Lisbeth

Lisbeth, opéra en trois actes et en prose, mêlé d'ariettes, de Favières, musique de Grétry. 21 nivôse an 5 [10 janvier 1797].

Théâtre de la rue Favart, ci-devant Théâtre italien

Titre :

Lisbeth

Genre

opéra mêlé d’ariettes

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

ariettes

Date de création :

21 nivôse an 5 [10 janvier 1797]

Théâtre :

Théâtre de la rue Favart, ci-devant Théâtre italien

Auteur(s) des paroles :

Favières

Compositeur(s) :

Grétry

Almanach des Muses 1798.

Pièce qui a eu du succès. C'est le sujet de la Nouvelle de Claudine par Florian.

De charmans tableaux. De la musique de Grétry ; il suffit de nommer un tel compositeur.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez les Libraires, Mds de Nouveautés, an V (1797) :

Lisbeth, drame lyrique en trois actes et en prose mêlée de musique ; Représenté, pour la premiere fois, sur le Théâtre de l'Opera-comique de la rue Favart, le 21 Nivose, an 5 de la République, ou le 10 Janvier 1797, vieux style. Paroles de Favières, musique de Grétry.

Courrier des spectacles, n° 4 du 22 nivôse an 5 [11 janvier 1797], p. 3 :

[Le drame lyrique du jour, puisque c’est ainsi que le présente la brochure, a été un succès, dont témoigne le fait qu’on donne d’emblée le nom des auteurs. La pièce se déroule en Suisse, et fait appel à Gessner, poète suisse très populaire (et aujourd’hui bien oublié), auteur d’une poésie lyrique débordant de bon sentiments, dans une Suisse rurale présentée comme un paradis terrestre. Il s’agit une fois de plus d’une fille séduite, devenue mère et que son père rejette. Une ruse innocente permet à Gessner, aidé par le jeune séducteur, de le convaincre de pardonner à sa fille, d’accepter son petit-fils et d’unir les deux amants. Tout finit dans l’attendrissement général. Le jugement porté sur la pièce est très positif : musique « infiniment jolie », avec en particulier un « hymne au Créateur » et une ouverture du troisième acte qui « a fait généralement plaisir » ; poème aux « situations fortes et déchirantes » ; belles décorations ; interprètes remarquables. Le critique a visiblement été très touché par la pièce.]

Théâtre de la rue Favart.

Lisbeth.

Le théâtre de la rue Favart donna hier la 1.re représentation de Lisbeth, opéra en 3 actes, de M. Favières, auteur de Paul et Virginie. La musique est de M. Grétry.

Lisbeth, fille de Simon, gros fermier des environs de Zurich, a été séduite par Derson qui bientôt après l’a abandonnée. Elle a passé huit mois dans la maison de son oncle, où elle a mis au monde le fruit de son malheureux amour. Elle est ensuite revenue chez son père, et a fait confidence de sa faute au célèbre Gessner, ami de la maison.

Gessner prépare le cœur du père à recevoir ce rude assaut. Il lui conte l’aventure de sa fille : celleci se jette à ses pieds. Simon furieux saisit une arme pour la tuer. Gessner l’arrête. Lisbeth emploie en vain tous les moyens pour le fléchir. Il la repousse et lui donne sa malédiction. Cette fille infortunée veut se détruire : Gessner lui représente qu’elle est mère et qu’elle doit se conserver pour son enfant. Le père consent à la laisser vivre ; mais il ne veut plus la voir. Gessner conseille à Derson et à sa malheureuse amante de fuir jusqu’à ce que la colère de Simon soit appaisée. Il imagine, de concert avec Derson, de faire exposer l’enfant proche la maison de ce dernier, laquelle est voisine de celle de Simon. Celui-ci apperçoit ce jeune homme qui tient l’enfant ; et apprenant qu’il avoit été exposé et que Derson veut l’adopter, il le prie de le lui céder ; Derson y consent. Simon est vivement attendri pour cet enfant. Gessner lui dit qu’il faut trouver la mère pour le lui donner à nourrir. Lisbeth et Derson se jettent aux genoux de Simon, qui, en faveur de l’enfant, leur pardonne et les unit.

La musique de cet opéra est infiniment jolie ; on a remarque sur-tout l’hymne au Créateur que chante M. Solier, jouant le rôle de Gessner. L’ouverture du 3.e acte a fait généralement plaisir. Il y a dans le poème des situations fortes et déchirantes ; les décorations sont fraîches et fort pittoresques. Les habitans du hameau forment des tableaux pastorals [sic] fort agréables. M. Solier a donné dans le rôle de Gessner des preuves sensibles de son jeu consommé et de son goût pour la musique. M.de Saint-Aubin a supérieurement rendu le rôle déchirant de Lisbeth, et elle a été bien secondée par M.rs Michu, Chenard, Paulin, et par M.lles Carline et Serigny.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1797, volume 1 (janvier-février 1797), p. 262-266 :

[Long compte rendu d’une pièce qui reprend (et elle n’est pas seule à le faire !) la nouvelle de Florian Claudine. Pièce qui a connu le succès, et qui est jugée « intéressante ». Le résumé de l’intrigue est propre à faire naître l’émotion que le spectateur éprouve quand il assiste à cette pièce. Puis la partie critique s’attache à montrer un certain nombre de défauts. Pour le livret, le rédacteur constate que les auteurs (en général, mais celui de Lisbeth est bien dans ce cas), « semblent ne pas mettre assez d'attention à graduer intérêt & à placer la situation la plus forte la dernière » (une fois Derson revenu riche et amoureux, la pièce perd beaucoup de sa force). De plus, le moyen utilisé pour convaincre Simon est « d’un effet un peu pâle » : le bébé dans son berceau ne devrait pas faire plus d’impression « que les larmes de sa fille & l'éloquence de Gesner ». Ces défauts n’empêchent pas la pièce d’avoir « de la fraîcheur & de l'élégance ». Et le recours à Gesner au lieu du curé comme chez Florian est un progrès. Si la musique de Grétry est de la qualité habituelle de la production de son auteur, le rédacteur tient à condamner le style de chant, « un chant maniéré »; « dans la manière actuelle », mis dans la bouche de Solié, qui interprète Gesner : comment, « le peintre de la nature, roulant et roucoulant » : c’est « un contre-sens » absolu... Jugement favorable pour le jeu des acteurs et pour les décorations. Enfin, une passionnante note finale s’insurge contre l’emploi, dans le compte rendu emprunté à la Décade philosophique, du mot mannequin pour désigner l’enfant dans son berceau (on ne sait pas si c’était un vrai bébé ou un faux...) : l’émotion du rédacteur de l’Esprit des journaux français et étrangers est très sensible, et il finit par un jugement bien sévère : « Ah! nous oserions dire qu'il n'a pas le bonheur d'être pere, l'ecrivain qui a laissé échapper de sa plume le mot que nous lui reprochons ! »]

Une autre nouveauté qui a paru sur le même théâtre [le Théâtre de la rue Favart] avec beaucoup de succès, est encore une pièce très-intéressante, en trois actes & en prose, mêlée d’ariettes ; elle est intitulée : Lisbeth.

Simon, cultivateur dans un canton de la Suisse, vivait tranquillement au sein d'une nombreuse famille : père de deux filles intéressantes, il les avait élevées dans l'austère pureté des mœurs de ce canton ; mais un jeune peintre français, nommé Derson, est parvenu à séduire l'aînée, et l'a rendue mère. Depuis un an il est parti, sans avoir donné de ses nouvelles.

L'infortunée victime, poursuivie à-la-fois par la honte, le remords et la passion, a soustrait, jusqu'ici, son déshonneur aux regards de son père ; mais elle vient d'acquérir le titre de mère, et tremble pour son enfant. Dans la généreuse résolution de tout avouer à l'auteur de ses jours, mais trop timide pour oser risquer elle-même cet aveu nécessaire, elle s'adresse à Gesner, dont son père estime les talens et cultive l'amitié. Celui-ci fait à son ami la terrible confidence ; mais il a le malheur de trouver Simon inflexible aux accens éloquens de la philosophie et de l'amitié.

Dans ces entrefaites, Derson est revenu ; il a même acquis, dans le canton, une petite habitation que le père même de Lisbeth lui a vendue sans le connaître. Ce jeune homme apprend, en arrivant, le malheur de sa maîtresse, qu'il aime toujours, et qu'il n'a quittée si long-tems, que par le désir d'acquérir le droit de l'épouser, en se faisant une fortune indépendante, dont il puisse lui faire hommage. Il console Lisbeth, par son retour, de l'un de ses plus grands malheurs ; mais elle ne peut vivre chargée de la malédiction que son père a lancée sur elle dans son premier accès de colère.

Gesner apprend que Simon doit venir voir l'acquéreur de sa chaumière, qu'il ne connaît pas encore pour l'époux de sa fille. Cet ami généreux conçoit le projet de faire tourner l'entrevue au profit de l'amour et de la clémence ; et, pour y parvenir, il fait porter, sous un berceau, l'enfant nouveau-né de Lisbeth. Simon vient en effet chez Derson : son âme paternelle est déchirée par le souvenir de la honte de sa fille ; mais plus encore par le malheur que peut attirer sur elle la malédiction qui lui est échappée.Il confie ses peines à Derson ; son émotion les dispose tous deux à l’attendrissement. Simonl aperçoit l'enfant : on lui dit qu’il est né sur son territoire, & que Derson veut l'adopter ; il demande la préférence : Gesner, Lisbeth et Derson, profitent de ce moment où son ame est ouverte à la tendresse, pour se jeter à ses pieds ; ils sollicitent & obtiennent leur pardon.

Tel est le sujet de cette pièce, tiré d'une nouvelle de Florian, intitulée Claudine ; mais adroitement arrangé pour un plus grand éffet dramatique. L'action touchante par elle-même est accompagnée, à la fin du premier acte, d'un joli tableau de Téniers qui rappelle les mœurs helvétiques ; & au commencement du second, d'un beau tableau de Greuze, qui représente l'intérieur de la famille de Simon.

En général, la part de la critique se borne à trouver l’exposition un peu décousue, un peu pénible, & le dénouement trop brusque. Les auteurs semblent ne pas mettre assez d'attention à graduer intérêt & à placer la situation la plus forte la dernière. Du moment où Lisbeth retrouve son amant fidèle, riche, en état de la soustraire au déshonneur, & de rendre un père à son enfant, la résistance de Simon à lui pardonner devient plus fatigante, & Lisbeth elle-même est moins intéressante, parce qu'elle est moins malheureuse.

Le moyen que Gesner emploie pour ramener Simon, est aussi d'un effet un peu pâle ; & l'on ne sent pas pourquoi ce petit mannequin immobile (1) dans un berceau, fait plus d'impression sur le cœur de Simon, que les larmes de sa fille & l'éloquence de Gesner.

Malgré ces légères taches, l'ouvrage a de la fraîcheur & de l'élégance. Le second acte est bien senti & bien écrit ; le personnage de Gesner, que l’auteur a fort ingénieusement substitué au curé de Florian, ajoute du charme à la composition de ce tableau : c'est en un mot un ensemble intéressant qui mérite son succès, & qui ne peut qu'accroître la réputation du cit. Favieres déjà fort avantageusement connu par la jolie pièce de Paul & Virginie.

Quant à la musique, le nom de Grétry impose presque silence à l'observation. On y retrouve toujours d'ailleurs sa manière spirituelle & gracieuse ; mais quel que soit pourtant mon respect pour ce compositeur admirable, je dois lui faire un reproche sur une faute d'autant plus grave que son exemple peut entraîner, & servir d'excuse à ceux qui voudroient l'imiter; faute d'autant plus dangereuse qu'elle est applaudie, & qu'elle accélère la corruption du goût. C'est d'avoir sacrifié la vérité de expression du rôle de Gesner, au désir de faire chanter Solié dans la manière actuelle. Gesner, le peintre de la nature ! roulant & roucoulant un chant maniéré, me paroît, dans cet ouvrage, un contre-sens aussi formel de la part du musicien, que si un peintre s'avisoit de me représenter le bon-homme Lafontaine sous le costume d'un de nos incroyables. Grêtry n'est pas fait pour céder ainsi aux sottises de son siède.

La pièce est parfaitement bien jouée ; & des décorations d'un bon effet annoncent de la part des comédiens ua soin qu'on leur reprochoit avec raison de négliger. Les cit. Chenard, Michu, Solié & la citoyenne St.-Aubin, reçoivent dans cette pièce des applaudissemens très-justement mérités.

(1) Cette analyse de Lisbeth, nous la tirons de l'excellent journal, intitulé : la Décade philosophique. Nous partageons l'opinion de ses auteurs sur l'effet tardif, & par conséquent affoibli, que doit produire la présence de l'enfant : mais nous leur ferons la guerre pour l'expression de mannequin : elle entraine une idée d’indifférence, & même de mépris, que ne peut jamais inspirer le spectacle d'un enfant au berceau. II n'est pas de cœur sensible qui ne s'epanouisse à ce spectacle toujours attendrissant ! Et certes ce moyen eut suffi pour amener le dénouement de la pìêce, si déjà le retour de Derson, revenant avec tout son amour, & rapportant une fortune indépendante aux pieds de son amante, n'avoit suffisamment préparé ce dénouement. Les spectateurs qui ont vu représenter la suite de Julie, production foible au fond, ont pu sentir, si au théâtre, le berceau d'un enfant n'émeut pas plus que l'image d'un mannequin. Ah! nous oserions dire qu'il n'a pas le bonheur d'être pere, l'ecrivain qui a laissé échapper de sa plume le mot que nous lui reprochons ! (Note des. rédacteurs.)

D'après la base César, la pièce a été jouée 14 fois en 1797 (du 25 janvier au 5 juin), 15 fois en 1798 (du 6 janvier au 23 novembre), 6 fois en 1799 (du 13 janvier au 29 octobre). La première date donnée par César ne concorde pas avec la date de création portée sur la brochure, pourtant confirmée par le tout nouveau Courrier des spectacles.

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