Stanislas Leczinski, ou le siége de Dantzick

Stanislas Leczinski, ou le Siége de Dantzick, mélodrame en trois actes, à grand spectacle, de Cuvelier de Trie et Boirie, musique de Foignet, ballet de Hullin, 26 juin 1811.

Théâtre de la Gaîté.

Titre :

Stanislas Leczinski, ou le Siège de Dantzick

Genre

mélodrame à grand spectacle

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose

Musique :

?

Date de création :

26 juin 1811

Théâtre :

Théâtre de la Gaîté

Auteur(s) des paroles :

Cuvelier de Trie et Boirie

Compositeur(s) :

Charles Gabriel Foignet

Chorégrahe(s) :

Hullin

Almanach des Muses 1812.

Journal de l’Empire du 30 juin 1811 :

[Premier article sur le mélodrame de Cuvilier, qui reconnaît la spécificité du mélodrame dans la production dramatique. La tragédie moderne a pour elle « de la vraisemblance sans intérêt », alors que le mélodrame est défini par l’inverse, « l'intérêt sans vraisemblance », ce que Geoffroy considère comme n'étant pas « la plus mauvaise part ». Le mélodrame nouveau n’est d’ailleurs pas jugé « monstrueux » : pas trop de licences, pas trop de bêtises (et les bêtises ne manquent pas non plus dans certaines « pièces soi-disant régulières » : l’aveu de Geoffroy est plutôt inattendu !). Ce qui fait le succès de Stanislas Leczinski, c’est l’intérêt qui naît des dangers auxquels il échappe, mais aussi «  la magie du spectacle, le prestige des décorations, l'éclat des costumes », et bien sûr un très joli ballet, qui conduit à citer le chorégraphe, alors que le compositeur n’est pas nommé. Autre nom propre cité, celui de l’acteur principal.]

THEATRE DE LA GAIETE.

Stanislas Leczinski, ou le Siége de Dantzick.

Ce nouveau mélodrame attire la foule à la Gaieté. Le célèbre auteur de tant de pantomimes muettes, M, Cuvelier, n'est pas moins heureux quand il s'avise de prendre la parole. Allons au fait sur la nature et l'objet des mélodrames. L'art tragique a deux parties, vraisemblance et intérêt : réunir les deux est difficile. Nos tragédies modernes ont de la vraisemblance sans intérêt; nos mélodrames ont de l'intérêt sans vraisemblance, et n'ont pas pris la plus mauvaise part. Le bon sens n'est cependant pas trop violé dans Stanislas ; il n'y a rien de monstrueux dans les licences que l'auteur a prises, et son dialogue n’offre pas plus de bêtises que celui de plusieurs pièces soi-disant régulières, et qui ont de grandes prétentions. Ce qui fait la fortune de ce mélodrame, c'est le grand intérêt excité par les dangers continuels où Stanislas semble à chaque instant devoir périr, et auxquels il échappe toujours. Joignez à cet intérêt la magie du spectacle, le prestige des décorations, l'éclat des costumes, vous avez le secret du succès de tous les mélodrames qui réunissent ces moyens de plaire. Il y a dans celui-ci un joli ballet de la composition de M. Hullin. Le rôle de Stanislas est fort bien joué par M. Marty. Je reviendrai sur ce mélodrame.

Geoffroy.          

Journal de l’Empire du 2 juillet 1811, p. 3-4 :

[Deuxième article consacré à un mélodrame, et article nettement plus long et d’un grand intérêt. Il commence par un long développement sur Stanislas Leczinski, dont Geoffroy fait un éloge enthousiaste : il a toutes les qualités, dont une chère à Geoffroy, il s'oppose à Rousseau, « le sophiste genevois ». La pièce traite du siège de Dantzig au cours duquel Stanislas résiste contre l’assaut des Moscovites et donne « au milieu des dangers, des preuves de courage, de franchise et de générosité ». La pièce met à ses côtés une héroïne polonaise, dont le rôle est taillé sur mesure pour Mlle Bourgeois. La pièce présente ainsi tout ce qu’il faut dans un mélodrame : grandeur et simplicité, naturel et héroïsme, un dialogue « vif et serré, sans déclamation et sans tirades oiseuses » (ce n’est pas le cas de tous les mélodrames, souvent très emphatiques), l’indispensable niais, pas trop caricatural, une intrigue vive. Geoffroy profite se ce que le lieu de la scène soit Dantzig et ses environs, pour tenir des propos polémiques sur le respect des règles (dont celle de l’unité de lieu) dont bien des « auteurs réguliers » s’affranchissent eux aussi. Il insiste sur l’écart qui existe entre un mélodrame et même un drame (plus convenable qu’un mélodrame) et « un ouvrage du bon genre » (importance de la hiérarchie des genres, pour ne parler que de cette hiérarchie). Geoffroy s’en prend ensuite violemment à un censeur, qui reproche à un mélodrame de ne pas respecter les règles que respectent « les grands ouvrages du Théâtre Français ». Ce n’est pas qu’il croie à l’égale dignité de tous les genres, mais Geoffroy veut qu’on juge les mélodrames en prenant en compte leur spécificité. Une citation de Juvénal opposant forts et faibles, lui permet de distinguer deux systèmes de critique, celui du censeur qui voit dans le mélodrame un genre qui nuit au vrai théâtre, et celui que Geoffroy présente comme le sien, où le fort n’est plus le mélodrame, mais le théâtre des grandes pièces, et le faible les farces et les mélodrames.]

TIEATRE DE LA GAIETE.

Stanislas Leczinski.

L'auteur a suivi le conseil de Boileau :

Faites choix d'un héros propre à m'intéresser.

Il ne pouvoit en choisir un plus intéressant que ce Stanislas : peu d'hommes ont fait autant d'honneur à l'humanité ; peu d’hommes ont lutté avec plus de courage contre la mauvaise fortune. Placé sur le trône de Pologne par le fameux Charles XII, détrôné par la retraite et la défaite de ce prince, poursuivi, proscrit, il trouva un asile en France : le vain titre de roi de Pologne, qu'il avoit conservé, lui en procura un asile beaucoup plus solide, celui de beau-père de Louis XV. Des raisons politiques engagèrent la cour de France à jeter les yeux sur la plus pauvre et la plus triste princesse qu'il y eut alors en Europe, pour en faire la femme d'un puissant monarque. Le gendre se conduisit avec son beau-père aussi bien que s'il en eût reçu des trésors ; il lui céda le duché de Lorraine et de Bar : cette province chérie du ciel, accoutumée au gouvernement paternel de ses ducs, crut avoir trouvé dans Stanislas le meilleur des pères. Ce prince, élevé, comme Henri IV. à l'école du malheur, réalisa en Lorraine les douces chimères dont Fénelon nous berce dans son Télémaque, et dont Louis XIV fut scandalisé. Le souverain vécut au milieu de ses sujets, comme un père de famille au milieu de ses enfans, faisant son bonheur du bonheur de tous, cultivant les arts et l'amitié, protégeant les talens, embellissant Lunéville, qui fut son Versailles. Lorsque Rousseau écrivit contre les sciences et les arts, Stanislas prit le parti des arts et des science contre le sophiste genevois ; il se fit aider dans ce travail par le P. Menou, jésuite, son confesseur. Rousseau, tout glorieux d'un pareil adversaire, même en le combattant, sut assaisonner sa réponse des traits les plus délicats et les plus ingénieux ; il ne critiqua que les phrases du jésuite, que son goût l'empêcha de confondre avec le style noble et franc du roi. Voltaire se moqua du P. Menou et de la cour de Stanislas, mais avec enjouement et légèreté.

Tel est le héros dont M. Cuvelier nous présente les infortunes : chassé par le roi Auguste son compétiteur, il ne lui reste plus du royaume de Pologne que la ville de Dantzick : cette ville, vivement assiégée, résiste à tous les efforts des Moscovites, et garde à son souverain une fidélité héroïque au sein des horreurs dont elle est environnée ; ce qui amène des situations frappantes : le spectateur tremble à chaque instant pour Stanislas, qui ne cesse de donner, au milieu des dangers, des preuves de courage, de franchise et de générosité.

A côté du héros, il y a une héroïne, c'est une jeune dame polonaise, nommée Alexandra, dévouée à Stanislas, et qui partage ses périls. On fait ces rôles d'héroïnes pour Mlle Bourgeois, actrice qui a un talent mâle, et qui se bat très bien ; ce qui est à la Gaieté d'une ressource singulière. Il règne dans toute la pièce un mélange de grandeur et de simplicité, de naturel et d'héroïsme, qui produit une agréable variété. Le dialogue est vif et serré, sans déclamation et sans tirades oiseuses. Il y a un niais, suivant l'usage ; c'est un aubergiste dont la maison, pendant quelque temps, est le refuge de Stanislas et de ses amis. Cet homme dit le moins de bêtises que puisse dire un niais, et souvent il est comique. L'ouvrage attache par la vivacité de l’intrigue par le mouvement de l'action. Dantzick et ses environs sont le lieu de la scène : il y a des auteurs réguliers qui commencent à ne pas observer beaucoup mieux l'unité de lieu. Ce mélodrame ressemble beaucoup à un drame ; mais il y a toujours une grande distance d'un mélodrame et même d'un drame à un ouvrage du bon genre.

Je crois avoir rendu justice à l'ouvrage de M. Cuvelier. Je persiste toujours à croire qu'il faut examiner avec indulgence une piece sans prétention, et qui même déclare par son titre qu'elle prétend sacrifier les règles à l'intérêt : si elle est sans intérêt, elle est sans excuse ; si elle intéresse, elle est justifiée. Les grands ouvrages du Théâtre Français, qui tendent à l'immortalité, doivent être honorés d'un examen plus réfléchi : cela est aussi vrai que deux et deux font quatre ; cependant cette doctrine a paru, à un censeur. scandaleuse, pernicieuse, mal sonnante, et sentant l'hérésie. Il s'est répandu à ce sujet en déclamations dont l'amertume a pour excuse le zèle pour le bon goût. Cependant il me semble que ce qui afflige le plus le censeur, c'est la vogue des mélodrames et l'argent qu'ils font gagner aux entrepreneurs : c'est, dit-il, pour cet étrange système de critique qu'on semble avoir fait ce vers :

Dat veniam corvis, vexat censura columbas.

La citation est bien plus étrange que le système de critique. Le censeur n’entend peut être pas ce vers, qui signifie que, dans le monde, on pardonne tout au fort , tandis qu’on écrase le foible : « La critique indulgente pour les corbeaux, est sévère pour les colombes. » C'est précisément tout le contraire de mon système : les auteurs des grandes pièces du Théâtre Français, voilà les forts, voilà les corbeaux : les auteurs de farces et de mélodrames, ce sont là les foibles, ce sont là les colombes. Le censeur ne s’est pas bien rendu compte à lui-même de ce qu'il vouloit dire ; il drvroit tâcher de mettre plus de sens dans ses écrits : cela vaudroit mieux que de s'occuper à censurer ceux des autres.

Geoffroy.          

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