Le Pied de mouton, mélodrame, féerie-comique, en trois actes, à grand spectacle, de Ribié et Martainville, musique de Taix, ballets d'Adam, décors de M. Allaux fils, machines dirigées par M. Camus, 6 décembre 1806.
Théâtre de la Gaîté.
-
Titre
|
Pied de mouton (le)
|
Genre
|
mélodrame, féerie-comique à grand spectacle
|
Nombre d'actes :
|
3
|
Vers / prose ?
|
prose, avec des couplets en vers
|
Musique :
|
oui
|
Date de création :
|
6 décembre 1806
|
Théâtre :
|
Théâtre de la Gaieté
|
Auteur(s) des paroles :
|
Ribié et Martainville
|
Compositeur(s) :
|
Taix
|
Chorégraphe(s) :
|
Adam
|
Décorateur(s) :
|
Allaux fils
|
Chef-machiniste :
|
Camus
|
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Maldan, 1807 :
Le Pied de Mouton, mélodrame, féerie-comique, en trois actes, à grand spectacle, Par MM. Ribié et Matainville, Musique de M. Taix, Ballets de M. Adam, Décors de M. Allaux fils, Machines dirigées par M. Camus. Représenté pour la première fois sur le Théâtre de la Gaîté, le 6 Décembre 1806.
Courrier des spectacles, n° 3589 du 7 décembre 1806, p. 4 :
[Le compte rendu de ce qui sera un beau succès est placé en page 4 et se réduit à quelques lignes : beaucoup de spectacle, mais peu d’action. Les auteurs ont été nommés.]
Le Pied de mouton a opéré hier ses prodiges au Théâtre de la Gaîté. Vingt-cinq ou trente changemens à vue, des décorations brillantes, beaucoup de mouvement, mais peu d'action, voilà ce qu’a offert cette pièce féerie.
L’auteur est M. Martainville, celui de la musique, M. Taix, et celui des ballets, M Adam.
Courrier des spectacles, n° 3591 du 9 décembre 1806, p. 2-3 :
[Après le court entrefilet du 7 décembre, un vrai compte rendu. Le succès a été considérable, au point que le théâtre a été assiégé bien avant son ouverture. Le public a été au rendez-vous de la nouveauté. Le sujet ? Les effets d’un talisman, sous forme d’un pied de mouton (qui vaut bien une patte de lapin) qui permet à son détenteur de se sortir de tous les problèmes et d’épouser la femme qu’il aime. Le critique donne un large choix de ces effets magiques. Mais il ne peut tous les raconter, tant il y en a. Il se contente de dire que la pièce comporte de 25 à 30 changements à vue aux « effets plus ou moins étonnans ». Certes tout n’est pas neuf dans les décors ou les « effets de féerie », mais le spectacle est très varié, et « les ballets sont soignés ». Les acteurs principaux sont cités. « Tous en un mot ont contribué au succès de cette représentation ».]
Théâtre de la Gaîté.
Le Pied de mouton.
Jamais festin préparé au Rocher de Cancale, de la main savante des Balaine et des G. de la R. n’a attiré une foule de convives plus empressés que le Pied de mouton. Combien d’amateurs n’ont pas dîné, dans l’espoir de trouver chez M. Ribié, le plus succulent de tous les mets ! Avant midi, la porte du théâtre étoit assiégée par une multitude avide de prendre des place au banquet annoncé depuis huit jours.
Voulez-vous exciter la curiosité du public, capter ses suffrages, songez avant tout à l’éblouir par l’éclat ou la nouveauté des mots, faites travailler son imagination, promettez-lui de choses inconnues, vous aurez, au moins pour un jour, le succès le plus brillant !
Le pied de mouton du Théâtre de La Gaîté n’est qu’un genre de talisman, comme on en trouve dans tous les contes de fées.
Un amoureux nommé Gusman, désespéré des rigueurs de sa belle, nommée Léonore, est sur le point de se tuer. Un Génie d’un caractère obligeant et bénin, vole à son secours et lui donne un pied de mouton mystérieux qui a la vertu de sauver ceux qui le possèdent de tous les périls qu’ils peuvent courir.
Muni de ce talisman, l’amoureux s’introduit dans la maison de Don Lopez tuteur de Léonora. On le surprend avec sa belle ; il se sauve et l’emmène. Don Lopez qui devoit marier sa pupille à Don Nigaudinos, fait courir après les fugitifs, on les joint, on les arrête, et ils sont enfermés l’un et l’autre dans une tour ; mais le Génie et la vertu du talisman opèrent encore, et ils parviennent à s’évader. Ils se cachent dans la maison d’un ami. Nigaudinos les y poursuit ; on lui tend un piège, il s’y laisse prendre, et se trouve prisonnier lui-même avec le tuteur Don Lopez ; mais un autre Génie qui protège les Nigaudinos, vient au secours de celui-ci. Il lui donne même pour défenseur un géant armé d’une énorme massue. On sait quels pas font les géants. Les deux amans tombent de nouveau entre les mains de leurs ennemis qui les attachent à des poteaux. Dans ce péril la triste Léonora invoque le Dieu de l’Amour. Cupidon sort aussi-tôt avec une foule de petits amours de le [sic] massue du géant, qui s’est endormi ; il se hâte de délier Gusman, et Léonora ; enfin le Génie qui les protège force le tuteur à consentir à l'union de deux amans.
Il seroit difficile de raconter ici tous les prodiges opérés par le pied de mouton. Jamais plus de miracles ne durent naissance à une moindre cause. Pour donner une idée du mouvement théâtral, il suffira de dire qu’il y a vingt-cinq ou trente changemens à vue qui tous présentent des effets plus ou moins étonnans. Toutes les décorations ne sont point nouvelles, tous les effets de féerie ne sont point les produits d’une imagination neuve, c’est un point sur lequel on a cru devoir prévenir les spectateurs avant la représentation. Mais cette variété de tableaux, ce mouvement successif de scènes différentes présente un spectacle propre à amuser les yeux, et occuper l’imagination. Les ballets sont soignés. On y a remarqué entr’autres un pas de forgerons où l’on a distingué Renauzy, Adam et Mlle. Chéza. Le rôle de Gusman a été joué d’une manière agréable, par Marty ; Dumesnis est très-plaisant dans celui de Nigaudinos. Ce niais est un des plus naïfs et des plus vrais que nous ayons. Mad. Cousin-Picard s’est fort bien acquittée du rôle de Léonora. Tous en un mot ont contribué au succès de cette représentation.
Journal des Gourmands et des Belles, ou l’Épicurien français, deuxième année, premier trimestre, p. 192-193 :
[Normalement, cette revue n’est pas une source pour les critiques de théâtre. Mais gastronomie et dramaturgie peuvent parfois se rejoindre, occasion de quelques jeux de mots culinaro-théâtraux.]
DU PIED DE MOUTON A LA GAITÉ.
Jusqu'à présent nous n'avons entretenu nos lecteurs que de gourmandise ; et, trop pleins de notre sujet, nous aurions dédaigné de nous occuper d'autre chose : mais parmi quelques mélodrames qui naissent et meurent en même tems, nous avons pensé que nous pouvions empiéter sur nos statuts en faveur du Pied de Mouton. Ce titre était trop appétissant pour que nous le laissassions échapper sans lui dire un mot. Le Pied de Mouton dont nous allons parler n'est rien moins qu'un talisman qui donne à un faible mortel le pouvoir de tout faire. Heureux talisman ! quel Gourmand ne t'envierait pas !
Quoiqu'on puisse trouver à mordre sur le Pied de Mouton à la Gaîté, nous préférons mordre sur ceux à la poulette et à la ravigotte, et c'est assez naturel. Cependant le Pied de Mouton à la Gaité est bon à.... voir après le diné. La musique, les ballets, les décors, les métamorphoses composent la sauce du Pied de Mouton. Dirons-nous que la sauce fait manger le poisson ? Non, puisque le public dévore l'un et l'autre. Gourmandise à part, ce petit salmi n'est pas désagréable ; tout le monde veut y goûter : aussi le directeur tient-il table ouverte tous les jours pour les amateurs, qui, rassasiés du Pied de Mouton, s'en vont souper avec un appétit dévorant.
Auparavant le Pied de Mouton le directeur du théâtre de la Gaîté ne savait trop sur quel pied danser ; maintenant qu'il a pris son à plomb, nous lui conseillons d'en rester sur ce pied-là. B.
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 12e année, 1807, tome I, p. 480 :
[Un grand succès comme le Pied de Mouton occupe bien peu de place dans le Magasin encyclopédique, mais c’est une pièce « à recette » (source d’argent ?) pour un spectacle « du second ordre ». Et le critique passe à une autre pièce à recette sur un autre théâtre.]
Les spectacles du second ordre ont aussi dans ce moment leurs pièces à recette. On a couru au Pied de Mouton ; on va maintenant à la Cité, voir la Famille des Innocens. Cette pièce gaie, sans être triviale, console les exilés du Théâtre Montansier, et prouve que la foule va partout où l’on trouve le secret de l’amuser. Elle est de MM. Chazet et Sewrin.
Geoffroy, Cours de littérature dramatique, seconde édition, tome sixième (Paris, 1825), p. 69-70 :
[On pourrait s’attendre à beaucoup de sévérité de la part d’un critique aussi terrible que Geofffroy. Mais dans ce compte rendu de 1810 à l'occasion d'une reprise de la pièce, il se montre plutôt indulgent : après tout, il ne s’agit pour le critique que d’un mélodrame, et il correspond bien à l’attente du public, à défaut de satisfaire le critique.]
LE PIED DE MOUTON.
La singularité du titre pique d'abord la curiosité ; et la curiosité se soutient sans le secours du titre, quand on voit la pièce. C'est une féerie remarquable par la variété et le merveilleux des incidens, la rapidité des changemens, l'éclat et la multitude des décorations, et la précision avec laquelle on fait jouer tant de machines.
Don Gusman, amoureux comme un Espagnol, s'était introduit, en qualité de secrétaire, chez le tuteur de sa maîtresse Léonore ; il est découvert et chassé. Prêt à se brûler le peu de cervelle qui lui reste, il est arrêté par un charitable magicien, qui, touché de ses tourmens, immole un mouton, en retire le pied, et le met entre les mains de l'amant désespéré, comme un talisman infaillible qui doit le conduire au bonheur. Pendant le sacrifice, la lune souille d'une teinte de sang son disque argenté.
Armé de son pied de mouton, le galant don Gusman se rit de toutes les précautions d'un jaloux; se moque des verroux, des grilles, des duègnes : rien ne l'arrête, toute la nature est à son service ; il échappe à tous les dangers où son amoureuse témérité le précipite ; ce qui produit une foule d'incidens, tous plus extraordinaires les uns que les autres, et dont l'analyse serait ici très-maladroite : il faut laisser au spectateur le plaisir de la surprise. Mais, hélas !
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire, adieu prudence !
Le magicien avait recommandé à l'amant de la discrétion ; mais Léonore lui a demandé son secret. Comment cacher quelque chose à ce qu'on aime ? Gusman découvre à Léonore le grand mystère du pied de mouton, et dès ce moment le pied de mouton perd sa vertu. Gusman et sa maîtresse sont exposés aux plus grands malheurs : ils ont contre eux un sorcier ; mais le magicien au pied de mouton finit par remporter la victoire : les amans sont unis. Ce mélodrame est amusant et comique d'un bout à l'autre : les tyrans qu'on y voit sont des tyrans pour rire ; rien n'y inspire la terreur et la pitié ; tout y excite la gaîté. Cette prodigieuse variété de machines et de décorations suppose de grands frais ; mais Ribié a placé ses fonds sur la curiosité publique, qui rarement fait banqueroute. (6 octobre 1810.)
Antoine de Baecque, « Alphonse Martainville et la bataille thermidorienne des théâtre s», dans Études théâtrales 2014/1 (N° 59) souligne le succès de la pièce, dans une période féconde en féeries-comiques :
Grâce au « vaudeville féérique et moderne » Le Pied de mouton, qui remporte un immense succès au Théâtre de la Gaîté de Paris, le 6 décembre 1806, Martainville entre dans l’histoire du théâtre français. La pièce, en partie chantée, pleine de « trucs exhilarants », cent fois reprise, mille fois adaptée, pillée et rafistolée au goût du jour, conte les aventures tumultueuses de deux personnages rivaux, Gusman et Nigaudinos. Une réplique du héros deviendra une référence culturelle partagée, revenant dans les bouches comme une litanie célèbre, durant tout le XIXe siècle : « Gusman ne connaît pas l’obstacle ! ».
Ajouter un commentaire