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Le Thé à la mode ou le Millier de sucre

Le Thé à la mode ou le Millier de sucre, comédie en un acte et en prose, de Ducancel, 4 messidor an 4 [22 juin 1796].

Théâtre du Palais Royal.

La pièce s'attaque à la manie de l'agiotage, et en particulier de l'agiotage des femmes, qui scandalise particulièrement les frères Goncourt.

Clément Weiss, « Des coups de bourse aboliront-ils la République ? La peur des agioteurs après Thermidor », in La République à l'épreuve des peurs, de la Révolution à nos jours (Jean-Claude Caron, Philippe Bourdin, Lisa Bogani et Julien Bouchet (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2016)

Lorsqu’ils évoquent le théâtre du Directoire, les Goncourt se montrent particulièrement enthousiastes à l’égard de sa capacité à mettre en demeure les agioteurs et le public. Ils citent la diatribe lancée contre des femmes agioteuses en conclusion de la pièce de Ducancel Le Thé à la mode ou Le Millier de sucre (1795). Très choqués par cet agiotage au féminin, les Goncourt s’exclament : « Que la pièce du Thé vienne châtier cette manie et cette furie ! » Ils estiment qu’au moment où la tirade retentissait sur scène, la salle était à l’unisson. Le public assistant aux représentations de la pièce lui reconnaissait-il cette valeur cathartique ? Il est difficile de le savoir, mais ce qui est certain, c’est que Le Thé à la mode n’a pas été l’immense succès populaire imaginé par les Goncourt puisque la pièce a connu seulement entre sept et douze représentations.

Le texte de la pièce figure dans les Esquisses dramatiques du gouvernement révolutionnaire de France aux années 1793, 1794 et 1795, publiées en 1830 par Charles-Pierre Ducancel lui-même. Il s'agissait initialement d'un projet plus vaste : publier les Esquisses du gouvernement révolutionnaire en 1793-1794 et 1795, en trois parties, esquisses historiques et parlementaires, esquisses morales et législatives, esquisses dramatiques. Seule la troisième partie a pu paraître, en 1830. Voilà comment elle est présentée en tête du volume.

Les Esquisses dramatiques se composent de trois pièces dramatiques. L'une est une nouvelle édition corrigée et augmentée de l'Intérieur des comités révolutionnaires, comédie en trois actes et en prose, qui a obtenu deux cents représentations dans la capitale en 1795 et 1796, et le même succès dans les départemens. Cette nouvelle édition est accompagnée de faits et anecdotes historiques entièrement inédits.

La seconde pièce a pour titre le Tribunal révolutionnaire, ou l'An deux, drame historique en cinq actes et en prose. La représentation en avait été autorisée par le Directoire exécutif, en 1796, sur le théâtre Feydeau. La veille du jour où elle allait être jouée, un ordre émané de la police directoriale en a suspendu la représentation. Depuis, l'auteur a fait d'inutiles tentatives auprès des gouvernemens qui se sont succédés [sic] jusqu'à ce jour. Partout il a rencontré la même résistance. Ayant perdu l'espoir de pouvoir produire son drame sur la scène, il le livre au public avec des notes, faits et anecdotes historiques, le tout également inédit.

La troisième pièce a pour titre le Thé à la mode ou le Millier de sucre, comédie en un acte et en prose, jouée pour la première fois, en 1796, sur le théâtre du Palais-Royal, où elle a obtenu douze représentations. Cette pièce n'a point été imprimée.

Les trois pièces présentent le véritable état de la société française mise en mouvement par l'action des lois et du gouvernement révolutionnaire de 1793. L'auteur a un intérêt pressant d'en hâter la publication. Tous les jours la tombe dévore les témoins oculaires qui doivent garantir à la jeunesse actuelle et à sa descendance la fidélité historique de ses portraits, ainsi que la vérité des incidens et des faits qui constituent ses trois actions dramatiques. L'auteur a besoin de leur témoignage pour n'être pas taxé lui-même d'exagération et d'extravagance. Si les deux tiers puînés de la population actuelle, en lisant ces Esquisses dramatiques, s'écrient : « Ce sont des fables absurdes, des atrocités imaginaires ! » l'autre tiers aîné lui répondra : « Non, ce sont des vérités historiques ; c'est le gouvernement révolutionnaire de France ! »

Le Thé à la mode ou le Millier de sucre occupe les pages 387 à 448, et est précédé d'une préface très éclairante sur les opinions de son auteur (p. 379-383). Elle se limite à une diatribe contre l'usage du papier-monnaie, cause de tous les maux, et source d'une spéculation acharnée, le millier de sucre représentant une espèce d'étalon monétaire, plus stable en tout cas que les assignats.

INTRODUCTION.

Cette petite comédie en un acte a été jouée, vers la fin de 1795, au théâtre du PalaisRoyal, où elle a eu douze représentations. Il y a peu d'action et de mouvement dans cette pièce : elle est toute de détails et de faits historiques qui sans doute inspireront plus d'intérêt à la lecture qu'à la représentation. Cette considération m'a déterminé, dans le temps, à ne point la faire imprimer; ainsi la pièce est inédite.

Elle donne une idée vraie de l'état de marasme et de dépravation mercantile où le gouvernement révolutionnaire a conduit la France, en 1795 et 1796.

A cette époque, les assignats étaient repoussés partout; les villes et les campagnes en étaient encombrées : point de numéraire.

Le peu qui avait échappé à la rapacité des révolutionnaires restait enfoui sous le poids d'une législation infamante, qui n'admettait, dans la circulation, que le papier-monnaie. Le moyen qu'une société politique se soutienne en l'absence de toute espèce de signe monétaire ! Plus de transactions, plus d'échanges, plus d'achats ni de ventes : il fallait tomber en dissolution. Qu'est-il arrivé ? une fièvre de trafic s'empare de toutes les têtes, efface toutes les distinctions, confond tous les rangs, et amalgame toutes les conditions. Le papier-monnaie, que tout le monde rebute, devient tout à coup l'objet et la matière d'une vaste et criminelle spéculation. On calcule d'heure en heure, de minute en minute, la baisse effrayante des assignats ; puis, on se jette comme des vautours sur les fabricans, les commerçans en gros et en détail, les manufacturiers et les producteurs, pour vider leurs magasins et pour les dépouiller. Toute espèce de marchandises, depuis les plus ignobles jusqu'aux plus recherchées devient l'objet d'une spéculation. L'humble boutique du cordonnier n'est pas épargnée. Alors la classe des marchands, fabricans et manufacturiers, extrêmement estimable et laborieuse, abondait, plus que toute autre, en hommes simples qui croient tout ce qu'on leur dit, et adoptent, comme un oracle, tous ce qu'ils lisent dans les gazettes. La bonne foi, malgré le déverbondage [sic] des temps, était encore l'ame et la règle du commerce. De la bonne foi à la crédulité la transition est insensible et immédiate. Des lois terribles avaient banni le numéraire de toutes les transactions, et l'avaient remplacé par le papier républicain. Tous les gobe-mouches de l'industrie et du commerce se sont imaginé que ces lois étaient et seraient immuables. D'autres, plus clairvoyans, habitués à lire dans l'avenir, entrevoyaient la chute inévitable et prochaine d'un régime intolérable, et avec lui celle du papier-monnaie. Ceux-ci alors ne songent plus qu'à exploiter la crédulité des bonnes gens et des sots. Ce fut alors aussi que s'introduisit dans la capitale l'usage de donner des thés, usage qui s'est perpétué jusqu'à nos jours, sous le nom de soirées ou de réunions, avec cette différence que dans les thés du gouvernement révolutionnaire il n'était question que de trafic sur le sucre, le savon, la chandelle, les souliers, les pantoufles, les allumettes, etc. ; tandis que dans les soirées actuelles on ne s'occupe que de l'écarté, de la pluie, du beau temps, de collerettes, de gigots, etc.

Cette crise, il faut le dire, a démoralisé le commerce en France. Au lieu de vendeurs et d'acheteurs loyaux et expérimentés, on n'a recherché que des imbéciles et des dupes. Habitué à ne traiter avec eux que par millions et milliards en assignats, lorsque le numéraire a reparu dans la circulation, on n'a point voulu rétrograder. De là, les millions ont été offerts ou demandés en numéraire pour des marchandises, dont le vendeur n'avait pas même le plus mince échantillon en sa possession ; et l'acheteur les arrêtait à son tour, avant même de savoir à qui il les vendrait à bénéfice. De là, cet agiotage dévorant établi sur une hausse ou sur une baisse fictive, qui s'est attaché comme la rouille aux marchandises de toute nature et aux effets publics. De là, enfin, la ruine d'une foule d'antiques et respectables maisons qui, depuis des siècles, faisaient l'ornement et la gloire du commerce français, et qui ont été remplacées, pour la plupart, par des prolétaires ou des laquais métamorphosés depuis, on ne sait comment, en gros capitalistes en munitionnaires généraux et en banquiers.

Il faudra bien du temps pour rétablir les choses dans leur ancien équilibre. On n'y parviendra qu'en réhabilitant la bonne foi, aujourd'hui réputée niaiserie dans nos mœurs ; et cette réhabilitation si désirable ne pourra jamais résulter que de la coopération bien entendue de l'éducation, des lois, du gouvernement et de la magistrature.

A défaut de Thé à la mode, la base César connaît une comédie intitulée le Millier de sucre, d'auteur inconnu, jouée 7 fois au Théâtre de Montansier du 4 au 18 messidor an 4 [ du 22 juin au 6 juillet 1796]. Ce pourrait bien être la même pièce.

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