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La Mort d'Adam
La Mort d'Adam, tragédie lyrique en trois actes, paroles de M. Guillard, musique de M. Lesueur ; 21 mars 1809.
Académie impériale de Musique.
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Titre :
Mort d’Adam (la)
Genre
tragédie lyrique
Nombre d'actes :
3
Vers / prose
en vers
Musique :
oui
Date de création :
21 mars 1809
Théâtre :
Académie Impériale de Musique
Auteur(s) des paroles :
Guillard
Compositeur(s) :
Lesueur
Almanach des Muses 1810
Sélime, fille d'Adam, et le jeune Eman, doivent s'unir dans le jour ; les compagnes de Sélime célèbrent, par des chants et des danses, le bonheur dont ils vont jouir. Eve vient de leur apprendre que le plus jeune des enfants d'Adam, Sunim, a disparu. Adam arrive, et, resté seut avec Seth, prédit sa fin prochaine. Le souvenir de sa première faute l'accable. Tout-à-coup le ciel tonne, le théâtre s'obscurcit ; un Ange paraît, et annonce à Adam qu'il mourra avant que le soleil ait terminé son cours. Adam se résigne, et Seth prie le ciel de prolonger les jours de son père. Caïn accable Adam de reproches, et fait des vœux pour voir s’anéantir avec lui toute la nature. Il accuse le ciel, et, conduit par Adam sur le tombeau d'Abel, il vomit des imprécations contre l'auteur de ses jours. Au nom de l'enfer, il menace Adam de sa dernière heure. Caïn se repent d'avoir maudit son père, et fuit dans la forêt des cèdres. Adam est endormi. Eve arrive, tressaillant de joie ; Seth le lui montre endormi près l'autel d'Abel. Le soleil touche à son couchant, et c'est le terme fatal que le ciel a fixé pour la vie du premier homme. Adam se réveille ; Eve veut mourir avec lui. Les enfants d'Adam paraissent ; tous implorent sa bénédiction paternelle ; Adam les bénit ; l'heure terrible sonne ; un bruit sourd annoncer la dernière heure d'Dadam, et il meurt. Le théâtre change ; la nature est en deuil ; Satan et ses Démons viennent réclamer leur proie ; ils menacent d'escalader les cieux. Satan jure de poursuivre, sans repos, l'homme et sa race ; en même temps, il descend dans le royaume sombre pour rassembler ses forces. Le théâtre change de nouveau ; c'est le ciel qui paraît dans toute sa splendeur. Les chœurs célestes célèbrent l'arrivée d'Adam, qui bientôt monte au séjour des bienheureux.
Sujet triste ; peu d'action, peu d'intérêt. Musique savante, mais monotone. Décoration ravissante au dénouement.
Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez Roullet, 1809 :
La Mort d'Adam et son apothéose, tragédie lyrique en trois actes. Représenté pour la première fois sur le Théâtre de l'Académie impériale de musique, le vendredi 17 mars 1809.
Sur la page suivante :
Le Poëme est de Mr. Guillard.
La Musique est de Mr. Lesueur, Directeur de la musique de la chapelle de S. M. l'Empereur et Roi.
Les Ballets du dernier Acte sont de la composition de Mr. Gardel, Maître des Ballets de S. M. l'Empereur et Roi.
Ceux du premier Acte sont de Mr. Milon.
Il a été fait, aux dernières répétitions, dans l'Apothéose, des retranchemens qu'il n'était plus tems de faire dans l'impression.
La Mort d'Adam a eu bien du mal à paraître sur la scène : en 1801, Lesueur publie une Lettre en réponse à Guillard sur l'Opéra de la Mort d'Adam, dont le tour de mise arrive pour la troisième fois au Théâtre des Arts et sur plusieurs points d'utilité relative aux arts et aux lettres. Manifestement, les obstacles étaient nombreux !
Le Journal de Paris, dans ses numéros du 21 mars 1809 (n° 80), p. 586 (réponse à une lettre parue dans le Journal de l’Empire du 17 mars) et du 31 mars (n° 90), p. 679, contient des lettres de Guillard, Lesueur et Hoffman concernant la pièce (Hoffman accuse Guillard d’avoir plagié la Mort d’Abel).
Journal de Paris, n° 81, du 22 mars 1809, p. 598 :
[Un article très prudent : succès, oui, en apparence, mais il y a beaucoup à dire, sur les conditions de la représentation, sur le livret, « languissant & dénué d’intérêt », sur la musique où transparaît aussi « le vice du sujet ». Une seule chose peut être sauvé, « les décorations de l’apothéose ».]
La Mort d’Adam, opéra en 3 actes, paroles de M. Guillard, musique de M. Lesueur. – Il n’est pas si facile qu’on pourrait le croire, de dire si cette tragédie lyrique a véritablement réussi. Les nombreux applaudissemens qu’elle a obtenus dans le cours de la représentation, surtout à la fin du 3.e acte, & l’empressement que quelques personnes ont mis ensuite à demander les auteurs, sont bien, du moins en apparence, ce qui constitue un succès ; mais de léger smurmures se sont fait entendre, mais l’extrême lenteur d e l’action a plus d’une fois lassé la patience du public ; quelques sifflets impertinens ont voulu contrarier après la représentation, le désir des spectateurs bénévoles qui s’enrouaient à crier : l’auteur!... la réussite de l’ouvrage peut donc être contestée, & au théâtre de l’Opéra, il est rare que de véritables succès éprouvent cette opposition.
Il y a pourtant dans la Mort d’Adam des beautés sur lesquelles tout le monde nous paroît d’accord, & qu’on ne peut même louer assez dignement ; ce sont les beautés qu’offrent, à la fin, les décorations de l’apothéose ; de toutes les merveilles qu’on voit au théâtre de l’Opéra, celles-là sont peut-être les plus étonnantes. Elles forment un spectacle ravissant & qui doit, seul, assurer à l’ouvrage une longue suite de représentations.
Le poëme nous a paru languissant & dénué d’intérêt ; le fonds en est triste & peu susceptible d’effets dramatiques ; c’est une agonie en trois mortels actes ; le vice du sujet se fait sentir jusque dans la musique ; nous y avons remarqué des chœurs, une invocation, & d’autres morceaux d’ensemble qui nous ont paru travaillés avec force, & qui exécutés séparément, auroient sans doute obtenu un grand succès ; mais l’ensemble en est monotone, lamentable, fastidieux. Le musicien, homme d’un talent rare, a fait en pure perte de très grands calculs d’harmonie ; on louera sous le rapport de la science, le mérite de sa composition ; mais les auteurs qui voudront plaire ne le prendront pas pour modèle.
Nous donnerons un autre jour l’analyse de la pièce.
L’Esprit des journaux français et étrangers, tome V, mai 1809, p. 272-280 :
[L’article constate d’abord le succès qui lui semble durable de la Mort d’Adam, qu’on peut définir comme un drame religieux ou une tragédie. Le succès est inattendu, du moins pour l’auteur des paroles, et c’est l’activité du musicien qui a permis à l'œuvre d’atteindre enfin les spectateurs et a vivement encouragé le parolier à tout faire pour que la représentation ait lieu. Le critique considère que tout sujet est susceptible d’intéresser le public, même un sujet austère comme celui de la Mort d’Adam : ce qui motive le public, c’est le traitement du sujet plus que le sujet lui-même. A l’annonce du titre, personne ne pouvait attendre « des tableaux rians ou gracieux » ou « une musique brillante et légère ». La musique de Le Sueur paraît poser problème au critique, qui attendait une musique « d’une extrême simplicité », une simplicité que seuls « les grands mélodistes » sont capables de proposer. Il semble juger sa musique trop ambitieuse, comme s’il avait « prétendu sans doute être poëte à un assez haut degré pour n'être plus musicien ». L’expression de cette idée passe par une supposition, et si c’était Sacchini qui avait écrit la Mort d’Adam). Et il tente de décrire cette musique idéale à ses yeux, une musique qui n’est justement pas ce que Le Sueur a écrit : sa musique est « vague, indéterminée, sévère sans s'emparer de l'imagination, et triste sans émouvoir les ames ». L’examen des différents actes montre les passages correspondant à ce que le critique attendait. Il s’achève sur l’éloge enthousiaste des décors créés pour la fin de l’ouvrage, l’apothéose d’Adam. Leurs créateurs sont étroitement associés à la grandeur du spectacle proposé par l’Opéra.]
Académie Impériale de Musique.
La Mort d'Adam, tragédie lyrique en trois actes.
Les représentations de la Mort d'Adam se sont continuées sans interruption depuis la première ; ce drame religieux, cette tragédie dont le sujet remonte en même temps au berceau du monde et au principe de notre foi, peut sans difficulté, dans cette époque de l'année consacrée aux solennités les plus saintes, succéder aux exercices pieux, et tenir lieu, soit d'un oratoire, soit d'un véritable concert spirituel.
Le concours des spectateurs a toujours été très-considérable ; l'impression première qu'on avait éprouvée, n'a fait que se confirmer en devenant successivement le partage d'un plus grand nombre d'individus.
L'auteur du poème, M. Guillard, paraît avoir eu de son ouvrage une idée juste ; sa modestie était ici inséparable de son talent ; il se défiait du choix du sujet et de son effet sur un spectateur accoutumé à se livrer sur notre grande scène lyrique à d'autres illusions, à tous les prestiges de la féerie, à tous les tableaux que présente la mythologie.
Le musicien, M. Le Sueur, encouragé par des succès brillans, mais inattendus, inespérés et contestés à l'avance, ainsi qu'il le raconte lui-même, avait plus de confiance dans le poëte ; on en peut juger par ce qu'il lui écrivait en l'an 10, pour vaincre son irrésolutiou, pour le déterminer à combattre une opposition sérieuse, une rivalité redoutable ; rappeller ce que disait M. Le Sueur de la Mort d'Adam, et ce qu'il espérait des effets ménagés au musicien par le poète, nous dispensera de faire pas à pas l'analyse de l'ouvrage.
M. Le Sueur félicitait M. Guillard d'avoir transporté sur notre scène l'Adam de Klopstock, comme l'OEdipe de Ducis, comme l'Iphigénie de Guymond de la Touche ; laissez-lui, disait-il, placer votre statue dans son lieu, attendons la décoration, le costume, le nom des personnages, l'effet des mœurs patriarchales de ces temps antiques ; je vous réponds des pleurs des enfans d'Adam....
Attendez que le parterre voie le père des hommes descendre vers le tombeau d'Abel; qu'il adresse à l'Eternel son auguste prière ; qu'il lui demande sa faveur pour sa race ; qu'il prenne la noble résolution de préparer son tombeau : attendez la scène solennelle où l'ange de la mort vient lui annoncer sa fin prochaine ; attendez la noble réponse du père des hommes, puis sa touchante douleur sur la perte de l'un de ses fils égaré dans la force des cèdres, son éternel adieu au séjour délicieux d'Eden ; attendez les terribles scènes de Caïn maudissant son père et frémissant à la vue du tombeau où ce père va descendre, la douleur auguste d'Eve, les terreurs des enfans d'Adam, le jeune Siméon retrouvé et recevant les derniers embrassemens de son père ; enfin l'heure fatale, le retour de l'ange exterminateur, le dernier rayon de joie brillant sur le front vénérable d'Adam bénissant sa race et prédisant au genre humain qui va naître, les grands événemens qui lui sont comptés dans le livre des destinées : attendez et espérez.
C'est ainsi que M. Le Sueur retraçait à l'auteur du poëme les principales situations de son ouvrage, pour ranimer en lui l'espérance d'un grand succès, et le déterminer à le tenter ; pénétré de la beauté de ce sujet, c'est avec une bonne foi remarquable et une générosité tout-à-fait digne d'un grand artiste, qu'il déclarait à l'auteur que si la Mort d'Adam n'avait pas un grand succès, ce serait lui seul qu'il en faudrait accuser, Je n'aurais pas atteint, dit-il, cette nouveauté de formes, cette originalité, cette sorte de caractère primitif de grandeur et de sublimité nécessaires dans un tel ouvrage.
S'il était vrai qu'en effet la Mort d'Adam eût eu peu de succès, que l'émotion n'eût pas été générale et l'intérêt pressant, nous ne dirions pas à M. Le Sueur que c'est lui seul qu'il en faut accuser ; il y a, sans parler de la musique, des défauts sensibles dans le poëme, et le premier de tout est, sans contredit, le défaut d'action, l'uniformité, la monotonie de la situation, la faiblesse des incidens, leur peu de liaison avec le sujet, la longue attente d'un événement prévu, annonce inévitable, souvent aussi la négligence du style.
Il .faut se garder de croire que le goût du public repousse de tels sujets plus que d'autres : en général, le public ne se montre difficile que sur le mérite d'exécution ; et quelque sujet qu'on choisisse, il ne demande qu'une chose ; est-il bien traité ? Est-il intéressant ? Promet-il du plaisir ou de l'émotion ? Satisfait-il l'esprit ou le cœur ? La Mort d'Adam traitée d'une manière plus dramatique, l'aurait intéressé comme tout autre sujet, et il ne faut ici rien rejetter, et sur la frivolité dont on chargerait injustement ce siècle plutôt qu'un autre, ni sur une accusation non moins injuste d'éloigement pour les idées qui tiennent à la religion, ni sur-tout sur le goût des modernes mélomanes, goût qu'on accuse d'être un peu efféminé. Tout cela nous semble étranger au succès de la Mort d'Adam, et le succès constant de Saiïl, qui est aussi un sujet sacré, suffit pour y répondre : le titre annonçait assez dans quel cercle d'idées l'imagination du poète se trouverait renfermée ; personne ne venait demander des tableaux rians ou gracieux ; personne ne s'attendait surtout à entendre une musique brillante et légère ; mais on pouvait espérer du poëte plus de variété dans l'emploi des moyens que lui offrait son sujet, plus de liaison et de gradation dans les événemens, plus d'art enfin dans un sujet qui en exigeait plus que tout autre. On pouvait demander au musicien non pas de sacrifier au goût moderne, et de faire en sa faveur un contre-sens et une absurdité, mais de renoncer à une prétention chimérique qui nous semble l'avoir souvent égaré dans cette grande composition.
Il s'est pénétré de la situation de l'homme dans la nature primitive ; il a voulu donner à sa composition un caractère particulier , une couleur locale, rechercher, ce sont ses expressions, une sorte de mélopée antique : mais ce caractère, cette couleur, cette mélopée, telle que notre imagination se les représente, devaient être d'une extrême simplicité ; il fallait donc être très-simple dans la composition, et ici la difficulté apparaît toute entière ; il n'y a que les grands mélodistes qui soient simples, il n'y a qu'eux qui le puissent être : Piccini le fut avec noblesse, Sacchini avec une expression pathétique, Paësiello avec une grace et une élégance continue : M. Le Sueur a sans cesse dans ses écrits invoqué ces grands noms ; il les a toujours désignés pour modèles, mais on peut les admirer, et ne pas réussir toujours à les imiter.
La couleur locale est un mot dont il est facile de se servir, et très-facile d'abuser. Les ouvrages de Grétry ont ce mérite au suprême degré ; voyez Aucassin et Richard :on entend ce mot lorsqu'il s'agit, par exemple, des Bardes ou des Troubadours ; M. Le Sueur l'a prouvé mieux qu’un autre ; à cet égard, il existe des données, les instrumens même sont indiqués, c'est déjà beaucoup, et M. Le Sueur les a très-habilement employés ; mais en remontant aussi haut, et voulant être aussi vrai dans la peinture du premier âge que dans celle des âges connus, de quelle imagination, ou plutôt de quel sentiment exquis ne faudrait-il pas être doué ? La vérité n'est ici que l'idéal ; dans les arts, c'est toujours le beau idéal qui fixe l'admiration, qui rend les productions durables et les noms immortels ; mais quel musicien peut se flatter d'y atteindre dans une situation longue, fatigante et toujours la même ?
Je ne sais si Sacchini eût choisi la Mort d'Adam ; mais en écrivant sur ce poëme, il n'aurait pas prétendu sans doute être poëte à un assez haut degré pour n'être plus musicien, et se pénétrer assez du sentiment de la vérité pour sortir souvent des seuls moyens qui peuvent donner à son art son charme et tous ses effets. Il eût été constamment mélodiste, constamment pur et chantant ; c'était le secret de son ame, plus encore que celui de son talent : il eût adouci les teintes franches et sévères des scènes principales, comme il l'a fait dans Oedipe par des oppositions pleines de charme et de douceur ; Caïn dans ses menaces, Caïn dans ses remords eût fait frémir, mais il eût chanté : écoutez les admirables scènes de Polynice : Adam eût eu un caractère de déclamation auguste, solennel, patriarchal, mais il eût chanté : écoutez les airs admirables et le récitatif plus admirable encore d'OEdipe. Nous sommes loin de reprocher à la musique d'Adam le caractère de musique sacrée, auquel elle s'élève par intervalles. La musique de Léo, de Durante , d'Iomelli est sacrée, et rien de plus admirable qu'elle. Nous nous plaignons au contraire que souvent la musique de la Mort d'Adam soit vague, indéterminée, sévère sans s'emparer de l'imagination, et triste sans émouvoir les ames.
Notre compositeur, entraîné par l'idée d'un mieux imaginaire, nous semble resté cette fois au-dessous de son propre talent, et de ce qu'on est en droit d'attendre de l'auteur de la Caverne, de Télémaque et des Bardes, ouvrage trop long peut-être, mais qui offre des traits d'une grande énergie et une véritable originalité. Les éloges que cent fois nous avons donnés à ces ouvrages, garantissent ici notre impartialité.
Le premier acte, celui dans lequel M. Le Sueur s'est le plus livré au système qui le dominait, est le plus froid, et le moins véritablement musical, à l'exception du premier chant ; il y a plus de chant dans le second, et de beaux effets dans les chœurs ; le troisième acte rentre plus que les autres dans ce que sous appellerons un style positif ; il y a moins de recherches d'une vérité prétendue, et plus de vérité réelle, surtout plus d'énergie et de chaleur ; il faut convenir que la scène des adieux d'Adam, sa prédiction, et les chœurs qui saluent son ame prête à s'élancer vers son auteur, sont écrits avec inspiration, et produisent une vive émotion ; cette scène se lie heureusement au magnifique spectacle de l'apothéose d'Adam (si l’on peut employer ce terme païen dans un sujet qui l'est si peu) ; là, le décorateur est venu accomplir avec un talent inexprimable, et des moyens qu'on ne peut décrire, l'intention assez facilement exprimée par le poëte ; celui-ci n'a eu que la peine de concevoir une idée qui devait naître assez naturellement ; il n'a eu qu'un mot à écrire, car le deuil universel dont parle M. Le Sueur dans sa lettre à M. Guillard, eût terminé d'une manière bien lugubre un sujet dont la triste monotonie est le premier défaut ; mais le décorateur et le chorégraphe, a la voix du poëte, ont ouvert les profondeurs du puits de l'abîme, et bientôt après les espaces brillans de lumière, habités par les ames heureuses ; ils ont rétabli l'Opéra dans tous les droits de sa magnificence, et reculé les bornes de sa magique perspective : il faut donc ici que le poëte et le musicien accordent aux artistes qui les secondent une part réelle du succès qu'ils peuvent obtenir, et il est juste de nommer après eux M. Degotti qui a conçu cette étonnante décoration, et M. Bochet qui l'a exécutée avec la plus grande habileté.
S....
Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, 14e année, 1809, tome II, p. 168-169 :
[L’opéra a été longtemps annoncé, et sa représentation était très attendue. Le compte rendu montre plutôt la déception des premiers spectateurs L’image donnée du déroulement de la pièce est assez négative : « Adam […] passe son temps à se lamenter et à dormir ». Peu d’incidents donc, seule la fin est « un beau spectacle », et le compte rendu la décrit avec précision. C’est cette apothéose finale qui « attirera la foule ». Sinon, la pièce est plus un oratorio qu’un opéra. Le livret est critique : « l‘'ouvrage est d'un genre trop sérieux, et l'auteur n'a pas su y donner du mouvement ». la musique est jugée de façon plus favorable (elle « est belle et religieuse »), plusieurs morceaux sont remarqués, mais « elle se ressent en général de l'influence du poème », influence négative, bien sûr.]
ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.
La Mort d'Adam, opéra en trois actes, joué le 21 mars.
On vient enfin de représenter cet ouvrage prôné, attendu depuis si longtemps. L'attente générale a été un peu trompée, et la pièce n'a pas produit tout l'effet qu'on en attendoit. La simplicité du sujet, l'uniformité des situations, tout a contribué à rendre la représentation très-froide. Au lever de la toile, Adam sait qu'il doit bientôt mourir, l'ange exterminateur vient lui annoncer qu'aussitôt que le soleil se sera caché derrière la forêt des cèdres, il cessera d'exister. Adam éprouve donc pendant toute la pièce une grande difficulté de vivre, il meurt en détail : il passe son temps à se lamenter et à dormir. Au troisième acte, il est aveugle ; enfin il bénit ses enfans, le soleil se couche et il meurt.
Les seuls incidens qui se trouvent dans l'ouvrage, sont la perte du dernier né d'Adam, et la visite que lui fait Caïn avec toute sa race pour le maudire. Mais la fin amène un beau spectacle. La nature se couvre de deuil, des voix gémissantes pleurent le père du genre humain. Les démons veulent enlever son ame, ils sont foudroyés et rentrent dans leurs abîmes. Bientôt le premier ciel s'ouvre, et l'ombre d'Abel reçoit celle d'Adam ; elles sont élevées toutes les deux jusqu'au trône de l'Eternel au milieu des légions d'anges, dont les chants mélodieux et les danses gracieuses, forment le spectacle le plus ravissant. Cette apothéose est ce que l'on a jamais vu de plus beau à l'Opéra : elle attirera la foule. L'ouvrage est d'un genre trop sérieux, et l'auteur n'a pas su y donner du mouvement. C'est un Oratorio qui sera très-bien placé dans la semaine sainte. La musique est belle et religieuse. On y a remarqué deux beaux chœurs, celui des Démons et celui du fils de Caïn ; l'air d'Abel, et plusieurs duos : mais elle se ressent en général de l'influence du poème. Les paroles sont de M. Guillard, la musique de M. Lesueur.
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