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L'Aveugle du Tyrol

L'Aveugle du Tyrol, mélodrame en trois actes, à spectacle, de Frédéric [Dupetit-Méré], musique de Lanusse, ballets d'Adam, 1er avril 1807.

Théâtre de la Gaieté.

Almanach des Muses 1808.

Courrier des spectacles, n° 3705 du 3 avril 1807, p. 3 :

[L'article s'ouvre sur des considérations très terre-à-terre : le directeur du Théâtre de la Gaîté a fait un choix très rentable en montant cette pièce, même si elle n'atteindra pas les sommets atteints par le fameux Pied de mouton. Elle a tout ce qui plaît à « une certaine classe de spectateurs » dans ce genre de pièce : « les fureurs de la jalousie, un tyran, une cabane, une maison en feu, des malheureux qui roulent dans les décombres ». L'intrigue résumée ensuite comprend bien tous les éléments annoncés, qui sont indispensables au mélodrame. Coup de poignard, mais pas mortel (on ne le sait que vers la fin), désespoir de celui qui se croit meurtrier et en devient aveugle, trahisons, souterrain qui sert de prison, évasion, incendie, tout cela s'accumule peut-être un peu trop). La scène de l'aveugle sur une poutre dans une maison en flamme est considérée comme un « tableau intéressant », même s'il n'est pas neuf (le critique détaille ensuite ce qui pourrait rapprocher les deux pièces, mais conclut plutôt à leur différence). Un personnage sert à « éclaircir un peu la teinte sombre de l'ouvrage ». La fin de l'article énumère tout ce qui enrichit la pièce : « un ballet très-agréable », des décors soignés, et en particulier celui de l'incendie, des acteurs qui tiennent bien leur rôle. Il ne reste plus qu'à nommer l'auteur et le chorégraphe (mais pas de musicien : sans doute la musique n'est pas originale.

L'article contient ensuite une promotion pour un acteur débutant qui joue dans Canard et Canardin (pièce tout à fait récente, et où il se distingue).]

Théâtre de la Gaîté.

L'Aveugle du Tyrol.

Le Directeur de ce Théâtre n’est point un aveugle, c’est un homme tres-clairvoyant qui entend très-bien ses intérêts, qui connoît son auditoire et sait le servir suivant son goût. L'Aveugle du Tyrol ne sera pas aussi fête que le Pied de mouton ; il ne rapportera pas cent mille francs au propriétaire de la pièce, mais il aura des auditeurs, et trouvera beaucoup d’yeux ouverts pour le voir. La pièce offre tout ce qui frappe, charme et séduit les yeux d’une certaine classe de spectateurs, les fureurs de la jalousie, un tyran, une cabane, une maison en feu, des malheureux qui roulent dans les décombres, et tout cela bien exécuté. Voici le sujet de la pièce :

Le Comte Ernest ; emporté par la jalousie, et se croyant trahi par sa femme Albertine de Raitz, l’a frappée d'un coup de poignard. Il l’a crue morte ; et pour se soustraire aux poursuites du Comte Altorf, gouverneur d’Inspruck et son ennemi mortel, il s’est réfugié en France avec son fils, seul fruit de son malheureux hymen. Les chagrins et les maladies ont, depuis huit ans, altéré sa santé, et l’ont privé de l’usage de la vue. Guidé par son fils encore enfant, il revient dans sa patrie. Un paysan nommé Bittmann le reçoit dans sa cabane, près de laquelle des marchands viennent d’établir une foire. Parmi eux se trouvent deux hommes dévoués au Gouverneur, qui reconnoissent l'Aveugle, et découvrent encore que la même chaumière renferme Albertine sous les habits de paysanne et sous le nom de Clotilde. Albertine en effet n’a point péri sous les coups d’Ernest ; mais réduite à la plus extrême misère, elle est venue se réfugier chez Bittmann. Les deux faux marchands profitant d’un instant où l’Aveugle est seul avec son fils, l’environnent, empêchent l’enfant de crier, et veulent emmener le père. Bittmann accourt, réunit les gens de sa maison, et fait conduire les deux affidés du Comte Altorf dans un souterrain qui doit leur servir de prison.

Ceux-ci parviennent à s’échapper, et l’un d’eux court avertir le Comte, qui se rend lui-même sur les lieux. Albertine et son enfant ont le tems de sauver Ernest. Bittmann le conduit avec sa famille auprès du père d’Albertine Baron de Raitz. Ce seigneur est chargé par son souverain d’arrêter le Comte Altorf, dont les .crimes nombreux demandent vengeance. Il reconnoit Albertine et pardonne à Ernest. Mais Altorf entreprend de se défendre. On assiége Inspruck ; les portes de la ville sont enfoncées, le palais où est renfermé Ernest avec son fils s’écroule avec fracas ; et à la lueur de l’incendie, on voit ce malheureux Aveugle marcher sur des poutres enflammées, et enfin il est sur le point de tomber dans un gouffre de feu, lorsque son fils, en roulant dans les décombres, lui crie de s’arrêter. Ce dernier tableau est intéressant, mais il rappelle un peu trop l'Illustre Aveugle. Du reste, les deux auteurs ne se sont pas rencontrés quant à la marche de l'action, à la liaison des scènes, et même aux moyens employés pour faire naitre des incidens. Il y en a beaucoup dans l'Aveugle du Tyrol. Ce mélodrame a aussi son côté plaisant ; le fils du fermier Bittman est un personnage épisodique dont la gaîté éclaircit un peu la teinte sombre de l’ouvrage.

Il y a au premier acte un ballet très-agréable. Les décorations des trois actes sont soignées ; celle qui représente l’incendie du château et de la ville est d'une belle exécution. Marty a joué le rôle d’Aveugle de manière à y mériter des applaudissemens. Mad. d’Herbouville 1’a très-bien secondé : elle a de la sensibilité et connoit bien la scène. Dumenil a été très-plaisant dans le rôle du fils de Bettmann ; et ce dernier personnage est bien joué par M. Pascal.

Les auteurs sont MM. Frédéric pour les paroles, et Adam pour les ballets

Nous avons annoncé, il y a quelques jours l'arrivée d’un acteur qui jouissoit en province d’une vogue presqu’égale à celle de Brunet à Paris. Il a fait avant-hier à ce théâtre son premier début dans la pièce de Canard et Canardin. Il représentoit ce dernier personnage, et s’y est montré fort plaisant. Il a un masque heureux et beaucoup d’aisance en scène : il chante agréablement et avec goût. Il a prouvé sur-tout qu’il étoit comédien, lorsqu’il a joué les dernieres scènes de ce vaudeville. Elles appartiennent au genre burlesque ; il les a rendues d’une manière si comique, et avec tant d’à-plomb, qu’il a excité les éclats de rire universels. C’est une fort bonne acquisition qu’a faite le théâtre de la Gaîté, à qui cet acteur appartenoit de droit, puisqu’il doit tout ce qu’il sait aux leçons du directeur.

Journal de Paris, n° 94 du 4 avril 1807, p. 678 

[Plutôt que de tenter d'en résumer l'intrigue, le critique fait l'inventaire de tous les éléments qui font de cette pièce un mélodrame au sens plein du terme, « tous les agrémens du genre », et ils sont nombreux et de plusieurs ordres, jouant sur les contrastes les plus extrêmes. Et si l'Aveugle du Tyrol a eu un succès moindre que d'autres pièces du moment, c'est qu'il a affaire à forte partie, les grandes pièces à talisman, présentes et futures. Le critique nomme l'auteur, à la fois jeune et acteur de théâtre, et le compositeur, dont l'œuvre a reçu un excellent accueil.]

L'Aveugle du Tyrol, au théâtre de la Gaîté, obtint avant-hier un grand succès. On ne peut imaginer un mélodrame mieux conditionné ; il réunit tous les agrémens du genre, des modèles de toutes les vertus, des monstres de scélératesse; l'innocence et la foiblesse aux prises avec le crime tout-puissant; des dangers sans cesse renaissans, et toujours à point les expédiens les plus inattendus ; des contrastes de caractères et de situations : des niaiseries très-bouffonnes à travers des scènes pathétiques de terreurs et de remords ; de grands coups de théâtre, et des effets bien variés. Au premier acte, une foire très-gaie, et à la fin un enlèvement ; au deuxième, une bataille aux fusils, dont tous les coups, heureusement, ne partent pas ; au dénouement, un incendie de palais, avec écroulement de vieux châssis ; en un mot, tous les grands moyens, tout à l'extrême : et en résultat, rien de bien naturel, ni même de très-raisonnable; mais beaucoup d'intérêt, des anxiétés délicieuses, et un spectacle étonnant. On peut dire que cet aveugle-là auroit vu tout Paris n'avoir des yeux que pour lui; si tous ces yeux-là n'étoient accaparés dès long-temps par le Pied de mouton, dont la 100.e représentation vient d'être fêtée aussi richement que la 10.e ; et puis la Queue du Diable, qu'on promet pour la fin du mois, et dont tout le monde raffolle déjà sur parole !

L'auteur de l'Aveugle du Tyrol est M. Frédéric jeune, acteur du théâtre des Variétés étrangères. La musique est de M. Lanusse; elle a mérité des applaudissemens particuliers.

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