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Défiance et Malice, ou le Prêté rendu

Défiance et Malice, ou le Prêté rendu, comédie en un acte, en vers ; par le C. Dieu-la-Foy. 17 fructidor an 9 (4 septembre 1801).

Théâtre Français de la République

Titre :

Défiance et malice, ou le Prêté rendu

Genre :

comédie

Nombre d'actes :

1

Vers / prose ?

en vers

Musique :

non

Date de création :

17 fructidor an 9 (4 septembre 1801)

Théâtre :

Théâtre Français de la République

Auteur(s) des paroles :

Dieulafoi

Almanach des Muses 1803

Blinval veut éprouver Céphise, sa cousine, jeune veuve qu'il doit épouser ; et, pour n'être point reconnu d'elle, prend les habits de son vieux intendant. Céphise, prévenue, prend ceux de sa vieille gouvernante, alarme son cousin par des contes malins, s'amuse de sa jalousie, et finit par récompenser son amour.

De la finesse et de la gaieté, un style spirituel, mais quelquefois recherché, du comique, mais peu de vraisemblance ; du succès.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Barba, an X – 1801 :

Défiance et Malice, ou le prêté rendu, comédie en un acte et en vers, Représentée, pour la première fois, sur le théâtre Français de la République, le 17 Fructidor an IX. Par Michel Dieulafoy.

Courrier des spectacles, n° 1650 du 18 fructidor an 9 [5 septembre 1801], p. 2 :

[La pièce est à deux personnages, en un acte, et le critique tient à dire que ce n’est pas une raison pour la juger de façon négative : elle a bien des qualités, esprit, gaîté, grâce de l’écriture, qui dépassent quelques défauts secondaires (longueur, minutie excessives dans une scène). La pièce repose sur un double travestissement, et les deux personnages passent la pièce à changer de rôle dans un jeu de séduction qui s’achève par le mariage attendu. Les deux acteurs sont jugés favorablement et ont été applaudis. L’auteur a été nommé : la pièce est un succès.]

Théâtre Français de la République.

Défiance et Malice : le titre promet. La pièce n’a que deux acteurs, un homme et une femme : on devine tout de suite la distribution des rôles. A l’égard de la manière dont ils sont traités et de la situation des personnages, qu’on s’imagine beaucoup d’esprit répandu dans des scènes très-joliment filées, pleines de gaité et écrites avec grâce. Un peu de longueur dans la description des folies parisiennes, de la minutie dans les tableaux, déparent l’une de ces scènes ; mais ces taches ôtées il n’en restera plus de fortes dans la jolie comédie en un acte du citoyen Dieu-la-Foi, donnée hier avec le plus grand succès Quelques personnes disoient : Ce n’est point là une bonne comédie. Eh ! Messieurs, quelle est la petite pièce en un acte qui mérite cette épithète ? Vous en donne-t-on même de grandes auxquelles vous croyez devoir l’accorder ? Du moins ne disconviendrez-vous pas que celle-ci ne soit très-jolie et fort amusante.

Blainval est un philosophe amoureux et de plus jaloux, par suite très-défiant. Il veut épier la conduite de Céphise, sa cousine, qu’il est sur le point d'épouser. C’est à ce dessein que, déguisé sous les habits d’un vieillard qu’il fait passer pour Dubois, son intendant, il se rend à la maison de campagne de Céphise. Elle a été prévenue par son oncle, et non moins malicieuse que Blainval est méfiant, elle se promet de le bien jouer.

Le prétendu Dubois paroît ; il annonce l’arrivée de son maître, retardée par un accident survenu à sa voiture. Après les premières marques d’intérêt qu’excite une légère blessure qu’on dit qu’il s’est faite, Céphise annonce qu'elle ne peut l’attendre ; une partie de plaisir l’entraine hors de sa maison ; mais elle va envoyer sa femme-de-chambre pour mettre tout en état de le recevoir. Blainval-Dubois se plaint du peu d’égards qu’on lui témoigne. Entre la femme-de-chambre, qui n'est autre que Céphise déguisée en vieille. Son babil lui donne occasion d'exciter la jalousie de Blainval. Elle lui apprend en confidence que sa maitresse attend un amant. Pour gagner sa confiance le faux Dubois feint d’accueillir ses carresses : enfin il dit avoir vu passer son maître, profite de cette occasion pour sortir et revient bientôt sous ses véritables habits. La jeune vieille ajoute aux rapports qu’il dit lui avoir été faits par Dubois ; elle lui nomme Dolban pour son rival. Sa jalousie est au comble. Resté seul il forme le projet de tuer Dolban ; il est dans ces dispositions lorsque Céphise reparoit dans ses habits. Elle lui fait les plus vives protestations de sentîmens. On sent ce qu’il en peut croire. Une voiture passe : ce sont, dit-elle, cinq ou six amis du nombre desquels est Dolban, mais elle va les congédier pour rester avec lui. La femme-de-chambre revient. Les six amis suivant son rapport ne sont qu’un. Dolban est seul venu, il est dans le moment même avec madame. Blainval veut les voir, mais on ne consent à les montrer qu'à Dubois. Il court en mettre la redingotte, et la rusée vieille profitant de l’obscu ritéprend sa voix de maîtresse, parle à l’écart de son mariage avec Dolban, en présente le contrat au soi-disant Dubois. Il passe le signer dans une pièce voisine. A son retour la vieille se fait voir et se déclare son épouse. Il est furieux d’avoir signé son union avec une femme de 70 ans, quitte son déguisement et se fait reconnoître pour Blainval, Une paire de longues manches de moins, une jupe mise de côté et un vieux bonnet jetté par terre laissent bientôt voir Céphise-Mézerai dans tous ses charmes. Le reste se devine.

En voyant St-Fal paroître sous la rédingotte de Dubois on s’est rappelle la perfection avec laquelle il jouoit le Vieux Cousin. Ce dernier rôle a dû faire penser au Commis de Médiocre et Rampant. On est tout étonné de revoir dans le même homme celui qui joue si bien Hypolite, Enée, et l’on s’accorde à convenir qu’il faut beaucoup de talent et d’amour de son art pour remplir successivement des emplois si différens.

Mademoiselle Mézerai, qui a parfaitement joué ses deux rôles, a été appellée après la pièce. St Fal, qui étoit venu nommer l’auteur, l’a amenée et a partagé les applaudissemens du public.

Geoffroy, Cours de littérature dramatique, volume 4, p. 263-267 :

[Comme d’habitude, Geoffroy fait du Geoffroy : il juge de haut la pièce (mais il ne lui est pas défavorable, pour une fois), il ne craint pas les généralités (sur les femmes en particulier : il passerait pour un bon misogyne, de nos jours). Il en montre à la fois le caractère convenu de la pièce (« rien de plus commun au théâtre que les déguisement, les épreuves, les surprises) et l’originalité (c’est la première pièce où l’amant déguisé est trompé par son amante qui le sait déguisé, et se présente à lui à son insu sous une apparence trompeuse). Le résumé de l’intrigue est fait de façon précise, avec des interventions du critique qui commentent le déroulement de la représentation (ce que le public n’a pas aimé : la lettre du début, le trop long discours de Céphise). Il donne aussi son avis sur une intrigue qui ne brille pas par la vraisemblance (« Il faut de la complaisance et de la foi pour digérer cette supposition »). Le jugement porté sur la pièce se limite au style du dialogue, plutôt apprécié, avec quelques réticences (dont une assez forte : « on y trouve beaucoup trop de ce babil précieux et métaphysique qui n'est point et ne doit pas être le langage de la comédie ».]

M. Dieu-la-Foi

Défiance et malice, ou le Prêté rendu.

Défiance et Malice ! ce titre est joli comme la pièce ; cependant il rappelle de tristes souvenirs : Amitié et Imprudence, l'Amour et l'Intrigue, l'Amour et l'Intérêt, etc., etc., n'ont pu conjurer avec leur titre la rigueur de leur étoile. Un titre influe davantage sur le sort d'un livre que sur celui d'une comédie : souvent on achète, sur le titre, un livre qu'on ne lit point ; mais avant d'applaudir une comédie, on veut l'entendre.

Rien de plus commun au théâtre que les déguisement, les épreuves, les surprises ; l'auteur a su rajeunir ce vieux comique. Nous avons beaucoup de pièces où un amant inconnu éprouve sa maîtresse ; nous n'en avons point où la maîtresse berne l'amant qui a l'impertinence de l'éprouver. Ce triomphe de la malice des femmes sur la défiance des hommes, est très-flatteur pour tout le sexe ; il en peut même résulter un effet moral fort avantageux pour le repos de la société : c'est une extrême confiance, une sécurité parfaite dans le commerce. Que gagne-t-on à épier les femmes ? Â quoi sert d'y regarder de si près, quand on ne peut rien voir ? Le mieux est de les prendre telles qu'elles se montrent ; c'est à coup sûr leur plus beau côté. Je ne trouve rien de si insipide, de si oiseux, que toutes ces subtilités sur le caractère des femmes ; ce n'est qu'un bavardage inutile : les femmes sont ce que les hommes et les circonstances les font. Ce que nous attribuons à leur raisonnement est dans leur instinct : quand nous voulons les définir, nous ressemblons aux enfans qui courent après des papillons. Pourquoi chercher à les connaître ? elles ne se connaissent pas elles-mêmes. Ces gobe-mouches métaphysiciens, qui prétendent sonder tous les replis du cœur des femmes, sont encore plus niais que les gobe-mouches politiques, qui se piquent d'avoir la clef des cabinets.

Je regarde les Jeux de l'amour et du hasard de Marivaux comme le chef-d'œuvre de ce genre de comédies où l'on voit un amant, avant d'entrer dans le temple de l'Hymen, qui vient reconnaître la place à la faveur de quelque déguisement. Mais il faut observer que ces amans ne se sont jamais vus, au lieu que, dans la pièce nouvelle, Blinval et Céphise se connaissent : or, comment Blinval, qu'on nous donne pour philosophe, est-il assez fou pour s'imaginer qu'une perruque de vieillard, un grand chapeau, une redingote à boutons d'or, le rendront méconnaissable aux yeux de sa maîtresse ? Comment ne reconnaît-il pas lui-même Céphise, malgré ses lunettes et son accoutrement de vieille ? L'œil de l'amant n'est-il pas aussi clairvoyant que l'œil du maître ? Il faut de la complaisance et de la foi pour digérer cette supposition.

Céphise est avertie, par une lettre de son oncle, du piége que Blinval lui prépare : c'est la première scène, et cette scène est partout ; c'est encore une invraisemblance ; car le philosophe Blinval n'a dû confier un pareil dessein à personne. La lettre est fort longue, coupée par des réflexions de Céphise, et l'actrice l'a lue d'un ton de voix trop faible : le public, qui n'entendait point, s'impatientait ; on a crié : L'impression de la lettre ! C'était un mauvais début, qui n'a cependant point eu de suite fâcheuse. Céphise, piquée au vif de la défiance de Blinval, convoque pour sa vengeance toutes les ruses de son sexe : l'amant paraît déguisé en vieillard, sous le nom de Dubois, son intendant ; elle fait semblant de ne pas le reconnaître, écoute assez froidement le récit qu'il lui fait d'un accident arrivé à son maître, dont la voiture a versé en route ; elle affecte de l'embarras, prétexte des affaires, une fête, un voyage ; elle le quitte en lui promettant de lui envoyer sa gouvernante.

Un instant après elle revient en vieille ; nous avons tous reconnu mademoiselle Mézerai, et Blinval ne reconnaît pas Céphise. La fausse vieille l'assassine par des confidences cruelles ; elle en dit plus qu'il n'en veut savoir ; elle en fait aussi plus qu'il n'en demande, car elle lui fait les yeux doux. Lorsqu'il entend ces mots :

Nous attendons ce soir, et très-secrètement,

il s'écrie avec transport :

Un amant ?

et la vieille répond en souriant :

Eh ! monsieur, ce qu'une femme attend.

Le feint Dubois, déchiré par la jalousie, n'en veut pas entendre davantage ; il s'escamote, reparaît bientôt sous les traits de Blinval, et presse la vieille de lui amener Céphise ; la vieille se retire à son tour, et revient dans son naturel : ces changemens de forme multiplient les personnages. La pièce n'a que deux acteurs ; ces métamorphoses en font paraître quatre. Dans cette scène où les amans sont vis-à-vis l'un de l'autre, sans déguisement; d'un côté, le dépit concentré, l'ironie amère de Blinval ; de l'autre, l'enjouement, les saillies, la légèreté de Céphise, forment un contraste piquant ; mais l'auteur a oublié qu'il composait une comédie ; il a mis dans la bouche de Céphise un petit poëme descriptif sur la frivolité et l'ennui des fêtes du jour : cette épître éternelle a lassé la patience du public, et j'ai vu le moment où la fête allait devenir fort triste pour l'auteur ; mais, grâce au ciel, la description est enfin arrivée sans encombre jusqu'à la fin ; chacun a respiré bien haut, et quelques plaisans ont crié bis. Voilà la seule mésaventure considérable que cette nouveauté ait essuyée.

Céphise quitte Blinval, sous prétexte de congédier une compagnie qui lui survient, et la funeste vieille revient encore enfoncer dans son cœur le poignard de la jalousie ; cette fois la chose est sérieuse : un jeune fat, nommé Dolban, est avec Céphise, tête à tête ; le contrat est prêt, et on va venir le signer à l'entrée de la nuit ; Blinval peut en être témoin. La vieille le laisse au désespoir, et se remontre un instant après sans lunettes, et ne déguisant plus sa voix. Blinval ne voit pas son habillement dans l'obscurité, mais il reconnaît l'accent de Céphise, qui s'avance vers lui en disant : Est-ce vous, Dolban ? il répond : Oui, c'est moi. On lui donne alors le contrat de mariage à signer, et pour cela il passe dans une autre pièce qui est éclairée ; mais, après avoir signé, revenant avec la lumière, il est fort surpris de trouver la vieille, qui lui déclare qu'il vient de se marier avec elle. L'humeur de Blinval et la joie de la vieille sont très-plaisantes. Lorsqu'il se plaint de la ruse, elle lui répond :

On profite de tout, monsieur, à soixante ans.

Enfin, pour lui faire voir qu'elle n'est pas encore si déchirée, elle ôte ses gants, ses manchettes à six rangs de dentelles, sa grande robe, sa perruque à cheveux gris, son bonnet de dévote. Blinval reconnaît Céphise ; il reconnaît aussi qu'il est un sot.

Le dialogue de cette pièce étincelle d'épigrammes : ce n'est qu'une conversation, mais c'est un feu d'artifice : on y remarque cependant quelques plaisanteries froides, quelques traits d'un mauvais ton, tels que celui-ci :

Mais le diable endoctrine aussi certaines âmes ;
Et, pour un seul Sénèque, il est cent mille femmes ;

des pensées exprimées avec quelque recherche :

Les femmes ! Eh ! qui donc leur déplaît, aujourd'hui ?
Le monde confond tout, l'amour fait comme lui ;

enfin, on y trouve beaucoup trop de ce babil précieux et métaphysique qui n'est point et ne doit pas être le langage de la comédie. (19 fructidor an 9.)

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 7e année (1801), volume 3, p. 128-129 :

[Le succès de la pièce est d’abord attribué à la qualité des interprètes, auxquels l’auteur doit beaucoup. L’intrigue résumée ensuite est fondée sur un double déguisement, les amants tentant d’éprouver l’autre en se vêtant en vieillards. La pièce a réussi par « des détails charmans et beaucoup de .gaieté », mais le critique ajoute qu’on ne peut pas en « approuver le genre » (on aimerait en savoir plus). Une suggestion souvent rencontrée : supprimer quelques longueurs...

Théatre Français de la République.

Défiance et Malice.

Le premier mérite de cette petite comédie représentée le 17 fructidor, est d'être jouée par le C. Saint-Phal et M.lle Mézerai, auxquels elle fournit les moyens de développer leurs talens. Aussi le succès le plus complet a-t-il rempli les espérances de l'auteur.

Blainval, jaloux et défiant, veut éprouver sa cousine Céphise avant de l'épouser. Il se rend donc à sa campagne, et sous les habits d'un vieux valet-de-chambre, interroge Céphise, qui, prévenue par son oncle, ne manque pas de bien intriguer son cousin. Elle vient elle-même, en vieille femme-de-chambre, et lui nomme un prétendu rival qui le désole. Cependant, il fait un effort sur lui-même et en signe le contrat de mariage. La vieille lui fait voir que ce contrat est le sien avec elle-même. Il est outré d'avoir épousé, par ruse, une femme de 70 ans ; il se découvre : alors elle en fait autant, et les amans s'unissent. Des détails charmans et beaucoup de .gaieté ont fait réussir cet ouvrage, quoiqu'on n'en puisse pas approuver le genre : en supprimant quelques longueurs, on ajouterait encore à son intérêt. L'auteur est le C. Dieu-la-Foi.

L’Esprit des journaux français et étrangers, trentième année, brumaire an X [novembre 1801], p. 221-225 :

[Le compte rendu commence par une mise en cause de la principale innovation de la pièce nouvelle, celle de la forme : elle est une pièce à deux personnages. Cette innovation (toute relative, d’ailleurs) permettrait à l’auteur de « se dispenser d'établir une action raisonnable, de créer des incidens fortement comiques, & de nouer une intrigue avec vraisemblance ». Plus de risque que « l'action pèche par l'ensemble », et le choix d’acteurs populaires permet d’espérer un succès presque assuré. Autre « innovation », celle de faire une sorte de vaudeville sans couplets ni musique, destiné au Théâtre Français (où en effet on ne chante pas. Le sujet n’est pas neuf, et paraît reprendre le fonds de toutes les pièces de Marivaux, entre autres. Pour le rajeunir, l’auteur a dû recourir à maintes invraisemblances que le résumé de l’intrigue fait apparaître, en précisant in fine que le dénouement, vraiment charmant, « fait oublier toutes les invraisemblances ». Le dernier paragraphe est consacré au style de la pièce, qui « ressemble un peu trop à des couplets », ce qui n’est pas « le style de la bonne comédie ». La pièce est pleine d’esprit, mais il faudrait faire disparaître « quelques taches de mauvais goût ».]

THÉATRE DE LA RÉPUBLIQUE.

Défiance & Malice, ou le Prêté Rendu, en un acte, en vers.

Quand on voudra se dispenser d'établir une action raisonnable, de créer des incidens fortement comiques, & de nouer une intrigue avec vraisemblance, il suffira désormais d'innover sur les formes dramatiques & de faire ce qu'on appelle, je ne sais pourquoi, des tours de force, c'est à dire, des pièces à un ou à deux acteurs : je les appelerois bien plutôt des indices de foiblesse. Alors tout ce qui paroîtra peu naturel sera la faute du cadre & portera son excuse dans l'extrême difficulté que l'auteur avoit à vaincre ; le goût du public, toujours flatté de l'innovation, pardonnera tout en faveur des détails spirituels. Il sera tout simple que le dialogue ne soit qu'une conversation ; on ne risquera point que l'action pèche par l'ensemble, & on fondera plus aisément son succès sur le jeu d'un acteur aimé & sur la jolie figure d'une actrice en crédit.

C'est sans doute ce qu'avoit calculé le C. Dieu-la-Foi, qui paroît du moins connoître très bien le goût de son siècle, & qui s'est apperçu que le vaudeville parlé devoit réussir à présent au Théâtre-Français. Sa jolie petite bluette n'est en effet qu'un vaudeville non-chanté, mais étincellant d'épigrammes & de saillies.

Le sujet n'étoit pas neuf : un amant veut éprouver sa maîtresse, il se déguise & passe pour son intendant ; Céphise, qui est instruite, se déguise aussi ; sous le travestissement d'une vieille gouvernante, elle s'amuse quelque temps à tourmenter son jaloux, & lui prouve enfin que la malice peut rendre toute défiance inutile. Il sembleroit que l'apperçu moral de la pièce, s'il en est un, conduiroit à un résultat tout contraire : plus les femmes sont habiles dans l'art de nous jouer, plus la défiance auroit droit de s'armer contre leur malice.

Ce fonds est, comme on le voit, celui de presque toutes les pièces de Marivaux, & de
bien d'autres encore ; on ne pouvoit guères le rajeunir qu'en rejetant hors du tableau tout ce qui pouvoit nuire aux scènes principales, & en donnant à celles-ci tout le sel dont elles étoient susceptibles. A cet égard le travail & l'esprit de l'auteur méritent tout le succès qu'ils ont obtenu : mais à combien d'invraisemblances l'a exposé le choix de son sujet & la contrainte de ne faire paroître que deux acteurs !

Blainville s'est déguisé pour tendre un piége à Céphise, & Céphise en est avertie ; à qui donc l'indiscret Blainville avoit-il confié son projet ? On n'en sait rien. Il paroît sous le costume d'un vieil intendant, & il croit que ce travesfissement suffira pour le déguiser aux yeux de Céphise, qui l'a vu fort souvent ! Céphise, à son tour, après l'avoir reçu froidement, reparoit assez vite en vieille gouvernante, & Blainville, en plein jour, ne la reconnoît pas ! ! La vieille lui fait sur le compte de son amante des confidences désespérantes & lui dit des cajoleries qu'il croit adressées à Dubois.

Ce faux Dubois s'esquive, mais pour reparoître en Blainville. son projet est désabuser Céphise, & de la punir en rompant avec elle. La vieille, dans l'intervalle, a repris ses atours de jeune veuve , & oppose aux fougueux transports de jalousie, aux dédains de son amant irrité, toute la grace spirituelle, tout l'abandon coquet qui le remettent sous le charme. Mais cette jalousie est-elle bien raisonnable de la part de Blainville ? Est-elle assez motivée sur les confidences plus que bizarres de celle qu'il a dû prendre pour une vieille fille ? A peine Blainville est-il remis sous le joug, que la gouvernante revient encore l'assurer qu'on est avec un amant, tête à tête, & qu'on doit s'épouser. Mais ici l'invraisemblance devient presque intolérable. Blainville a la complaisance de rester dans l'ombre de la chambre la plus noire, & de croire que Céphise y a donné rendez vous à son amant pour y signer le contrat, lui qui, disoit on, tout à l'heure, étoit tête à tête avec Céphise ! En effet, Céphise toujours en vieille, mais sans lunettes & sans déguiser sa voix, appelle Dolban. Blainville trouve très plaisant de signer le contrat à la place de son rival, & va pour cet effet dans une chambre éclairée ;mais étoit-ce là le rôle d'un amant jaloux & piqué ? ll revient avec de la lumière & a signé le contrat sans le lire ! ! ! ! Voici qui passe toutes bornes. Il est fort surpris de ne trouver que la vieille, qui lui déclare qu'ils sont mariés ensemble. Cette scène est une des plus jolies de la pièce, & par le comique de la situation, & par l'esprit dont elle est semée, & par le dénouement qu'elle amène. Blainville en colère se plaint de la ruse abominable ; mais s'appaise en voyant · tomber successivement toutes les pièces du costume de vieille, qui, en moins d'un instant, redevient la jeune, belle & intéressante Céphise ; & l'on conçoit que Mlle. Mézerai, déjà très-jolie en vieille dévote, redevenant Mlle. Mézerai, parée de toutes ses graces naturelles, doit produire sur Blainville l'effet qu'elle produit sur les spectateurs. Ce dénouement a désarmé tous les censeurs, & fait oublier toutes les invraisemblances.

Le style de l'ouvrage ressemble un peu trop à des couplets ; il est à peu près dans le genre de Boissi, & ce n'est pas là le style de la bonne comédie. Mais le cadre de l'auteur n'en comportoit guères un autre, & il est étincelant d'esprit. Quelques taches de mauvais goût sont aisées à faire disparoître.

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