Arlequin Cruello

Arlequin Cruello, parodie d'Othello de Ducis, en deux actes, de Barré, Radet et Desfontaines, 13 décembre 1792.

Théâtre du Palais.

Othello de Ducis a été créé le 26 novembre 1792 et a fait l'objet de deux parodies tout à fait « classiques», avec Arlequin, masque noir oblige, en Othello. Le Maurico de Venise de Sewrin, annoncé pour le 8 décembre au Théâtre de la rue de Louvois, est bloqué par une manœuvre des directeurs et auteurs du Théâtre du Vaudeville, qui réussissent à passer les premiers et créent Arlequin Cruello le 13 décembre. La tragédie a eu 45 représentations, et la parodie de Barré, Desfontaines et Radet 71. Sewrin est réduit à publier la brochure de son Maurico (renseignements empruntés à l'article de Martine de Rougemont, « Esquisse d'une histoire de la parodie théâtrale en France », Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°119-120, 2003. pp. 182;.

Titre :

Arlequin Cruello

Genre

parodie d’Othello

Nombre d'actes :

2

Vers / prose ?

prose avec couplets en vers

Musique :

vaudevilles

Date de création :

13 décembre 1792

Théâtre :

Théâtre du Palais

Auteur(s) des paroles :

Barré, Radet, Desfontaines

Mercure Français, n° 56 du jeudi 20 décembre 1792, p. 41 :

[Compte rendu d’une parodie réussie, puisqu’elle met bien en valeur les défauts de l’original (et l’Othello de Ducis n’en manque pas, semble-t-il). Autre qualité importante, la valeur des couplets : le critique nous donne moyen de juger sur pièce...]

THÉATRE DU VAUDEVILLE.

Arlequin Cruello est la parodie d'Othello,dont nous avons rendu compte hier. Le doge et le sénat de Venise, sont remplacés par une troupe de comédie et son directeur. Crialbert, pere noble de cette troupe, se plaint que sa fille vient d'être séduite par Cruello, qui joue les arlequins. La marche de cette parodie est la même que celle de la piece originale, et en montre parfaitement tous les défauts.... Il y a beaucoup de gaîté dans les détails, et de la justesse dans les critiques. C'est le plus grand éloge qu'on puisse faire d'une parodie, et cet éloge est mérité. Il y a une foule de jolis couplets. Voici les deux plus gais ; c'est la priere de Doucelmone, au moment de se coucher, et prête d’être battue par Arlequin, sur l'air. : Ne m'entendez-vous pas.

O grand Saint-Nicolas,
Patron des demoiselles,
Viens couvrir de tes ailes,
Mes innocens appas,
O grand Saint-Nicolas !

O grand Saint-Nicolas,
Je ne suis point de celles
Qui font les demoiselles,
Et qui ne le sont pas,
O grand Saint-Nicolas !

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1793, volume 2 (février 1793), p. 347-351 :

[C’est l’Othello de Ducis qui est la cible de cette joyeuse parodie, que le critique a beaucoup appréciée, et qu’il couvre de louanges : réussite complète, esprit, gaîté, finesse dans la critique, la parodie en devient supérieure à son modèle, où l’on peut relever « quelques défauts de plan & de développemens ». En deux semaines, le trio vedette du vaudeville a fort bien travaillé. A la fin, le seul reproche qu’on puisse faire à cette pièce, c’est bien sûr « quelques longueurs qu'il est très-facile de supprimer ». Des couplets ont été redemandés, dont celui qui dit du bien de Ducis, et celui qui a précédé l’apparition des auteurs. Dernier compliment, pour les acteurs, le jeune arlequin en grands progrès, et l’actrice qui joue Doucelmone, elle aussi en progrès.]

Arlequin Cruello, parodie d'Othello, en deux actes.

Arlequin Cruello a complettement réussi sur ce théatre : il est difficile de réunir plus d'esprit à plus de gaîté & de finesse dans la critique que pouvoient offrir quelques défauts de plan & de développemens de la tragédie de Ducis. Les auteurs ingénieux, qui ont déjà donné au public Arlequin Afficheur & Arlequin Taquin, ont encore soupé ensemble cette fois, & n'ont pas perdu de tems, puisqu'en moins de quinze jours, la piece a été faite, apprise & jouée. Il faut nécessairement avoir vu Othello, pour sentir le mérite des détails de leur Cruello : esquissons légérement cette jolie bagatelle.

L'action se passe au milieu d'une troupe de comédiens : le directeur, embarrassé par la diminution de ses recettes, ouvre la scene, environné de tous ses pensionnaires. Crialbert, pere-noble de la troupe, vient se plaindre que sa fille a été séduite par Arlequin ; Arlequin veut en vain appaiser le pere-noble, qui ordonne à sa fille de choisir entre son pere & son époux, & de céder à l'amour filial ; Doucelmone lui répond :

Air : Que ne suis-je la fougere.

Près de vous, dans mon enfance,
J'ai connu ce sentiment :
Croyez-vous que je balance
Entre vous & mon amant ?
Ah ! souvent, ma tendre mere
M'a dit, en parlant de vous :
Tu n'as pu choisir ton pere ;
Choisis au moins ton epoux !

Crialbert, furieux, prédit à sa fille qu'Arlequin la battra ; mais ce dernier rassure Doucelmone, qui, pendant son absence, accepte un tête-à-tête avec un jeune -homme honnête que lui amene Démence, sa gouvernante. Doucelmone chante en parlant de cette gouvernante.

Air : Riches chanoines.

    Ah! oui , Démence
M'est d'un très-grand secours ;
    A sa prudence
sans cesse ayons recours.
Démence est mon soutien ;
Aussi chacun voit bien
Qu'en toute circonstance,
Je ne fais jamais rien,
    Rien sans Démence

Le jeune homme honnête se présente, c'est Laurent, fils du directeur : il aime Doucelmone. Crialbert la force à signer qu'elle l'épousera : Doucelmone apprend que Crialbert vient d'être rayé de la troupe, qu'il a mangé ses appointemens ; elle remet à Laurent l'écrit qu'elle vient de signer, & une aigrette de diamans que lui a donnée Arlequin, en le priant de la mettre au mont-de-piété. Cependant Arlequin, en conduisant Doucelmone à la noce, a vu un jeune homme qui vouloit la lui enlever. Arlequin est furieux ; mais il le devient encore davantage, quand Bizarre, son ami, espece de Crispin, lui remet l'écrit & l'aigrette qu'il prétend avoir trouvés sur Laurent, qu'il a rossé : Arlequin se retire en méditant sa vengeance. Doucelmone vient se coucher ; mais avant de se mettre au lit, elle chante une romance & fait sa priere, quoiqu'elle ne sache, dit-elle, à quel saint se vouer.

Air : Ne m'entendez-vous pas.

O grand saint-Nicolas !
Patron des demoiselles,
Viens couvrir de tes ailes
Mes innocens appas :
O grand saint-Nicolas !

O grand saint-Nicolas !
Je ne suis pas de celles
Qui font les demoiselles
Et qui ne le sont pas ;
O grand saint-Nicolas !

Enfin Arlequin arrive : il l'interroge ; mais comme il n 'est pas si bête, dit-il, que de la laisser expliquer, dès qu'il voit sa douleur en apprenant que Laurent a été rossé, il la bat !... elle se trouve mal : le directeur, le pere-noble, Laurent & Démence arrivent, conduits par un falot : tout s'explique : Arlequin apprend que Bizarre l'a trompé, & il fait sa paix avec Doucelmone, qui oublie les coups qu'elle a reçus... Il est impossible de rendre dans un simple extrait, toute la gaîté des détails de cette jolie parodie, qui a fait le plus grand- plaisir, quoiqu'on y ait remarqué quelques longueurs qu'il est très-facile de supprimer. Le public a demandé le couplet suivant, qui corrige non la dureté, car. il n'y en a point dans cet ouvrage, mais la critique qu'on s'y est permise :

Paris couronne les essais
    Du Shakespear moderne ;
La palme est le prix du succès ;
    Le goût la lui décerne.
Au cœur toujours sûr de parler,
Il fait pleurer, pâlir, trembler,
Chez lui tout est tragique :
Mais moins il rit dans Othello,
Plus Arlequin dans Cruello,
A peur de n'être pas comique.

Voici comment Arlequin est venu nommer les trois auteurs de cette parodie :

Air : Servante, quittez vos paniers.

Notre afficheur a réussi ;
    Taquin a fait de même :
A ces deux pieces celle-ci
    Vient se joindre en troisieme.
si vos suffrages sont constans,
Les trois auteurs seront contens ;
Et vous verrez, sous peu tems,
    Venir la quatrieme.

Le jeune Laporte, qui joue Arlequin, fait tous les jours des progrès sensibles ; Mlle. Reine-Royer a prouvé, dans le rôle de Doucelmone, qu'elle acquerroit beaucoup aussi.

César : les auteurs : Barré, Radet, Desfontaines. Première le 13 décembre 1792. 11 représentations en 1792 (en moins de trois semaines!). 29 en 1793, 16 en 1794, 10 en 1795, 6 en 1796, 2 en 1797.

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