et qui deviennent plus rares de jour en jour. Michelot se distingue par la manière comique et naturelle dont il exprime la jalousie. Le grand mérite de la pièce est de marcher rapidement, d'avoir de l'esprit juste et à propos, de former un tout de diverses parties bien liées ensemble ; cette liaison est essentielle à l'effet : Horace, ce législateur du goût, s'écrie avec raison dans son Art Poétique :

            Tantum series juncturaque pollet !
Tantùm de medio sumptis accedit honoris !

« Tant la liaison et la suite ont de pouvoir ! tant les choses les plus communes s'embellisent et se relèvent » par la place qu'elles occupent ! » (17 avril 1813. )

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1813, tome II (mars 1813), p. 451 :

[Compte rendu positif, mais sans enthousiasme : « petite comédie », « pleine de franchise et de gaieté », « semée de mots piquans et d'intentions comiques » (seulement des intentions ?). Plusieurs situations sont jugées « très-plaisantes », et une part du succès est porté au crédit des interprètes.]

Les Suites d'un Bal masqué, comédie en un acte et en prose.

Cette petite comédie est pleine de franchise et de gaieté ; elle est semée de mots piquans et d'intentions comiques.

La fable roule sur deux jeunes plaideurs qu'il s'agit de rapprocher. Elle amène plusieurs situations très-plaisantes.

Le succès de l'ouvrage nouveau a dû une partis de son éclat au jeu brillant de Mesdemoiselles Mars et Leverd ; Armand et Michelot les ont parfaitement secondées.

L'auteur de la pièce est une Dame qui a gardé l'anonyme.

Cette dame qui a gardé l'anonyme, c'est Madame de Baur.

La base La Grange de la Comédie Française connaît cette pièce sous le titre de la Suite d’un bal masqué. C’est une comédie en un acte en prose, d’Alexandrine-Sophie Goury de Bawr. Créée le 9 avril 1813, elle a été jouée 242 fois jusqu’en 1869.

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