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La Jolie fille de Mariembourg

La Jolie fille de Mariembourg, comédie en trois actes. 13 vendémiaire an 12 [6 octobre 1803].

Théâtre du Vaudeville

Almanach des Muses 1805

Courrier des spectacles, n° 2406 du 14 vendémiaire an 12 [7 octobre 1803], p. 2 :

[L’an 12 commence aussi mal que l’an 11, où les échecs ont été nombreux : même accueil désagréable pour les pièces nouvelles des divers théâtres. On attendait beaucoup de la nouvelle pièce du Vaudeville en raison de la présence de madame Belmont, si brillante dans Fanchon la Vielleuse, Hélas, le critique est bien obligé de constater la faiblesse de la nouvelle pièce, qui reprend un fait historique déjà mis au théâtre : premier acte nul, actes suivants mal construits, et coupés de couplets « bien tournés, mais peu saillans », si bien que le public a montré son mécontentement. Après avoir résumé l’intrigue, qui raconte la manière dont Pierre-le-Grand a épousé Catherine, la jolie fille de Mariembourg, le critique affirme que la pièce ne fait que reprendre Laurette, pièce tirée d’un conte de Marmontel. Il ne trouve pas grand chose à sauver de la première représentation : caractère de Pierre-le-Grand « mal tracé », et pas très bien joué ; ridicule du costume de père de Catherine ; rôles féminins nuls, malgré le jeu remarquable des actrices  un seul rôle « passable », celui que joue madame Belmont, qui a permis que la pièce aille à son terme.]

Théâtre du Vaudeville.

Première représentation de la Jolie Fille de Mariembourg.

Les auteurs se plaignoient l’année dernière de ce que le public étoit trop exigeant et trop difficile à contenter, cette année s'annonce sous des auspices aussi désagréables. L’horison dramatique est chargé de nuages, et chacun des douze premiers jours qui viennent de s’écouler a presque été témoin d’un orage. A l'Opéra Anacréon, à Louvois la Petite Guerre, à la Porte St-Martin les Charbonniers de la Forêt Noire, à Montansier Jean-Bart, au Marais Dix ans de constance, etc., ont été des étrennes mal présentées et mal reçues.

Le Vaudeville préparoit aussi les siennes, et l’annonce seule du cadeau étoit un heureux présage de l’accueil qu’il devait recevoir. Offrir à des Français la Jolie fille de Mariembourg, et l’offrir sous les traits de mad. Belmont, c’étoit se faire d’avance autant de partisans que de spectateurs : d’avance on appliquoit à cette charmante actrice toutes les allusions que l’on s’attendoit à trouver dans la piece, d’avance on se préparoit à voir Fanchon la Vieilleuse [sic] devenir, par une aimable métamorphose, la jolie fille de Mariembourg.

L’actrice n’a point trompé ces espérances, mais les auteurs sont loin d’y avoir répondu. Ils ont choisi pour sujet de leur piece un fait historique déjà traité avec succès à l’Opéra-Comique , sous le titre de Pierre-le-Grand. Leur premier acte est nul et n’auroit qu’une seule scene sans l’anecdote tant bien que mal amenée de; la petite chienne qui porte un placet à l’Empereur. Les deux autres ne sont qu’un tissu de scènes oiseuses sans but et sans couleur, et quelques couplets bien tournés, mais peu saillans, viennent bien rarement en couper la monotonie. Il n’y avait que six acteurs annoncés sur l’affiche. On n’espéroit pas sans doute que le public voudroit aussi avoir les siens : l’un bâilloit, l’autre siffloit, un troisième rioit, et quand on rit de cette maniéré adieu la piece, elle est condamnée sans appel. Faisons connoître le fonds de cet ouvrage. Le héros est Pierre-le Grand ; l’héroïne est la célebre Catherine, enlevée par les Russes après la prise de Mariembourg sa patrie, en Livonie, elle a trouve un asyle à Pétersbourg auprès d’une parente du Czar. Celui-ci n’a pu voir sa prisonniere sans l’aimer, et les conseils de cette jolie fille ont déjà adouci son caractere naturellement emporté. Le pere et le frere de Catherine la cherchent partout. Le jeune homme, sa guitare à la main, rencontre l’Empereur, à qui il fait part sans le connoître du projet qu’il a de rendre Catherine à ceux qu’elle aime. Le czar est jaloux, mais bientôt il reconnoit son erreur en voyant Catherine nommer et embrasser son frere. Elle-même se rend à l’hôtellerie, où son pere, ministre protestant, est descendu. Celui-ci, en apprenant la faveur dont sa fille jouit auprès du czar, la croit infidèle aux lois de l’honneur,et lui déclare qu’il veut l’arracher de ce lieu où sa vertu n’est pas en sûreté. Un vaisseau l’attend au port ; il entraîne Catherine et part.

Le Czar envoie sur les traces de la belle fugitive que l’on ramène avec son père ; et en présence de la cour il la nomme son épouse et souveraine de toutes les Russies. Nous croyons dumoins que tel est le dénouement qui n’a été joué qu’au bruit des improbations les moins équivoques.

Cette fable offre absolument la même contexture que celle de Laurette, ce conte si intéressant de Marmontel qui a été mis en scène. Ce sont les mêmes scènes, les mêmes moyens, le même dénouement. Le caractère du Czar est mal tracé, et il a été foiblement rendu par M. Vertpré, qui d’ailleurs a établi sa réputation de comédien rempli d’intelligence dans tous les rôles qu’il a joués jusqu’ici. Le père de Catherine étoit représenté par Lenoble, dont le costume , quoique fidèle , a plusieurs fois égayé le parterre. Les rôles de princesse et de f.rère de Catherine ont été soignés par mesdames Dorsan et Delille, dont le jeu n’a pu en sauver la nullité. En un mot le seul rôle passable étoit celui de Catherine, et Mad. Belmont, en le remplissant, a du moins ménagé aux auteurs la foible consolation de voir leur piece arriver à la fin.

F. J. B. P. G***.

Le Spectateur français au XIXme siècle: ou Variétés morales et littéraires, Volume 12 (1812), p. 56-59 :

[A l’occasion de la mise au théâtre d’un vaudeville (prétexte assez mince), l’auteur raconte comment Pierre-le-Grand a épousé une humble (?) jeune femme estonienne. C’est l’occasion de peindre un beau couple impérial, mais aussi de contester la vision que Voltaire a de l’influence de la naissance sur le caractère.]

Sur Pierre-le-Grand, à l'occasion d'un vaudeville intitulé : La jolie fille de Mariembourg.

PIERRE-LE-GRAND est très-déplacé à côté de Pierrot et d'Arlequin, et son mariage avec Catherine est un sujet ingrat, rebelle à la gaieté et aux couplets. Qu'on mette sur ce théâtre des poètes et des gens de lettres, à la bonne heure ; mais la majesté des empereurs ne s'accommode pas d'une pareille scène : l'action d'un grand prince qui épouse une servante inconnue, est un de ces traits dont le merveilleux n'est point dramatique. Des historiens frivoles et superficiels ont vanté une alliance aussi bizarre, comme un effort sublime de cette philosophie qui, sans égard pour la naissance, ne regarde que le mérite : le sage y voit l'effet du caprice d'un despote qui méprise toute bienséance, et dont la volonté asservit l'opinion publique : le despote trouve toujours son esclave assez noble quand il a eu l'honneur de lui plaire : c'est une chose très-remarquable, que le préjugé de la noblesse ait toujours été en vigueur dans les démocraties anciennes et modernes, tandis qu'il est nul sous le despotisme.

Il est bien certain, dit Voltaire, que la naissance ne met pas plus de différence entre les hommes, qu'entre un ânon dont le père portoit du fumier, et un ânon dont le père portoit des reliques. C'est un sophisme grossier, exprimé en style plus grossier encore. Il est bien certain que si Alexandre étoit né d'un esclave de quelque marchand de Pella, il eût été fort différent de l'Alexandre fils de Philippe : son naturel se seroit corrompu dans la bassesse et dans l'opprobre. Une naissance distinguée favorise le développement d'un noble caractère ; une naissance vile peut l'étouffer dans son germe. C'est un fait attesté par l'histoire, que les peuples qui ont eu le plus de mœurs, de simplicité et de vertus, sont ceux qui ont le plus estimé l'avantage de la naissance : les patriciens romains et les barons suisses estimoient leur noblesse beaucoup plus que l'or. « L'éducation, dit Voltaire, fait la grande différence ; les talens la font prodigieuse, la fortune encore plus » . Je n'entends pas comment la fortune met plus de différence entre les hommes, que la naissance et les talens : la différence produite par les talens n'est prodigieuse, qu'en raison de la nature, de ces talens, et de l'opinion qu'on s'en forme ; c'est, de toutes les différences, la moins apparente et la moins sentie de tout le monde, parce que les gens à talent ne sont pas toujours estimables, et souvent même sont méprisables sous un autre rapport que celui de leur talent. La distinction la plus véritable et la plus essentielle entre les hommes, est celle qui est fondée sur la vertu ; l'inégalité la moins favorable aux mœurs, est celle qui n'a d'autre base que les richesses.

Les politiques vulgaires ont pensé que le czar, frappé des vertus éminentes qu'il découvroit dans Catherine, la jugea digne du rang d'impératrice : il paroît que sa vertu la plus estimable aux yeux de Pierre, étoit le secret qu'elle avoit trouvé de calmer les convulsions violentes et douloureuses auxquelles il étoit sujet. J.-J. Rousseau épousa Thérèse Levasseur, parce qu'elle avoit le secret de faire de bonne soupe ; Pierre-le-Grand épousa Catherine, parce qu'elle faisoit auprès de lui les fonctions de médecin.

Cette fille, qui ne savoit ni lire ni écrire, avoit du caractère, et savoit manier adroitement l'humeur intraitable du czar ; elle étoit son médecin au moral comme au physique. Sa prudence et sa fermeté contribuèrent beaucoup au salut de l'armée, après le combat du Pruth : enfin elle eut ce talent de se rendre nécessaire, sans lequel on ne réussit point auprès des grands. Née dans un village d'Estonie, élevée comme orpheline à Mariembourg, chez un ministre luthérien nommé Gluk, elle épousa un soldat . Quelques jours après son mariage, enlevée par les russes, elle fut long-temps servante chez les généraux Bauer et Czeremetoff ; de là, elle entra au service de Menzikoff, de garçon pâtissier devenu prince. C'est après avoir passé par tant de mains qu'elle arriva dans celles du czar : elle se maria avec lui, sans être bien sûre d'être veuve du soldat son premier époux : le czar, de son côté, avoit encore sa femme Eudoxie Théodore, qu'il avoit fait enfermer parce qu'elle étoit trop dévote, et qui étoit alors religieuse à Lusdal .

Rarement les mariages disproportionnés réussissent : celui de Pierre et de Catherine fut heureux ; et c'est la plus grande preuve du mérite de Catherine . Le plus emporté de tous les hommes ne se mit qu'une fois en colère contre elle, à l'occasion d'une grâce qu'elle lui demandoit. Dans son premier mouvement, il cassa une glace de Venise, en disant à sa femme : « Vous voyez qu'il ne me faut qu'un instant pour faire rentrer cette glace dans la poussière d'où elle est sortie ! » Cette petite querelle de ménage a suffi pour qu'on ait accusé Catherine d'avoir accéléré la mort du czar, pour régner à sa place ; mais une pareille accusation auroit besoin de preuves plus solides .     G.

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