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Saint-Elmont et Verseuil, ou le Danger du soupçon
Saint-Elmont et Verseuil, ou le Danger du soupçon, drame en 5 actes et en vers libres, de Ségur jeune, 25 pluviôse an 5 [13 février 1797].
Théâtre françois de la rue de Louvois
Cette pièce en cinq actes a reparu sous le titre de Duval et les Remords, joué en trois actes, à partir du 24 mars 1798.
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Titre :
Saint-Elmont et Verseuil, ou le Danger du soupçon
Genre
drame
Nombre d'actes :
5
Vers / prose
en vers libres
Musique :
non
Date de création :
25 pluviôse an 5 [13 février 1797]
Théâtre :
Théâtre français de la rue de Louvois
Auteur(s) des paroles :
Ségur jeune
Almanach des Muses 1798.
Verseuil, ami et caissier de Saint-Elmont, ayant trouvé dans sa caisse un vide de vingt mille écus, se confine dans une maison garnie avec sa fille Angéline. Il prend le nom de Dolban. La jeune-personne compose des dessins et les fait vendre ; un jeune-homme, qui loge dans la même maison, se charge de la commission. Il aime Angéline. Le père apprend la retraite du fils, et vient combattre sa passion pour une inconnue : ce père est précisément Saint-Elmont. Il reconnoît son ancien caissier, et l'on découvre heureusement qu'un tiers a détourné les vingt mille écus. Il s'ensuit que la probité de Verseuil est intacte. Réconciliation des deux pères, union des jeunes-gens.
Vive sensibilité dans plusieurs scènes ; quelques rôles fort dramatiques ; style négligé.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez P. S. Charpentier, 1797 (an V) :
Saint-Elmont et Verseuil, ou le danger d'un soupçon, Drame en cinq actes et en vers libres. ParJ. A. Ségur, le jeune. Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Français, le 12 février 1797.
Dieu fit du repentir, la vertu des mortels. Vol.
Paul Porel, Georges Monval, L'Odéon : histoire administrative, anecdotique et littéraire..., p. 170 :
Après une reprise de Bajazet pour Mlle Raucourt (17 mars), on donne sans succès le 24 [mars 1798], Saint-Elmont et Verseuil, drame en vers libres de Ségur jeune, refondu et réduit de cinq actes à trois, sous le titre de Duval, ou les Remords.
C'est donc Duval ou les Remords qu'on joue en 1798 dans la salle de l'Odéon.
Paul Porel, Georges Monval, L'Odéon : histoire administrative, anecdotique et littéraire..., p. 301 :
Ce théâtre [le Théâtre Français de la rue de Louvois] donna en l'espace de neuf mois neuf nouveautés :
[...]
Le 13 [février 1797], Saint-Elmont et Verseuil ou le Danger d'un soupçon, drame en cinq actes, en vers libres, de Ségur jeune, interprété par Saint-Fal et Picard.Refondu et réduit à trois actes sous le titre de Duval ou le Remords [en fait, les Remords], il fut repris à l'Odéon le 24 mars 1798 avec moins de succès que dans sa nouveauté.
Cette fois, c'est Saint-Elmont et Verseuil qu'on joue (et c'est une nouveauté), au Théâtre Français de la rue de Louvois.
Courrier des spectacles, n° 39 du 26 pluviôse an 5 [14 février 1797; p. 3-4 :
[On annonçait un drame, et c’est bien un drame que le Théâtre Français joue ce 13 février 1797. L’analyse le confirme nettement : une histoire compliquée de vol commis par un employé au détriment de son patron, pour sauver son frère compromis dans une affaire financière e tqui a disparu. Mais c’est un autre qu’on a soupçonné, provoquant son discrédit. l’intrigue se complique d’une histoire d’amour, jusqu’à ce que le voleur, cédant à ses remords, avoue sa faute et rende possible le mariage sans lequel une pièce ne peut avoir de fin. La pièce est critiquée pour la minceur de son intrigue : l’auteur de l’article souligne que l’intrigue ne débute vraiment qu’à l’acte 4 : avant, « ni intérêt, ni action », trois actes froids, où on ne peut que relever « quelques vers heureux ». L’auteur est nommé sans appréciation positive. Les compliments vont à un acteur dont le jeu, et en particulier le « jeu muet », a été particulièrement convaincant. Lui « a été demandé après la pièce et vivement applaudi ».]
Théâtre Français.
Encore un drame ! C’est à juste titre que l’on a qualifié de ce nom la piece donnée hier à ce théâtre sous le titre de Saint-Elmond et Verseuil : en voici l’analyse.
Duval, premier commis de Saint-Elmond, négociant à Bordeaux, a pris dans la caisse de ce dernier une somme de soixante mille liv. pour obliger son propre frere qui devoit lui remettre cette somme au bout de huit jours, et qui a disparu sans l’avoir rendue. Saint-Elmond a soupçonné de ce vol Verseuil, son caissier et son ami, et l’a perdu de réputation. Verseuil a changé de nom, et sous celui de Dolban il demeure, avec sa fille, dans la maison d’un nommé Dubreuilh, chez lequel loge aussi Sainville, fils de Saint-Elmond. Sainville ne connoît pas Verseuil ; mais il est devenu l’amant et amant aimé d’Angélique, sa fille, qui, dans la profonde retraite où elle vit avec son pere, travaille à des dessins dont Sainville procure la venie. Duval, poursuivi par ses remords, s’est attaché pour toujours à Verseuil, et s’est mis à son service. Saint-Elmond qui a écrit vainement à son fils pour le rappeler près de lui, vient le chercher. Sainville lui déclare son amour pour une jeune personne, dont Saint-Elmond a d’abord la plus mauvaise idée, mais qu’il consent enfin à voir. Il reconnoît son caissier dans le pere de cette jeune personne, et desire réparer ses torts envers lui ; mais Verseuil ne veut point écouter ses réparations, et souhaite que l’on découvre le vrai coupable du vol. Duval vient avouer son crime ; les pères se réconcilient et unissent leurs enfans.
L’intrigue de cet ouvrage est beaucoup trop foible pour 5 actes ; aussi ne commence-t-elle qu’au 4.e, à l’arrivée de Saint-Elmond : jusques-là il n’y a ni intérêt ni action. Les trois premiers actes sont donc très-froids, malgré quelques vers heureux, tels que ceux-ci que nous avons saisis en divers endroits de la piece :
Hélas ! l'insouciance est trop dans la nature.
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Une estime profonde éternise l'amour.
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On se repent toujours de tromper ce qu'on aime.
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des cœurs si purs,
Qu’un soupçon ni ne peut, ni ne doit les atteindre.
. . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
Il faut, pour son repos, croire aux honnêtes grecs.
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. . . . . . . . . . . . . . . .
Et Duval s’avilit par sensibilité.
Le public a applaudi un autre vers qui nous a paru bien métaphysique, c’est celui où l’auteur dit, en parlant de la reconnoissance :
On pourroit l'appeler la mémoire du cœur.
L’auteur de ce drame est M. Ségur jeune.
Quelqn’accoutumés que les amateurs du théâtre puissent être à voir M. Saint-Fal soigner ses rôles, nous croyons qu’il n’en est pas où il soit plus vrai que dans celui de Duval de cette piece. Dès le premier acte, il exprime si bien le remords par son jeu muet et par toute sa contenance, que l’on voit tout de suite que c’est lui qui a fait le vol dont Verseuil a été soupçonné. Mais il est dans le 4.e acte au-dessus de tout éloge ; nous ne pouvons qu’engager les amateurs à aller lui rendre la justice qu’il mérite. Il a été demandé après la piece et vivement applaudi.
L. P.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1797, volume 2 (mars-avril 1797), p. 271-274 :
[Le compte rendu donne d’abord le résumé de l’intrigue, en commençant par l’avant-scène, puis en abordant « les événemens que l’auteur a tirés de ce fond pour en composer son drame » (et bien sûr, il regrette qu’il ait écrit un drame, au lieu de faire rire...). Malgré « une cocneption dramatique assez imposante, assez neuve », la pièce paraît manquée : « l’auteur n'a pas la main assez exercée pour colorier un sujet semblable ». Il s’est trompé en faisant connaître trop tôt tant l’innocence de Verseuil que le crime de Duval. Il a dû délayer son sujet, pour atteindre cinq actes (la pièce a ensuite été ramenée à trois) : les trois premiers actes jettent « un froid mortel sur l’ouvrage ». Le style est faible, et le choix d’écrire en vers n’a rien arrangé. Heureusement, les interprètes rendent bien les rôles qui leur sont confiés. Reste que le critique considère que l’auteur s’égare dans le drame : s’il a voulu « sauter, tout d'un coup, à un très-grand genre », pourquoi ne pas « diriger ses efforts vers la bonne comédie qui fait rire » ?
THÉATRE FRANÇAIS, RUE LOUVOIS.
ON a donné avec assez de succès à ce théâtre, une pièce en cinq actes, en vers, intitulée Saint Elmont & Verseuil, ou le Danger d'un soupçon ; en voici le sujet :
Saint Elmont, négociant fort riche, étoit l'ami de Verseuil, son caissier : un déficit assez considérable se trouve un jour dans la caisse, & Saint-Elmont, sans égard pour les probabilités, sans réfléchir sans doute que ce caissier a pu être volé lui-même par ses commis, sans aucune considération pour trente années d'expérience qui .doivent lui garantir la vertu de son ami, non-seulement le soupçonne du vol, mais le flétrit même dans l'opinion publique, en lui ôtant sa place & sa confiance.
Verseuil profondément aigri se retire avec sa fille, pour vivre ignoré.
Le véritable coupable, Duval, qui lui même n'a été poussé à cette action que par la terrible alternative de la commettre, ou de voir périr son frère ; Duval ; poursuivi par ses remords, découvre la retraite de Verseuil, & croit devoir s’imposer l’expiation peu naturelle de le servir en s'attachant à lui, mais sans lui découvrir son crime; & parvient ainsi à lui arracher toute estime, toute confiance, & jusqu'à la plus tendre amitié. Telle est l’avant-scène de cet ouvrage, peu vraisemblable au fond, mais qui pourtant présente une conception dramatique assez imposante, assez neuve, & qui paroît devoir préparer de l'intérêt, Voici maintenant les événemens que l’auteur a tirés de ce fond pour en composer son drame, car c'en est encore un, malheureusement pour Thalie, & pour ceux qui aiment à rire à la comédie.
Le fils de Saint-Elmonr est venu se loger dans le même hôtel garni que Verseuil, sa fille & Duval ; & suivant les us dramatiques, est devenu amoureux de Constance, mais sous un nom supposé pour la commodité de l'intrigue. La jeune personne répond à son amour, mais refuse de s'unir à lui, de peur de donner de l'inquiétude & du chagrin à son père, qui cependant, de son côté, démêle le sentiment de sa fille & l'approuve. Le jeune homme est enfin dépisté par Saint-Elmont qui l'a plusieurs fois rappelé sans succès, & qui se détermine à venir le chercher lui-même : quelle surprise pour Verseuil quand il vient pour fléchir le père de l'amant de sa fille, de rencontrer son persécuteur, celui qui en osant le soupçonner d'un crime abominable, a trahi tous les devoirs de l'amitié !
Son indignation ne peut se contenir ; malgré le repentir de Saint-Elmont, il est prêt à rompre tout-à-fait, & à remmener sa fille ; mais Duval, pressé doublement & par la circonstance & par les remords, vient enfin dénouer cette scène en s'avouant l'auteur du vol commis, & tous se réconcilient à l'exception de Duval qui, même malgré son aveu, ne se réconcilie pas avec lui-même.
Malgré le premier aperçu qui, comme nous l’avons dit, présente une idée dramatique, il est aisé de voir que l’auteur n'a pas la main assez exercée pour colorier un sujet semblable ; il a effleuré l'intérêt sans l'atteindre, faute d'avoir médité son art. L'avant-scène laisse trop de distance entre l’action motrice & les événemens qui en découlent. En se pressant d'instruire le public de l'innocence de Verseuil & du crime de Duval, il a détruit l'effet de leur situation : Duval lui-même n'a pas plus de motifs de se cacher pendant quatre actes, que de se découvrir au dernier. Son silence ou son aveu ne sont pas assez étroitement liés à l’action principale pour intéresser vivement le. spectateur.
L'auteur a d'ailleurs délayé, pour ainsi dire, son sujet, en voulant lui donner l’extension de cinq actes qu'il ne comportoit pas ; aussi les trois premiers jettent-ils généralement un froid mortel sur l'ouvrage.
Quant au style, il est d'une foiblesse qui sait penser que l'auteur, en voulant écrire en vers, s'est imposé une entrave, & peut-être a beaucoup nui à l'exécution de son plan dramatique.
Il faut pourtant convenir que le rôle de Duval n'est pas sans mérite, & qu'on y démêle certains coups de pinceau qui font désirer que l’auteur en eût soigné la touche, en le livrant moins à sa facilité Ce rôle parfaitement rendu par Saint-Phal, & celui de Verseuil, dans lequel l'auteur a mis aussi quelqu'éloquence, celle d'ailleurs qui plaît toujours, celle de la vertu, rôle fort bien senti par le cit. Naudet ; ces deux rôles, dis-je, devoient soutenir & ont soutenu l'ouvrage.
On n'a pas non plus assez rendu de justice à un petit rôle fort ingénieusement conçu parce qu’il unit le mérite d'être à la fois naturel & comique, & que d'ailleurs il dessine une opposition heureuse; c'est celui de l’Hôte, qui, naturellement insouciant & égoïste par caractère, tranche d'une manière plaisante, au milieu de tous les êtres sensìbles qui l'environnent : ce rôle est aussì fort bien rendu par le citoyen Picard.
L'auteur de cette pièce est le citoyen Ségur, le cadet. II s'est fait avantageusement connoître par plusieurs jolis ouvrages représentés au théâtre du Vaudeville. On voit qu'il a voulu sauter, tout d'un coup, à un très-grand genre; mais ce n'est pas le meilleur ; & il est assez étonnant que l'auteur qui a cherché & obtenu des succès au joyeux vaudeville, se jette, lorsqu'il aspire à des succès plus importans, dans la triste carrière du drame, plutôt que de diriger ses efforts vers la bonne comédie qui fait rire.
Le Censeur dramatique (Grimod de la Reynière), tome troisième (1798), n° 22 (10 germinal an 6), p. 222-232 :
[Beaucoup à tirer d'un compte rendu très long, précis : d'abord l'analyse précise des invraisemblances et des réminiscences qu'on impute à la pièce ; puis la question de l'intérêt au théâtre, et la question du vers libre au théâtre, que l'auteur de l'article veut absolument proscrire ; enfin, l'analyse du jeu des acteurs. Le passage de cinq actes à trois actes dans cette pièce faussement nouvelle tient peu de place : qu'a-t-on enlevé pour passer de 5 à 3 ? La seule trace visible de l'ancienne pièce, ce sont les erreurs sur les noms propres imputées aux acteurs.]
THÉÂTRE FRANÇOIS, DU FAUBOURG SAINT-GERMAIN.
Pièce nouvelle.
Le 4 germinal, on a donné la première Représentation de Duval ou les Remords, Drame réduit en trois actes, en vers libres, par M. de Ségur le jeune.
Roselmon, riche Commerçant de Bordeaux, avoit pour Caissier Verseuil son ami, en qui sa confiance étoit extrême. Un jour il se trouva un vide de vingt mille écus dans sa caisse, sans que Verseuil pût justifier de l'emploi de cette somme, ni accuser personne de ce vol. Alors les soupçons de Roselmon tomberent naturellement sur lui, et l'ancienneté de son amitié ne put l'en garantir. Ce Négociant se contenta de renvoyer son Caissier, sans approfondir jusqu'à quel point il étoit coupable.
Verseuil désespéré vint cacher à Paris, sous le nom de Dolban, sa honte et sa douleur. Il amena avec lui sa fille Angeline, dont les ouvrages aidèrent à sa subsistance, et Duval, son premier Commis, son homme de confiance, lorsqu'il étoit chez M. de Roselmon, et qui n'avoit pas voulu séparer son sort de celui de son ancien Maître, auquel il prodigue tous les soins et tous les secours de la plus tendre amitié.
C'est donc à Paris, chez Verseuil, et vingt ans après cet événement, que se passe la scène. Duval est déchiré de remords, et son secret, prêt vingt fois à lui échapper, demeure toujours dans son sein. Depuis un an loge dans la même maison un jeune homme nommé Surville, qui se fait passer pour Artiste, que le rapport de talens a lié avec Angeline, et qui n'a pu la voir sans l'aimer. Mais il va être obligé de quitter son logement, le propriétaire de la maison, M. Dubreuil, en a disposé en faveur d'un Particulier qui vient de Bordeaux, et qui arrive le soir même.
Il se trouve que ce nouveau venu est Roselmon, qui ayant appris que son fils est à Paris sous le nom de.Surville, et prêt à épouser une jeune personne sans fortune, vient tout exprès pour rompre ce mariage. Il reconnoît dans le prétendit Dolban, père d'Angeline, son ancien Caissier Verseuil, qui l'accable de reproches, et qui n'a pu depuis vingt ans digérer l'affront qu'il a reçu. Roselmon fait ce qu'il peut pour l'appaiser, et consent même à l'union des deux jeunes gens. Mais le vol n'étant point encore éclairci, le soupcon pèse toujours sur la tête de Verseuil.
C'est alors que Duval ne pouvant plus supporter le poids de ses remords, vient faire un aveu qui éclaircit tout. On se rappelle qu'il étoit l'homme de confiance de Verseuil, et qu'il avoit les clefs de la caisse. Un Négociant de Bordeaux vient le supplier de lui prêter 20,000 écus pour huit jours, sans quoi sa perte est certaine. Duval a la foiblesse d'y consentir, et de tirer cette somme de la caisse ; avant l'expiration du terme, ce Négociant a disparu, et Duval n'a pu le dénoncer, parce que.... c'étoit son frère. Une lettre, qu'il recoit à l'instant, lui annonce sa mort ; c'est ce qui lui permet de parler. Roselmon rend alors toute son estime à Verseuil, et Duval n'est puni que par ses remords.
Telle est l'analyse de ce Drame, qui a été joué, il y a environ quinze mois, sur le Théâtre Francois de la rue de Louvois sous le nom de Saint-Elmond et Verseuil ; il étoir alors en cinq actes. Roselmon s'appelloit Saint-Elmond et Surville Saint-Will.
Il paroît d'abord un peu extraordinaire que Verseuil se formalise tant des soupçons de Roselmon. Il a beau être son ami, il étoit aussi son Caissier, par conséquent comptable et responsable des deniers de la caisse. Il s'y trouve un déficit considérable, il est assez simple que Roselmon l'en accuse, puisqu'il ne peut s'en prendre qu'à lui. Verseuil, s'il n'est pas criminel, est au moins coupable d'une négligence impardonnable. En fait d'affaires tout est de rigueur, l'amitié se tait ; et nous trouvons que Roselmon a été bien indulgent de se contenter de renvoyer le Caissier, que tout autre, à sa place, eût mis entre les mains de la Justice. Cependant c'est Verseuil qui se prétend l'offensé, et qui a juré une haine mortelle à un homme dont il devroit au contraire bénir la modération. Première invraisemblance.
Ce même Verseuil, qui trouve si extraordinaire qu'on le soupçonne, ne conçoit lui-même aucun soupçon contre Duval, qui, ayant les détails de sa caisse, devoit être le premier objet de sa méfiance. Non seulement il ne l'accuse de rien, mais il l'amène à Paris, et continue de vivre avec lui dans la plus grande intimité. Seconde invraisemblance.
Un jeune homme qu'il ne connoît pas, qui cache sa naissance, son vrai nom et son état, loge dans la même maison, passe sa vie avec sa fille ; et Verseuil, toujours confiant à l'excès, n'en conçoit aucun ombrage ; il consent même à l'union des deux amans, sans être beaucoup mieux éclairci, et même lorsqu'il est presque convaincu que le père du jeune homme n'approuvera point ce mariage. Troisième invraisemblance.
Roselmon apprend que son fils est à Paris, et arrive dans la maison qu'il habite, et dans le logement même qu'occupoit ce fils, auquel on a donné congé, à la bonne heure ; mais il trouve dans ce logement Verseuil qu'il n'a pas vu depuis vingt ans, dont il n'a plus entendu parler, et il le reconnoît à la première vue. Quatrième invraisemblance.
Duval laisse soupconner son bienfaiteur et son ami ; souffre qu'il perde avec sa place l'amitié et la confiance de M. de Roselmon ; il garde pendant vingt ans dans son cœur un secret qui le déchire, le mine, le tue ; il nourrit pendant tout ce tems les plus cuisans remords, et cela pour sauver l'honneur d'un frère, qui est un fripon, et avec lequel il n'a depuis vingt ans aucun rapport. Cinquième invraisemblance.
Ce même Duval prête un argent dont il n'étoit que dépositaire, pour empêcher son frère de faire une faillite ; c'est ainsi que, dans les Deux Amis, M. de Mélac prête à son ami Aurelly, à son insu, 500,000 livres des fonds de sa recette. Première réminiscence.
Le fils de Roselmon, sous le nom de Surville, et se faisant passer pour Artiste, loue un modeste réduit pour se loger auprès d'Angeline son amante. Saint-Albin (dans le Père de Famille) sous le nom de Sergy, et sous les habits d'un Simple Artisan, arrête un logement sur le même pallier que Sophie, qu'il trompe également sous ce déguisement, et dans les mêmes vues. Seconde réminiscence.
Duval n'a qu'à dire un mot pour justifiar Verseuil et pour se justifier lui-même ; il ne le dit pas, et laisse soupçonner son ami. On trouve dans Clémentine et Desormes une situation à-peu-près pareille, mais bien plus intéressante, parce que Desormes est vraiment innocent. Troisième reminiscence.
M. Dubreuil donne congé à Surville de son appartement, parce qu'il en trouve un prix plus considérable. M. Dunoir, dans l'Indigent, donne aussi congé au frère et à la sœur par le même motif d'intérêt. Quatrième réminiscence.
II seroit facile d'en trouver un bien plus grand nombre encore, et de prouver que l'Auteur de ce Drame a souvent été servi ou plutôt trahi par sa mémoire. Nous sommes loin sans doute ôe prétendre l'accuser de plagiat, mais lorsqu'on emploie des ressorts déjà connus, et qu'on en tire un aussi foible parti, on s'expose à plus d'un reproche.
Cet Ouvrage pèche encore, en ce qu'il repose sur une base absolument fausse. Tout l'intérêt porte sur Duval ; mais un homme capable d'une telle imprudence et d'une telle noirceur, ne mérite absolument aucun intérêt. Ses remords ne touchent point, et semblent une juste punition de son forfait ; s'il étoit vraiment honnête, il n'auroit pas gardé pendant vingt ans un si funeste secret, tandis que d'un seul mot il pouvoir rendre le repos, l'honneur et l'existence à un homme qu'il dit être son bienfaiteur et son ami. Il n'y avoit qu'un seul moyen de rendre Duval un peu excusable, c'étoit d'inspirer pour son frère un grand intérêt ; mais c'est à quoi l'Auteur n'a nullement songé. Ce frère ne paroît point, on en parle comme d'un fripon, Duval a complètement été sa dupe ; et c'est pour sauver l'honneur d'un être aussi méprisable qu'il l'ôte à son ami. Il est clair, d'après cela, qu'il est lui-même un homme, non-seulement indigne de pitié, mais fait pour inspirer un parfait mépris. Or, l'intérêt peut-il reposer sur un Personnage qu'on méprise ? Aussi ce Drame n'en comporte-t-il absolument aucun.
Si Verseuil avoit un peu de raison et de bon sens, loin d'en vouloir à M. de Roselmon, il devroit s'apprécier lui-même, et penser que tant qu'il ne justifie point à son ami des causes du déficit, le soupçon doit naturellement peser sur lui, Son ressentiment n'est donc point motivé : il est sans doute fâcheux pour lui de se trouver dans une telle position, mais il ne doit s'en prendre qu'à son imprudence.
Et ce M. de Roselmon, qu'on nous a représenté si dur, si méchant, si soupçonneux, et qui dès qu'il rencontre Verseuil, lui redemande son amitié, et consent à l'union de leurs enfans, même avant que l'histoire du vol soit éclaircie n'est-il pas par trop confiant et facile ?
Quant à Dubreuil, son rôle n'a rien de plaisant, et l'on n'a pas tiré le moindre comique de son caractère intéressé, qui auroit pu répandre un peu de gaieté sur ce triste Ouvrage.
Nous ne parlons ni d'Angeline ni de Surville, ce sont des amoureux comme on en voit mille au Théâtr ; i ils n'inspirent pas le plus léger intérêt, et toutes les douceurs qu'ils se disent ne sont guère que des lieux communs.
Malgré tous ces défauts; en passant sur les invraisemblances, les réminiscences et le peu de naturel des caractères, on peut dire que l'action se développe assez bien ; que l'exposition n'est pas sans mérite ; que la Pièce est assez sagement conduite, et que l'intérêt de curiosité est ménagé assez adroitement, -quoiqu'il soit clair, dès les premières scènes, pour tout homme au fait du Théâtre, que Duval est le coupable.
Cette Pièce est écrite en vers libres. Ce genre de style a un peu plus d'éclat que la prose, mais il nécessite souvent une prolixité insupportable. Il faut souvent quatre vers pour exprimer une pensée qui auroit tenu dans un seul, et le sens court continuellement après la rime. Nous croyons que ce mètre devroit être absolument banni du Théâtre. Si l'on en excepte Amphytrion, qui est un chef-d'œuvre, hors de toute comparaison, nous ne connaissons aucune Pièce, écrite en vers libres qui soit d'un bon effet. Ce mètre n'a ni la concision d'une prose serrée, ni l'harmonie des vers alexandrins. L'oreille se fatigue continuellement à chercher la rime, et ce. changement continuel de mesure est absolument sans grâce ; il n'y a que la paresse des Auteurs qui puisse y gagner quelque chose. Laissons donc les vers libres à la Fable, aux Poësies légères et du style familier, mais, au nom sacré du Génie, bannissons-les sévèrement de la Scène Françoise.
II faut convenir cependant qu'il y a dans cette Pièce quelques tirades bien écrites ; que le style a de la facilité, souvent de l'élégance, et qu'on voit qu'elle sort d'une plume exercée à écrire en vers.
Il nous reste à parler des Acteurs de ce Drame.
M, Saint Fal a mis flans le rôle de Duval toute la force, la profondeur et l'adresse dont il étoit susceptible, et l'on peut bien dire que c'est presque à lui seul que la Pièce a dû la bienveillance avec laquelle elle a été écoutée. Ce rôle est sombre, peu saillant, et toujours dans une même situation. On doit donc savoir beaucoup d« gré à M. Saint-Fal d'en avoir tiré un aussi bon parti, et d'y avoir développé autant de moyens d'intéresser.
M. Naudet a été souvent monotone dans le rôle de Verseuil, et il est quelquefois sorti de cette monotonie par des coups de fouet ; mais il l'a joué en général avec beaucoup de naturel, et il y a eu des momens d'une véritable sensibilité'
M. Florence a dit avec assez de bon sens le rôle de Roselmon, mais il n'y a eu ni noblesse, ni fermeté, ni aplomb ; nous ne croyons pas que l'emploi des Pères lui convienne.
M. Dupont a mis une sorte de sensibilité dans le rôle de Surville, mais il l'a dit presque d'un même ton, et ce défaut total de nuances a nui beaucoup à l'effet.
Nous en pourrions dire autant de Mlle Simon, qui, dans le rôle d'Angeline, n'a mis qu'une demi sensibilité, et dont la monotonie a tout-à-fait étouffé les grâces.
Enfin, nous croyons que ce Drame auroit eu besoin encore d'une ou deux répétitions. Les anciens noms qu'il a plu à l'Auteur de changer revenoient continuellement,aux Acteurs ; ils ont dit plus de dix fois Saint-Will pour Surville, et Saint -Elmond pour Roselmon, ce qui n'a pas laissé que de jeter une sorte de confusion dans la Pièce ; mais aussi pourquoi changer sans nécessité ces noms propres ?
Quelques voix ont demandé l'Auteur. Plus des deux tiers des Spectateurs étoient déjà écoulés qu'on n'avoit point encore répondu à ce très foible appel : alors quelques Jeunes-Gens ont crié plus fort, et d'un ton qui ressembloit plutôt à la dérision qu'à tout autre sentiment, alors M. Saint-Fal a paru ; et comme on l'avoit aussi demandé, il a salué, et se retiroit sans rien dire, lorsque les cris de l'Auteur se prononçant d'une façon plus marquée, il est venu apprendre aux Spectateurs qui restoient un nom qui n'étoit ignoré de personne.
Cette Production est sans doute au-dessous des moyens, du talent et de la réputation de M. de Ségur ; mais telle qu'elle est, on peut la regarder encore comme l'Ouvrage d'un homme d'esprit. Jouée en petit Comité, sur un Théâtre de Société, et jugée par des amis indulgens, nous pensons qu'elle pourroit faire quelque plaisir.
D'après la base César, Saint-Elmont et Verseuil fut représenté 7 fois au Théâtre français de la rue de Richelieu, du 13 février au 11 avril 1797.
Toujours d'après César, Duval et les Remords présenté comme étant d'auteur inconnu, n'eut que trois représentations, les 24 et 28 mars et le 5 avril 1798.
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