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Une matinée de madame Geoffrin
Une matinée de madame Geoffrin, comédie en un acte mêlée de vaudevilles, de Demautort, 3 thermidor an 13 [22 juillet 1805].
Théâtre du Vaudeville.
Le dépouillement du Courrier des spectacles permet de repérer 8 représentations après la première : 4, 6, 9, 12, 14, 16, 23 thermidor [23, 25, 28, 31 juillet, 2, 4, 11 août] et, après une longue absence, 26 vendémiaire an 14 [18 octobre 1805]. Et elle n'a pas reparu en 1806.
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Titre :
Une matinée de madame Geoffrin
Genre :
comédie
Nombre d'actes :
1
Vers / prose
prose avec couplets en vers
Musique :
vaudevilles
Date de création :
3 thermidor an 13 [22 juillet 1805]
Théâtre :
Théâtre du Vaudeville
Auteur(s) des paroles :
de Mautort
Almanach des Muses 1806.
Courrier des spectacles, n° 3079 du 4 thermidor an 13 [23 juillet 1805], p. 2-3 :
[Le critique n’a pas aimé qu’on mette madame Geoffrin sur la scène, et il s’attache à montrer les insuffisances de la pièce. L’anecdote qui sert de point de départ à la pièce est le fameux cadeau annuel fait à ses amis : du velours pour se faire une culotte, devenue dans la pièce une veste bleue, pour respecter les bienséances. Il s’agit de marier la nièce de madame Geoffrin, mais la fameuse veste bleue est source d’une série de malentendus, l’homme de lettres prévu comme futur mari venant sans l’avoir revêtue, et un valet la portant : double malentendu, qui fait traiter l’écrivain comme un domestique, d’abord par le valet indûment vêtu de velours, puis par sa future épouse. Tout s’arrange naturellement, puisqu’on est au vaudeville. C’est maintenant le moment de porter un jugement. Il est bien sévère. D’abord la pièce est présentée comme une invraisemblable accumulation d’activités dans cette matinée : trop chargée, cette matinée. Ensuite, le portrait fait de la spirituelle madame Geoffrin et de ses invités ne correspond pas à la réalité de cette « femme d’une conversation simple et négligée », qui ne se serait pas abaissée à des calembours. De même les hommes de lettres de son salon n’auraient jamais aligné les pauvres propos littéraires qu’on leur prête. Ils sont plus généralement présentés comme « des malheureux manquant de pain et d’habit ». Ce n’était pas des auteurs « de mauvais vaudevilles ». Enfin, s’il est possible de trouver dans la pièce « quelques lueurs d’esprit », on y trouve plutôt « beaucoup de pointes d’un très-mauvais goût, peu d’idées justes, peu de liaison dans les scènes, un grand nombre de réminiscences qu’on pouvoit négliger, et des calembourgs bien dignes de Jocrisse et de M. Vautour ». Et ces éléments hétéroclites sont des emprunts « à tout le monde ». Le succès a été disputé, et l’auteur n’a point été nommé. Mais le critique y a reconnu « un descendant de Fadius [pour Vadius] et de Trissotin ».]
Théâtre du Vaudeville.
Une Matinée de Mad. Geoffrin.
Tout le monde sait que la maison de Mad. Geoffrin étoit le rendez-vous des hommes de lettres les plus distingues de son tems ; que tous les ans, au premier jour de janvier, elle leur faisoit présent d’une quantité suffisante de velours pour augmenter leur garde robe de cette partie de l’habillement qui n’est ni un habit, ni une veste. Linguet est le premier qui se soit amuse de ce singulier présent. Un auteur qui n’a pas l’esprit de Linguet a voulu s’en amuser aussi ; mais il n’a pas osé revêtir ses acteurs du costume véritable. Par respect pour les bienséances, il a supposé que c’étoit une veste bleue que madame Geoffrin donnoit à ses amis, et c’est de cette veste que sort toute l’intrigue de la pièce nouvelle.
L’auteur suppose que Mad. Geoffrin élève chez elle une nièce jeune, jolie et spirituelle, nommée Aglaé ; elle se dispose à la marier, et l’époux qu’elle lui destine est, comme de raison, un homme de lettres. Aglaé ne l’a pas vu, et l’attend avec beaucoup d’impatience ; elle se flatte de le reconnoitre, dès qu’il paroîtra, au costume distinctif des amis de sa tante.
Mais Saint-Léger, pressé de voir la belle Aglaé, qu’il ne commit pas non plus. arrive en simple négligé. D’un autre côté, Dubois, valet d’un homme de lettres qui vient de mourir, se présente chez Madame Geoffrin pour entrer à son service. Comme il a hérité de la garde-robe de son maître, il est aussi revêtu du costume bleu. Madame Geoffrin l’admet, et le charge de recevoir les personnes qui se présenteront.
A l’arrivée de Saint-Léger, Dubois qui ne reconnoît point le costume d’étiquette, se persuade que le jeune homme est un laquais élégant, qu’on veut engager pour Aglaé. Saint-Léger, qui voit Dubois paré de la veste d’uniforme, le prend pour un homme de lettres, et de cette double méprise résulte une scène assez gaie, mais dont l’auteur pourroit tirer un meilleur parti.
Dubois toujours persuadé que Saint-Léger est un confrère, en agit avec lui avec familiarité, et le présente à Aglaé comme un camarade. Aglaé donne dans la même méprise, et se doute si peu qu’elle est en présence de sou futur époux, que dès ce moment même elle lui parte avec beaucoup de hauteur, et lui donne des ordres, qu’il exe'cute fort obligeamment. Enfin Mad. Geoffrin fait cesser cette erreur. Saint-Léger reparoît dans un costume plus élégant et plus riche, et Aglaé consent volontiers à devenir son épouse.
Cette pièce est intitulée : Une Matinée de Madame Geoffrin. Il est bien difficile que cette femme célèbre ait fait dans une matinée tout ce que l’auteur lui attribue. Elle cause d abord avec son portier ; elle engage ensuite un valet ; puis elle reçoit la visite des hommes de lettres ; elle admet St.-Léger ; elle donne audience à un envoyé du Roi de Pologne, elle disserte sur Jean-Jacques et Jean-Baptiste Rousseau, sur Jean Lafontaine, sur Despréaux, sur Racine, etc. Elle fait l’éloge d Homère, dont le buste est placé dans son salon ; elle traite du mariage de sa nièce, elle la fait broder, et dit tous les rebus qui lui passent par la tête.
Mad. Geoffrin étoit une femme d’une conversation simple et négligée ; jamais elle ne fit de calembourgs, Il est bien difficile à un auteur de vaudevilles, qui met tout son es prit en jeux de mots, de faire parler convenablement les personnages célèbres des derniers siècles. Rien n’est moins spirituel que la scène où les gens de lettres réunis dissertent entr’eux sur les Grecs et sur les Romains ; on jugera de leur style par leur jugement sur Homère : Il nous éclaira, et il étoit privé de la lumière. Assurément, ni Thomas, ni Marmontel, ni d’Alembert ne se fussent exprimés de cette manière.
L’auteur a cru se rendre plaisant en représentant les gens de lettres comme des malheureux manquant de pain et d’habit. Tous les gens de lettres ne font pas de mauvais vaudevilles, et il n’y a guères que les Colletet et les Colin de nos jours qui soient réduits à vivre aux dépens d’autrui.
On trouve dans cette pièce quelques lueurs d’esprit ; beaucoup de pointes d’un très-mauvais goût, peu d’idées justes, peu de liaison dans les scènes, un grand nombre de réminiscences qu’on pouvoit négliger, et des calembourgs bien dignes de Jocrisse et de M. Vautour. L’auteur pauvre de son propre fonds, a emprunté a tout le monde ; il a parodié jusqu’à l’anecdote plaisante de la mort de Pindare, si plaisamment pleuré par Cha pelle ; mais quelle parodie !
Le succès de cet ouvrage a été mêlé de bonne et mauvaise fortune ; mais la mauvaise fortune l’a emporté, et l’auteur n’a point été nommé. Quelques personnes ont soupçonné que ce devoit être un descendant de Fadius et de Trissotin.
Mercure de France, littéraire et politique, tome vingt-unième (an xiii), n° CCXII du 8 Thermidor an 13 (Samedi 27 Juillet 1805), p. 275-278 :
Théatre Du Vaudeville.
Une Matinée de madame Geoffrin.
On a parlé diversement de madame Geoffrin, dont on a essayé de faire un personnage historique, et qui tient sa place, comme un autre, dans les dictionnaires des hommes célèbres, où l'on trouve à la vérité une foule innombrable de noms inconnus. Les uns n'ont vu en elle qu'une pédante tourmentée de la passion de la célébrité, sans aucun titre pour y prétendre ; qu'une femme sans esprit, sans instruction, sans goût pour les beaux arts, quoiqu'elle fût entourée d'artistes et de gens de lettres. La Harpe prétend ne lui avoir jamais entendu proférer une parole remarquable ; mais on sait que ce littérateur était d'un goût excessivement difficile; car on cite de mad. Geoffrin, plusieurs mots qui ne manquent pas de sel.
D'autres ont trouvé tout simple qu'elle eût préféré la société des hommes les plus distingués de son siècle, par les talens, le goût, la naissance, à celle de quelques caillettes, ou à d'insipides amusemens. Ils ne l'ont point blamée d'avoir voulu être heureuse à sa manière, et d'avoir cherché son bonheur où elle espérait le trouver. Marmontel la peint comme une femme faible qui aimait à obliger, mais qui craignait encore plus de se compromettre ; qui ayant des sentimens religieux, et vivant avec des hommes qui les regardaient comme des préjugés, allait à l'église en catimini.
L'auteur du Vaudeville n'a pris aucun parti dans cette querelle. Chez lui, cette femme presque célèbre est un personnage insignifiant, et pouvait aussi bien se nommer ma Tante Aurore que madame Geoffrin ; elle ne semble être là que pour répéter qu'elle aime les arts, et pour marier une nièce. Ce n'est pas sous ce rapport seul que l'espérance du public a été déçue. On s'était imaginé que la Matinée de madame de Geoffrin serait le pendant de la Soirée d'Auteuil. On s'attendait à voir ressusciter l'élite des beaux esprits du siècle dernier. On n'a vu que quatre misérables qui ne rendent pas, dit-on, les livres qu'on leur prête, que des affamés qui annoncent au laquais de madame Geoffrin qu'ils viendront dîner avec elle, et qu'ils n'y manqueront pas. Rien n'empêchait d'abord de croire qu'il y eût parmi eux trois muets. Car la première fois qu'ils se montrent, il n'y a qu'une espèce de chef de file qui dise quelques mots à la maîtresse de la maison. En attendant dîner, pour se débarrasser de l'ennui qu'ils lui causent, elle les confine dans sa bibliothèque, où elle les envoie faire des recherches sur la vie d'Homère, dont le buste est dans son salon. Elle a d'ailleurs à conclure une affaire à laquelle leur présence n'est aucunement utile.
Sa nièce Aglaé est aimée d'un jeune littérateur qu'elle ne connaît point : il se présente sans la veste bleue et brodée, dont madame Geoffrin fait présent à tous les gens de lettres admis dans sa maison. C'est un autre vêtement, comme on sait, qu'elle leur donnait chaque année pour étrennes. Mais l'auteur a cru que la décence exigeait cette légère altération dans l'histoire anecdotique du 18e siècle. Saint-Léger, c'est le nom de l'amant, n'ayant pas la veste d'uniforme est pris par Aglaé pour un nouveau laquais attendu ce jour-là dans la maison ; ce qui donne lieu à une scène très-agréable. La jeune personne l'avertit de ce qu'il doit faire pour que son service lui soit agréable, lui déclare qu'elle est très-vive et très-exigeante : elle lui donne quelques commissions, et il court s'en acquitter en disant :
Amans, nous sommes des valets,
Maris, nous sommes des esclaves.
Le véritable laquais arrive ; son dernier maître était un des beaux esprits de la société de madame Geoffrin, et a laissé en mourant pour tous gages à son domestique sa modeste garderobe. La veste brodée s'y trouvait, le pauvre hère s'en est paré. S. Léger le prend pour un auteur, ce qui fait naître un autre quiproquo. Enfin tout se débrouille, le mariage est convenu, et on se dispose à l'aller célébrer en Pologne dans le palais du roi, qui a envoyé un seigneur de sa cour inviter madame Geoffrin à y venir faire cette noce.
Le quatuor de savans sorti de la bibliothèque reparaît sur la scène. Cette fois, on s'aperçoit qu'aucun d'eux n'est muet. Homère est le sujet d'une jérémiade que l'impatience du public a fort abrégée : on a compris que les quatre idiots allaient pleurer la mort de ce prince des poètes, comme Chapelle avait pleuré celle de Pindare. On ne leur a pas donné le temps d'achever leurs lamendations [sic]. La pièce a fini au milieu des sifflets et des applaudissemens.
Elle aurait eu un sort moins équivoque si on l'avait intitulée tout uniment les quiproquos, seul titre qui lui convînt. Le nom de madame Geoffrin lui a fait tort parce qu'il annonçait autre chose qu'un improglio [sic], et que l'attente trompée donne toujours de l'humeur. Il y a dans ce vaudeville une prodigieuse quantité d'anthithèses [sic], de pointes, de jeux de mots, de calembourgs; mais il s'y trouve aussi des traits heureux et deux ou trois jolies scènes. Le triste rôle de madame Geoffrin a été joué par une actrice qu'on ne voit guère que dans les caricatures , ce qui n'a pas contribué à le faire paraître meilleur. Mademoiselle Desmares a rendu celui d'Aglaé avec beaucoup de finesse et d'agrément. Sans elle la chute eût été plus marquée. On dit que la seconde représentation a été moins malheureuse, et que l'auteur (M. De Mautort) a été nommé ; elle ne peut avoir obtenu qu'un succès factice. Le sujet est mal conçu ; mais l'exécution prouve que l'auteur n'est pas incapable de mieux faire, et qu'il ne manque ni d'esprit, ni même de talent ; sur-tout de celui de bien tourner un couplet.
Journal de l'Empire, 8 thermidor an 13 [27 juillet 1805], p. 3-4 :
[Dans ce feuilleton où je crois reconnaître la patte de Geoffroy, il y a beaucoup d'ironie envers la pièce, son sujet, et son auteur. Le journaliste a besoin de faire preuve d'érudition et de condescendance envers madame Geoffrin pour dénigrer une pièce qu'il juge mauvaise. Mais il lui est tout aussi difficile de dire du bien des gens qui entourent madame Geoffrin : il n'aime pas non plus les philosophes. La pièce se voit réduite à un quiproquo assez mince et à quelques « jolis couplets » montrant l'esprit de leur auteur. La fin de l'article est désabusée : un vaudeville qui vivra ce que vivent les vaudevilles, une « carrière obscure ».]
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Une Matinée de madame Geoffrin.
Il y a, je crois, à ce théâtre Une Matinée de Voltaire ; mais Voltaire est un autre personnage que madame Geoffrin. On s'embarrasse peu de ce que mad. Geoffrin faisoit le matin, de ce qu'elle disoit à sa femme-de chambre, à ses laquais, à ses complaisans de toilette. Cette dame est plus connue par ce qu'elle faisoit le soir.
Les Précieuses ridicules, et les Femmes savantes renferment ce qu'il y a de plus comique sur les travers de la science et sur les bureaux d'esprit. Tous ceux qui depuis ont traité un pareil sujet, n'approchent pas de l'imagination, de la verve et de l'originalité de l'inimitable Molière : ce grand homme étoit soutenu par le bon sens de la nation et la simplicité de la classe bourgeoise qui ne donnoit point dans ces extravagances, et rioit des classes même les moins faites pour ce genre de folie, tout est bel esprit, tout est pédantisme ; aujourd'hui, les boutiques sont changées en Bureaux de littérature ; et je ne sais si Molière lui-même, avec tout son génie, parviendroit à nous guérir du bel-esprit et à nous rendre le sens commun.
Madame Geoffrin étoit au fond une bonne femme, de peu d'esprit, mais connoissant bien le monde, ayant beaucoup d'usage, et un instinct assez sûr qu'on peut honorer du nom de tact ; elle rassembloit chez elle les gens de lettres les plus connus, non pour jouir de leur esprit, dont elle faisoit peu de cas, mais pour se donner une grande considération. Il y a même beaucoup d'apparence qu'elle n'étoit pas la dupe de leur tactique et de leur charlatanisme ; mais cela même entroit dans les vues de son ambition. Elle s'était donnée aux philosophes parce que les philosophes donnoient le ton ; et sa philosophie valoit bien la leur : comme eux elle n'avoit pas des lumières assez étendues pour voir où alloit cette philosophie. Elle eût été bien surprise la bonne dame, si elle avoit vu les comités, les clubs et la liberté succéder aux sa!ons, aux soupers, à la politesse- mais il lui suffisoit alors de pouvoir tirer parti de cette philosophie pour la satisfaction de son amour-propre.
L'auteur-a jugé à propos d'attribuer à madame Geoffrin ce qui appartient à madame de Tencin, qui lui est antérieure. Madame de Tencin avoit en effet une société d'hommes de lettres qu''elle appeloit sa ménagerie; et auxquels elle donnoit tous les ans, aux étrennes, deux aunes de velours pour se faire des culottes. Les auteurs de son temps n'étoient pas encore des gens importans, rivaux des grands seigneurs ; des culottes n'étoient pas pour eux un objet indifférent. Enfin les gens de lettres étoient encore bêtes et pauvres, et Dieu sait s'ils ne valoient pas beaucoup mieux alors qu'ils sont devenus si fiers et si riches. M. Demautort a substitué décemment des vestes aux culottes. Je crois qu'il eût été plus honnête de supprimer tout à-fait cet acte de bienfaisance de madame Geoffrin, qui ressemble trop à un acte de charité. La vraisemblance eût été aussi mieux gardée ; car les gens de lettres de la société de mad. Geoffrin n'avoient pas plus besoin de vestes que de culottcs.
Ce qui est peut-être plus invraisemblable encore, c'est la bêtise des philosophes qu'il met en scène : il nous les présente occupés à faire des recherches sur le lieu de la naissance d'Homère. Ceux qui connoissent l'histoire de ce temps-là savent que les gens de lettres du bon ton ne s'amusoient pas à ces vétilles ; qu'ils étoient occupés de leur gloire, de leur fortune, de la régénération de l'espèce humaine, de la destruction des préjuges, et de la réforme de l'univers.
Il a donc choisi un sujet ingrat, fastidieux, dont le ridicule n'est point saillant et ne peut être senti de la multitude. Tout le comique de son vaudeville consiste dans le quiproquo d'un homme de lettres qu'on prend pour un laquais, et d'un laquais qu'on prend pour un homme de lettres. On y trouve, au reste, plusieurs jolis couplets, et peut-être plus d'esprit qu'il n'y en a dans des vaudevilles plus heureux. Celui-ci a été très-médiocrement accueilli à la première représentation ; il a depuis obtenu plus de faveur ; il marchera comme tant d'autres, et remplira insensiblement sa carrière obscure.
Courrier des spectacles, n° 3093 du 17 thermidor an 13 [5 août 1805], p. 2-3 :
[Le succès de la pièce de Demautort n'a pas été sans ombres, et un « ami de l'auteur » a cru bon de prendre sa défense contre les allégations du Feuilleton, un article jugé venimeux du Journal de l'Empire du 27 juillet 1805. La justification de cet « ami de l'auteur » peut ne pas emporter la conviction : le relatif insuccès de la pièce pourrait s'expliquer bien autrement que par l'attaque du Feuilleton.]
AU RÉDACTEUR
du Courrier des Spectacles.
Mad. Geoffrin, dont le succès avoit été incertain à la première représentation, et que les journaux avoient traitée avec un peu trop de sévérité, à mon avis, s’est relevée de cette espèce de défaveur, et obtient plus d’applaudissemens, à mesure que les représentations se multiplient. Ami de l’auteur depuis nombre d’années, par conséquent à portée de connoitre l’agrément de son esprit, souvent témoin de l’accueil fait par le publie à ses spirituelles productions, ayant écouté avec beaucoup d’attention la lecture de cette pièce qu’il voulut bien me faire long-tems avant sa représentation, j’avois vu avec ce sentiment de chagrin naturel à l’amitié, le peu de succès qu’elle avoit obtenu, et quoique je ne visse pas du même œil que l’auteur les personnages qu’il a voulu jouer, cependant une foire de couplets spirituellement tournés, des situations comiques, des scènes bien filées m’avoient fait croire que ce vaudeville n’eprouveroit aucun revers.
C'est un propos assez banal aujourd’hui de dire, qu'une chûte ou un succès au théâtre est un billet de loterie. C’est ainsi que de tems en tems il se glisse dans la societé de ces sortes de dictons que personne n’avoue, mais que tout le monde adopte, parce qu’ils sont favorables à la paresse, et qu’ils épargnent la peine de rechercher la cause de quelques événemens imprévus. Je conviens qu’après les succès obtenus au Théâtre du Vaudeville par M. Demautort, et la longue expérience que l’on a de la tournure spirituelle de ses couplets, partie si essentielle des pièces de ce théâtre, il est assez naturel de dire, quand il éprouve une chûte, que le caprice du sort préside aux jugemens du parterre ; cependant cela n’explique rien. La vérité est que le succès ou la chûte des trois quarts de ces pièces fugitives, que l'on appelle vaudevilles, dépend de l’époque plus ou moins opportune où elles sont représentées. Madame Geoffrin fut composée lorsque les gaîtés de M. Feuilleton étoient parées de toutes les grâces de leur intéressante jeunesse. Alors un petit vernis de ridicule jeté sur quelques-uns des personnages que ce Monsieur s’amusoit à calomnier, étoit du domaine du vaudeville, dont le but est bien moins de corriger que d’aiguillonner la malignité publique. D’après cela il est évident que rien n’eût contrarié le succès de cette pièce, si elle eût été jouée dans le tems où elle fut composée. C’étoit un petit tribut que l’auteur payoit à la manie alors en vogue, et dont il ne faudroit rien conclure cependant contre son respect pour les hommes célèbres du dix huitième siècle. Il sait qu’un vaudeville est sans conséquence, parce qu’il ne parle qu’à l'esprit, sans s’adresser à la raison. Maintenant les chances ne sont plus les mêmes. Le Feuilleton porte malheur à tout ouvrage dont les principes semblent avoir quelqu’analogie avec les siens. Si l'on veut qu'un livre reste sans acheteurs, un journal sans souscripteurs, une piece sans spectateurs, il faut leur donner quelques traits de ressemblance avec le Feuilleton. Le public se venge d’avoir été dupe, en enveloppant dans sa disgrâce tout ce qui semble écrit dans son esprit, et applaudit avec enthousiasme partout où l'opinion générale peut se manifester, aux traits même les plus indiscrets que l’allusion lui permet de diriger contre celui dont les traits n'ont épargné personne. Voilà l’unique raison du mauvais accueil que l’on fit le premier jour à la pièce de M. Demautort.
Quand le public a eu satisfait à ce qu’il se devoit à lui-même, en se prononçant sur l’estime qu’il portoit à la mémoire des hommes que l'on cherchoit à ridiculiser, il ne s’est plus occupé par la suite que du talent de l'auteur. Il a laissé de côté les personnes pour ne plus voir que la comédie en elle-même, et lui a rendu la justice qu’elle mérite sous le rapport dramatique.
Mad. Geoffrin étoit une femme instruite, spirituelle, estimable à tous égards ; elle recevoit chez elle la meilleure compagnie de Paris ; alors rien d’etonnant que 1es gens de lettres les plus distingués fréquentassent sa maison, il ne viendra dans la tête de personne que des hommes tels que d’Alembert, Diderot, Thomas, Marmontel et quelques autres en possessions par leurs travaux et leurs places d’une fortune voisine de l’opulence, fussent très-heureux de recevoir des culottes de quelqu’un. Que le Feuilleton se goberge avec de semblables platitudes, à la bonne heure ; mais que des hommes de bon sens y croient, c’est ce qui se conçoit difficilement. Il faut renvoyer ces contes de Peau d’Ane à qui de droit, et se mocquer de ceux dont la peau n’est bonne qu’à, faire des contes.
L.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome I, vendémiaire an 14 [septembre 1805], p. 289-290 :
[Associé à celui de deux autres nouveautés, compte rendu rapide d’une de ces multiples pièces consacrées à des personnages illustres, ici la spirituelle madame Geoffrin. Hélas, l’auteur a choisi d’illustrer une anecdote sans intérêt, et le critique ne retrouve « aucune ressemblance caractéristique et piquante de la femme bel esprit et des habitués de sa réunion ».]
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Mme. Geoffrin. — Mlle. Gaussin. — Les Templiers.
Le joyeux Vaudeville, après avoir consacré dans son petit Oratoire les petites images de beaucoup de grands hommes, avait essayé d'en grouper encore quelques-uns autour de madame Geoffrin, qui leur dut en effet quelques instans de célébrité ; mais on a trouvé que l'auteur avait assez mal choisi son cadre ; que loin de faire briller ses portraits, il en avait
livré les modèles à une sorte de ridicule ; que l'anecdote du velours donné pour étrennes à ces messieurs, par une femme, n'était pas fort nécessaire à rappeller, et qu'en général on ne pouvait démêler dans le tableau aucune ressemblance caractéristique et piquante de la femme bel esprit et des habitués de sa réunion.
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