Alphonse, roi d'Arragon

Alphonse, roi d'Arragon, opéra comique en trois actes, en vers, de Souriguière de Saint-Marc, musique de Bochsa ; 20 août 1814.

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Titre :

Alphonse, roi d’Arragon

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en vers

Musique :

oui

Date de création :

20 août 1814

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Souriguière de Saint-Marc

Compositeur(s) :

Bochsa

Almanach des Muses 1815.

Pièce dont le fond en rappelait beaucoup d'autres, et qui n'a point eu de succès.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, année 1814, tome IV (juillet) p. 417-418 :

[Compte rendu peu aimable : la pièce n’est pas originale, mais la pièce à laquelle elle ressemble ne l’est pas non plus. C’est l’occasion pour le critique de déplorer le manque de véritable nouveauté dans le théâtre du temps : « on brode sur d'anciens canevas ». Mais le public trompe le critique : après une première représentation difficile, l’ouvrage « s’esr relevé depuis »...]

Alphonse, Roi d'Arragon, opéra comique en trois actes, joué le 13 août.

Cette pièce ressemble tellement à la Revanche, comédie de M. Roger, jouée au Théâtre Français, que je renvoie le lecteur à l'analyse de l'ancienne pièce pour connoître le sujet de la nouvelle. Cette ressemblance étonnera moins, quand on saura que les auteurs de l'une et de l'autre ont puisé leur sujet dans un ouvrage plus ancien encore, puisque c'est une petite comédie de Saint-Foix. On ne se donne plus la peine d'inventer maintenant. On brode sur d'anciens canevas : jamais on n'a vu plus de nouveautés et moins d'ouvrages neufs.

Celui-ci, assez mal accueilli le premier jour, s'est relevé depuis. Les auteurs des paroles et de la musique ont gardé l'anonyme.

L'Esprit des journaux français et étrangers, 1814, tome VII, juillet 1814, p. 281-288 :

[Long compte rendu d’une pièce peu réussie... Il commence par expliquer la genèse de la pièce (en signalant la rivalité entre les auteurs : Alphonse, roi d’Aragon contre la Revanche, toutes deux issues d’une troisième pièce, celle de « Saint-Foix qui est le père primitif, du moins en France » (il y aurait donc des sources étrangères ?). Mais la précaution consistant à prévenir des liens entre les pièces apparaît vaine au critique : ironiquement il souligne que leur pièce « est bien toute entière la propriété de ses auteurs : ils y ont mis le cachet de leur génie ; ils en ont fait leur chose, et ils ne partageront avec personne la gloire qui doit leur en revenir ». Sur ce, c’est de la pièce de Saint-Foix qu’il est ensuite question : compliments à l’auteur, résumé de l’intrigue. On passe ensuite à la Revanche, pour dire qu’elle imite « d'assez près son modèle », qu’elle délaie un peu trop son sujet, mais qu’elle vaut par la qualité de l’écriture. Et on arrive à la pièce dont il s’agit de rendre compte. Question initiale : « comment, avec de si bons matériaux, est-on venu à bout de faire un aussi mauvais ouvrage ? » Réponse : en voulant « faire autrement » (ce qui n’est possible que si l’ouvrage imité est mauvais...). Le bon moyen pour échouer : « embrouiller le plan le plus simple et le plus lumineux », en multipliant les personnages inutiles. Les seuls passages applaudis sont ceux où le pouvoir royal est exalté (ce qui autorise un peu d’ironie à propos du public, composé « d'aussi bons connaisseurs en politique qu'en littérature ». « La musique m’a paru digne des paroles », et le critique se déchaîne dans le dénigrement : tout ce qui fait la musique, motif, ouverture, airs, déclamation, récitatif, tout est mauvais. « Ou n'avait cependant rien épargné pour le succès » (costumes, décorations, ballets), mais tous ces « moyens […] de séduction » n’ont servi à rien. Le récit de la première représentation montre ce que peut être le désordre dans un théâtre où l’on joue une pièce que le public désapprouve : d’acte en acte, le tumulte enfle, et la tentative des amis des auteurs de faire proclamer leurs noms échoue lamentablement (« faute de porte-voix » !). Le critique livre seulement le nom du musicien, Bochsa, à qui il fait ensuite la leçon : il doit apprendre à écrire pour le théâtre (« je l'engage à étudier la partie dramatique de son art dont il n'a encore que le mécanisme, à chercher dans la peinture des caractères et dans l'expression des sentimens les principes de ses succès, et à ne plus puiser ses leçons que dans la nature, ou, ce qui est la même chose, dans les ouvrages des grands maîtres » : notons l’assimilation : la nature = les grands maîtres). Leçon rebattue, mais qu’il faut sans cesse répéter : « la vérité est éternelle ; […] le faux est essentiellement passager. Les interprètes sont ménagés à la fin du compte rendu : « tous ont fait de leur mieux ; mais ils n'ont pu faire l'impossible ».]

Alphonse, roi d'Arragon, opéra comique en trois actes et en vers.

Les auteurs avaient eu soin de prévenir le public dans les journaux, que leur ouvrage paraîtrait avoir du rapport avec la Revanche, comédie de M. Roger, donnée il y a quelque temps au Théâtre Français : la rencontre était bien naturelle : ils avaient puisé à une source commune. C'est Saint-Foix qui est le père primitif, du moins en France. Il devait donc se trouver un air de famille entre des enfans issus de la même souche. Les auteurs de l'opéra n'avaient pas copié M. Roger, dont ils ne connaissaient point l'ouvrage : mais tous avaient imité Saint-Foix : ainsi, eu expliquant une ressemblance qui aurait pu surprendre, ils repoussaient l'idée d'un plagiat qui aurait blessé leur délicatesse.

Les exemples de la précaution dont je parle se multiplient tous les jours : elle peut être sage ; mais souvent, comme dans la circonstance actuelle, elle est inutile. Jamais on n'aurait soupçonné la nouvelle pièce d'être une copie de Saint-Foix, ni même de M. Roger. Elle est bien toute entière la propriété de ses auteurs : ils y ont mis le cachet de leur génie ; ils en ont fait leur chose, et ils ne partageront avec personne la gloire qui doit leur en revenir.

La comédie de Saint-Foix n'a qu'un acte, et est modestement écrite en prose ; elle est intitulée le Rival supposé [comédie en un acte de Poullain de Saint-Foix, 1747]. Cet acte est vif, serré, rapide ; chaque scène est un petit tableau achevé ; le style est plein de graces, le dialogue naturel, les situations piquantes ; deux caractères surtout, celui du père et de la soubrette, s'y font remarquer par leur originalité. Rien de plus simple que la contexture de la pièce. Un vieux gentilhomme, retiré dans ses terres, y vit avec noblesse et indépendance, préférant au pompeux esclavage de la cour le modeste empire qu'il y exerce sur sa famille et sur ses vassaux. Il a une fille charmante dont il a fait faire le portrait : ce portrait se perd : le roi le trouve, en devient amoureux, et, pour jouir de la vue de l'objet aimé, se rend au château sous le nom de don Frédéric, l'un des seigneurs les plus distingués de sa cour. Bientôt il découvre ses sentimens sans parler du hasard qui les a fait naître ; il a le bonheur de voir qu'ils sont partagés ; tout lui donne lieu de croire à la constante fidélité de sa maîtresse ; mais, pour s'en assurer davantage, il veut la mettre à une épreuve délicate. Il vient d'apprendre, dit-il, que le portrait de Léonore est tombé entre les mains du roi ; que ce prince, à la vue de tant de charmes, s'est laissé promptement enflammer, et qu'il doit venir ce jour même réclamer la main de Léonore, et mettre à ses pieds sa couronne. Effectivement, on annonce que le roi arrive, mais pour déguiser le véritable motif de sa venue, il veut donner un air de fête à son entrée dans le château. Il est masqué, ainsi que les seigneurs de sa suite. Alphonse paraît, fait sa déclaration à Léonore, et lui offre de l'associer à son trône : embarrassée, confuse, elle paraît hésiter, et sort en annonçant qu'elle va venir apporter sa réponse. Alphonse attribue à un mouvement d'ambition cette indécision qui l'accable. La situation est forte et attachante. Mais Léonore est allée se jeter aux pieds de son père, et le conjurer de faire intervenir son autorité paternelle, et de l'opposer aux prétentions royales. Elle rentre avec lui, et déclare au monarque que trop honorée de son choix, elle a la douleur de ne pouvoir y répondre ; que son cœur est lié par un engagement indissoluble ; que rien ne pourra la détacher de don Fredéric, auquel elle est fière et heureuse de pouvoir sacrifier une couronne. Le prince insiste, et paraît menacer de son autorité le rival heureux qu'on lui préfère ; mais la courageuse persévérance de Léonore dissipe toutes ses craintes : ivre d'amour et de joie, il jette son masque, et tombe aux pieds de Léonore qui reconnaît son roi dans son amant. Alphonse engage le père à venir se fixer à sa cour ; mais aussitôt après la noce, le gentilhomme se promet de revenir à son château : l'air de la cour ne lui convient pas plus que la société des courtisans. Quand les seigneurs de la suite du roi veulent se démasquer : laissez, Messieurs, leur dit-il, gardez votre masque ; autant vaut celui-là qu'un autre : c'est ce trait ingénieux qui termine la pièce.

M. Roger, dans la Revanche, a suivi d'assez près son modèle : on lui a reproché avec quelque raison d'avoir trop délayé sa matière ; mais il s'est donné le seul mérite qui, dans un sujet déjà traité, pût lui appartenir, celui d'un style toujours pur, élégant, et surtout harmonieux, tel, en un mot, qu'on devait l'attendre de celui qui a tracé d'une main si ferme le beau caractère de l'avocat dans la pièce qui porte ce nom.

On ne me saura pas mauvais gré, j'imagine, d'avoir, à l'occasion du nouvel opéra, donné l'analyse de la charmante comédie sur laquelle il a été calqué. Mais comment, avec de si bons matériaux, est-on venu à bout de faire un aussi mauvais ouvrage ? La réponse est toute simple : c'est que ne pouvant faire ni mieux, ni aussi bien que Saint-Foix, on a voulu faire autrement, et que l'excellence du modèle a dû nuire à l'imitation. Quand, sur un sujet donné, le vrai moyen de plaire a été trouvé une fois, il est difficile d'en trouver un autre. Voltaire a refait l'Œdipe de Corneille, parce que l'Œdipe de Corneille n'est pas un bon ouvrage ; mais quel autre que M. Cubières aurait imaginé de refaire la Phèdre de Racine ?

L'auteur du nouvel opéra a trouvé le secret d'embrouiller le plan le plus simple et le plus lumineux. Il l'a surchargé de personnages inutiles, tels que le frère d'Adélaïde, puis un valet et une suivante, qui ne sont occupés que de bâtir des espérances de fortune sur les aventures dont le château est le théâtre. Le duc d'Olivarès, promis à Adélaïde sans jamais avoir été connu d'elle ni de son père, arrive, reconnaît le roi qui a pris son nom pour le supplanter, et, à l'instigation du frère de sa maîtresse, il prend à son tour celui du roi, et s'amuse à en jouer le personnage. Le monarque trouve bon de se voir ainsi parodié, et ordonne au duc de continuer la comédie. Mais tout d'un coup le prétendu roi déclare qu'il est amoureux d'Adélaïde, et fait semblant d'user de sa puissance pour l'enlever à son rival. Le père, moins généreux que le don Félix de Saint-Foix, consent à rompre ses premiers engagemens, et se laisse éblouir par l'idée d'avoir un monarque pour gendre ; mais Adélaïde reste inébranlable : le roi se fait reconnaître, et couronne la fidélité de sa maîtresse par le don de sa main. « Voilà ma royauté finie, s'écrie le duc d'Olivarès, et le pouvoir retourne au légitime souverain. » Ce mot heureux a été saisi et applaudi avec transport ; on a accueilli de même ce vers :

Le roi pardonne tout : imitez-le, mon Père ;

et le refrain d'un air de guitare chanté par le valet et la soubrette :

Notre amour fait sa puissance ;
Le sien fait notre bonheur.

Et comme ces passages sont les seuls qui aient été couverts de bravos unanimes, j'en ai conclu que la salle était peuplée d'aussi bons connaisseurs en politique qu'en littérature.

La musique m'a paru digne des paroles. Pas un motif, pas une idée ; rien de neuf, rien de chantant ; une ouverture qui ressemble à tout : des airs qui ne ressemblent à rien; du son, ou plutôt du bruit dans l'orchestre : une déclamation froide et inanimée sur la scène, et par-dessus tout un récitatif presque aussi long que celui des plus longs opéras; il en eût fallu beaucoup moins pour faire tomber la meilleure comédie, et je doute que celle-ci eût pu réussir même avec une excellente musique.

Ou n'avait cependant rien épargné pour le succès ; aux moyens ordinaires de séduction, on avait-réuni un appareil, tout nouveau à ce théâtre, de fête et de ballets. Les vrais amateurs se défient de l'emploi de ces ressources étrangères, de ce luxe qui, dans cette partie comme dans bien d'autres, est souvent le masque d'une indigence trop réelle. Avec de l'argent, on a des danseurs et des costumes; mais le plaire ne se vend pas plus au marché que le dormir.

Le public, qu'il faut toujours distinguer des applaudisseurs, avait gardé pendant le premier acte un silence qui me paraissait de mauvais augure ; je ne me trompais pas dans mes présages ; c'était un calme dangereux précurseur de la tempête, qui a commencé à gronder au second acte, et qui enfin, dans le troisième, s'est déchaîné avec fureur : quelques amis ont cependant demandé les auteurs ; mais Huet, faute de porte-voix, n'a pu les faire connaître. Il s'est retiré tristement, et la foule s'est écoulée en laissant aux deux coupables la consolation de l'anonyme. Un bruit confus a cependant porté jusqu'à mes oreilles le nom du musicien Bochsa, auteur de l'Héritier de Paimpol et des Héritiers de Michau ; mais M. Bochsa ne me paraît pas être l'héritier de Grétry. On le dit jeune, véritablement jeune :je l'engage à étudier la partie dramatique de son art dont il n'a encore que le mécanisme, à chercher dans la peinture des caractères et dans l'expression des sentimens les principes de ses succès, et à ne plus puiser ses leçons que dans la nature, ou, ce qui est la même chose, dans les ouvrages des grands maîtres. Ce sont là, ne manquera-t-on pas de dire, des préceptes bien rebattus et bien communs ; j'en tombe d'accord ; mais puisqu'on ne se lasse point de les enfreindre, je ne me lasserai point de les repéter. Rose et Colas a précédé Alphonse ; il y a juste cinquante ans que ce chef-d'œuvre a été joué pour la première fois à Paris, et il a paru aussi frais, aussi nouveau qu'il y a un demi-siècle. C'est que la vérité est éternelle ; c'est que le temps, loin d'en affaiblir la beauté, y ajoute tous les jours de nouveaux charmes, tandis que le faux est essentiellement passager, et que son éclat se ternit et tombe avec les circonstances, les caprices et les passions auxquelles il a dû sou existence.

Les rôles d'Alphonse étaient confiés à l'élite des acteurs et des actrices : Chénard, Paul, Huet, Mme. Duret, Mme. Boulanger, tous ont fait de leur mieux ; mais ils n'ont pu faire l'impossible. La pièce a été marquée du sceau de la réprobation. C'est une perte pour ce théâtre qui n'avait point épargné la dépense ; mais il trouvera un dédommagement dans les débuts de Mme. Mainvielle qui continue d'attirer la foule, et qui justifie cette affluence.

Nicole Wild, et David Charlton, Théâtre de l'Opéra-Comique Paris: répertoire 1762-1972, p. 130, créditent Alphonse, roi d’Arragon de 6 représentations.

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