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Une soirée à Madrid

Une soirée à Madrid, 7 ventôse an 11 [26 février 1803.

Théâtre des Jeunes Elèves, rue de Thionville.

Courrier des spectacles, n° 2183 du 9 ventôse an 11 [28 février 1803], p. 2 :

[L'article s'ouvre par l'éloge de la programmation du Théâtre des Jeunes Élèves, riche en nouveautés, certes inégales, mais dont le choix en est « ordinairement dicté par l’amour de l’art » : ni « farces dégoûtantes », ni « mélodrames monstr[u]eux qui plaisent à la multitude ». La direction du théâtre ne peut guère compter sur un très large public vu l'exiguïté de la salle et la rigueur morale qui préside au choix de leur répertoire. La qualité de leurs interprétations des pièces de Favart a d'ailleurs attiré bien des auteurs honorables. Après ces préliminaires, le critique arrive à la pièce nouvelle, qui a connu le succès, « malgré quelques obscurités dans l’exposition et des scènes froides », grâce au jeu des acteurs. Le résumé de l'intrigue qui suit n'est ni clair, ni simple : la pièce est un « genre d'intrigue espagnole », désormais passé de mode, qu'on peut rapprocher de l'Amant jaloux, mais sans qu'on puisse dire qu'il y a eu plagiat de la part de l'un ou l'autre auteur. Celui d'Une soirée à Madrid a d'ailleurs gardé l'anonymat.]

Théâtre des Jeunes-Elèves, rue de Thionville.

Chaque jour le répertoire de ce théâtre s’enrichit d’une nouveauté. Dans le nombre il y en a de foibles sans doute, mais au moins on remarque avec plaisir que le choix en est ordinairement dicté par l’amour de l’art. On n’y voit point de ces farces dégoûtantes, ou de ces mélodrames monstreux [sic] qui plaisent à la multitude.

Trahit sua quemque voluptas.

Les administrateurs ne peuvent spéculer sur l’affluence de cette multitude, et quand même l’étendue de leur salle leur permettroit d’y compter ils ne le feroient point, ils ne renonceroient pas au genre à-la-fois décent et aimable qu’ils ont adopté.

La manière dont les ouvrages de Favart ont été exécutés, d’abord, a engagé plusieurs littérateurs distingués à leur confier les leurs et l’on peut citer ceux de MM. Cailhava, Monvel, Deschamps et Patrat. Les jeunes acteurs formés d’abord à jouer des pièces en un ou deux actes, ont pris peu-à-peu l’essor, et bientôt des ouvrages en trois actes ils se sont élevés jusqu’à ceux en cinq. Chacune de ces représentations est soignée. On a pu s’en convaincre de nouveau à celle d’une petite pièce intitulée : Une soirée de Madrid, qui malgré quelques obscurités dans l’exposition et des scènes froides, a dû en partie au jeu des acteurs le succès qu’elle a obtenu.

Don Carlos, frère de Laure, aime éperduement la belle Constance fille de dom Pédre, mais il est jaloux, et son amante l’est au moins autant que lui. L’arrivée de don Alvar, qui revient en France où il a été conduit comme prisonnier, et qui rode sous la fenêtre de Laure, éveille les soupçons de Carlos. Ces soupçons se confirment lorsqu’il surprend Alvar qui sous des habits de femme est parvenu à s’introduire dans son hôtel pour parler à sa belle. Il n’ose pourtant éclater, par son respect pour Constance. Enfin le dépit l’emporte, il va se livrer à toute sa violence, lorsque don Pèdre parait. Ce seigneur est galant, il blâme Carlos de se mettre en colère contre des femmes : don Alvar, déguisant sa voix, le supplie de le protéger. Don Pèdre lui tend la main et l’emmène avec-sa fille et avec Laure qui laisse son hère en proie à la jalousie. Don Alvar parvient encore, grâce aux soins du valet de Carlos et de la duegne de Constance, qui sont dans ses intérêts, à entrer la nuit chez don Pèdre, où la duegne à conduit Laure, tandis que la jalouse Constance, donnant le bras au vieux valet de Carlos, cherche à surprendre cet amant qu’elle croit infidèle, et qui de son côté épie ses démarches. Bientôt il entend des cris : don Pèdre découvrant Alvar se bat contre lui dans sa maison, il l’accuse de vouloir enlever sa fille, mais c’est Laure que l’on voit sortir. Carlos reconnoit sa sœur, et abjurant tout sentiment jaloux il obtient la main de Constance, et unit Laure à don Alvar.

Cette pièce offre quelques traits d’un bon comique, mais disons le franchement, ce genre d’intrigue espagnole est presque usé. Il étoit en vogue il y a douze ou quinze ans. On trouve quelques points de ressemblance entre cet ouvrage et l'Amant Jaloux, mais on peut croire qu’aucun des deux auteurs n’a copié l’autre ; celui d’une Soirée de Madrid a gardé l'anonyme.

Cette représentation étoit suivie de la seconde de l'Amour à l'anglaise, vaudeville en un acte des cit. Jacquelin et Rougemont. C'est une des plus jolies bluettes qui aient été données sur ce théâtre. Il y a de l’esprit et de la gaîté dans le dialogue, et les couplets en sont presque toujours tournés arec grace.

F. J. B. F G.***.          

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