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Montoni, ou le Château d’Udolphe

Montoni, ou le Château d’Udolphe, drame en cinq actes et en prose, d’Alexandre Duval, musique de Sophie Gail, 11 fructidor an 6 (28 août 1798).

Palais des Variétés.

Titre :

Montoni, ou le Château d’Udolphe

Genre

drame

Nombre d'actes :

5

Vers / prose

prose

Musique :

oui

Date de création :

11 fructidor an 6 (28 août 1798)

Théâtre :

Théâtre de la Cité-Variétés

Auteur(s) des paroles :

Alexandre Duval

Compositeur(s)

Sophie Gail

La pièce a été publiée chez Migneret. Dans les œuvres complètes de Duval, elle est présentée ainsi :

Montoni, ou le Château d’Udolphe, drame en cinq actes et en prose, imité du roman les Mystères d’Udolphe. Représentée en 1797.

La pièce est précédée d’une notice, p. 391-397 :

NOTICE SUR MONTONI.

Les Voleurs de Schiller venaient d'obtenir, sous le titre de Robert, chef de Brigands, le plus grand succès sur le théâtre dit alors de la République. L'acteur qui jouait le principal rôle, enchanté de l'effet qu'il y avait produit, me pria de lui faire un autre rôle dans ce genre allemand, que depuis l'on a nommé romantique. Comme je ne demandais pas mieux que d'avoir une occasion de faire briller ses talents, je cherchai long-temps un sujet bien noir qui me fournît des évènements surnaturels et des scélérats bien profonds. Ne trouvant rien qui pût approcher du chef-d'œuvre de Schiller, j'allais renoncer à mon projet, lorsque le hasard me fit tomber dans les mains les Mystères d'Udolphe, de Madame Radcliff. Quelle fut ma joie de trouver réuni dans un seul roman un assortiment complet de portes secrètes, de musique aérienne, de revenants, de tours du Nord, enfin tout ce qui peut completter le grand, le beau, le merveilleux !

Riche de tous ces tours de passe-passe que renferme le roman, il ne me restait plus qu'à disposer ma fable d'une manière vraisemblable, qu'à donner de la générosité et des remords à mes bandits, et finir, comme cela se pratique, par faire triompher l'innocence persécutée. Une fois engagé dans les souterrains de mon Château d'Udolphe, je ne voulus plus revenir sur mes pas, et, pour en sortir, je parvins à arranger assez passablement tout ce fatras romanesque. Cependant je dois convenir que, tout en riant moi-même de la puérilité de mes combinaisons, j'aperçus, dans le personnage de Montoni, un caractère bien fait, et qui pouvait avoir quelques succès dans le genre terrible. En donnant plus de développement au rôle secondaire d'Orsino, et en ajoutant de mon propre fonds quelques autres merveilleuses horreurs, je fis de tout cela un énorme monstre dramatique qui aurait pu me faire en Allemagne une certaine réputation. Certes, le lecteur ne pourra blâmer de ma part ce petit accès d'amour-propre, puisque Montoni obtint à Paris même, sur un théâtre secondaire, un assez brillant succès. Tel est le goût du peuple pour ces monstruosités, que ce drame est encore joué dans les provinces, beaucoup plus que mes comédies qui ont obtenu du succès sur le Théâtre-Français.

Cependant, dès que j'eus achevé ce grand œuvre, je fus si effrayé d'avoir si bien employé les ressorts que m'avait fournis madame Radcliff, que je n'osai pas même le lire au Théâtre pour lequel je. l'avais composé. Je sentis que, si je débutais sur le Théâtre de la Nation par ce grand ouvrage de l'espèce bâtarde, je risquais de me donner un ridicule qui pouvait semer ma carrière d'obstacles et de dégoûts. D'ailleurs une idée nouvelle, en portant mon imagination sur un autre objet, m'eût bientôt fait oublier mes Tours du Nord et leurs brigands; ce fut la Jeunesse de Richelieu qui me sortit de ce repaire. Si, dans ce dernier ouvrage, j'avais un sujet difficile à traiter, je pouvais au moins le rendre intéressant par des moyens simples et naturels, et j'avais de plus le comique d'un caractère connu et la peinture des mœurs d'une époque qui n'était pas éloignée de la nôtre. Aussi ce ne fut que long-temps après la représentation de la Jeunesse de Richelieu, que je cédai aux demandes du théâtre qui voulut représenter Montoni. On me fit des propositions si séduisantes que je n'eus pas le courage d'y résister : ce qui me détermina à les accepter, ce fut la certitude que j'avais, en cas de revers, de ne pas succomber au moins sur mon terrain. Échappé au danger, je promis bien, dans ma préface, de ne plus retomber dans la même faute, en m'exerçant dans un genre que le bon goût semblait réprouver. Eh bien ! telle est la différence des temps, que, si j'étais à faire aujourd'hui cette promesse, que je faisais alors dans toute la sincérité de mon ame, j'y regarderais à deux fois. Le temps m'a démontré une grande vérité que ma raison veut en vain repousser encore. Oui, l'effet qu'a produit cette pièce bizarre, tant à Paris que dans les provinces, m'a convaincu qu'une extravagance dramatique, conduite avec un certain art, peut l'emporter, dans l'esprit de la multitude, sur un ouvrage bien pensé et bien écrit. Si la classe instruite se moque des mélodrames dans ses salons, le peuple y court avec fureur, et, malgré ses plaisanteries, les gens de goût eux-mêmes se montrent peuple et, comme lui, courent au Boulevard. Je vais essayer de démontrer l'influence que peut avoir ce goût général qui fera oublier, momentanément au moins, toutes les beautés de notre ancien théâtre français.

Si la censure continue de rejeter toutes les pièces qui offriront la peinture de nos mœurs modernes, comment satisfaire le goût du public et son entraînement pour la nouveauté ? Il faut l'amuser d'abord ; et, ne pouvant obtenir ce qu'il désire, il finira par accepter ce qu'on lui présentera. Sans doute, si on le laissait le maître de ses plaisirs, il est dans ses goûts de préférer ce qui est vrai et raisonnable à ce qui est outré et invraisemblable. Il préfèrerait toujours le tableau des caractères et des ridicules qui sont sous ses yeux, à l'assemblage tudesque de mille évènements souvent communs, quoique intéressants. Mais les auteurs, ne pouvant plus prendre la nature sur le fait, seront forcés, pour obtenir la bienveillance du public, de se jeter dans le vaste champ du romantique, et parviendront ainsi à lui offrir une récolte plus abondante que précieuse. Qu'on ne se trompe pas sur les craintes que je manifeste, de voir une invasion de ce genre sur le Théâtre-Français. Elle sera telle qu'elle atteindra jusques aux chefs-d'œuvre des siècles passés. L'on est déja familiarisé tellement avec les mots de genre romantique, qu'on fait hautement des cours sur ce genre, dans nos lycées, et que même il n'est plus repoussé par l'Académie. Qu'il se présente un auteur qui sache ajuster avec adresse les drames allemands ou anglais; qu'en respectant encore un peu les règles d'Aristote, il produise un drame fort d'action, de comique et d'intérêt, fût-il dénué de vraisemblance et même de bon goût, j'ose lui prédire un succès complet. Que tous les littérateurs imitent cet exemple, et dans vingt ans on ne jouera plus ni Corneille, ni Molière, ni tous ceux qui ont voulu marcher sur leurs traces. Cette direction que prendra le théâtre est une suite de notre position politique ; et, comme je l'ai déja dit, la satire des ridicules modernes, dans la comédie, et, dans la tragédie, la véritable politique des rois ne pouvant plus être exposées sur la scène, il faudra bien que le public, dont on ne veut pas satisfaire les goûts, cherche, dans les pièces imitées de l'étranger, d'autres émotions et d'autres plaisirs. Ce n'est pas que je craigne que le genre romantique s'établisse en France d'une manière durable ; il y a trop d'esprit et de raison dans la nation française, pour qu'elle ne force pas les auteurs à revenir à la simplicité dans leurs productions. Alors les auteurs jouiront d'un avantage que ne pouvaient avoir leurs prédécesseurs, c'est qu'ils seront moins timides dans leurs tableaux, moins maniérés dans l'exécution et plus énergiques dans les détails. Il ne faudra, pour arriver à cette belle simplicité, qu'une époque où les auteurs n'auront pour censeurs que des indépendants, des philosophes, et, pour les juger, qu'une nation forte de ses lois et de sa liberté.

La musique des deux romances de Montoni fut faite par une dame qui a mérité sa célébrité par de grands talents, et par le genre aimable de son esprit, qui la faisaient chérir et désirer dans toutes les sociétés. Madame Gail, dont tout Paris a entendu la jolie musique, cherchant, à l'époque où je donnai ma pièce, à faire connaître le talent qu'elle avait déja acquis, me demanda à composer les deux seuls morceaux de ce bizarre ouvrage. Elle réussit parfaitement, en leur donnant un chant conforme au temps et au caractère des personnages. Un véritable connaisseur, après avoir entendu la chanson du Bon Roi Chrétien, aurait pu assurer que madame Gail avait reçu de la nature un talent tout-à-fait dramatique. Elle l'a bien prouvé depuis par ses opéras des Deux Jaloux et de la Sérénade. Ses débuts avaient été trop heureux dans cette carrière brillante, mais bien périlleuse, pour ne pas lui faire espérer un plus grand nombre de succès. Elle les aurait obtenus sans doute, si l'impitoyable mort ne fût venue la frapper dans cet âge où le talent s'accroît encore.

Cet hommage, que je rends à la mémoire d'une femme aimable, est une dette que j'acquitte au nom du public qui regrette ses talents, de son aimable sœur et de son fils qui la pleurent encore, et de ses nombreux amis qui conserveront un long souvenir des agréments de son esprit et de la franchise de son caractère.

Hélas ! à peine suis-je entré dans la route que je dois parcourir ; à peine me suis-je occupé du soin de rappeler à ma mémoire les artistes qui ont contribué, par leurs talents, à mes travaux, à mes succès, que déja cinq tombes ont attristé mes regards. Saluons et passons vite. Guidé dans mon voyage par la vive Thalie, ce n'est pas avec elle que je dois m'arrêter dans des champs funéraires.

Courrier des spectacles, n° 496 du 14 messidor an 6 [2 juillet 1798] p. 2 :

[La pièce n’a pas encore été jouée, et c’est à partir de la brochure que le critique en rend compte dans un long article qui se divise en deux parties, d’un intérêt très inégal. La deuxième partie est un très long résumé d’une histoire compliquée, confuse, d’une noirceur extrême. L’intérêt se limite à faire connaître le genre de pièce qu’on peut tirer de ces romans noirs qui sont tellement à la mode. Cette partie s’achève sur un cri du cœur très significatif : « Ainsi finit cette horrible pièce ». Ce qui est intéressant, par contre, c’est la première partie, où Le Pan, le directeur du Courrier des spectacles, dit tout le mal qu’il pense de cette pièce, et de toutes les pièces du même genre. Comme la représentation était retardée, l’auteur a fait imprimer sa pièce, et il l’a accompagnée d’une préface où il prend l’engagement de ne plus écrire de pièce reposant sur un de « nos romans modernes ». Promesse dont le critique se réjouit, dont il souhaite qu’elle soit reprise par les autres auteurs de drames, « ces pièces monstrueuses qui ne retracent que des forfaits que l’ame honnête ne peut soupçonner et dont l’image ne peut qu’être affligeante sans avoir aucune utilité ». Car c’est bien le reproche moral qui motive la condamnation du critique : « le théâtre doit avoir pour but d’instruire en amusant » (formule bien connue !), et il s’interroge sur le profit que le spectateur peut tirer de ces pièces où on ne voit que des criminels. Quand naguère on ne voulait pas même représenter au théâtre « les premières impressions de l’amour », aujourd’hui on y montre « les pensées les plus secrettes des scélérats les plus profonds », souillant ainsi des « cœurs honnêtes et vertueux ».]

Montoni, ou le Chateau d’Udolphe, drame en cinq actes, imité du roman. Les Mystères d’Udolphe, par le citoyen Alex.... D... Prix, 3o s. Chez Migneret, Imprimeur, rue Jacob, N°'. 1186 ; Vente, libraire, Boulevard des Italiens.

Un nouveau drame alloit offrir sur la scène le spectacle hideux des crimes les plus atroces. Des spectres, des fantômes imaginés pour l’effroi et le tourment du coupable, alloient encore révolter les gens de goût, et porter une nouvelle atteinte à l’art dramatique. Montoni, reçu depuis huit mois au théâtre de la République, alloit y être joué, lorsque les changemens arrives dans ce spectacle, en apportant des retards à la représentation de cette pièce, ont déterminé l’auteur à la faire imprimer. C’est ce qu’il apprend dans un avis en tête de son ouvrage, avis qui devient précieux par la promesse qu’il y fait, par respect pour les amateurs du bon genre, de ne plus puiser à l’avenir aucun ouvrage dramatique dans nos romans modernes.

Puisse une pareille promesse de la part d’un auteur connu par plusieurs succès, et qui, dans l’ouvrage même dont il est ici question, prouve par plusieurs scènes, avoir, la connaissance du théâtre, et posséder particulièrement l’art du dialogue, puisse, dis-je , une telle promesse servir d’exemple aux autres auteurs de drames, de ces pièces monstrueuses qui ne retracent que des forfaits que l’ame honnête ne peut soupçonner et dont l’image ne peut qu’être affligeante sans avoir aucune utilité.

Le théâtre doit avoir pour but d’instruire en amusant. Quel est l’homme assez barbare pour s’amuser à voir des brigands, des assassins méditer tous les crimes ? Quelle instruction peut-on tirer d’un pareil spectacle ? Il ne pourroit tout au plus être qu’à des demi-brigans qui éprouvant en eux les mêmes sentimens que ceux qui animent les personnages qu’ils voyent représenter dans ces pièces, pourraient craindre d’éprouver leur sort. Comment ne sent-on pas que de pareilles pièces ne sont propres qu’à endurcir le cœur et l’accoutumer à commettre sans étonnement ils plus grands crimes ? Quoi ! des gens sages ont craint qu’il ne fût dangereux de présenter dans les ouvrages dramatiques les premières impressions de l’amour, de ce sentiment que l’être le plus pur est appelé à sentir, et l’on n'a pas honte aujourd’hui de bâtir tout l’édifice d’une longue pièce sur un plan dont le but est d’offrir les pensées les plus secrettes des scélérats les plus profonds. Que de cœurs honnêtes et vertueux n'avoient jamais eu l’imagination souillée de ces pensées criminelles qu’on étale pompeusement à leurs yeux, depuis quelques années, sur les théâtres de cette ville. Quelle nécessité de forger des crimes pour nous présenter des tableaux que nous n’étions point appelés à voir ? Mais revenons à Montoni.

Issu d'une des premières familles d’Italie, après s’être distingué dans les armées, Montoni est parvenu à se faire mépriser par sa conduite et à attirer sur lui les poursuites du sénat Vénitien. Sa fuite l’a conduit au château d’Udolphe, que possédoit Laurentina sa cousine ; il l’a épousée et a attiré près de lui plusieurs de ses compagnons de débauches. Muni d’une donnation, un crime pouvoit lui assurer tous les biens du son épouse ; Montoni n’a pas hésité, et Bertrand, un de ses affidés, a été chargé de la poignarder. Le château d’Udolphe, défendu par des fortifications, est bientôt devenu le repaire de tous les scélérats de Gênes et de Venise ; c’est à leur tête que Montoni fait des incursions sur les territoires voisins qu'il dévaste, et dont il rap porte des butins immenses.

Dans une de ses courses il a enlevé sur la route de Venise Eléonore, qui, avec Anna sa suivante, alloit voir Vivaldi son frère. Les gens qui l’accompagnoient ont été massacrés, et depuis six mois elle est prisonnière de Montoni, qui veut en faire sa femme. Le lendemain est le jour fixé pour leur union, et la malheureuse Eléonore n’a nul moyen d'échapper à son tyran. Ludovico, ancien valet de Lamentina, est demeuré au service de Montoni, a su plaire à Anna, et celle-ci fonde sur lui de grandes espérances. En effet, Ludovico découvre bientôt que parmi les recrues arrivées depuis un mois au château, il est un étranger qui cherche à s’introduire dans le pavillon où est Eléonore. Cet étranger est Vivaldi lui-même, qui ayant appris l’enlèvement de sa sœur, est venu se confondre parmi les gens de Montoni dans l’espoir de trouver l’occasion de la délivrer. Il vient d’être nommé pour commander des cavaliers qui doivent aller reconnoître les troupes vénitiennes, et Ludovico retourne près d’Eléonore lui apprendre cette agréable nouvelle, et qu’il apportera pour elle et pour Aima une cape militaire, à la faveur de laquelle elles pourront vers les dix heures sortir au milieu dus cavaliers.

Orsino second chef de la troupe vient d’arriver avec de nouvelles recrues. Cet italien non moins scélérat que Montoni, est devenu son ennemi secret. Jaloux du commandement, piqué des outrages qu’il a reçus de son chef, il a résolu de s’en venger, et a été promettre au sénat de lui livrer Montoni. Parmi ceux qu’il amène sont des gens du comte Udolphe, oncle de Laurentina ; c’est par leur secours et en se concertant avec les troupes vénitiennes, qu'il ne doute pas de vaincre son ennemi ; c’est à Vivaldi même qu’il fait cet aveu en l’engageant à se joindre à lui.

Laurentina n’est pas morte, Bertrand, sous les dehors les plus grossiers, cache une ame honnête, il n’a point assassiné sa maîtresse ; il l’a reléguée dans des souterrains du château, d’où elle sort quelquefois pendant la nuit pour se promener sur les ramparts. C’est de là qu’elle a sou vent effrayé par ses chants les soldats en faction, qui ont répandu le bruit qu'il y avoit des fantômes dans le château. Cette nuit même elle se promène au moment où Eléonore et sa suivante rejoignent Vivaldi. Un soldat apperçoit le prétendu fantôme, donne l’allarme, Laurentina s'enfuit, Montoni arrive ; il voit Vivaldi qui ne dissimule pas qu’il se disposoit à emmener Eléonore. Sa mort devroit punir son audace ; mais il est frère d’Eléonore, on se contente de le faire conduire en prison.

On va donner un banquet pour célébrer l’hymen de Moutoni avec sa prisonnière, les principaux officiers sont invités, Orsino est du nombre. Avant le repas on remet à Montoni une lettre du comte Marilla, autrefois son ami. Ce seigneur, en lui témoignant le mépris qu’il lui inspire, le prévient qu'Orsino n’est rentré près de lui que pour le livrer mort ou vif au sénat. A cette nouvelle Montoni fait venir un de ses soldats, et lui ordonne d’assassiner Orsino. Cent doubles ducats ou un cachot éternel, il faut qu’il choisisse. Spalatro, c’est le nom du soldat, se charge de tout ; il a en pareille circonstance rendu le même service à Orsino. Un entretien que ce dernier a avec son chef, éveille ces soupçons; ils sont confirmés par la lettre de Marilla que Montoni a laisser tomber. Orsino voyant que ses projets sont connus, ne songe plus qu’à prévenir les coups qui le menacent. On sert le festin ; il est bientôt interrompu par les chants de la malheureuse Laurentina. Montoni, tout brave qu’i1 est, ne peut s’empêcher d’être troublé ; tous les convives se lèvent pour écouter près de la fenêtre, Orsino profite de cet instant pour mettre du poison dans la coupe de Montoni, Spalatro en met également dans celle d’Orsino. Moutoni voit bouillonner la 1iqueur qu’on lui a versée. « Je suis trahi, s’écrie-t-il, et il déclare que son vase a la propriété de ne pouvoir contenir aucun poison. En effet, la coupe se brise. Orsino déconcerté, rejette ce crime sur Eléonore, mais son amant n’est pas dupe du stratagème, et feint de ne pas connoître le coupable. On annonce que les troupes Vénitiennes paroisseut ; Montoni sort pour les combattre, après avoir fait conduire Eléonore dans l’appartement qn’occupoit Laurentina. L’ennemi est repoussé. Montoni fait appeler Orsino. L’explication est vive entre eux. Ils ne se dissimulent plus leur haine. Montoni veut faire juger Orsino comme ayant voulu l’empoisonner ; la lettre de Marilla doit appuyer sa dénonciation, mais Orsino le brave en lui disant que cette lettre est passée entre ses mains. En vain son ennemi le défie au combat, il le refuse ; Montoni veut le frapper de sa hache ; un pistolet dans la main d’Orsino, arrête un moment la colère de son chef. Il veut de nouveau céder à sa fureur, le pistolet part sans l’atteindre, il se précipite sur son adversaire, mais l’arme à feu attire les officiers qui séparent les combattans, et le fourbe Orsino leur persuade que c’est en prenant leur parti contre Montoni, qu’il a excité sa colère. Les officiers emmènent Orsino, et laissent leur chef furieux de passer pour un assassin.

Ce mot, ainsi que ceux tu périras, qu’il prononce, sont répétés par une voix : sa colère redouble ; il veut percer ce mystère , et sort. Pendant son absence, un inconnu couvert d’un manteau noir, vient enlever Eléonore, et la fait passer par une ouverture qui se fait dans le mur et qui se referme à l’instant. Montoni revient, il apprend ce qui vient de se passer, se fait montrer cet endroit du mur ; il enfonce la boiserie, et apperçoit des degrés. A l’instant on l’informe qu’Orsino conspire contre lui ; mais la curiosité l’emporte, il marche à la poursuite du ravisseur.

Eléonore a été conduite dans un souterrain où l’inconnu l’a laissée au moment que Montoni y arrive. Elle ne peut lui dire quel a été son conducteur ; elle lui montre par où il est sorti. Il continue ses recherches, et l’inconnu revient prendre Eléonore, qu’il emmène. Montoni rentre tout troublé : il vient de parcourir les tombeau des comtes d’Udolphe ; il y a entendu ces mots : C’est donc aujourd'hui le jour de la vengeance ; il y a vu une femme vêtue d’une robe blanche, les cheveux épars, une torche à la main ; il n'a pu soutenir ce spectacle. Pendant qu’il fait ce récit, ses gens viennent l’avertir qu’Orsino et Vivaldi sont vainqueurs.

Ce dernier arrive à la tête d’une troupe de soldats, et veut le forcer à se rendre. Il entreprend de se défendre, lorsque Laurentina se présente à lui. Il apprend que c’est Bertrand qui l’a sauvée ; c’est aussi ce dernier qui a joué le rôle de l’inconnu, et qui rend Eléonore à son frère. Orsino accourt pour frapper Montoni, ma:s Vivaldi l'arrête, et le poison qui circule dans les veines de ce scélérat, le fait périr devant son ennemi, qui satisfait de sa mort, se frappe lui-même d’un stylet qu’il tenoit caché sous son vêtement. Ainsi finit cette horrible pièce.

Le Pan.

Courrier des spectacles, n° 555 du 13 fructidor an 6 [30 août 1798] p. 2 :

[Après avoir, près de deux mois avant, rendu compte de la pièce d’Alexandre Duval, le Courrier des spectacles publie la critique de la première représentation dont il faut bien reconnaître le succès. Comme la pièce est restée telle qu’elle avait été publiée, pas besoin de revenir sur une analyse qui serait une redite. L’article se limitera donc à « parler du jeu des acteurs et de la sensation qu’ont fait éprouver certaines scènes ». Pour le jeu des acteurs, peu de satisfactions : un acteur et deux actrices sont jugés dignes d’éloges, mais les « grands rôles » ont été confiés à des acteurs aux moyens insuffisants. Et le critique ne ménage guère ces deux acteurs, dont il souligne les manques. Aucun des deux n’a été au niveau de son personnage. « Les rôles accessoires » sont également jugés de « la plus grande foiblesse ». Le critique signale ensuite quelques belles scènes, les unes « comme des modèles de finesse, de dissimulation, et de profonde politique », une autre pleine de fureurs. Mais leur effet a été affaibli par la médiocrité des interprètes. Les décors échappent eux à la critique. Un dernier paragraphe revient sur le jugement global porté sur la pièce. L’auteur a promis de ne plus écrire de pièce à partir des romans modernes. Le critique l’invite à tenir sa promesse et à mettre son talent de dialoguiste, sa connaissance de la scène et du comique de situation à autre chose que « de misérables et horribles drames » qui n’ont pas pour but d’instruire, sinon « dans l’art d’enfanter des crimes et des forfaits ». Rien sur la musique.]

Théâtre de la Cité-Variétés, et de la Pantomime nationale.

On a donné avant-hier à ce théâtre la première représentation de Montoni, ou le Chateau d’Udolphe, drame en cinq actes et en prose, imité du roman anglais les Mystères d'Udolphe. Cette pièce a eu du succès. On a demandé l’auteur, et le citoyen Valcourt est venu annoncer le cit. Duval, avantageusement connu par le Prisonnier et les Projets de mariage.

L’auteur n’ayant fait aucun changement à son ouvrage, nous nous dispenserons d’en donner une seconde fois l’analyse, qu’on trouvera dans le N°. 496, (14 messidor.) En conséquence, nous nous bornerons à parler du jeu des acteurs, et de la sensation qu’ont fait éprouver quelques scènes. On ne peut se dissimuler que malgré les soins et l’activité de l’administration pour monter cet ouvrage, il est encore loin de répondre à ce qu'on en pouvoit espérer. Le seul rôle de Spalatro nous a paru joué avec beaucoup de vérité et d’intelligence par le citoyen Faur, auquel il ne manque qu’un peu plus de jeu de physionomie. Il est juste aussi de donner des éloges aux citoyennes Faur et Toussaint, qui ont assez bien rempli 1es personnages d’Eléonore et d’Anna. Quant aux grands rôles de Montoni et d’Orsino, on doit savoir gré aux citoyens Tautin et Clozel de tous les efforts qu’ils ont fait pour donner à leurs personnages les couleurs convenables ; mais tous deux manquent de ces grands moyens nécessaires pour remplir dignement des rôles aussi importans. Montoni est un homme ambitieux, vindicatif, un scélérat profond dans ses desseins et féroce dans leur exécution ; combien un tel rôle n’exige-t-il pas à-la-fois de force, d’expression, de mobilité et de vivacité dans les traits, de précision et de rapidité dans le dialogue, de tranquillité, de froideur, de chaleur et de véhémence dans le choc des terribles passions qui le font agir. Le citoyen Tautin a manqué souvent de précision, de chaleur et de nerfs ; ses traits ne s’animent pas assez, son sourire ne marque pas toute la fausseté du caractère de Montoni, et sa diction nous a paru presque toujours beaucoup trop précipitée. Cependant il a eu parfois quelques momens assez beaux : mais ce ne sont que des lueurs passagères et qui s’éteignent promptement, en général son jeu n’est point égal ni soutenu. Il a bien dit le récit de la septième scène du cinquième acte, et il a sur-tout parfaitement saisi lé passage suivant. « J’avoue que la solitude, le silence qui régnoit dans ce triste séjour, la vue de quelques cercueils, le souvenir de cette voix terrible, ont fait battre mon cœur, non de crainte ; mais d’un sentiment que je ne puis définir ». Le dernier membre de cette phrase a été vivement applaudi.

Le citoyen Clozel a montré de l’intelligence dans le rôle très-difficile d’Orsino ; mais il a été souvent plus ironique et persiffleur, qu’adroit et dissimulé. Nous avons aussi remarqué que dans les momens où il falloit employer l’ironie, il y mettoit beaucoup trop d’affectation, et qu’il grimaçoit horriblement.

Les rôles accessoires ont été presque tous rendus avec la plus grande foi blesse.

Passons aux belles scènes, telles que la seconde du troisième acte, entre Montoni et Bertrand, et la huitième du même acte, entre Orsino et Montoni : on peut les citer comme des modèles de finesse, de dissimulation, et de profonde politique. On doit encore admirer la scène cinquième du quatrième acte, où Montoni et Orsino ne se dissimulant plus l’un à l’autre leurs desseins, se livrent à toutes les fureurs de la vengeance, et se combattent mutuellement. Ces belles scènes n’ont pas produit tout l’effet qu’on avoit droit d’en attendre : rendues par des artistes d’un grand talent, elles eussent fait la plus vive impression.

Les décorations sont d’un beau style ; on a généralement été satisfait de celle du troisième acte, représentant l’intérieur d’un belvedère, les croisées en sont ouvertes, et l’on apperçoit la cîme des Apennins éclairée par la lune.

En finissant cet article, nous témoignerons au citoyen Duval le désir que nous avons qu’il tienne sa promesse de ne plus puiser à l’avenir aucun ouvrage dramatique dans nos romans modernes. Quand on possède comme lui l’art de bien dialoguer, l’entente de la scène et le comique de situation, doit-on s’abaisser jusqu’à produire de misérables et horribles drames qui, loin de satisfaire et le cœur et l’esprit, ne font que révolter les sens, et n’ont aucun but d’instruire , si ce n’est à se bien perfectionner dans l’art d’enfanter des crimes et des forfaits

La Décade philosophique, littéraire et philosophique, an six, 4e trimestre, n° 36 (30 Fructidor an 6), p. 565-567 :

[La pièce est l’adaptation d’un roman anglais en « drame à grands effets » par Duval, dont les succès récents sont rappelés. Mais cette adaptation exigeait une refonte presque entière de l’intrigue du roman. L’intrigue est résumée en quelques lignes. Puis le compte rendu signale deux forces de la pièce, une scène « habilement filée » et « une très jolie chanson », dont la musique est « l’ouvrage d’une femme amateur », « pleine d’originalité ». Le dernier paragraphe est consacré aux décorations, remarquables. Un des décors donne, semble-t-il, l’impression d’un « escarpement considérable ». La pièce a coûté cher à monter et a été très bien jouée.]

Article repris dans l’Esprit des journaux français et étrangers, vingt-huitième année, tome I (vendémiaire an 7), p. 212-214.]

Théâtre de la Cité – Variété.

On a monté avec éclat à ce théâtre , et l'on continue de donner avec succès, un drame à grands effets, tiré du roman des Mystères d'Udolphe. La pièce à laquelle on a donné le nom de son principal personnage, Montoni, est du C. Duval, que le succès récent du Prisonnier, et celui des Projets de Mariage , ont fait avantageusement connaître.

On sent que pour adapter au théâtre la fable de Madame Radcliffe, l'auteur s'est vu forcé de la refondre presque entièrement. Elle ne lui a fourni que ses caractères et les situations principales.

Montoni, demi-seigneur , demi-brigand, maître du château d'Udolphe dans les Apennins, y tient prisonmière Eléonore , qu'il veut épouser. Il croit s'étre défait d'une première femme ; mais sauvée par un nommé Bertrand qu'on avait chargé de l’expédier, cette malheureuse victime vit encore dans les souterrains du château.

Montoni et un Comte Orsino, son associé, scélérat comme lui, tous deux jaloux de leur pouvoir, et se défiant l'un de l'autre, s'observent mutuellement, se soupçonnent, et finissent par s'empoisonner tous deux dans le même festin. Leur chûte amène le triomphe de l'innocence. Tels sont les traits principaux de l'intrigue.

On a applaudi dans les détails une scène où Montoni soupçonne son agent Bertrand du crime d'humanité, et ou celui-ci croit voir dans son maître quelques mouvemens de remords, ce qui n'est pas. Cette scène et celle ou les deux chefs découvrent la noirceur de leurs projets mutuels, sont ce qu'on appelle habilement filées, c'est-à-dire que la gradation des idées et des sentimens y est ménagée de manière a ce qu'elles produisent tout leur effet.

On a vivement applaudi une très-jolie chanson que chante un des gardes du rempart, pendant qu'il est en faction. Les paroles en sont plaisantes, et la musique, qui est l'ouvrage d'une femme amateur, est pleine d'originalité, et convient parfaitement au personnage et au sujet. Nous pourrons peut-être dans un de nos prochains numéros, la faire connaître à nos aimables lectrices.

Les décorations (qui sont à-présent, comme on sait, une partie importante d'une pièce de théâtre) ont bien leur mérite. Il en est une fort neuve, qui représente un belvedère au sommet d'une tour. Le Théâtre y est entouré d'un parapet au-delà duquel est supposé exister un escarpement considérable. Au total la pièce est une de celles que ce théâtre a montées avec le plus de dépenses et jouées avec le plus de soin .                            S.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, 18e année, 1813, tome IV, p. 192 :

[La pièce a été reprise en 1813, avec un certain succès, semble-t-il.]

ODÉON. THÉATRE DE L'IMPÉRATRICE.

On vient de remettre à ce théâtre un drame intitulé Montoni, Composé et représenté à une époque où les scènes de poisons, de poignards, de souterrains et de revenans étoient vraiment d'obligation sur nos théâtres secondaires, Montoni réunit toutes les richesses, et présente la plupart des défauts qui appartiennent au genre. Cependant nous conviendrons volontiers que, dans cette pièce, les défauts sont jusqu'à un certain point rachetés par un intérêt assez vif et fort habilement ménagé d'acte en acte : aussi continue-t-elle à attirer le public.

D’après la base César, la pièce a été jouée 23 fois au Palais des Variétés du 28 août 1798 au 6 octobre 1799, et a connu une représentation, le 8 octobre 1799, au Théâtre de la Cité (mais c’est sans doute le même théâtre).].

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