Tarare

Tarare, mélodrame en 5 actes avec un prologue,de Beaumarchais, musique de Salieri, représenté pour la première fois sur le Théâtre de l'Opéra, le 8 juin 1787. Repris sous le titre du Couronnement de Tarare le 3 août 1790.

Fortement modifié en 1790, il l'est encore plus en 1795, puis en 1802 (mais Beaumarchais n'est plus à la manœuvre). La pièce suit manifestement les mouvements de l'histoire.

En 1790, Tarare est couronné roi.

En 1795, le peuple d'Ormuz préfère proclamer la République.

Il y aura même en 1819 une version dans laquelle Tarare rétablit Atar sur le trône, et le peuple lui prête serment de fidélité (une sorte de Restauration ?).

Voir sur ces diverses versions de Tarare l'article de Francine Lévy, « Tarare : l'opéra de Beaumarchais dont Mozart n'a pas écrit la musique », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°1, mars 1992. pp. 87-99. Disponible sur Internet, www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1992_num_1_1_1493

Les indications de la base César concernant Tarare et ses avatars ne sont guère fiables.

La collection Marandet de l'Université de Warwick propose en ligne l'édition de 1790 de la pièce :

TARARE,

MÉLODRAME

EN CINQ ACTES,

REPRÉSENTÉ pour la premiére fois

sur le Théâtre de l'Opéra, le 8 Juin 1787.

TROISIÈME ÉDITION

AUGMENTÉE du Couronnement de TARARE,

représenté le 3 d'Auguste 1790.

Poëme de PIERRE-AUGUSTIN CARON, cidevant

BEAUMARCHAIS.

Musique de M. SALIERI.

 

A GENEVE,

Chez PIERRE LALLEMAND, Grande-Rue, n. 4.

A PARIS,

Chez les Marchands de Pièces de Théâtre.

M. D C C. X C.

Chronique de Paris, n° 134 du samedi 12 mai 1792, p. 530-531 :

[Nouvelle reprise de Tarare, avec de nouveaux costumes, des ballets eux aussi nouveaux (le talent de Gardel a fait merveille), une musique partiellement nouvelle, empruntée à l'opéra Adrien, ue tous attendent avec impatience (on sait qu'il faudra attendre jusqu'en 1799...), des interprètes remarquables, y compris lorsqu'il s'agit d'un remplaçant. Tout paraît parfait : inutile de présenter un ouvrage aussi connu, et aussi apprécié du public. Bien sûr, pas de compte rendu sans crtique, et celui qui est fait ici est intéressant : le journaliste reproche à Beaumarchais d'avoir laissé subsister dans son texte des vers à la gloire des rois, vers qui ont suscité des aplaudissements dans une partie du public, des « hommes sans mœurs, & de[s] femmes impures » : la pièce est jouée au Palais Royal, et c'est en effet un lieu de débauche... On sait que Beaumarchais est patriote, et il est impératif qu'il mette fin au scandale de ces applaudissements déplacés en faisant les changements qui s'imposent, satisfaisant « les patriotes, & les amis de la tranquillité ».]

SPECTACLES.

Opéra.

Tarare vient d'être remis avec intelligence et un soin qui fait honneur aux nouveaux propriétaires de ce spectacle, MM. Celerier & Francœur. Les habits sont presque tous renouvellés ; les ballets sont presque tous nouveaux ; ceux du troisième acte; sur-tout, ont été fort applaudis. On a admiré la prodigieuse fécondité de M. Gardel. Les airs en ont été faits par M. Mehul, pour son Adrien ; ils sont délicieux, et font plus vivement desirer la représentation de cet ouvrage. C'est avec plaisir qu'on a revu M. Didelot, dont le talent est si aimable, & qu'une longue indisposition avoit éloigné de la scène. M. Renaud a remplacé M. Lainez qui étoit malade, & il a été très-applaudi.

Nous ne parlerons pas de l'ouvrage qui est suffisamment connu. Il a déjà été remis plusieurs fois. Il attire toujours du monde, c'est là certainement un succès ; mais nous avons vu avec peine que M. Beaumarchais, qui fait profession de patriotisme, eût laissé subsister ce vers.

Et le respect des rois est le premier devoir.

Nous avons entendu avec plus de peine encore ceux qui apporoient l'autel de la liberté, avec le livre de la loi, dire :

Roi, nous mettons la liberté
Aux pieds de ta bonté suprême.

Nous sommes bien persuadés que M. Beaumarchais en laissant échapper ces vers, n'avoit pas relu son ouvrage. Il a dû s'appercevoir de leur inconvenance aux applaudissemens nombreux qui leurs [sic] ont été donnés par cette portion de la salle, composée d'hommes qui haissent la révolution, parce qu'elles lui attribuent la diminution des produits honteux de la prostitution. M. Beaumarchais a sûrement été révolté, comme nous de ce scandale.

Il n'est pas du nombre de ceux qui veulent donner dans les spectacles, le signal de la rebellion, & nous avons appris avec plaisir qu'il se proposoit de faire des changemens, dont les patriotes, & les amis de la tranquillité lui sauront gré.

 

Chronique de Paris, n° 136 du lundi 14 mai 1792, p. 538-539 :

[Longue réponse de Beaumarchais à l'article paru le 12 mai dans la Chronique de Paris. A une époque de grande « fluctuation des événemens », il tient à rassurer le public de son patriotisme, en rappelant que la pièce a été écrite il y a douze ans, que le vers mis en cause a été examiné avec les directeurs de l'Opéra, et qu'il a été décidé de ne pas le changer, l'auteur n'ayant point à « diriger le sentiment public sur un point aussi délicat ». Beaumarchais, en accord avec les dirigeants de l'Opéra, a choisi de laisser ouverte la question de la modification du vers. Il fait d'ailleurs remarquer que l'auteur de l'article s'est trompé en citant le livret de Tarare en substituant « bonté » à « vertu ». Et chacun reste sur ses positions : Beaumarchais salue les journalistes de façon peut-être un peu cavalière, et les « rédacteurs » persistent en contestant l'emploi du mot vertu...]

L'auteur de Tarare à ceux de la Chronique.

Il est une question qu’on n’a pas encore décidée ; c’est de savoir jusqu’à quel point on peut toucher aux œuvres de théâtre, repréfentés [sic] depuis long tems. Dans la fluctuation des événemens actuels, ce qu’on feroit de mieux, seroit peut-être de ne point donner les ouvrages dont quelques parties détachées peuvent allumer les têtes chaudes ! Mais ce seroit bien raccourcir les ressources de nos spectacles !

Et quant à moi, messieurs, un ouvrage qui fut regardé comme un tour de force en courage, dans le tems qui le vit éclore, pourroit-il aujourd’hui faire douter de mon patriotisme, uniquement parce que je le laisse comme il fut fait il y a douze ans ?

Nous avons agité, les directeurs de l’opéra & moi, la question de ce vers qui fait naître votre critique. Mais comme il ne fait point la moralité de la pièce, qu’il montre mieux l’excès de la vertu de l’homme qu’on va couronner; & que , dans le systême actuel, si le respect des loix est le premier devoir, celui des pouvoirs constitués est au moins le second devoir, surtout de la part des soldats, dont le roi est le chef suprême ; j’ai cru qu’il serait indécent à l'auteur de vouloir diriger le sentiment public sur un point aussi délicat.

J ai dit à ces messieurs ces mots :

Si le vers, tel qu’il est, pouvoit nuire à votre succès , en éloignant les ennemis du bruit, d’un spectacle où on court le plaisir ; dans un moment où la nécessité de la subordination militaire est mieux sentie qu'elle ne le fut jamais ; peut-être que faisant peser la grande leçon de Tarare, fur des soldats en rébellion ; ce qui même est plus juste, à l'événement de la pièce, elle en deviendroit plus frappante, & saisiroit les bons esprits, de tous les tems, de tous les lieux , & même de tous les partis. Ainsi après avoir chanté,

      Arrêtés, soldats ! arrêtés.
      Quel ordre ici vous a portés ?
      O l’abominable victoire !
On sauveroit mes jours en flétrissant ma gloire.

Tarare , au lieu de continuer sur la première version, qui est celle-ci :

      Un tas de rébelles, mutins,
      De l’état feroit les destins !
      Est-ce à vous de juger vos maîtres ?
      N’ont-ils soudoyé que des traîtres ?
Oubliez-vous, soldats, usurpans le pouvoir,
Que le respect des rois est le premier devoir ?

      &c.

Pourroit finir ainsi :

      Aux fureurs d’un corps mutiné,
      L’état seroit abandonné !
      Payés pour servir la patrie,
      Vous l'agités avec furie !
Oubliez-vous, soldats, usurpans le pouvoir,
Qu’en vous l’obéissance est le premier devoir ?

      &c. .

Je n'ai point d’avis là-dessus. L’ancienne version étoit bonne : la nouvelle frappe plus juste, & peut contenter tout le monde. On choisira. Voilà ce que j’ai dit.

Le rédacteur de votre article s’est trompé, messieurs, quand il dit que j’ai fait réciter au peuple, en allant saluer Tarare :

      Roi ! nous mettons la liberté

      Aux pieds de ta bonté suprême &c.

Pour bien jouer ce chœur, il faut le lire entier, & surtout citer juste , en citant.

Les hommes à Tarare.

      Roi ! nous mettons la liberté
      Aux pieds de ta vertu suprême.
      Règne sur ce peuple qui t’aime,
      Par les loix & par l’équité.
      Il dépose en tes mains, lui-même,
      Sa redoutable autorité.

Les femmes à Aspasie.

      Et vous reine, épouse sensible,
      Qui connûtes l'adversité !
      Du devoir souvent inflexible,
      Adoucissés l'austérité.
      Tenez son grand cœur accessible
      Aux soupirs de l’humanité.

      Tous ensemble.

      Roi ! nous mettons la liberté
      Aux pieds de ta vertu suprême , &c.

Je vous salue , messieurs.

Caron Beaumarchais.

Note des rédacteurs. Notre impartialité nous fait une loi d’imprimer la lettre de M. Beaumarchais. Mais nous persistons dans nos observations, & nous ne croyons pas que la liberté doive être aux pieds de la vertu, pas plus que de la bonté, car la liberté est une vertu, ou plutôt le principe de toutes les vertus.

 

Chronique de Paris, n° 136 du mardi 15 mai 1792, p. 542-543 :

[Très longue réponse à la réponse de Beaumarchais... Après avoir répondu aux arguments de Beaumarchais concernant Tarare, l'auteur élargit le débat (le problème, c'est la liberté de création) et reprend un certain nombre d'incidents lors de la représentation d'œuvres théâtrales pour montrer qu'il est indispensable de laisser s'exercer « la liberté des opinions », mais qu'il faut aussi veiller au respect des lois : pas question non plus de laisser agir les ennemis de la liberté.

Les exemples pris par le critique :

Didon : l'hémistiche incriminé (« Si l'étranger l'emporte ») figure dans la Didon de Lefranc de Pompignan, à la fin de l'acte 1 ; il s'agit d'une tragédie en 5 actes, créée en 1734 et qui est jouée une dizaine de fois de 1789 à 1793, au Théâtre de la Nation ou au Théâtre de Mademoiselle Montansier ;

Richard : le vers cité, qui appartient à ce qui est devenu un hymne royaliste, figure dans Richard Cœur de Lion, opéra comique de Sedaine, musique de Grétry (21 octobre 1784, au Théâtre Italien), pour lequel la base César donne une longue liste de représentations, qui s'arrête après 1791 : cette liste ne connaît plus de représentation qu'en 1792 (deux représentations), au Grand Théâtre de la Monnaie de Bruxelles ;

O Richard ! ô mon roi ! l'univers t’abandonne

Iphigénie en Aulide : ce n'est pas la pièce de Racine, mais plutôt l'opéra de Gluck, créé à Paris le 19 avril 1774, et qui a connu un grand succès tout au long des années 1790, à l'exception toutefois de l'année 1792 où il est peu joué : « les amateurs de la belle musique [en] sont privés ».

Quant à l'opéra d'Adrien, paroles d'Hoffman, musique de Méhul, attendu en 1792, et qu'on ne jouera qu'en 1799, le critique proteste contre le fait qu'on ne peut pas le jouer : c'est « une vexation, une tyrannie ». L'allusion à ce char tiré par des chevaux blancs, c'est bien une des causes de l'impossibilité de jouer l'opéra en 1792. Mais les représentations en 1799 n'ont pas eu un grand succès : 4 représentations seulement, du 4 au 16 juin 1799... et la carrière de l'oeuvre d'Hoffman et Méhul s'arrête en 1803, après seulement 18 représentations.

Il y aurait beaucoup à dire sur les problèmes liés à l'exécution de bien des œuvres...]

Des Spectacles.

L'auteur de l’article sur Tarare, à M. Caron Beaumarchais.

Ma réponse, monsieur, sera un peu longue, j'y joindrai des observations générales sur les théâtres ; je commence par ce qui regarde votre opéra,

La question de savoir à quel point on doit toucher aux ouvrages de théâtre représentés depuis long-tems, dans la fluctuation des évènemens actuels, n’est pas, dites-vous, décidée. Il me semble que cette décision est facile. Les ouvrages des anciens sont des dépôts sacrés ; mais, il n’en est pas de même des ouvrages dont les auteurs vivent encore, leur patriotisme peut être éclairé comme leur goût, par les observations, par le jugement public, & si ces observations leur paroissent justes, ils peuvent, ils doivent même faire des corrections à leurs ouvrages auxquels ils ont seuls droit de toucher , & le dissernement [sic] avec lequel ils font ces corrections donne la mesure de leur goût & de leur civisme.

Exiger d’un auteur, qui a choisi un sujet grec ou romain, qu’il dénature son plan, qu’il altère la vérité, ou qu’il affoiblisse la vraisemblance parce que son ouvrage contient des évènemens qu’on dit avoir du rapport avec les évènemens actuels, est une vexation, & une tyrannie ; c'en étoit une de s’élever contre l’opéra d'Adrien, parce que cet empereur romain, vainqueur des Parthes, triomphe dans un char traîné par des chevaux blancs. Aussi suis je bien persuadé que si l’auteur, au lieu de se permettre des personnalités, avoit éclairé le public, & se fût proposé le retranchement des vers isolés, & ne tenant pas à l’action dont la malveillance auroit voulu profiter, cet opéra auroit été représenté depuis long-tems ; mais, au lieu de cela on prend de l'humeur, on répète les lieux communs de l’aristocratie, les esprits s’aigrissent, & les bâtons flottans deviennent des vaisseaux & des montagnes.

Demander à un auteur le retranchement d’un vers isolé, qui a la prétention d’une sentence, & qui contient une idée répréhensible, c’est exiger de lui un sacrifice très-juste & bien léger ; or, ce vers

Le respect pour les rois est le premier devoir.

est l’abrégé complet de la contre révolution ; & celui-ci

Le respect pour les loix est le premier devoir.

seroit au contraire l’abregé complet de la constitution. Dans le respect des loix est renfermé celui de toutes les autorités constitués [sic], & sur-tout celui du roi, chef suprême du pouvoir exécutif ; si, au contraire, le respect des rois est le premier devoir, il faut brûler la constitution, chasser l’assemblée nationale, & obéir en esclave aux volontés, aux caprices même d'un tyran, puisque la première obligation est de suivre ses loix arbitraires.

Ce n’est sûrement pas votre intention de propager de pareils principes, & l’examen de la portion de la salle qui applaudissoit a dû vous avertir de leur effet. Je crois donc que le changement que vous avez proposé, contenant une 1eçon utile au lieu de principes anti-contitutionnels, devoit être adopté.

Quand au reproche que vous me faites d’avor cité bonté au lieu de vertu, il n’attenue en rien mon observation, un citoyen ne met la liberté aux pieds de personne.

Voilà, monsieur, mon ultimatum sur cette affaire très-légère en apparence ; mais, très importante, en effet , par l’influence des spectacles sur l’esprit public ; je ne crois donc pas inutile d'ajouter quelques réflexions générales sur le théâtre ; elles viendront à l’appui de mes observations particulières sur votre opéra.

Rien ne seroit si facile que d'éviter les troubles qui agitent souvent nos spectacles ; il ne faudroit pour cela que du civisme, de la raison, & de la bonne foi.

Les ouvrages des auteurs anciens ne peuvent être dénaturés ; mais remarquons aussi que ce ne font pas les patriotes qui saisissent les allusions & qui troublent le spectacle. Sont-ce eux qui ont improuvé l’air : O Richard ! ô mon roi ! l'univers t’abandonne, air bien naturel, convenablement placé dans un ouvrage qui a précédé de long-tems la révolution ? Non, sans doute ; mais les mécontens ont saisi ces vers pour dire publiquement que le roi est abandonné prisonnier, &c. Ailleurs, d'autres s’élançant sur le théâtre, ont emporté, l'épée à la main, une citadelle de papier. Ce ne sont donc pas les patriotes qu'il faut acculer de la suppression d’un ouvrage charmant qui plaisoit au public, ce sont les aristocrates seuls qui l'ont causé, & M. Sedaine l’a souffert sans se plaindre, parce qu'il joint au talent le civisme le plus pur & le plus vrai. Il en est de même d'Iphigénie en Aulide, ouvrage sublime, dont les amateurs de la belle musique sont privés : ce sont les applaudissemens délirans des aristocrates qui en sont la cause, & l'hommage qu’ils vouloient rendre est devenu une insulte dont les citoyens honnêtes ont gémi, mais qu’ils n’ont pas à se reprocher. Il en est de même de la tragédie de Didon. Cet hémistiche

Si l’étranger l’emporte.

a été couverts [sic] d’applaudissemens, signal de la rébellion & du desir de voir la France dévastée par les armées étrangères. On ne peut pas faire de changemens à Didon, parce que l’auteur est mort ; à Richard, parce que l’air tient au sujet ; à Iphigénie, parce que ce changement seroit un outrage ; & cependant on ne sauroit, sans montrer une intention coupable, reproduire ces ouvrages sur la scène, jusqu’à ce que des circonstances plus heureuses puissent les y ramener.

Mais où est la liberté des opinions ? les censeurs étaient moins gênans. Voilà les lieux communs de l'aristocratie.

La liberté des opinions consiste à pouvoir dire la sienne sur toutes les matières qui peuvent être discutées, mais non pas à s’élever publiquement & avec audace contre les lois de son pays, ou bien cette prétendue liberté n’est plus que révolte & sédition.

Si les magistrats prenoient sur eux de prescrire telle pièce, telle scène, telle pensée, ils remplaceroient les censeurs. Mais la censure qui s’exerce ici est celle du public ; le patriotisme s’irrite d'une pensée contraire aux loix ou d’une application séditieuse, comme le goût est blessé d un mauvais vers ; seulement le patriotisme est plus bruyant, parce qu'il a plus d’énergie que le goût, parce qu’une mauvaise opinion en politique est plus dangereuse qu’un mauvais vers en littérature.

La liberté des opinions n’est donc pas violée ? le régime de la censure n’est donc pas renouvellé [sic], parce que le public s’élève contre des idées qui lui paroissent repréhesibles ?

Mais ajoutera-t-on : quelle sera la manière de juger de l'opinion publique ? C’est encore la mauvaise foi qui fait cette question ; sans doute on ne peut pas exiger d’adopter dans les spectacles les opinions des différens partis. Ils ne doivent être ni feuillans, ni ministériels, ni modérés, ni impartiaux, ni indépendans, ni jacobins ; mais ils doivent être patriotes, ils ne doivent rien représenter de contraire aux lois qui gouvernent la France, & quelques-uns même doivent faire plus ; de ce nombre, sont le théâtre Français, celui de la rue de Richelieu ; on y offre les grandes leçons de l’histoire, ils doivent autant qu’ils le peuvent, concourir à bien diriger l’esprit public, & à inspirer l’amour des lois, & le respect des autorités constituées.

Les Spectacles où l’on ne cherche que le plaisir, n’ont pas le même devoir à remplir. L'opéra doit se borner à charmer les sens par la réunion des talens de tous les genres. La politique en ariette, ou même en récitatif, seroit ennuyeuse & ridicule. Ce spectacle ne doit donc pas prétendre à former l’esprit public, mais il ne doit pas non plus concourir à l'égarer, à 1'énerver. Voilà tout ce que les amis des lois & de l ordre public ont le droit d’en exiger.

Les directeurs de quelques théâtres font très-patriotes, d’autres très-ennemis de la constitution. Quelques-uns sont indifférens, & ne pensent qu’au succès de leur entreprise. Ils craignent, que s’ils offensent le château, ils n'ayent à s’en repentir. Quand le général Beaulieu entrera dans Paris avec ses houlans, sans doute il ne faut pas outrager la loi ; si ceux qui parlent contre la constitution sont coupables, ceux qui offensent le roi le sont aussi. Mais n'est-ce pas offenser le roi, que de regarder comme un outrage pour lui, le retranchenent de quelques vers contraires aux principes de la constitution (1) qu’il a jurée.

Je terminerai par rappeller ce que j’ai déjà dit sur les comédiens en général, presque tous font ardens patriotes, mais quelques-uns font extrêmement aristocrates, & ceux-là sont les plus lâches des hommes. Pour faire connoître l’excès de leur bassesse, il suffit du rapprochement de ce qu’ils étoient & de ce qu'ils sont, & je vais démontrer l'état d'abjection où ils étoient. Plongés par la loi, placés au dessous du bourreau, ils ne pouvoient pas être inhumés dans la sepulture chrétienne, on les privoit de droits communs à tous les hommes. Ils n'étoient pas citoyens ; aujourd'hui ils le sont. Aucun emploi ne leur étoit ouvert, & aujourd’hui l’un préside une section, l'autre est dans le corps électoral, un autre est commandant de bataillon. Ils ne pouvoient pas témoigner en justice, & aujourd’hui plusieurs peuvent juger de la fortune, de l’honneur & de la vie de leurs concitoyens. Le comédien aristocrate a donc l'impudence de dire : la loi m’a retiré d’un état d’abjection injuste, il est vrai, mais réel & incontestable, & je haït [sic] cette loi, n'est-ce pas prononcer je préfère l’abjection ?

Les femmes de ce genre sont encore plus méprisables ; elles semblent dire : je ne veux point vivre honorablement de mon état, & je haït [sic] ces lois nouvelles qui arrêtent dans son cours le trafic honteux des plaisirs que je procure. On assure que plusieurs de ces dames sont irritées contre moi ; je leur répondrai ce que disoit Jean de Meung, à des femmes de la cour, qui vouloient le punir d’un crime semblable au mien : que celle que j'ai le plus offensée, me jette la première pierre.

(1) Pour revenir à l’opéra de Tarare, on pouvoir dire que le lieu de la scène étant en Asie, Tarare doit parler comme un asiatique, & non comme un français de nos jours ; mais le couronnement de Tarare prouve que l'auteur ne s’est pas renfermé dans son fujet, & qu’il a recherché les allusions. Il a retranché de ce couronnement, & avec raison , ce qui avoir rapport à la traite des noirs, au mariage des prêtres, au divorce, parce qu'ils déplaisent à quelque parti. Pourquoi croiroit-il ne pas pouvoir changer des vers, dont les patriotes sont mécontens.

Mercure universel, tome 15, n° 442 du mardi 15 mai 1792, p. 239 :

[En 1792, ce n'est bien sûr pas une pièce nouvelle. C'est simplement une reprise par la toute nouvelle Académie de Musique, qui a cessé d'être royale. Le spectacle est remarquable par sa pompe et sa richesse des costumes. Les ballets sont repris d'un autre opéra, Adrien, et sont de Gradel dont la réputation n'est plus à faire. Méhul a écrit des airs « délicieux ». L'allusion au « regret qu’éprouvent tous les amateurs d'être privés d’une production, etc. » fait allusion aux difficultés que l'opéra de Hoffman et Méhul a rencontrées et qui ont empêché sa création.. La fin de l'article est consacrée aux interprètes, chanteurs, danseurs dont le critique dit qu'ils « font assaut de force, d'a plomb, de légèreté, de graces et de talens » : énumération des qualités attendues d'un danseur...

Adrien, opéra d’Hoffman et Méhul, devait être joué en mars 1792 sur la scène de l’Académie Royale de Musique sous le titre d’Adrien, empereur de Rome. Il ne l'a été qu'en 1799.]

Academie de musique.

La maniere dont on vient de remettre 1'opéra de Tarare, fait l’éloge de la nouvelle administration de ce spectacle. Il n’est pas possible de voir plus de pompe et plus de richesse dans les costumes Le grand succès de cette [sic] ouvrage, paroît vouloir se perpétuer. On a adopté les ballets destinés à l’opéra d'Adrien, ils sont de la composition de M. Gardel et justifient la réputation qu'il s’est acquise en ce genre ; les airs sont de M. Méhul, ils ont paru délicieux : ils doublent le regret qu’éprouvent tous les amateurs d'être privés d’une production ou [sic] sans doute M. Méhul a déployé toutes les ressources du genre musical.

M. Chéron fait briller sa belle voix dans le rôle d’Atar, qu’il joue de manière à dégoûter des tyrans et de la tyrannie.

M. Renaud a succédé avec succès à M. Lainez dans le rôle de Tarare. Les premiers sujets de la danse exécutent les pas les plus difficiles ; MM. Vestris, Gardel, Didelot, Melles. Rose, Miller, font assaut de force, d'a plomb, de légèreté, de graces et de talens.

 

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