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Le Valet intrigué

Le Valet intrigué, comédie en trois actes et en prose, par M. Justin-Gensoul ; 10 mars [1812].

Théâtre de l'Impératrice.

Titre :

Valet intrigué (le)

Genre

comédie

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose

Musique :

non

Date de création :

10 mars 1812

Théâtre :

Théâtre de l’Impératrice

Auteur(s) des paroles :

Justin Gensoul

Almanach des Muses 1813.

Sujet emprunté de l'Andria de Térence.

Demi-succès.

Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Mme. Masson, 1812 :

Le Valet intrigué, comédie En trois actes, et en prose, Par M. Justin-Gensoul ; Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre de l’Odéon, par les Comédiens ordinaires de S. M. l’Impératrice et Reine, le 10 Mars 1812.

Journal des arts, des sciences et de la littérature, troisième année, huitième volume, n° 139, du 15 mars 1812 p. 356-357 :

[Le critique n’a pas le moral au moment de rendre compte du Valet intrigué, qui n’est pas une mauvaise pièce, mais qui n’est pas bonne non plus. Comment parler d’une pièce que le public a applaudi, mais qui n’en vaut pas la peine. Comment échapper à l’accusation de partialité, et oser contredire le parterre ? Il ne reste plus qu’à faire l’analyse de la pièce. Cette analyse permet au critique de signaler que la pièce n’est guère originale, et qu’elle n’est guère comique (deux scènes seulement « où l'on trouve quelques intentions et quelques mots comiques). L’auteur; si le critique a bien compris son nom, est un poète : pourquoi n’avoir pas écrit en vers ? Et pourquoi n’a-t-il pas donné à ses personnages un peu de son esprit ? Les acteurs ont joué avec talent.

L'Etourdi cité comme source de la pièce nouvelle est de Molière.]

Théâtre de l’Odéon.

Première représentation du Valet intrigué. (10 mars.)

Il n'y a de salut pour nous autres journalistes chargés de fréquenter assidûment les théâtres que dans les chutes ou les succès complets. Les catastrophes douteuses et les triomphes incertains nous jettent dans un égal embarras ; et ces représentations où le public accueille avec indulgence des ouvrages, qui sans être décidément mauvais, n'ont, sous le rapport du talent, rien de bien recommandable en eux-mêmes, sont celles dont il nous est le plus difficile de rendre compte. Si nous laissons désarmer la critique ; si notre zèle pour le maintien des principes de l'art ne sévit pas avec rigueur, on crie à la partialité, au mauvais goût. Si nous osons appeler de la sentence rendue, et juger les jugement du public, l'exercice de nos droits légitimes passe pour une témérité abusive : on s'étonne de tant d'audace, et qu'est-ce en effet qu'un journaliste en comparaison du parterre ? Quel parti prendre donc, et qu'avons-nous de mieux à faire ? C'est en pareil cas, ce me semble, de nous borner à donner l'analise de l'ouvrage, et de nous dire avec le poëte :

Faisons notre devoir, et laissons faire aux dieux.

Forvel est amoureux de Célestine, jeune personne orpheline, élevée dans la maison de Verseuil, riche négociant de Paris ; et Clerval, premier commis de Verseuil, est épris, à son insu, des charmes d'Amélie, sa fille ; mais Francbord, vieux marin, vif, emporté, et tant soit peu brutal, prétend que son neveu Forvel épouse Amélie, et se réserve pour lui la main de la jolie orpheline. Verseuil, son ancien ami, et l'homme le plus accommodant du monde, consent à tout, ce qui dérange un peu la partie carrée des amans. Ils ont recours dans leur détresse aux heureux talens que le valet de Forvel a pour l'intrigue. Celui-ci entre en lice ; il combat de ruse et d'adresse avec l'oncle Francbord, et comme ce n'est point en jurant et en s'emportant qu'on parvient à se faire aimer, ni qu'on avance ses affaires, le marin succombe dans la lutte, il renonce à ses projets, et consent à rendre les amans heureux. On a trouvé malheureusement que plusieurs scènes de cet ouvrage rappelaient des situations de l'Etourdi et de l'Oncle rival. La scène qu'on a le plus applaudie est celle où un fripon Bas-Normand, mis en jeu par le valet, vient faire signer à l'oncle un faux acte de mariage ; mais au lieu d'une signature à recevoir, il s'agit d'une donation qu'on charge le prétendu notaire d'expédier à l'instant de sa main. Le Bas-Normand, dont la conscience est timorée contre l'ordinaire, refuse de prêter cette fois son ministère, et pour excuse il dit au valet qu'un de ses proches parens ayant péri de mort subite pour avoir su écrire trop couramment, il n'a jamais voulu apprendre qu'à lire. Cette scène et la suivante sont les seules de la pièce où l'on trouve quelques intentions et quelques mots comiques. On a demandé l'auteur, et Thenard est venu nommer M. Justin. Si je ne suis point trompé par une ressemblance de nom, M. Justin est aussi auteur de plusieurs jolies pièces de poésies insérées dans les almanachs des Muses. C'est un tort pour un poète qui fait une comédie de ne point l'écrire en vers ; c'en est un plus grand encore pour un homme d'esprit de n'en avoir pas donné davantage aux personnages qu'il met en scène, lorsqu'il le pouvait sans altérer la vérité des caractères, ni le naturel du dialogue.

Les acteurs ont bien fait leur devoir ; mademoiselle Fleury a joué fort agréablement un petit rôle qui n'est qu'indiqué, et que l'auteur aurait pu rendre plus piquant. Armand, qui représentait le Valet intrigué, a sauvé la faiblesse de l'intrigue, et réchauffé par son jeu plusieurs scènes trop languissantes.                    B.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome IV, avril 1812, p. 294-298 :

[Pour rendre compte d’une comédie sans grande valeur (c’est le critique qui le dit), celui-ci se croit obligé à faire un long paragraphe consacré aux valets de comédie, mais aussi aux valets de la vie réelle, qu’on avait autrefois le bon goût de battre et de ne pas payer. Les valets de comédie sont-ils le reflet de la société ? Molière s’est abstenu de recourir à ce vieux moyen de comédie dans ses œuvres importantes, et ses successeurs l’ont repris tout en compliquant les intrigues, en rendant les situations plus intéressantes et le dialogue plus piquant. Quant à la pièce nouvelle, le critique n’a pas grand chose à en dire. On y retrouve l’insolence du valet de comédie, toujours à faire des fourberies, mais elles se retournent souvent contre lui. Inutile de raconter les détails de l’intrigue, elle ne fait que reprendre le fonds comique de ses prédécesseurs sans y ajouter grand chose de son propre fonds. On ne trouve guère que deux caractères heureux, mais ils sont repris de l’Oncle rival (ils sont d’ailleurs joués par les mêmes acteurs !). Malgré tout, malgré la maladresse de la conduite d el’intrigue en particulier, la pièce a réussi, et on a nommé l’auteur.]

THÉÂTRE DE L’LMPÉRATRICE.

Le Valet Intrigué.

Les changements de mœurs qui s'opèrent insensiblement dans les classes subalternes, comme dans les rangs les plus élevés de la société, ne fournissent pas à l'observateur attentif les réflexions les moins instructives ni les moins piquantes. La nature, plus grossière, s'y découvre avec plus de franchise ; les vices s'y montrent plus saillans, les nuances de caractère moins délicates, et lorsque dans les siècles de corruption, le vernis de la politesse, en s'étendaut sur toutes les physionomies, leur donne à-peu-prés les mêmes apparences, c'est encore dans les rangs inférieurs que l'on saisit avec le plus de facilité les traits primitifs du cœur et de l'esprit humain. Je n'en excepte même pas la classe des valets qui, malgré le proverbe, ne se piquent pas toujours de se modeler sur leurs maîtres, et qui dans tous les temps et chez tous les peuples, ont conservé des penchans et des vices inhérens à leur état et à leur habit. Le mensonge, l'insolence, la bassesse et l'amour de la fainéantise semblent engendrés nécessairement par la servitude ou la domesticité. Et c'est en perfectionnant l'assemblage de ces vices que les auteurs comiques ont formé ce caractère un peu idéal des valets de théâtre, dans lesquels on voit briller, à un degré si recommandable, l'impertinence, l'astuce et la duplicité. Je pense bien que ces héros de fourberie, ces Davus de Térence, ces Mascarille et ces Scapin de Molière n'ont jamais existé que sur la scène où les poëtes leur donnent tant d'esprit et leur distribuent les coups de bâton avec une égale prodigalité. L'esprit surtout y paraît dispensé avec une abondance qui passe toutes les bornes, et l'on ne sait, en vérité, ce que l'on doit admirer le plus dans ces productions de l'intelligence et de l'adresse des valets, ou de la sottise et de la gaucherie des maîtres. Quant aux coups, c'est une autre affaire ; le fouet était bien réellement, chez les Romains, le châtiment des esclaves; et chez nous autres Français, le bâton fut long-temps d'un grand usage à l'égard des valets. Tout le monde se servait assez généralement de sa recette, et les femmes même ne se faisaient aucun scrupule de l'employer. Molière, en traçant le portrait d'une prude, ajoute ce trait :

Mais elle bat ses gens , et ne les paie point.

Il était donc fort naturel alors d'employer de semblables ressorts dans la comédie. L'un tenait à l'enfance de l'art, et trouve une excuse dans le respect de nos premiers auteurs pour l'antiquité, dont ils suivaient scrupuleusement les traces ; et l'autre était suffisamment justifié par l'usage. Cependant Molière lui-même sentit bientôt toute la faiblesse de ces combinaisons, et nous voyons que l'auteur du Tartufe et du Misantrope ne daigna pas y recourir dans ses chefs-d'œuvre. Quelques-uns de ses successeurs, trop faibles pour marcher sur ses traces, revinrent à ce vieux moyen de comédie ; mais ils tâchèrent au moins d'en déguiser l'invraisemblance, ou plutôt de la faire pardonner par la complication de l'intrigue, par l'intérêt des situations, par le piquant du dialogue.

Le Valet Intrigué qui vient encore se présenter aujourd'hui après tant d'autres, avec un fonds inépuisable d'audace et d'effronterie, est-il au moins pourvu d'un génie assez vaste, d'une subtilité assez rare pour briller encore à la suite des Lafleur et des Frontin, qui font l'ornement de tant de comédies d'intrigue ? On le donne, dans la pièce, pour un habile artisan de fourberies, pour un maître profond dans la science de faire des dupes, mais lui-même est souvent pris comme un sot ; à chaque instant il tombe dans ses propres filets, et malgré toute sa science et ses forfanteries, il se trouve battu dans chaque rencontre par un gros marin bien emporté, bien brutal, mais au fond assez bon enfant, et d'ailleurs assez fin, malgré l'épaisseur de son enveloppe, pour mettre en défaut des ruses aussi mal ourdies que celles de maître l'Olive. Je ne sais trop jusqu'à quel point je dois m'embarquer dans les détails de l'intrigue de cette comédie. Je n'aurais rien de bien neuf à faire passer sous les yeux de mes lecteurs, car l'auteur ne s'est pas intrigué beaucoup pour rassembler les matériaux sur lesquels il a construit son fragile édifice, et ses devanciers ont eu le mérite de lui fournir la plupart de ses combinaisons. On s'apperçoit aisément que c'est un jeune homme qui, sans manquer d'esprit, ni de mémoire, est partagé un peu moins avantageusement du côté de l'invention. Aussi, tout ce qu'il a emprunté aux autres ne s'est-il pas trop avarié entre ses mains ; mais en revanche, tout ce qu'il a tiré de son propre fonds, a généralement paru d'une extrême faiblesse. Je n'en citerai pour exemple qu'une scène sur l'effet de laquelle il comptait beaucoup sans doute, et dont l'excès d'invraisemblance me semble bien plus choquant que l'intention ne m'en paraît comique. Il s'agit d'une conférence entre un fripon et le capitaine de vaisseau,. lequel veut faire, à un neveu qu'il a, une donation considérable. Le fripon se présente sous le costume d'un clerc de notaire ; mais l'Olive, son complice, cet adroit valet, a eu la précaution de choisir pour second un personnage qui sait lire tout au plus, et qui du reste a singulièrement négligé l'art de l'écriture. En sorte que lorsqu'il faut en venir à dresser l'acte, le fripon ne trouve d'autre moyen de se tirer d'affaire qu'en feignant tout-à-coup une entière surdité. Il en résulte des quiproquo, une fureur terrible de la part du capitaine ; le tout fort absurde et très-peu comique, et je suis persuadé que l'auteur lui-même a dû être frappé du peu d'effet d'une combinaison sur laquelle il fondait probablement en partie l'espoir du succès de la soirée. Au demeurant, ce qu'il y a de plus heureux dans la pièce se borne à deux caractères, ceux du marin et d'une petite personne qu'il veut d'abord épouser, et qui finit par devenir sa nièce ; mais l'amour de la justice me force d'ajouter qu'une comédie intitulée l’Oncle Rival, donnée avec un grand succès au même théâtre, n'a pas médiocrement aidé l'auteur du Valet Intrigué dans la disposition de ces deux rôles ; et ce qui contribue à rendre la ressemblance plus parfaite encore, c'est de les voir jouer par les même acteurs dans les deux pièces. Les autres personnages qui figurent dans le Valet Intrigué, sans en excepter le héros lui-même, ont une physionomie beaucoup moins piquante ; mais ce petit défaut, joint au peu d'adresse avec laquelle se nouent et se dénouent les principaux fils de l'intrigue, n'a pas empêché la pièce d'être accueillie avec une grande bienveillance, et il faut bien eu complimenter M. Justin, son auteur.

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