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Les Voyageurs
Les Voyageurs, comédie en 3 actes, en vers, d'Armand Charlemagne. 17 nivôse an 8 [7 janvier 1800].
Comédie représentée sur le Théâtre Feydeau par les Acteurs-Sociétaires du théâtre de l'Odéon
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Titre :
Voyageurs (les)
Genre
comédie
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
en vers
Musique :
non
Date de création :
17 nivôse an 8 (7 janvier 1800)
Théâtre :
Théâtre de la rue Feydeau, par les acteurs sociétaires du théâtre de l’Odéon
Auteur(s) des paroles :
Armand Charlemagne
Almanach des Muses 1801
Deux jeunes gens arrivent chez Gérard, laboureur à Charenton, dont la sœur, moderne enrichie, doit épouser M. Dufour. Auguste, l'un de ces jeunes gens, est le fils de Gérard ; l'autre, appelé Beauval, est l'ami d'Auguste et le cousin de M. Dufour. Ils se présentent comme ayant fait une très-grande fortune dans les différens pays où ils ont voyagé. Leur carrosse ou plutôt celui dans lequel un cocher a bien voulu les laisser monter, les attend à la porte. Cette apparence de richesse les sert dans le projet qu'ils ont, Auguste d'épouser sa cousine, et Beauval d'empêcher madame Doucet de s'unir à son cousin Dufour. Le succès répond à leurs vœux ; mais Beauval qui espérait obtenir la main, ou du moins les biens de madame Doucet, n'a pu lui surprendre qu'une donation en faveur de son ami Auguste, et perd tout son mérite aux yeux de madame Doucet, du moment où il est reconnu que la fortune dont il se targuait est absolument chimérique.
Action peut-être un peu faible, mais de la gaîté, du mouvement, des scènes bien coupées et bien dialoguées. Du succès.
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez le Libraire au Théâtre du Vaudeville :
Les Voyageurs, comédie en trois actes et en vers, Par Armand Charlemagne. Représentée, pour la première fois, sur le Théâtre de la rue Feydeau, par les Comédiens sociétaires de l’Odéon, le 17 nivose de l’an 8.
Le texte de la pièce est précédé d’un long texte, que l’auteur présente comme une « façon d’Avant-propos » et qui est le récit amer de ses déboires pour faire jouer sa pièce :
INUTILITÉS PRÉLIMINAIRES.
HISTOIRE DE MA PIECE, ET LA MIENNE.
Frange , miser, calamos,
C’est de moi que je vais entretenir ceux qui auront la complaisance de lire cette façon d'Avant-propos : je leur demande bien pardon de mon petit égoïsme ; mais c'est la première fois que cela m'arrive, et la première préface que j'imprime de ma vie.
Quoique les détails où je vais entrer me soient personnels, ils présenteront peut-être des renseignemens utiles aux jeunes littérateurs, et fourniront matière à quelques réflexions.
Je commence par m'accuser d'avoir mis au théâtre quinze ou vingt bagatelles dramatiques plus ou moins bonnes, ou plus ou moins mauvaises, comme on voudra, et avec plus ou moins de succès.
Je révèle à mes lecteurs des péchés bien secrets : car il est clair comme le jour qu'aucun d'eux ne s'en souvient. Mes opuscules ont paru et disparu comme les ombres chinoises de Séraphin, et gîssent aujourd'hui dans le tombeau bannal où s'engloutissent réguliérement au bout de l'année les mille et une pièces de théâtre qui, pendant les 365 ou 366 jours, ont été portées aux nues, ou sifflées, sur les petits et grands trétaux dc cette bonne capitale des Gaules.
J'étais dans l'âge des illusions. Je comptais sur de la gloire et du profit. Je n'obtins ni l'une ni l'autre. J'en fus pour mes chimères, et quelques demi-éloges, ou critiques, disséminés dans de petits journaux qui sont aussi bien oubliés que mes petits ouvrages : c'était bien la peine de les faire.
Laissons en paix ces pauvres petits infortunés, morts avant que de naître, ou qui ne sont pas nés, comme dit cet autre.
Je n'ai à parler ici que du dernier enfant dramatique par moi créé, et mis au monde. Il fut conçu avec délices, comme dit Beaumarchais ; mais, pour parvenir à lui faire un sort, que son pauvre père a fait de démarches, qu'il s'est donné de peines, qu'il a enduré de tribulations de toute espèce !
Allons au fait.
Il y a quatre ans que l’ouvrage est achevé. Je le destinais au théâtre de la République. Je me plais à remercier les membres de cette société dramatique, des bons procédés qu'ils eurent pour moi dans cette occasion.
J'obtins une lecture, presqu'aussi-tôt que j'en eus fait la demande : je fus dispensé de me désaisir du manuscrit, et je ne passai pas par le jugement préliminaire de l'espèce de jury, que l'on appelle comité de lecture.
Ce n'est pas sans raison que j'établis, et que je souligne cette dernière circonstance.
Je fus en résultat reçu à corrections.
J'ai conservé le bulletin des suffrages ; il unit à une analyse exacte, la critique la plus judicieuse, et les observations les mieux fondées. Il m'a servi de régulateur pour tous les changemens que j'ai fait depuis subir à mon ouvrage.
Je le corrigeai : je le rectifiai ; je le mis en l'état où il est.
Il existait in illo tempore trois sections du théâtre français : la première au Palais-d'Orléans, la deuxième alternante au théâtre Feydeau avec l'Opéra-comique, et la troisième débutante rue de Louvois.
Corrections faites, j'adressai bonnement mon manuscrit aux administrateurs du théâtre Feydeau.
Il me fut renvoyé quatre mois après sous enveloppe, je dis sous enveloppe blanche : pas le plus petit mot d'avis : aucun motif de l'exclusion qu'on me faisait subir.
Tout autre que moi eut conjecturé peut-être que l'on avait trouvé l'ouvrage trop pitoyable pour honorer l'auteur d'une réponse. Je me persuadai que, puisqu'on ne relevait aucun des défauts de ma comédie, des motifs étrangers à son plus ou moins de mérite avaient déterminé le négatif assez leste du comité Feydeau.
Troisième tentative.
Ce fut à un Comédien de la rue de Louvois, que, cette fois, je confiai ma pièce. En vérité, cet honnête homme avait la complaisance de la juger digne des honneurs de la représentation.
Elle me revint au bout de quelques décades, avec un bulletin assez succinct, dont le résumé était qu'elle ne valait rien , au jugement du Comité de lecture.
J'ai donc déjà subi trois arrêts d'exclusion,
Je fus tenace comme un plaideur manceau.
J'en appelai à un quatrième tribunal.
Je remis mon manuscrit au secrétaire de la section du théâtre français qui venait de s'établir à l'Odéon.
Le protocole exigeait qu'avant de parvenir à la faveur de lire au comité de lecture, je passasse par le rapport préliminaire de je ne sais quel examinateur, ou jugeur en première instance.
Nous étions alors en pluviose ou ventose de l'an six.
Le 15 germinal (et j'ai bonne mémoire), je reçois une lettre signée Simon, secrétaire de l'administration du théâtre de l'Odéon, et avec elle, l'annonce que ma pièce est admise pour être lue le lendemain au comité de lecture.
« Fort bien, me suis-je dit ; puisque ma pièce est bonne à être lue, elle sera peut-être bonne à être représentée ».
Je fus donc ponctuel à me rendre au lieu et à l'heure que m'indiquoit par sa missive, le C. Simon, secrétaire.
Me voici dans la salle d'audience : mes juges. y sont déjà.
Je croyais que j'allais lire à des comédiens. Je lève les yeux. Je ne distingue pas une figure de connaissance.
Alors il existait une société de négocians propriétaires, ayant pignon sur rue dans le fauxbourg Saint-Germain, et autres honnêtes capitalistes, intéressés au succès d'un théâtre où chacun d'eux avait placé sa somme plus ou moins considérable.
Et je me figurai que c'était le comité , des bailleurs de fonds qui allait prononcer sur mes vers, et était le comité de lecture.
Et je trouvai tout simple que ces braves gens-la eussent pour leur argent droit de contrôle et de visa sur tout ce qui concernait l'entreprise et son exploitation depuis la fourniture de l'huile, l'entretien des banquettes, les gages du portier et celle des ouvreuses de loges, jusqu'à l'admission des pièces à représenter.
« Je veux qu'on joue telle pièce de tel auteur, parce que c'est moi qui paye, » disait un fort honnête homme de ma connaissance, entrepreneur de bâtimens, qui dirigeait un spectacle.
C'est moi qui paye ! qu'objecter à cela ? c'est péremptoire.
Je lis donc.
J'ai lu.
Je me retire.
Les juges vont aux opinions en mon absence. Le secrétaire Simon vient me trouver dans l'arrière-cabinet où j'avoue que je me morfondis passablement à l'attendre.
Il m'annonce que ce ne sera que dans quelques jours que je saurai mon sort.
Je vais m'en informer un mois après. Le registre des délibérations s'ouvre : j'y cherche mon arrêt. Je le trouve. Il est aussi clair que laconique.
REFUSÉ.
Le joueur de bouillotte qui se voit décaver ses trois as à la main, n'est pas plus stupéfait que je ne le fus à l'aspect de ce terrible mot.
« Quoi ! Refusé ! – Vous ferez mieux une autre fois – Vous êtes consolant. – Refusé ! sans dire pourquoi ! mais, citoyen, on donne des raisons aux gens. Faites-moi le plaisir au moins de me nommer mes juges. – Vous ne les connaissez pas ! – Si je les vois encore une fois ce sera la seconde ».
Et j'appris que je m'étais trompé en prenant pour des capitalistes ceux devant lesquels j'avais hazardé ma lecture.
Et j'appris que le comité de lecture était composé des citoyens Patrat, Luneau de Boisgermain, etc.... etc.... tous auteurs plus ou moins célèbres, faiseurs de drames et d'opéras, voire un ou deux, si je ne me trompe, membres vénérables et vénérés du national Institut.
Et je m'enfuis en criant : « Miséricorde ! si j'avais connu mes juges, j'aurais opposé à leur jurisdiction un bon déclinatoire. Le novice linot fait-il prononcer sur la justesse de ses chants, au tribunal des rossignols ? »
Malgré le profond respect que je dois à mes maîtres en littérature, je n'en prends pas moins la liberté de me permettre ma petite observation.
Il me semble , Messieurs les Gens de Lettres, que vous deviez vous interdire de juger un confrère, fut-il, comme moi, minimus inter minimos.
Et cela, parce que....
1 °. Etre juge et partie ne vaut, suivant tous les Jurisconsultes anciens et modernes, depuis Justinien jusqu'à Cambacérés.
2°. Fussiez-vous tous impartiaux comme de petits Salomons, chacun de vous a sa poétique particulière, et sa manière de voir. Or, par la raison que l'on est porté à regarder le genre · où l'on excelle comme le meilleur, on regarde comme mauvais tout ce qui s'en écarte. Celui qui fait des vaudevilles veut rencontrer partout la petite épigramme : le poëte tragique veut toujours voir s'ouvrir l'os magna sonaturum , et l'auteur d'un drame juge sans intérêt une pièce de théâtre où il n'a ni frémi ni frissonné.
3°. J'ai assisté, comme un autre, à des lectures. J'ai cru remarquer que les auditeurs, gens de lettres, ou soi-disant tels, ne s'attachent qu'aux détails de style, aux tirades sonores, sur-tout aux lieux communs de la satyre, ou de la sensiblomanie ; enfin, à ce que l'on peut appeller les mignardises de la construction dramatique : mais que le plan, les proportions, l'ensemble, en un mot, de l'édifice échappent à leur attcntion, je dirais presqu'à leur intelligence. Si les juges de Sédaine eussent été des membres de l'académie, nous n'aurions ni le Déserteur, ni Rose et Colas, ni le Philosophe sans le savoir, ni..... Mais Sédaine avait trop de bon sens pour s'en rapporter aux gens d'esprit.
Ceci n'est point un paradoxe ; car je prouve par un argument ad hominem, ou plutôt ad homines. -
Les mêmes juges qui venaient de proscrire si cruellement mes trois actes, en avaient, quatre jours auparavant, reçu cinq : reçu n'est pas assez : je devais dire applaudi, porté aux nues ; l'admiration avait été unanime et spontanée : l'émerveillé jury dans un bulletin que dicta l’enthousiasme, avait été jusqu’à promettre à la nation française un second d’Eglantine.
Quelques mois après, la pièce tomba (1).
Grace pour la digression peut-être un peu prolixe que je viens de me permettre en passant.
Je continue l'historique récit de mes dramatiques infortunes.
L'auteur d'un innocent pamphlet
S'immortalise sans scrupule.
Celui du plus mince couplet
Se dit tout bas : je suis Tibulle.
Personne ne goûte ses vers ;
Il plaint une erreur générale,
Et sifflé par tout l'univers,
Il crie encore à la cabale.
Je suis un peu de ce calibre-là, c'est-à-dire, doué, ainsi que le grand Victor Campagne, du plus robuste petit amour-propre. Je m'étais accoutumé à choyer, à chérir ma dramatique géniture : mon amour pour elle allait croissant avec les humiliations qu'elle essuyait à toutes les portes où je me présentais avec elle.
J'allai frapper à une cinquième : ce fut à cellc de ..... Je laisse au bout de ma plume et le nom du personnage, et l'accueil que j'en reçus.
Il est certaines petites anecdotes, qu'il est prudent de se réserver in petto.
D'ailleurs, quand on a la fureur de travailler pour le théâtre, il faut s'attendre à de petits procédés, qui ne sont pas toujours infiniment honnêtes.
Térence fut reçu comme un valet chez l'édile de Rome.
Le père de la Métromanie, pour parvenir à faire jouer son admirable ouvrage, fit antichambre chez un comédien, comme on le fait chez un ministre pour obtenir une grace.
Et ce bon Cailhava ! ne retrouva-t-il pas un jour sa comédie, apostillée d'une note de réprobation sous le paquet d'herbes qu'épluchait une cuisinière !
Et notre moderne Ménandre, l'aimable et célèbre Colin ! Il commença par être Colin l'opiniâtre et le persévérant : que de peines il se donna ! et (pour me servir d'une expression bien triviale, mais bien énergique) que de couleuvres il avala avant de conquérir la représentation du premier de ses chefs-d'œuvres ! Si l'anecdote n'est pas fausse, certaines huîtres ont dû être pour lui bien cruelles à digérer.
Il est consolant pour moi d'avoir eu quelque chose de commun avec mes maîtres.
S'il existe deux êtres hétérogènes dans la nature, disparates au moral, disparates au physique, aussi éloignés l'un de l'autre par leur essence et leur conformation, que le sable brûlant de la Guyanne l'est par la position géographique de la mer de glace du Groenland, c'est sans doute un grand homme et un âne ; je dis un âne dans toute la force du terme, le porte-légumes du jardinier de Vaugirard.
Eh bien ! il est un point de contact par où ils se rejoignent : ils possèdent l'un et l'autre, au suprême degré, la vertu de la patience.
Certes, je n'ai pas l'honneur d'être un grand homme.
Concedo, dira quelqu'Aristarque, qui, d'assertions en conséquences, déduira peut-être que je suis un âne, ou bien l'équivalent.
Mais, monsieur le critique, toutes vos bonnes ou mauvaises raisons ne m'allongeront pas les oreilles : il n'est point question ici des qualités intellectuelles ; il ne s'agit que du physique des individus.
Il est évident que, dans l'acception du mot textuelle et grammaticale, vous n'êtes pas plus un âne que moi, ni moi un âne plus que vous, fussiez-vous un homme d'esprit, voire membre du Portique républicain, sociétaire du Licée de Marbœuf, ou lauréat de l'Institut.
A propos d'institut , j'ignore à quel degré on possède, quand on a l'honneur d'en être, la vertu commune aux héros et aux ânes.
Je n'en reçus du ciel qu'une dose assez modique.
Je la perdis à la fin tout-à-fait.
Fatigué, découragé, saturé de disgraces et de mistifications, je pris au tragique les revers qu'essuyait ma comédie. J'allais, en vérité, lacérer, détruire, annihiller l'enfant de mes loisirs, faire le petit Brutus......
Mais outre la nature, j'avais encore l'amour-propre à combattre : je jettai sur le misérable un regard langoureux et paternel : et plus faible ou moins barbare que le consul de Rome, je n'osai consommer le fatal enfanticide.
D'ailleurs, on ne tue pas ses enfans, pour ne pas trouver à les pourvoir comme on desire. Il vaut mieux leur faire un sort quelconque, fut-il le plus obscur, que de les condamner au néant absolu.
Ne pouvant donc faire entrer le mien à la suite de Thalie, je postulai pour lui un modeste établissement chez Momus.
Le folâtre adopta le petit et infortuné vagabond......etc.
Parlons sans figures.
Je parvins à faire représenter ma pièce sur le théâtre des Variétés de la Cité.
Elle eut un succès..... auquel j'étais loin de m'attendre, en vérité ; et ses représentations · alternèrent quelques jours avec celles de Ricco, et de la Pantomime (2).
Cependant mes jeunes voyageurs n'avaient paru qu'à-peu-près incognito. Ils n'avaient débuté que sur un de ces théâtres désignés comme subalternes, et les distributeurs périodiques du blâme et de la gloire, n'avaient pas annoncé leur entrée dans le monde.
Ce que c'est que l'amour-propre !
Je convoitai un succès plus chatouilleux pour lui.
Mais le moyen d'y parvenir !
Thalie permettra-t-elle l'accès de son théâtre à ces transfuges étourdis, des tréteaux de Momus ?
Deus nobis hæc mirabilia fecit.
L'aimable Marsy, le bon Marsy, l'homme obligeant par excellence, Marsy ne sera pas médiocrement surpris de se voir désigné par un substantif aussi majestueux qu'on ne donna de leur vivant qu'à très peu d'individus, aux successeurs de César, et à Vestris, le dieu de la danse.
Il fut au moins pour moi un ange gardien et conducteur. Il guida mes pas dans les détours du labyrinthe qu'il faut traverser pour.... et.. ... il épargna à ma paresse et à mon ignorance de la carte des coulisses, les démarches, les sollicitations, .... et .... et ....... J'ai du plaisir à déclarer que c'est à son zèle, et à ses soins que je dois l'honneur d'avoir entendu réciter mes vers sur le théâtre de la rue Feydeau par les sociétaires de l'Odéon.
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Moi, à mon Lecteur.
CITOYEN OU CITOYENNE,
Le jeu de mes acteurs a contribué, sans doute, au succès de ma comédie. Ce ne serait pas la première méchante pièce qu'auraient fait passer pour bonne ces habiles escamoteurs des défauts d'un poëme. On sait que plus d'un ouvrage dramatique n'a réussi à la représentation, que pour tomber à la lecture. Le mien est-il bon ? est-il mauvais ? ad huc sub
judice lis est.
Mais,
CITOYEN OU CITOYENNE,
Au nom de la sainte balance de la justice où chacun est pesé selon ses œuvres, et non selon les lumières ou le caprice des Patrat, Luneau de Boisgermain et compagnie, ne prononcez pas sur mes vers aussi lestement qu'un comité de lecture : ne condamnez qu'avec conviction, avec connaissance de cause.
Enfin, on ne juge les procès que sur le vu des pièces.
LISEZ LA MIENNE.
(1) La pièce dont je parle est l'Envieux, du citoyen Dorvo, représentée le jour même de l'incendie qui a dévoré la superbe salle de l'Odéon. Malgré le peu de succès de cet ouvrage, il faut convenir qu'il étincelle de beautés dramatiques du premier ordre. Si Dorvo eût d'abord soumis sa pièce au jugement des acteurs qui devaient la rèprésenter, éclairé par leurs avis et leurs connaissances pratiques, il eût rectifié le défaut de plan qui seul a décidé la chûte d'un ouvrage estimable sous tous les autres rapports ; mais il avait été jugé par des hommes de lettres. Ces connaisseurs suprêmes avaient êté séduits par des tirades pleines de force et d'énergie, il est vrai, mais que le malheureux public, qui ne s'y connaît pas, comme les gens de lettre, trouva d'une longueur insoutenable, et qu'il siffla.
Au reste, Dorvo ne peut être humilié de cet accident ; il est en fonds pour prendre sa revanche. Il possède à un degré supérieur ce style plein d'idées, cette force comique, qu'on ne trouve que chez Molière et d'Eglantine....
Je le louerais davantage s il n'était mon ami.
(2) A propos de pantomime, il existe une espèce de bon ton à décrier ce genre de spectacle, et Cuvelier, son inventeur. Je soupçonne que, dans ce dénigrement, il entre un peu de jalousie de métier de la part de ses confrères, faiseurs d'opéras, et autres pièces à effets, autrement dit à tapage ; mais où l'on parle, soit en prose, soit en vers , et où l'on chante.
» — Quoi ! les auteurs d'opéras, où il y a des paroles, confrères de Cuvelier, dont les acteurs ne parlent pas ! »
Eh l vraiment oui ; car qu'est-ce que c’est qu'une pantomime ? C'est un opéra sans paroles. Cuvelier nous épargne le désagrément du seul accessoire qui fait presque toujours bâiller à l'Opéra. J'en connais plus d'un qui serait sans défauts, si l'on en ôtait les paroles.
En établissant cette opinion, je fronde celle de bien des gens. Que voulez-vous ; on fut aimable pour moi au théâtre de la pantomime ; je rends procédés pour procédés. Je tiens de ma nourrice : que la reconnaissance est la vertu des belles ames.
Courrier des spectacles, n° 1040 du 18 nivôse an 8 [8 janvier 1800], p. 2 :
[La comédie nouvelle ne le serait pas (elle « a déjà eu deux ou trois représentations sur un autre théâtre » : s’agirait-il des Deux voyageurs de Charlemagne ?) et le critique renvoie à ce qu’il en a écrit. Après avoir fait la liste des qualités de la pièce (« beaucoup de gaîté, des détails piquans , des vers heureux et ce qui est rare dans bien des comédies modernes, du comique de situation »), il se contente du rapide résumé d’une intrigue sans grande surprise : une tante folle de carrosses qui est pleine de considération pour son neveu qui vient chez elle en tel équipage, à qui elle fait don d’une ferme et qui lui permet d'épouser sa cousine avec qui il a été élevé. Elle même renonce à éposuer un homme riche, en partie à cause des manœuvres de son neveu et de son ami (il y a bien deux voyageurs). Un fond léger donc, mais qui serait « véritable » : Charlemagne aurait joué le rôle de l’ami serviable qui fait rater e mariage de la tante et réussir celui du neveu. Quelques « vers agréablement tournés » donnent une idée de la qualité du style de l’auteur. La pièce a été bien jouée (on a la liste des interprètes), l’un deux obtenant un triomphe lorsqu’il vient annoncer le nom de l’auteur.]
Théâtre Feydeau.
Beaucoup de gaîté, des détails piquans , des vers heureux et ce qui est rare dans bien des comédies modernes, du comique de situation ; voilà ce qui a mérité un succès brillant à la comédie en trois actes et en vers, donnée hier pour la première fois sur ce théâtre. Comme cette pièce a déjà eu deux ou trois représentations sur un autre théâtre et que nous en avons parlé dans son tems, nous n’en donnerons qu’un léger apperçu.
Madame Doucet. ne considère que les riches, et rien selon elle ne vaut un carrosse. Auguste son neveu qui est absent de la maison paternelle, est regardé par elle connue un vagabond ; mais il revient, et comment ? en carrosse. Soudain la tante comble le neveu de politesse et d’amitié. Beauval, ami d’Auguste et menteur intrépide, a dit en entrant que cette voiture est la sienne et celle de son camarade, quoique dans le fond tous deux soient sans un sol. Madame Doucet est enchantée du récit des voyages de Beauval, et d’après un conte qu’il lui fait d’un tremblement de terre à Cadix, elle renonce à la main de Dufour, vieux agioteur qui a un vaisseau dans ce port, et celui-ci trompé par Beauval sur le compte de la tante, ne veut plus l’épouser. Le jeune homme fait si bien qu’il finit par plaire à Madame Doucet, et qu’il en obtient une signature pour une donation de la ferme où ils sont en faveur d’Auguste, qui épouse une jeune cousine élevée avec lui dès l’enfance. Mais enfin, Madame Doucet réclame sa promesse de l’épouser. Cela devient embarrassant ; il n’a plus d’autre moyen que d’avouer ses mensonges, et la tante sort furieuse d’avoir été jouée.
Ce fond quoique léger deviendra bien plus intéressant lorsqu’on saura qu’il est véritable, et que l’auteur a tracé dans sa comédie une aventure plaisante arrivée à lui-même. C’est lui qu’il a peint dans le rôle de Beauval. Le public a applaudi justement plusieurs vers agréablement tournés, entr’autres celui-ci au premier acte , sur la communauté des biens entre les deux amis :
Ce qu'Oreste possède appartient à Pilade.
et sur la bonne réception que la tante fait au neveu :
Et voilà ce que c’est que d’avoir un carrosse.
et au second acte, sur le mariage de Dufour et de Madame Doucet :
Ce sont deux sacs d’écus qui se mêlent ensemble.
Cette pièce est très-agréablement jouée par les citoyens Vigny, Picard, Habert, Barbier et Valville, et par les cit. Charles et Beffroy. Le cit.Vigny en venant annoncer l’auteur le cit. Armand Charlemagne, a été couvert d’applaudissemens bien dûs à son jeu plein de finesse et de légèreté.
G * * *.
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