Les Voraces et les Coriaces, parodie mêlée de vaudevilles des Horaces. 23 vendémiaire an 9 [15 octobre 1800].
Théâtre des Troubadours
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Titre :
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Voraces et les Curiaces (les)
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Genre
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parodie des Horaces
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Nombre d'actes :
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1 ?
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Vers / prose
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en prose avec couplets en vers
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Musique :
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vaudevilles
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Date de création :
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23 vendémiaire an 9 (15 octobre 1800)
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Théâtre :
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Théâtre des Troubadours
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Auteur(s) des paroles :
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restés anonymes
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Almanach des Muses 1802
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VI. année (an viii, 1800), tome troisième, p. 551-552 :
Les Voraces et les Coriaces, ou le Serment comique.
Rien n'est moins comique que cette parodie des Horaces, jouée le 23 vendémiaire. Les trivialités et les méchancetés y règnent d'un bout à l'autre.
Les Voraces sont des comédiens d'Avalon. Les Coriaces leur disputent la salle de comédie où ils veulent jouer. On nomme des combattans, les vainqueurs doivent avoir la salle. Les trois Voraces jurent, une plume à la main, de soutenir leur parti. Est-ce une plume de Corneille, demande Vorace l'aîné? Non, c'est une plume de dindon, répond le père. Les sifflets ont accueilli ce calembourg. Au lieu de se battre, les Voraces et les Coriaces vont manger un bon dîner, en disant, Avalon. C'est encore un calembourg. Enfin , après le dîner, Grassille épouse Coriace , qu'elle trouve assez tendre. Les auteurs ont gardé l'anonyme.
Le C. Bosquier-Gavaudan a très-bien parodié le C. Lainez , et M.me Remi, M.lle Maillard.
Paris pendant l’année 1800, de M. Peltier,n° CCXIV du 30 octobre 1800, p. 517-520 :
[Compte rendu fort copieux d’une pièce tout de même un peu mineure. L’opéra parodié, les Horaces, du Guillard (le même que pour Œdipe à Colonne) joué en octobre 1800 au Théâtre de la République et des Arts, a subi les feux de la critique, et les parodistes s’en sont donné à cœur joie. Après les Ignaces et les Coriaces, voici les Voraces et les Coriaces (bien meileur titre d’après le critique : on peut lui donner raison). La parodie n’est bien sûr pas d’une grande finesse, elle use volontiers du calembour et ne craint pas les attaques personnelles, y compris sur le physique d’une chanteuse de l’Opéra, mais il y a aussi des critiques plus intéressantes, comme la moquerie envers la manie des oracles à l’opéra, sur l’inconvenance de la scène de l’opéra où le vieil Horace assiste au combat et donc à la mort de ses fils ou sur l’imitation dans l’opéra du tableau de David, le Serment des Horace. Même ce qui pourrait passer pour un clin d'œil gentil (Œdipe à Colonne soutien de l’Opéra) pourrait bien être un calembour de plus. La fin de l’article révèle enfin la cruelle vérité : la parodie n’a pas bien réussi, et l’auteur a choisi de ne pas paraître.]
THÉÂTRE DES TROUBADOURS.
Les Voraces & les Coriaces, parodie des Horaces.
Tandis qu'un des plus aimables enfans de Thalie se déclare le chevalier des Horaces, & ne dédaigne pas de rompre une lance pour soutenir la beauté de l'opéra nouveau, d'autres auteurs, moins complaisans, s'épuisent en railleries tant bonnes que mauvaises, & font pleuvoir sur ce salmis de Corneille une grêle de quolibets & de calembourgs. Mais ici le panégyrique & la satyre manquent également leur but ; les éloges outrés donnent de l'humeur, des farces cruelles inspirent de la pitié. L'ouvrage est trop mauvais pour qu'on le loue, il n'est pas assez bon pour qu'on le parodie.
Un théâtre dont l'existence littéraire est obscure & presque nulle, a gagné tous les autres de vitesse ; il a eu du moins l'avantage de donner le premier une parodie des Horaces, sous le titre des Ignaces & des Coriaces. On est convenu de trouver quelque sel dans ces travestissemens burlesques ; mais par un effet naturel des progrès de l'esprit humain, l'auteur de la seconde parodie a singulierement perfectionné ce titre, & par un changement très-heureux, a substitué le nom de Voraces à celui d'Ignaces. Quant au nom de Coriaces, il est d'une invention si sublime, que le génie ne pourrait aller plus loin ; le second parodiste n'a pu rien faire de mieux que de l'adopter ; c'est en effet dans la piece une source d'excellentes plaisanteries. Tantôt Coriace est dur, tantôt il s'attendrit, & toujours il fait rire. C'est l'unique but de ces sortes de bouffonneries.
Le couplet d'annonce a parfaitement réussi, parce qu'il renferme le fond des meilleures critiques qu'on puisse faire sur l'opéra des Horaces.
Sur nos théâtres aujourd'hui
La parodie est à la mode ;
On emprunte l'esprit d'autrui,
C’est un usage fort commode.
Personne ne s'étonnera
De voir ici chose pareille,
Puisqu'on a bien à l'Opéra
Parodié le grand Corneille.
Si l'on cherche uniquement dans une parodie une caricature qui fasse bien ressortir le ridicule de l'ouvrage, le public a dû être satisfait ; mais si l'on exige quelque finesse dans les traits, quelqu'invention dans le plan de la mascarade, on n'aura pu trouver qu'une farce un peu grossiere. On suppose que deux troupes de comédiens ambulans, venant d'Angoulême, se disputent la salle de spectacle de la ville d'Avalon : sur le point d'en venir aux mains, le directeur Nul observe qu'il est plus raisonnable que chaque troupe nomme trois champions pour vider cette querelle. Les trois Voraces & les trois Coriaces sont choisis de part & d'autre ; un bon dîner doit être le prix des vainqueurs. Ces illustres rivaux commencent le combat, qui n'est pas bien dangereux, puisque c'est un combat de langue & d'injures ; mais la raison refroidit bientôt leur enthousiasme ; ils réfléchissent qu'ils sont bien sots de se battre, puisque ce n'est pas là leur emploi, & d'un commun accord ils s'esquivent pour aller s'escrimer à table, & dévorer le dîner du triomphe. Le vieux Vorace, scandalisé de cette lâcheté, veut courir après les fuyards ; on l'arrête : sa fille Gracille arrive, & ne voyant plus son cher Coriace, veut se tuer ; mais les combattans reparaissent la serviette sous le menton, comme des gens qui sortent de table, & tout le monde s'embrasse.
Il est probable qu'on a donné à Camille le nom de Gracille, par allusion-à l'embonpoint de l'actrice qui joue ce rôle à l'Opéra. Ce qui fortifie cette conjecture, c'est que la suivante s'appelle Maigrette. Gracille veut aussi interroger le destin sur ses amours ; mais comme il n'y a ni temple ni oracle à sa portée, elle se fait modestement tirer les cartes par Maigrette, laquelle, effrayée du grand nombre de piques qui s'offrent à sa vue, prononce que ça finira mal. Rien n'est en effet plus ridicule à l'Opéra, que tout cet appareil d'oracle, toute cette pompe religieuse, pour savoir si une très-humble citoyenne du village de Rome épousera son amant ; cet amour ne peut encore intéresser personne. Celui de Camille, d'ailleurs, est fort peu intéressant de sa nature ; la sœur d'Horace est, si l'on peut parler ainsi, une amante un peu dévergondée. Elle ne produit quelque effet, même dans la tragédie de Corneille, que lorsqu'elle maudit sa patrie & son frere ; & le sentiment qu'elle inspire n'est que celui de la terreur.
On a prétendu rendre pathétiques les adieux de Camille & de Curiace ; on n'a fait qu'une scene assommante par les éternelles criailleries de cette folle. Les auteurs de la parodie ont assez bien saisi ce ridicule, lorsqu'ils font dire aux combattans : Papa, faites:la donc finir. L'affectation assez froide de former, sur la scene, le tableau de David, se fait sentir dans la parodie, quand le bonhomme dit aux champions : Attendez donc que je vous poste ; mais il paraît que les parodistes redoutent la colere du peintre plus que celle du poëte, car ils ont eu soin de flatter l'auteur du tableau, par un couplet agréable, dans lequel le pere dit à ses enfans que s'il y a de mauvais imitateurs
Et des copistes infidelles,
Ils ont du moins eu l'esprit
De choisir d'excellens modeles.
Au lieu d'épées, ce sont des plumes dont le vieux Vorace arme ses trois fils.
Mes enfans, recevez ces plumes,
Qui proviennent du directeur ;
De chansons formez des volumes,
Pour une si grande faveur.
Allons, employez à merveille
Ces plumes dont il vous fait don.
Le jeune Vorace tirant son pere à part :
Sont ce des plumes de Corneille ?
Le vieux Vorace en parlant : Non, mon fils,
Ce sont des plumes de dindon.
Ce couplet a été redemandé ; & il faut rendre cette justice aux acteurs, qu'ils se sont fait prier très-long-tems, & qu'ils n'ont cédé qu'à des ordres vivement réitérés ; ils en rougissaient pour le public.
C'est une inconvenance bien choquante d'avoir rendu le vieil Horace spectateur du combat & de la mort de ses enfans; Corneille n'avait garde de commettre une pareille faute contre les bienséances théâtrales. L'enthousiasme du vieillard qui, voyant que son fils a pris la fuite, tire l'épée, & veut à toute force se battre quand il n'y a plus de combattans sur la scene, n'est pas moins ridicule : quel butin pour la parodie ! Le vieux Vorace, en se plaçant parmi les spectateurs du combat, dit naïvement : ça devrait me faire de la peine; eh bien! ça ne m'en fait pas du tout. Enfin, ce combat silencieux que l'orchestre n'accompagne point, cette scene où il n'y a ni paroles, ni danse, ni musique, n'a point échappé à la satyre. C'est en effet une infraction formelle à la constitution de l'Opéra.
Après s'être bien égayé aux dépens de l'auteur de l'opéra, le parodiste a éprouvé sans doute, à la derniere scene, un remords de conscience; & pour expier tant de sarcasmes, il a dit au public :
Des traits d'une muse bouffonne,
L'auteur des Horaces rira.
On sait bien qu'Œdipe à Colonne
Est le soutien de l'opéra.
On a fort bien accueilli ce couplet expiatoire ; mais la contrition du satyrique a dû paraitre suspecte, puisque jusques dans sa pénitence il lui est encore échappé un calembourg très-équivoque; car ces colonnes qui soutiennent l'opéra, ont encore l'air d'une plaisanterie.
Cette parodie n'a obtenu qu'un succès médiocre. Quelques sifflets se sont mêlés indiscretement aux voix qui demandaient l'auteur ; & l'auteur, très-discretement, a gardé l'anonyme.
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