Lodoïska (Fillette-Loraux, Chérubini, 1791)

Lodoïska, comédie héroïque en trois actes, mêlée de chant, par M. Fillette-Loraux, 18 juillet 1791, musique de M. Cherubini.

Théâtre de la rue Feydeau.

Titre :

Lodoïska

Genre

comédie héroïque mêlée de chant

Nombre d'actes :

3

Vers / prose

prose, avec couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

18 juillet 1791

Théâtre :

Théâtre de la rue Feydeau

Auteur(s) des paroles :

M. Fillette-Loraux

Compositeur(s) :

M. Chérubini

Almanach det compliquée de la pièces Muses 1793

Même sujet que la Lodoïska des Italiens comprise dans la notice du volume de l'année dernière.

Excellente musique de M. Chérubini.

Réimpression de l'ancien Moniteur, tome IX, Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 202 du Jeudi 21 Juillet 1791, p. 180 :

[Ce n'est pas par « un fond dramatique très neuf » que Lodoïska obtient du succès, mais par tout le reste, situations, mouvement, spectacle, décors, musique. Après avoir raconté l'intrigue, plutôt compliquée (le critique escamote d'ailleurs un peu la fin), retour sur le succès : incendie remarquable, musique très très belle, et même trop belle, « c'est un reproche réel » : elle fatigue le spectateur. Mais il y a de beaux morceaux : « il n'y en a pas un qui ne soit superbe ». Et les costumes aussi sont magnifiques, mais il aurait mieux valu faire « usage de fourrures » plutôt « que de dorures ». Question de couleur locale...]

[Les Amours du chevalier de Faublas dont est issue Lodoïska sont un roman d'aventures publié en trois parties de 1787 à 1790 par Jean-Baptiste Louvet de Couvray : Une Année de la vie du chevalier de Faublas (1787), Six semaines de la vie du chevalier de Faublas (1788) et en la Fin des amours du chevalier de Faublas (1790).]

THEATRE DE LA RUE FEYBEAU.

Un sujet intéressant, quoiqu'il n'offre pas un fond dramatique très neuf ; des situations, du mouvement, beauconp de spectacle, de magnifiques décorations et une musique superbe, qui a déjà pour elle la prévention publique ; il en fallait beaucoup moins pour réussir, et Lodoïska, soutenue par tous ces moyens, a complètement réussi. Le sujet est tiré d'un épisode du roman de Faublas.

Floreski était près d'épouser Lodoïska, de l'aveu de son père. Un intérêt politique les divise. Lupanski enlève sa fille et la confie à son ami Dourlinski. Celui-ci en devient amoureux, et ne pouvant fléchir son cœur il l'enferme dans une tour. Floreski la cherche, suivi de son valet. Le hasard l'amène près du château de Dourlinski. Il est attaqué par Tizikan, chef de Tartares. Il en est vainqueur, et lui donne la vie. Le généreux brigand est touché de ce procédé, qu'il saura bientôt reconnaître. Une tuile tombée aux pieds de Floreski lui apprend que Lodoïska respire. Il s'introduit dans le château sous un faux prétexte. Il devient suspect au soupçonneux Dourlinski. Sa passion le fait reconnaître. Il est chargé de fers. Le barbare compte tirer parti de cet incident. Il réunit les deux amants, mais c'est pour mieux contraindre Lodoïska à lui donner la main. La vie de celui qu'elle aime est à ce prix. Au milieu de leurs incertitudes, on entend une alarme. Le château attaqué par des Tartares est déjà la proie des flammes. Tizikan s'en empare, délivre son bienfaiteur, lui donne une arme ; mais Floreski a autre chose à faire qu'à combattre ; la tour qui renferme sa maîtresse est en feu. Il y pénètre au milieu des ruines et des poutres embrasées ; on le voit la prendre dans ses bras ; mais à l'instant où il veut traverser un pont, il s'abîme sous les pieds de l'un et de l'antre. Le valet de Floreski, plein d'attachement pour son maître, parvient à les sanver tous denx.

On devine aisément le reste. Les amants sont unis. Le Tartare jouit du plaisir d'avoir payé sa dette ; le tyran est chargé de fers, et la pièce finit.

Rien n'est comparable à l'effet de l'incendie, où le talent du machiniste a été merveilleusement secondé par celui de MM. Gotti frères, Italiens, peintres-décorateurs. Aussi les a-t-on demandés tous à la fin de la pièce. Le machiniste seul a paru ; c'est M. Boulay, naguère machiniste de l'Opéra.

On a demandé aussi l'auteur de la musique ; il a paru ; c'est M. Chérubini, jeune artiste connu par plusieurs morceaux qui l'ont déjà placé au premier rang des compositeurs. On n'a qu'un reproche à faire à la musique de cet ouvrage, c'est qu'elle est trop belle, et c'est un reproche réel. Tous les morceaux travaillés avec un soin infini, et tous également travaillés, ne laissent pas à l'auditeur le temps de respirer. A force d'admirer on finit par se fatiguer de cette beauté trop continue. On voudrait de temps en temps des choses plus simples, sur lesquelles on pût se reposer.

Une pareille critique est bien voisine de l'éloge, et l'éloge même s'y trouve implicitement. On conçoit qu'il nous serait difficile de remarquer les morceaux qui ont plu davantage, puisqu'il n'y en a pas un qui ne soit superbe. On a pourtant distingué les deux morceaux qui finissent le second acte, non pas qu'ils soient peut-être plus beaux que les autres, mais parce qu'ils offrent plus de ces contrastes par lesquels ils se font valoir mutuellement.

Les costumes sont magnifiques, mais nous osons croire qu'ils offrent plus de luxe que d'intelligence et de vérité. Les Polonais font plus d'usage de fourrures que de dorures, et il n'est pas probable qu'en Pologne, ni un homme qui voyage inconnu à travers les forêts, ni un seigneur enfermé tout seul dans son château, ni un chef de Tartares qui va cherchant la guerre à la tête de sa troupe, soient tous chamarrés d'or et de brocarts.

Mercure de France, tome CXXXIX, n° 32 du samedi 6 août 1791, p. 42-46 :

[Le roman de Faublas est à la mode, et les adaptations théâtrales exploitent cette voie. Deux pièces, dont une à venir, mettent sur scène l’épisode de Lodoïska. L’intrigue, très mouvementée, est résumée vaille que vaille, le dénouement n’étant indiqué que de façon partielle. Le jugement critique commence par faire un éloge ambigu de la pièce :sujet peu original, beaucoup d’action (on a droit à tout ce qui fait le mélodrame : femme enfermée dans sa tour, incendie, bataille), peu d’intérêt. On note que l’auteur des paroles n’est pas nommé, contrairement au décorateur, au machiniste, au compositeur. C’est le caractère spectaculaire qui fait le succès. Ce qui fait le succès, c’est les décorations et la musique. Les décorations sont jugées très positivement, avec simplement une réserve sur « quelques fautes contre la vérité » (l’emploi de ce mot est un peu étonnant) : les murs du château sont trop neufs, et il y a une petite incohérence de perspective (pourtant jugée extraordinairement juste). Cette décoration est complétée par des machines de scène remarquables. Quant à la musique, elle est trop parfaite. Ce jugement paradoxal veut montrer que la musique doit être au service de la pièce, et non prendre le pas sur l’action. Or elle a ici « un manque d'abandon, & même de cette négligence qui repose l'ame » : il aurait fallu que le compositeur se livre plus au chant (la mélodie avant l’harmonie, désignée sous l’expression des « combinaisons de son orchestre ». C’est le seul reproche fait à la musique, et il est jugé facile à corriger. Rien n’est parfait sur terre, et c’est l’interprétation qui est le plus sévèrement jugée : le critique ne nomme aucun interprète « pour n’affliger personne, et exhorte les acteurs « à redoubler d'efforts pour mettre plus d'ensemble dans leur exécution ».]

SPECTACLES

Tout le monde connaît le charmant Roman de Faublas, que nous avons rappelé derniérement, dans ce Journal, à l'attention du Public. On se souvient de l'épisode de Lodoïska qui vient répandre un grand intérêt à travers une foule d'Aventures d'une gaîté folle. Cet épisode a frappé en même temps deux Auteurs Dramatiques , chacun d'eux en a formé une Piece lyrique, l'un pour le Théâtre ltalien, l'autre pour celui de la rue Feydeau. La premiere n'est pas encore représentée : c'est de la seconde dont nous avons à parler.

Le pere de Lodoïska, pour se venger de Floresky, avec lequel un intérêt politique vient de le brouiller, a conduit sa fille dans le château d'un de ses amis, Dourlinsky. Ce scélérat en est devenu amoureux, &n'ayant pu la séduire, il l'enferme dans une tour. Cependant Floresky, en cherchant sa Maîtresse, arrive avec son Valet, ou plutôt son Confident, auprès du château. Il est attaqué par un Chef de Tartares, qui, voulant se venger de Dourlinsky, infeste avec sa Troupe les environs. Floresky est vainqueur, & donne la vie à Tizikan, qui lui promet toute sa reconnaissance. Resté seul au pied de la tour ,Floresky voit tomber à ses pieds une brique qui lui apprend que sa chere Lodoïska est enfermée dans ce château. Il trouve un prétexte pour s'y introduire; mais le soupçonneux Dourlinsky ne l'y reçoit que désarmé. Il demande Lodoïska de la part de sa mere. Cette demande le rend suspect. Le Tyran projette de l'endormir par un breuvage composé. Le Valet qui a surpris le complot, le fait tourner contre ses auteurs, & en changeant de flacon, les endort eux mêmes. Cette ruse ne leur sert à rien. Floresky & son compagnon sont surpris & chargés de fers. Dourlinsky fai tvenir Lodoïska, & la menace de massacrer à ses yeux son Amant, si elle refuse de couronner sa brutale passion. Pendant le débat que doit amener une proposition pareille, on entend une alarme : ce sont les Tartares qui attaquent le château déjà livré aux flammes. On renferme Lodoïska dans sa tour, & Dorlinsky vole aux armes. Il est vaincu : Tizikan paraît, embrasse son Libérateur qu'il reconnaît dans la personne de Floresky, & lui donne des armes. Celui-ci vole vers la tour embrasée qui renferme sa Maîtresse. Il la délivre à travers des poutres enflammées ; mais en traversant une galerie, elle s'abîme sous leurs pas. C'est l'ami de Floresky qui les sauve l’un & l’autre. On abandonne à la fureur des Tartares le barbare Dourlinsky.

On voit dans ce sujet, ainsi disposé, peu de situations neuves ; mais il y a du mouvement, des tableaux, un grand spectacle, & beaucoup d'effet théâtral. La pantomime du dénouement, aidée du mécanisme des décorations, en agitant l'ame, supplée à un intérêt réel. Cet Ouvrage ne pouvait donc manquer d'avoir du succès, & en effet il en a beaucoup.

Deux choses y ont le plus contribué, les décorations & la musique. Comme elles sont les plus dignes d'éloges, c'est sur elles aussi que la critique doit le plus porter.

Les décorations sont peintes par les freres Gotti, Italiens, d'une grande réputation, & elle est assurément très méritée. La magie de leur pinceau & l'art avec lequel ils observent les loix de la perspective, a quelque chose de prodigieux, mais on leur a reproché quelques fautes contre la vérité. Le château de Dourlinsky est très-antique par sa forme ; mais le ton brillant des murailles le fait paraître tout neuf. La galerie a une fuite immense ; & lorsqu'elle s'abîme dans l'incendie, elle laisse voir la tour, qui était censée derriere, & qui paraît tout près des Spectateurs ; de sorte que cette tour devait traverser la galerie. Au surplus, ces légers défauts ne nuisent pas à l'illusion du premier coup d'œil séduit & enchanté par le talent de ces Artistes. Les machines sont disposées avec un art qui n'est pas moins surprenant, & que la critique ne saurait atteindre. Elles sont de M. Boullé, ci-devant Machiniste de l'Opéra.

La musique est de M. Chérubini. On pourrait borner là son éloge, & c'en serait un assez flatteur. Nous lui reprocherons cependant un excès de beauté, une attention trop continue à travailler avec un soin égal toutes les parties de son Ouvrage, une perfection trop suivie, enfin un manque d'abandon, & même de cette négligence qui repose l'ame, qui la rend plus sensible aux effets qu'on veut produire sur elle, & qui la fatiguent quand ils sont trop prodigués. Si l'Auteur s'était plus livré au chant, même aux dépens des combinaisons de son orchestre, sans exciter moins d'admiration, il aurait plu davantage, & on peut lui en donner pour preuve les morceaux qui terminent son second Acte, que leur mélodie rende [sic] plus flatteurs. Ce luxe extrême est, au reste, bien facile à réprimer ; & heureux le Compositeur qui ne mérite pas d'autres reproches.

Nous voudrions avoir autant d'éloges à donner aux Acteurs ; mais pour n'affliger personne, nous aimons mieux supprimer les détails, & les exhorter tous à redoubler d'efforts pour mettre plus d'ensemble dans leur exécution.

L’Esprit des journaux français et étrangers, 1791, volume 9 (septembre 1791), p. 328-332 :

[La pièce est un succès, et le critique en fait un compte rendu élogieux : à part le style des paroles qualifié de médiocre, la pièce est « sagement conçue », et elle a permis au compositeur, aux décorateurs et au machiniste de produire « de grands effets ». Le compte rendu a particulièrement été frappé par la qualité de l’incendie de la fin. La musique mérite tous les éloges, et Chérubini a droit à des qualificatifs flatteurs. Même approbation du jeu des acteurs. Même les administrateurs du théâtre ont droit à des compliments.]

THÉATRE DE LA RUE FEYDEAU, ci-devant théatre de Monsieur.

On a donné, le lundi 18 juillet, la premiere représentation de Lodoïska, ou les Tartares, opéra françois en trois actes, paroles de M. Fillette Loraux, musique de M. Cherubini. Le sujet est tiré d'une partie de l'épisode du joli roman de Faublas.

Un Tartare, nommé Titzikan, voleur de grand chemin par état, mais franc & généreux dans le fond du cœur, veut piller le château d'un jeune Polonais qu'il déteste. Ce château, dont le maître a nom Dourlinski, est situé au milieu d'une forêt, & c'est là que Titzikan paroît avec sa troupe à laquelle il fait part de son projet. Resté seul avec un confident, il est surpris-par un jeune-homme accompagné d'un seul valet. Après quelques mots, le combat s'engage, & le Tartare vaincu demande la vie à son adversaire, en lui jurant qu'il reconnoîtra ce bienfait. Effectivement, la troupe des Tartares vient au secours de son chef, & veut immoler Floreski ; mais Titzikan les arrête, & leur ordonne de respecter un homme à qui il vient de vouer une amitié éternelle. Il embrasse Floreski, & s'éloigne, suivi de sa troupe.

Ici commence l'exposìtion dans laquelle on apprend que, dans une de ces révolutions assez communes en Pologne, Floreski s'est brouillé avec le pere de Lodoïska, jeune beauté dont il étoit éperdument amoureux, & qu'il alloit épouser. Depuis ce tems il ignore ce qu'elle est devenue ; il en parle sans cesse• & la cherche partout. Une tuile qui tombe d'une des tours du château, lui apprend que sa Lodoïska y est renfermée, & bientôt elle se fait entendre elle même. Après ce que les amans se disent en pareille circonstance, après le désespoir de savoir sa maîtresse en la puissance de ce Dourlinski, dont le caractere affreux est généralement connu, Floreski pense au moyen de parvenir jusqu'à elle. Sur les conseils du valet, il demande à être introduit au château, ce qu’ils obtiennent après avoir été provisoirement désarmés.

Au second acte, Dourlinski sait descendre Lodoïska de la tour où, jusqu'alors, il la tenoit renfermée, & de nouveau lui propose sa main, comme le seul moyen de sortir d'esclavage. Lodoïska appelle sur lui la vengeance du ciel, & ne répond à ses propositions, qu'en lui reprochant ses forfaits. Le tyran irrité, ordonne de la ramener à sa prison ; & pour la punir de ses nouveaux dédains, il la prive de sa bonne nourrice qui, jusqu'à ce moment, ne l'avoit jamais quittée. Floreski, accompagné de son valet, qu'il fait passer pour son frere, se présenta à Dourlinski, comme envoyé par la mere de Lodoïska, pour réclamer sa fille, dont elle n'a appris la retraite qu'à la mort de son mari. Le tyran conçoit des soupçons ; mais comme il ne sait sur quoi les arrêter, & qu'il est loin de consentir à se séparer de Lodoïska, il répond à Floreski qu'elle n'est plus en son pouvoir, & sort en ordonnant à voix basse à un de ses confidens de veiller sur les deux étrangers. Le valet de Floreski, resté seul avec son maître, lui apprend que l'ordre est donné de les engager à boire, & de mêler, dans leur vin, une liqueur soporifique, afin lorsqu'ils seront endormis, de pouvoir les fouiller, & connoître au vrai le but de leur voyage. Que faire ? Le valet a l'adresse de changer le flacon, & d'endormir les gens de Dourlinski. Alors il s'arme, ainsi que son maître ; mais au même instant ils sont entourés par les soldats du tyran, qui les fait conduire séparément en prison.

Au troisieme acte, Dourlinski, fier de tenir en sa puissance l'amant de Lodoïska, la fait encore appeller, lui apprend jusqu'où il peut pousser sa vengeance, & lui jure que si elle ne consent à être son épouse, la mort de Floreski.... Lodoïska s'évanouit. Son amant, pâle & désarmé, vient par l'ordre du tyran qui jouit de leur désespoir, & finit par les condamner tous deux à périr, quand Titzikan, à la tête de ses Tartares, enfonce le château, le met en feu, rend à Floreski sa liberté, dont le premier usage est consacré à sauver des flammes sa chere Lodoitka. Le dénouement est le mariage des amans, & la punition des coupables.

Cette piece, à quelques détails près, est dans le genre du grand opéra. II y a beaucoup d'événemens, des incidens dont tous ne servent pas à l'action, des tableaux frappans & des situations intéressantes : mais le style des paroles est médiocre ; l'auteur a du moins le mérite d'avoir fait un ouvrage sagement conçu, & d'avoir donné de grands effets au compositeur, ainsi qu'aux décorateurs, machiniste, &c.

La musique de M. Chérubini est du plus grand style : un pinceau large, des masses superbes, un orchestre savant & nourri, une verve abondante, une originalité rare, de grands traits en un mot, & une grande connoissance de la nature & de la déclamation, tout justifie l'enthousiasme du public qui se levoit à chaque morceau pour applaudir ce très-jeune artiste, chez qui l'expérience & les grands talens ont devancé l'âge. Le serment du premier acte & la finale du second, sont particuliérement des chefs-d'œuvre. On l'a demandé à grands cris, & il a paru.

La piece a été bien rendue. Mde. de Justal,, qui n'avoit paru depuis long-tems, a justifié dans le rôle de Lodaïska les espérances qu'elle avoit données dès son début. Ses moyens ont pris du développement : mais peu d'actrices se trouveroient au niveau d'un rôle si fatigant. M. Martin a aussi été fort applaudi dans le rôle de l'amant ; & M. Chateaufort dans celui de Dourlinski. Une partie aussi brillante que la musique, dans cet opéra, est celle des décorations. Elles y sont d'une richesse & d'un éclat extraordinaires ; & pour ne parler que de l'incendie de la fin, c'est un des plus beaux qu'on ait jamais vus à aucun autre spectacle. Les administrateurs de celui-ci paroissent redoubler de soins & de dépenses pour satisfaire les amateurs des trois genres qu'ils ont entrepris d'y réunir.

Mercure de France, tome CXXXIX, n° 41 du samedi 8 octobre 1791, p. 76-78 :

[Après quelques semaines, le critique du Mercure de France revient sur Lodoïska pour ce qui pourrait passer pour un repentir. La musique de Cherubini en particulier est réévaluée, et le reproche d’excès de beauté est fortement nuancé : les interprètes sont meilleurs, on perçoit mieux la qualité de la mélodie (on est toujours dans le débat entre mélodie et harmonie, dans le débat entre musique de scène et musique d’orchestre) et on perçoit mieux toutes les qualités de la partition. Et l’aricle s’achève par l’affirmation de la beauté du spectacle : « On ne peut porter plus loin l'imitation des objets & l’illusion théâtrale ». Le dernier paragraphe tente de comparer les deux versions de l’adaptation de Lodoïska. Le critique trouve bien des qualités à la version du Théâtre Italien, où « des intentions dramatiques [...] répandent beaucoup d'intérêt », au « style fort agréable & très-soigné », « qui, sans avoir de prétention, offre un chant gracieux & facile ». Seules les décorations sont un peu inférieures.]

THÉATRE de la rue Feydeau.

Les représentations de Lodoïska se continuent avec beaucoup de succès. La musique, à qui l'on a reproché du luxe, mieux exécutée & mieux sentie, se trouve n'être que riche : les principaux Acteurs chantent mieux leurs rôles, & l'on s'apperçoit qu’il y a du chant où l'on craignait d'abord qu’il ne fût trop négligé  ; & qu'où il n'y en a pas, il eût été à peu près inutile qu'il y en eût : enfin l'ensemble général de la représentation est parvenu à son point de maturité, & ce point était difficile à acquérir ; ce n'est pas une épigramme que nous voulons faire, mais nous ajouterons : pour des Français. Plus nous avons acquis en musique depuis quelques années, plus nous devons sentir & avouer franchement ce qui nous manque : or, la partie de l'ensemble n'est pas encore celle où nous ayons fait le plus de progrès : celle de l'Orchestre, dans cette Piece, gagne beaucoup à être étudiée. On y découvre une foule d'intentions dramatiques, de traits pittoresques & spirituels qui devaient nécessairement échapper aux premieres représentations. Qu'il y ait surabondance d'effets, & manque de repos & de simplicité, cela est très possible, mais il ne serait peut-être pas aussi facile qu'on peut le croire à M. Cherubini de se modérer à cet égard. Cela paraît venir en lui d'une fécondité d'idées musicales que tout un Orchestre suffit à peine à exprimer, sur-tout lorsque c'est presque uniquement à l'Orchestre qu'il peut se fier pour les rendre. — Le costume & les décorations sont d'une richesse & d'une beauté parfaites. La destruction du château de Dourlinsky offre le spectacle le plus frappant & le plus terrible. On ne peut porter plus loin l'imitation des objets & l’illusion théâtrale.

Cette même Piece (la même au moins pour le sujet) s'exécute en même temps sur le Théâtre Italien. Il pourrait être curieux de les comparer l'une à l'autre ; mais c'est sur-tout en les voyant au Théâtre que le parallele serait intéressant.

Le premier Acte des deux Pieces est presque le même, parce qu'il apparient presque en entier au Roman. C'est du moment que Lovsinsky est entré dans le château, que les deux Auteurs ont suivi une route différente. Celui du Théâtre Italien a développé, dans ce second Acte, des intentions dramatiques qui y répandent beaucoup d'intérêt ; il a eu l'art de s'approprier son sujet. Lovsinsky, surpris par son rival, & un rival furieux, se tirant noblement d'un si mauvais pas ; ce même Lovsinsky, présenté à Lodoiska par son persécuteur sans qu'elle ait pu en être prévenue, & trouvant moyen de mettre à profit jusqu'au transport indiscret de celle qu'il aime, jusqu'à l'aveu qui devait le trahir : tels sont les moyens qui ont soutenu la Lodoiska au Théâtre Italien, aidés d'un style fort agréable & très-soigné, & d'une musique qui, sans avoir de prétention, offre un chant gracieux & facile. Les décorations n'ont pas cet effet presque magique de celles de la rue Feydeau, cependant l'incendie est fort bien exécuté, & peut satisfaire pleinement ceux qui ne le comparent point à l'autre.

Mercure Français, n° 12 du 24 mars 1792, p. 107 :

[Publication de la brochure.]

Lodoïska, Comédie en trois Actes, mêlée de chants ; par M. Fillette-Loraux ; représentée pour la premiere fois, sur le Théâtre de la rue Feydeau, le 18 juillet 1791 ; musique de M. Cherubini. Prix, 30 sous. A Paris, chez Régent & Bernard, Libr. quai des Augustins, N°. 37 ; & chez les Mds. de Nouveautés.

Annales dramatiques : ou Dictionnaire général des théâtres, tome cinquième, p. 382-385 :

LODOISKA, comédie-héroïque en trois actes, pnr M. Fillette-Lauraux, musique de M. Chérubini, au théâtre Feydeau, 1791.

Le sujet de cette pièce est tiré d'un épisode du roman do Faublas.

Le comte de Floreski allait être heureux, mais obligé d'assister à la diète, il a voté en faveur d'un prince qui déplaisait au père de son amante ; il a perdu son amitié, et avec elle tout espoir à la main de Lodoiska. C'est peu de lui retirer sa parole, Altano éloigne secrètement sa fille, et la confie à Dourlinski, chez qui elle est depuis long-tems, et où elle est en butte aux persécutions d.un tyran. Cependant Floreski a déjà parcouru toute la Pologne sans avoir pu découvrir la retraite de Lodoiska. Conduit par le hasard, il se trouve, avec son fidèle serviteur Varbel, sur les confins de la Russie, dans une forêt où est situé le château de Dourlinski ; et là, il sont rencontrés par une horde de Tartares qui leur enlèvent leurs chevaux ; ils ne se tirent de ce mauvais pas qu'à la faveur des ténèbres ; mais ils ne sont pas hors de danger. En effet, Titzikan, chef de ces Tartares, accompagné d'un de ses soldats les rencontre, et les somme de rendre leurs armes. Ils s'y refusent, et bientôt s'engage un combat, dans lequel Titzikan est désarmé par Floreski. Le Tartare demande la vie à son vainqueur, et l'obtient de sa générosité. Dans ce même moment, toute la troupe accourt le sabre à la main. Titzikan les arrête et s'acquitte ainsi envers Floreski ; enfin, il jure, et fait jurer à ses compagnons de tout entreprendre pour le nouvel ami que le hasard vient de lui procurer. Il ne craint pas de lui avouer ses projets ; Je ne viens point, lui dit-il, en pillard, en dévastateur, je viens délivrer cette contrée du tyran qui l'opprime ; je viens venger ce pays, et me venger moi-même de Dourlinski. Quoiqu'il en soit, il quitte Floreski, et le laisse seul avec Varbel. Ceux-ci, que la faim tourmente, se disposent à manger ; et, pour le faire plus commodément s'asseyent sur un banc qui se trouve là fort à propos. Mais tandis qu'ils font des réflexions sur la singularité de cette dernière aventure, et sur l'étrange conduite de ces Tartares, une pierre, lancée de la tour du château, tombe près d'eux : craignant qu'une autre ne leur tombe sur la tête, ils vont s'asseoir sur un banc un peu plus éloigné ; ils y sont à peine posés, qu'il tombe une seconde pierre. Ceci ne paraît pas naturel à Floreski ; il jette les yeux sur la première, et y trouve ces mots : Est-ce vous, Floreski ? Aussitôt Varbel ramasse la seconde et la remet à son maître, qui y lit : C'est toi.... je te reconnais.... délivre la malheureuse Lodoiska, mais sois prudent. Dès-lors, ne prenant conseil que de son amour et de son désespoir, Floreski se décide à pénétrer dans le château, pour sauver son amante ou périr avec elle. Il parvient à s'y introduire, mais désarmé. Voyons maintenant ce qui va se passer dans l'intérieur du château, où la scène est transportée. Dourlinski vient faire un nouvel, mais inutile effort, auprès de Lodoiska. Fatigué de sa résistance, et furieux de ses mépris, il la fait enfermer de nouveau dans le lieu le plus secret de la tour, et défend à ses gardes, sous peine de la vie, d'indiquer le lieu qui va la receler. Comme ils devaient s'y attendre, Floreski et Varbel sont amenés devant lui ; il les interroge et les observe soigneusement. Alors Floreski lui répond, que lui, et Varbel, qu'il fait passer pour son frère, appartenaient au prince Altano ; que ce prince, en mourant, ayant déclaré à son épouse que Lodoiska était chez lui, la mère de cette dernière les envoyait pour lui redemander sa fille ; mais c'est trop s'appesantir sur tous ces menus détails. Les tyrans, comme on sait, sont inquiets et soupçonneux, et l'homme vertueux, quand il s'agit de feindre, est timide et mal-adroit : c'est ce qui arrive dans cette circonstance. Dourlinski fait épier son rival, et parvient enfin à le trouver en défaut. Celui-ci cesse de se contraindre et se découvre. Dans le nombre des projets qu'enfante son imagination, il en est un qui sourit à l'ame atroce de Dourlinski ; il fait venir Lodoiska, et lui montre Floreski en sa puissance. Il la menace d'immoler son amant sous ses yeux, si elle ne consent pas à lui accorder sa main. Lodoiska hésite, chancelle ; mais Floreski la rassure : enfin, ces amans le bravent dans cet instant encore, où le glaive de la plus affreuse vengeance suspendu sur leurs têtes, est prêt à les frapper. Les choses en sont là quand le canon se fait entendre. Forcé de courir à la défense de son château, Dourlinski fait reconduire Lodoiska dans la tour, et laisse Floreski sur la scène. Bientôt les Tartares se rendent maîtres du château, dont la majeure partie est déjà tombée sous l'effort des boulets. Enfin, Titzikan retrouve Floreski, et devient son vengeur et le libérateur de Lodoiska.

Tel est le fonds de cette pièce, dans laquelle on trouve des situations intéressantes, mais un style extrêmement faible ; les vers sont de mauvaise prose mal rimée. La musique est ravissante, elle est sublime : un style large, des masses admirables, un orchestre profond, une verve étonnante, une originalité extraordinaire, de grands traits, en un mot, voilà ce qu'elle nous offre et ce qui justifie l'enthousiasme du public, qui, lors des représentations, se levait à chaque morceau pour applaudir son immortel auteur.

D'après la base César, la pièce a été jouée 30 fois en 1791, 25 fois en 1792, 9 fois en 1793, 20 fois en 1794, 23 fois en 1795, 5 fois en 1796, 6 fois en 1799 (la représentation du 28 septembre au Théâtre Italien concerne très probablement la Lodoïska de Dejaure et Kreutzer). Toutes les représentations au Théâtre Feydeau, sauf 7 représentations de 1795, au Théâtre de société de Momus.

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