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Robert, chef de Brigands
Robert, chef de(s) Brigands, drame en cinq actes, en prose, imité de l'Allemand, de Lamartelière, 10 mars 1792.
Théâtre du Marais.
La création de Robert chef de brigands le 10 mars 1792 est attestée par la Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 70 du 11 mars 1792, p. 588. La création de la pièce avait été longuement annoncée dans les semaines précédentes.
Le compte rendu fait dans le Mercure universel, tome 13, n° 377 du dimanche 11 mars 1792, p. 191-192, donne comme titre Robert et Maurice ou les Brigands. Le même jour, annonce de la représentation suivante sous le titre de Robert, chef des brigands « avec un nouveau dénouement ».
Et dans le numéro du jeudi 15 mars 1792, p. 255, la pièce est annoncée comme un « fait historique ».
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Titre
Robert chef de(s) brigands
Genre
drame
Nombre d'actes :
5
Vers / prose ?
prose
Musique :
non
Date de création :
10 mars 1792
Théâtre :
Théâtre du Marais
Auteur(s) des paroles :
Lamartelière
Sur la page de titre de la brochure, à Paris, chez Maradan et chez Barba, 1793 :
Robert chef de brigands, drame en cinq actes, en prose. Imité de l'Allemand. Par le Citoyen La Martelière.
Liste des personnages :
PERSONNAGES.
LE COMTE DE MOLDAR, pere.
ROBERT DE MOLDAR son fils aîné, amant de Sophie; chef de brigands.
MAURICE DE MOLDAR, son second fils, aussi amant de Sophie.
SOPHIE DE NORTHAL, nièce du Comte de Moldar.
ROSINSKI, fils du Comte de Berthold, crû brigand.
FORBAN.
WOLBAC,
ROLLER,
RAZMANN, brigands.
Un AUMONIER.
RAIMOND, confident de Maurice.
BERTRAND, un des officiers de Justice du comte de Moldar.
GUILLAUME, paysan du canton, et son fils âgé de 8 à 9 ans.
Plusieurs domestiques à la livrée du château.
Plusieurs gardes chasse du comte de Moldar.
Grand nombre de brigands.
La Scène se passe au Château de Moldar, en partie dans une forêt qui en est éloignée à un quart de lieue, dans un canton de la Franconie.
Décor des différents actes :
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Acte 1 : Le Théâtre représente un appartement du château de Moldar en Franconie.
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Acte 2 : Le Théâtre represente une forêt épaisse, dans le fond, d'un côté une plaine, des chaumières dans l'éloignement, de l'autre des collines ; les brigands sont tous couchés et endormis sous les arbres, plusieurs d'entr'eux sont blessés, l'un porte le bras en écharpe : les trois premieres scènes se passent pendant la nuit, et aux premiers rayons du jour.
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Acte 3 : Le Théâtre représente, d'un côté le château de Moldar, de l'autre un jardin magnifique avec des bosquets, sur le devant un banc de gazon.
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Acte 4 : Le théâtre représente une forêt sombre, les brigands sont dispersés par groupes, les uns couchez à terre jouent aux dez, d'autres boivent, fument on dorment. D'un côté, sur le devant, est Razmann le bras en écharpe, examinant avec attention des papiers, et se servant de tems en tems d'un crayon qu'il tient dans la main. De l'autre côté sur le devant, est un brigand qui ferme un livre, et semble continuer une conversation avec deux de ses camarades. On voit à terre des cruches pleines de vin et des verres.
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Acte 5 : Le théâtre représente la même forêt qu'au second et au quatrieme acte, mais les aspects sont changés. On voit dans l'enfoncement à gauche une vieille tour isolée. On traverse la scène avec des blessés portez sur des branches d'arbres. Les brigands tout harassés et couverts de sang et de poussiere, leurs vêtemens dans le dernier désordres Le jour commence à tomber.
La fin de l'acte 4 forme un tableau du combat entre les soldats et les brigands :
Les brigands se mettent par pelotons, commandés par les principaux, comme Forban, Wolbac, Roller et Razmann, et Robert à leur tête.
L'entre-acte reprèsente les évolution [sic], et le feu du combat entre les deux régimens et les brigands, au bruit du tambour, de la mousqueterie et du canon. Les soldats sont mis en fuite......
Le compte rendu fait dans le Mercure universel, tome 13, n° 377 du dimanche 11 mars 1792, p. 191-192, donne comme titre Robert et Maurice ou les Brigands. Le même jour, annonce de la représentation suivante sous le titre de Robert, chef des brigands « avec un nouveau dénouement ».
Et dans le numéro du jeudi 15 mars 1792, p. 255, la pièce est annoncée comme un « fait historique ».
Almanach des Muses 1794
Imitation d'un drame qui a de la célébrité en Allemagne. Ces Brigands sont des redresseurs de torts qui se comparent souvent à Hercule, et qui croient devoir suppléer par la force à l'insuffisance des loix. Ils ne pillent et n'assassinent que les puissants et les pervers ; ils leur font même auparavant leur procès.
Du spectacle, du mouvement ; des ressorts romanesques ; de l'intérêt dans le rôle de Robert. Un style plus pur que dans la plûpart de ces sortes de pièces. Celle-ci continue d'avoir un grand succès au théâtre de la République.
Le drame allemand, c'est les Brigands de Schiller.
Philippe Bourdin a consacré un article à l’adaptation de la pièce de Schiller en France : « Le brigand caché derrière les tréteaux de la révolution. Traductions et trahisons d’auteurs », Révolution française, n° 364 (avril-juin 2011), p. 51-84. Voir en particulier la partie intitulée « Une adaptation à succès ».
On le trouve en libre accès sur le site journals.openedition.org :
https://doi.org/10.4000/ahrf.12020.
Autre article sur l’adaptation des Brigands de Schiller, celui de Pierre Frantz dans Littératures classiques n° 67, p. 219-230, « Le crime devant le tribunal du théâtre : Les Brigands de Schiller et leur fortune sur la scène française ».
On le trouve en libre accès sur le site cairn.info :
https://doi.org/10.3917/licla.067.0219
Mercure universel, tome 13, n° 377 du dimanche 11 mars 1792, p. 191-192 :
[Plutôt que de résumer l'intrigue, tâche qui lui semble insurmontable (la pièce « se refuse à l'analyse par la férocité des situations et la véhémence des sentimens »), le critique tente de montrer, à travers le contraste entre Maurice, en apparence respectueux des « loix de la société », en fait monstre de cruauté, et « un chef de brigands » qui devrait ne penser qu'« au supplice des voleurs », mais est en fait « le protecteur de l'innocent ». La conclusion, c'est qu'il faut voir que la pièce, à laquelle on peut reprocher bien des défauts, donne en fait un exemple de vertu. L'auteur, demandé, a été nommé.]
Theatre du Marais.
Lorsqu'un auteur a l'art d'attacher fortement, de causer des impression profondes, et de donner un caractère violent, un cachet d'énergie assez marqué pour porter dans l'ame la terreur et l'admiration, alors on doit oublier en faveur du personnage, les conventions dramatiques pour ne sentir que la force de la leçon. Telles sont les réflexions que nous a suggérées la première représentation de Robert et Maurice , ou les Brigands, donnée samedi avec succès au théâtre du Marais.
Cette pièce extraordinaire, traduite et imitée de l'allemand, se refuse à l'analyse par la férocité des situations et la véhémence des sentimens. Il suffit de dire qu'elle offre le tableau d'un Maurice qui semble d'abord vivre selon les loix de la société, mais qui, réellement commet toutes les atrocités du cœur le plus endurci au crime ; tandis qu'un chef de brigands réservé en apparence au supplice des voleurs, se déclare le protecteur de l'innocent, le défenseur du foible contre le fort, et exerce tontes les grandes vertus de l'ame la plus élevée et la plus sublime.
Ce rapprochement doit exciter la curiosité du public, et le porter à voir un ouvrage qui donne beaucoup de prise à la critique minutieuse, mais encore plus à penser à l'homme doué d'un caractère assez heureux, pour n'aimer que la vertu et apprécier les hommes à leur juste valeur.
Le public a demandé l'auteur. M. Baptiste qui avoit rendu avec une ame brûlante le rôle très fatiguant de Robert, a nommé M. la Martellière.
Le même jour, annonce de la représentation suivante sous le titre de Robert, chef des brigands « avec un nouveau dénouement ».
Et dans le numéro du jeudi 15 mars 1792, p. 255, la pièce est annoncée comme un « fait historique ».
Chronique de Paris, n° 73 du mardi 13 mars 1792, p. 290 :
[Abondamment annoncée, la pièce de Lamartelière est appelée à un grand succès, et elle a réussi : elle attire en rappelant le fonctionnement d'une justice tout à fait étonnante, celle des « tribunaux secrets » dont l'article rappelle plusieurs exemples. L'auteur a été demandé, et le critique indique à la fois le nom de l'auteur et sa source, les Brigands de Schiller, une source qui a été interdite parce qu'elle met en scène un baron devenu brigand. Il résume ensuite de façon minutieuse la sombre intrigue de la pièce de Lamartellière, une terrible histoire de famille qui montre les terribles dissensions qui déchirent les deux frères, Robert et Maurice, le bon et le mauvais, et impliquent leur père victime de son fils et la fiancée de Robert. On se perd un peu dans les aventures de Robert devenu chef des brigands, qui transforme ses hommes en bienfaiteurs. Comme toujours le drame se dénoue sans difficulté : Robert retrouve celle qu'il aime, et l'empereur lui accorde sa grâce. Le jugement porté sur la pièce montre une certaine réticence : le critique s'étonne de voir « les plus belles maximes d'esprit public, & de liberté […] dans la bouche des brigands », et s'inquiète de la façon dont le public reçoit une pièce dont il craint qu'elle soit mal interprété : il applaudit « comme principes des choses attachantes par la situation ; mais condamnables par leur moralité ». Il y a pour le critique un grand risque de voir le théâtre dévoyé de sa mission moralisatrice. Très vite ensuite sont évoqués les costumes et la mise en scène, remarquables.]
SPECTACLES.
Théâtre du Marais.
La représentation de Robert, chef de brigands, avoit attiré beaucoup de monde à ce théâtre. M. de Beaumarchais avoit annoncé, avec intérêt, cet ouvrage ; & sa lettre, publiée dans la Chronique, avoit excité une vive curiosité.
L'auteur, qui a été demandé, & que M. Baptiste a dit se nommer la Martelliere, a imité ce drame de Schiller, auteur allemand, à qui le gouvernement défendit de la faire représenter, parce que les grandes qualités de Robert avoit séduit un jeune baron, & l'avoit engagé à embrasser la profession de brigand. M. la Martelliere y a joint beaucoup de choses qui rappellent le tribunal secret dont nous avons déjà parlé dans ce journal, & qui a fourni le sujet d'un autre drame allemand. Ce tribunal, composé d'initiés inconnus, livroit au fer & au poison tous ceux qu'il jugeoit avoir échappé au fer des lois : telle étoit, à peu près, la justice du vieux de la montagne ; telle étoit celle de ce savetier de Messine, qui, après avoir jugé les hommes dans ce qu'ils appellent sa conscience,& avoir dressé un procès verbal en forme, attendoit le convaincu à ce singulier tribunal, & les assassinoit par esprit de justice.
Voici l'analyse du drame de M. la Martelliere.
Maurice, frère de Robert; l'a fait déshériter, puis il a fait enfermer son père dans une tour obscure. Il persécute Sophie, maîtresse de Robert, pour l'épouser : & pour vaincre sa résistance, il lui fait apporter la fausse nouvelle de sa mort. Cependant Robert vit ; il a été attaqué par des brigands, qui, étonnés de son courage, l'ont pris pour chef. Robert, à la tête de ces hommes déterminés, fait des actions de courage digne d'un héros ; il leur inspire une probité farouche, qui, sans être contraire à leurs inclinations sanguinaires & vagabondes, tourne plus, selon lui, au profit de l'humanité qu'à son désavantage : il soumet les actions des hommes au jugement, en somme, de ses compagnons, & si sa cruauté s'assouvit sur les coupables, les innocens & les malheureux éprouvent son humanité & sa bienfaisance. Il apprend qu'il est en Franconie sur les terres de son père, dont il ignore le sort. Il veut voir Sophie mais surpris par Maurice il va payer de sa tête son imprudence, quand les intrépides compagnons, inquiets de son départ, le joignent & environnent Maurice, & sa suite. Robert leur pardonne. Revenu dans la forêt, il y reçoit un nouvel associé, nommé Rorinski, qu'il essaie envain de détourner de ce dessein. On annonce une attaque formée par trois régimens ; un ministre de la religion vient offrir aux brigands leur grace s 'ils veulent Robert,lui-même les en presse ; mais ils refusent, combattent, & sont vainqueurs ; cependant, Robert, fatigué de sa situation veut la terminer par la mort ; il apperçoit un homme qui porte un panier dans une tour, c'est une victime de l'oppression qui y gêmit ; il l'en fait tirer,& cette victime est le comte de Morald, son père ; il envoye saisir le perfide Maurice qui, à la vue des soldats, se précipite dans le Rhin. On annonce Sophie, dont il apprend la fidélité ; Robert veut la suivre ; mais, les brigands qui l'ont si bien servi lui reprochent son ingratitude ; pour se délivrer de son amour & de ses horribles devoirs il se perce d'un poignard. Des troupes nouvelles environnent le bois ; les brigands, sans chef, fuient en désordre. Un médecin, resté près de Robert, assure que la plaie n'est pas mortelle, & qu'il lui rendra la vie, & Rorinski lui remet la grace que l'empereur vient de lui accorder.
Ce drame est souvent écrit d'une manière gigantesque ; mais, il est singulier & a un grand intérêt de curiosité. Il nous a été, cependant, pénible d'entrer dans les plus belles maximes d'esprit public, & de liberté, celles qui sont la base de notre révolution, celles qui expriment le plus pur patriotisme dans la bouche des brigands. Nous sommes loin de soupçonner les intentions de l'auteur ; mais, que feroit de plus un homme qui voudroit tourner en ridicule le saint amour de la patrie & de l'égalité. Nous avons été fâché [sic] de voir que le public se méprenoit souvent sur le sens qu'il devoit donner à certaines expressions, & d'entendre applaudir comme principes des choses attachantes par la situation ; mais condamnables par leur moralité.
Les costumes sont riches, juste [sic], & le spectacle très-soigné.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 87 du 27 mars 1792, p. 359 :
[Après un paragraphe consacré à exprimer de vives craintes sur l'avenir du théâtre français, menacé par le tout jeune théâtre allemand, le critique donne l'exemple des Voleurs de Schiller (die Räuber), « ouvrage monstrueux, sans unité, sans vraisemblance, sans intérêt », dépourvu de raison et de goût. Heureusement, l'adaptateur de Robert, chef de Brigands (dont l'original n'est pas nommé) a su en gommer bien des défauts. Suit l'habituel résumé de l'intrigue, sombre histoire familiale dans l'Allemagne de la fin du 15e siècle au goût étonnant de mélodrame (on a bien des poncifs qui constituent la trame habituelle de ce genre de pièce. Ce monde de brigands où Robert veut introduire la justice, est jugé comme bien proche de ce qu'il veut détruire, remplaçant « la force par la force, la tyrannie par la tyrannie » et commettant des crimes certes brillant, mais des crimes. La fin de la pièce est morale : Robert se voit amnistié par l'empereur « instruit que Robert et ses compagnons sont de très honnêtes brigands ». Le fond de l'action ne convainc pas le critique, mais il apprécie le caractère de Robert et de ses camarades, ainsi que « quelques situations épisodiques, […] très fortes ». Et l'acteur jouant Robert est mis en valeur.]
VARIÉTÉS
THÉATRE DU MARAIS.
Le théâtre allemand, si l'on en peut juger par les traductions, ne fait que de naître ; il ne produit encore que d'informes essais. Est-ce là que l'art dramatique, si perfectionné parmi nous, devrait aller chercher des modèles ? Ne craint-on pas d'abréger de plus en plus les beaux jours de notre théâtre, et de le précipiter vers la caducité qui ressemble à l'enfance ?
La pièce des Voleurs, composée en allemand par M. Schiller, est un ouvrage monstrueux, sans unité, sans vraisemblance, sans intérêt. Le génie et le talent y brillent par intervalle, la raison et le goût en sont presqu'entièrement exclus.
L'auteur français de la pièce intitulée Robert, chef de Brigands, a corrigé heureusement beaucoup de fautes de son original ; il a fait un plan, et distribué son action de manière à produire de l'intérêt.
Robert est le fils aîné du comte de Molna, prince souverain de l'Empire (car l'action se passe en Allemagne, et sur la fin du xve siècle). François, frère cadet de Robert, est venu à bout, par ses artifices, de le faire déshériter et maudire par leur père ; et ce monstre, pour hériter plus tôt du vieillard qu'il a trompé, a eu l'atrocité de le plonger vivant dans une tour antique et inhabitée où il comptait le laisser périr de faim. Mais un valet, son complice, moins cruel que lui, a nourri en secret le malheureux vieillard.
Robert, chassé de la maison paternelle, séparé d'Amélie qu'il aime, et réduit au désespoir, s'est fait chef de Brigands. Les hommes qui l'ont choisi (on ne sait trop comment) pour le mettre à leur tête, ne sont point des voleurs ordinaires: ce sont des guerriers intrépides révoltés de l'injustice et de l'orgueil des seigneurs féodaux, de la misère et de l'abjection des serfs ; ils ont senti que ces prétendus droits, qui font de l'homme le maître de l'homme, sont une véritable anarchie légale, et ils mettent le droit du sabre et du mousquet à la place de ces lois cruelles et impuissantes pour protéger le sabre; ils sont, en un mot, des redresseurs de torts. Du reste, ils se font eux-mêmes accusateurs, témoins, juges et bourreaux, et nul tyran n'évite la mort lorsqu'ils l'ont prononcée.
On voit que le système de ces Messieurs n'est pas plus social que celui qu'ils veulent détruire ; ils remplacent la force par la force, la tyrannie par la tyrannie. Ils ont beau montrer du courage, de la grandeur d'ame, et même une sorte d'équité, leur caractère en est plus dramatique, mais n'en est pas moins immoral ; et ce sont seulement des crimes brillants qu'ils commettent.
Robert, comme leur chef, est le plus brave, le plus fort, le plus grand de tous. Le hasard amène sa troupe sur le territoire qui appartenait à son père ; un autre hasard lui fait découvrir la tour où il est renfermé : il le délivre et retrouve Amélie, François se fait justice, en se tuant lui-même ; et l'empereur instruit enfin que Robert et ses compagnons sont de très honnêtes brigands, leur envoie une amnistie.
Ce qui tient au fond même de l'action n'est pas ce qu'il y a de mieux dans la pièce ; mais le caractère fier et énergique de Robert, ceux de ses camarades, les détails de la vie qu'ils mènent, quelques situations épisodiques, mais très fortes, rendent cet ouvrage très original et très attachant.
M. Baptiste, dont le talent est connu et la réputation faite, s'élève à la hauteur du rôle de Robert; il y a mérité et reçu de nombreux applaudissements.
Révolutions de Paris, dédiées à la Nation, quatrième année, douzième trimestre, n° 145 (du 14 au 21 avril 1792), p. 130-132 :
[Compte rendu très critique de la pièce, qui est ici considérée comme une pièce contre-révolutionnaire.]
Robert, chef de brigands.
Il y avoit à Messine, en Sicile, un scarpinello, (un savetier) pauvre , mais ami de l'ordre ; voyant les loix muettes, la justice oisive, & les scélérats impunis quand ils étoient puissans & riches ; cet honnête homme crut devoir se mettre à la place des juges & du bourreau. Muni en conséquence d'une arquebuse courte qui pouvoit tenir sous son manteau sans être vue , à la chute du jour, il alloit attendre les malfaiteurs, après avoir instruit leurs procès au tribunal de son équité naturelle, & les couchoit par terre. L'exécution faite, il s'en retournoit paisiblement chez lui , content d'avoir délivré son pays d'une bête malfaisante. Il en avoit déjà expédié une cinquantaine de cette espèce, quand le vice-roi proposa 2000 écus au dénonciateur du meurtrier. Pour éviter toute méprise , notre grand justicier alla se déclarer lui-même. Nous sommes redevables de ce trait singulier au père Labat, dans son voyage en Italie, p. 188 à 193, tome troisième. Un autre savetier de Torres, près de Naples, avoua, en mourant , avoir fait lui-même justice de trente-six personnes, pour suppléer à la négligence des juges.
Du temps de Charlemagne, avant l'existence & la garantie d'un droit public, plusieurs Paladins , associés sous le titre de frères d'armes redresseurs de torts, parcoururent l'empire dans tous les sens ; & à la pointe de leur épée rendirent aussi justice aux vassaux écrasés sous l’aristocratie brutale de leurs seigneurs-suserains, juges & parties dans leurs propres causes.
Un gentilhomme, jeune & amoureux, déshérité & maudit par son père, chassé du sein de sa famille par les intrigues de son frère, Robert voyageant à l'aventure, est rencontré par une bande de voleurs qui le forcent à se mettre à leur tête. Né avec des sentimens élevés, que jadis on disoit être l'apanage de la noblesse de race, Robert se rappelle l'institution des chevaliers de la table ronde, & conçoit le projet de transformer des brigands déterminés en amis de l'ordre, en protecteurs du foible opprimé, & vengeurs des loix, dont le glaive n'atteignoit point les têtes coupables constituées en dignité ; & se comparant à Hercule, il parcourt la Franconie, dans l'intention de la purger des scélérats aristocrates qui l'infestoient.
Tel est le sujet d'un drame qui eut beaucoup de succès en Allemagne, & que M. Lamartellière vient d'adapter au théâtre du Marais, dirigé par le sieur Caron Baumarchais. Ce n'est pas sans dessein que nous avons rapporté l'histoire du savetier de Messine, avant d'en venir à Robert. Tel que celui-ci est mis en scène, il ne soutient pas, à beaucoup près, si bien son caractère que l'autre. Il semble que l'auteur allemand ou l'imitateur français ait craint de se livrer aux conséquences de ce rôle véritablement théâtral. Il est beau de voir le savetier de Messine se retirer chez lui après avoir fait une exécution avec le sang-froid d'un juge qui vient de prononcer une sentence. Robert, au contraire, rougit de sa mission, se livre à ses remords, s’accuse & se déclare infâme, comme s'il avoit commis les atrocités qu'il vient de punir au défaut des loix ; en sorte que la moralité de cette pièce semble être de calomnier indirectement & de flétrir les auteurs de la révolution française ; car, en dernière analyse, le peuple n'a fait en France, au 14 juillet & au 5 octobre 1789, & par la suite , que ce que le savetier de Messine faisoit en Sicile, & Robert en Franconie ; or, en jetant de la défaveur sur la conduite de ce dernier, c'est blâmer la révolution, & fournir un prétexte aux aristocrates de regarder le peuple comme une horde de brigands. Le dénoûment de la pièce de Robert vient encore à l'appui. Ce chef des vengeurs de la loi, des défenseurs de l'innocence opprimée, a la lâcheté de recevoir sa grace de l'empereur, & consent, avec sa troupe, à devenir le chef d'un corps franc à la solde du trône. C'est comme si on disoit au peuple français : Ton roi te pardonne, à condition que tu poseras les armes, & que tu consentiras à être incorporé dans sa milice, & à devenir troupes de sa majesté ou sa garde, comme ci-devant, après avoir été garde national & soldat de la patrie.
Nous ne releverons pas tous les défauts de vraisemblance, tous les vices de la charpente de cette pièce tudesque, toutes les longueurs qui entravent sa marche & ralentissent son action. Le copiste français nous a donné l'original allemand presque tout cru, avec ses pieuses éjaculations, si loin de la nature, & ses apperçus philosophiques à perte de vue. Sans le jeu de Baptiste, ce drame eût été grossir le répertoire de ceux qu'on donne incognito au théâtre des associés ou autre de cette force, sur les boulevards ; mais peu importoit aux directeurs du spectacle du Marais. Leur but est rempli, s'ils sont venus à bout de donner matière à des rapprochemens injurieux à ce qui ſe paſſe en France depuis trois années. Robert , qui vient de mettre à mort un prélat impudique & un seigneur châtelain, le fléau des habitans de son domaine, s'écrie que l'homicide est le plus grand des crimes, comme si le meurtre d'un Guſtave, roi de Suède, & de ses pareils, n'étoit pas, au contraire, un bienfait pour toute l'humanité.
Ce drame est tellement disposé pour faire prendre le change, qu'à l'une des représentations, une voix du parterre, pendant un entre acte, & après avoir entendu l'air ça ira, demanda à l’orchestre de jouer celui où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ? par allusion au titre & au sujet de la pièce, Robert, chef des brigands. Nous recommandons à quelque écrivain patriote le scarpinello de Messine ; mais à condition qu'il n'affoiblira pas ce caractère plus beau encore que celui de Robert, & qui veut être traité avec plus de bonne foi & dans de meilleures intentions.
L’Esprit des journaux français et étrangers, 1792, volume 7 (juillet 1792), p. 331-333 :
[La pièce, qui imite un drame allemand, de Schiller, est encore pire que l’original, ce qui n’est pas peu dire. La fin du compte rendu est explicite : « L’imitation est donc plus monstrueuse que l'original ; elle est écrite en style boursouflé, chargée de tableaux, d'incidens & d'invraisemblances ; elle a excité une curiosité qui tenoit de la stupeur. » Et le critique finit sur le rappel d’applaudissements venant de spectateurs, dont les intentions peuvent surprendre.]
THÉATRE DU MARAIS.
On a donné à ce théatre, Robert, chef de brigands, drame en cinq actes & en prose.
Cet ouvrage est imité d'une piece dramatique, allemande, qui a pour titre les Voleurs ; & dont l'auteur est M. Schiller. Dans l'ouvrage allemand, le héros de la piece, persécuté par un frere qui porte dans son ame la semence de tous les crimes ; déshérité par un pere foible & prévenu ; amant aimé d'une jeune personne dont il ne peut obtenir la main, se fait, par besoin & par désespoir, chef d'une troupe de voleurs de grand chemin, qui infestent toutes les routes de l'Allemagne. De tems-en-tems, l'éducation & son cœur réveillent en lui les sentimens mal éteints de l'honneur & de la vertu ; il déteste sa honteuse & criminelle existence, & il compare, avec l'amertume des remords, sa vie actuelle avec les douceur de la vie innocente & pure qu'il menoit au château de son pere. Dans une de ses courses désolatrices, il s'approche de la demeure paternelle ; il apprend que son frere a usurpé la fortune de son vieux pere qu'il a plongé dans un cachot ; il brise les fers de l'auteur de ses jours ; mais il cause en même tems sa mort, parce que le vieillard reçoit un coup mortel, quand il reconnoît que son fils est le même chef de brigands que l'Allemagne entiere a dévoué à l'opprobre & à un supplice infâme. Enfin, pressé par les remords & l’infamie, il poignarde de sa propre main, l'amante dont il ne peut devenir l'époux, & il se livre, pour être mis entre les mains de la justice, à un pere de famille, pauvre, afin que celui-ci reçoive le prix auquel on a mis sa tête.
Cet ouvrage monstrueux, que nous ne pouvons faire connoître que très-rapidement, a pourtant quelques intentions morales. Les remords dévorans du chef des voleurs, son désespoir au souvenir de ses vertueuses années, la rage & les excès auxquels le porte la déchirante conviction qu'il ne peut plus être compté au nombre des hommes, des époux, des peres & des citoyens : tout cela donne une horreur profonde pour le crime. II y a bien de la différence entre M. Schiller & son imitateur (qu'on dit être M. de la Martelliere ; ce que nous ne croyons pas.) Robert devient brigand par les mêmes causes que développe le drame allemand ; mais Robert est un tyrannicide, un vengeur de l'oppression, un nouveau successeur d'Hercule. Il a érigé ses assassinats en vertus républicaines, ses principes de destruction en loix, ses féroces complices en protecteurs du foible contre le sort. En un mot, c'est un Patrix ou un Jourdan, dont, comme l'ont dit quelques énergumenes stipendiés, on pourroit faire l'éloge au club des jacobins. Il a pourtant des remords, mais il en est moins tourmenté que par les regrets de la perte de sa maîtresse ; il ne meurt pas, quoiqu'il se poignarde, & il a sa grace. Ce Robert rappelle un savetier de Messine qui, après avoir jugé les hommes dans sa conscience, & avoir dressé un procès verbal, alloit conscientieusement les poignarder ; sa troupe donne une idée de ce tribunal secret qui a existé en Allemagne, & dont les membres inconnus dévouoient au fer & au poison ceux dont il leur plaisoit de supposer que la loi auroit dû frapper la tête.
L’imitation est donc plus monstrueuse que l'original ; elle est écrite en style boursouflé, chargée de tableaux, d'incidens & d'invraisemblances ; elle a excité une curiosité qui tenoit de la stupeur. Qui croiroit que les maximes de la liberté empoisonnées dans la bouche des satellites de Robert, ont été hautement applaudies par un nombre de spectateurs ? Ils étoient donc au niveau de la piece ! ce n est pas peu dire.
Mercure universel, tome 21, n° 613 du jeudi 8 novembre 1792, p. 127 :
[Au moment où la suite de Robert chef de brigands va paraître au Théâtre, Lamartelière se mue en critique et justifie le personnage de sa pièce, un brigand certes, et dont la présence sur scène peut choquer un public qui croit que la comédie doit être morale, mais un brigand comme on voudrait qu'ils soient toujours, respectueux des lois et des propriétés, un justicier plus qu'un brigand, finalement.
Ce genre d'article, sans nom d'auteur, mais à la première personne, « ma pièce », « le public m'a vengé » n'est pas habituel. ]
On a critiqué de mille manière ma pièce de Robert chef des brigands. Le public m'a vengé, et c'est à son indulgence que j'ai dû le courage d’en faire la suite. On n’y verra point de héros transi, des princesses passionnées, des caractères magnanimes, des sentimens élevés ; le courage de la vertu,voilà les seuls tableaux que je crois dignes désormais d’émouvoir l’âme et de fixer les regards d’un républicain.
J’ai mis il est vrai des brigands sur la scène, mais plut [sic] au ciel que la société ne fût composée que de brigands semblables, les loix seroient maintenues, les propriétés respectés [sic], l’homme vertueux y trouveroit des amis, l’infortuné des secours, le méchant seul sans appui, sans asyle, seroit forcé de renoncer au crime ou d’en porter la peine. Secourir les opprimés, punir les oppresseurs, voilà le cri de mes brigands.
Obéissance aux loix Justice, voilà celui de mon tribunal ; cette morale en vaut bien une autre, c’est la mienne, c’est celle de tout honnête homme.
J'ajoute qu’amateur de tout ce qui tient aux beaux arts, j’offre à mes concitoyens le fruit de quelques momens d’une existance paisible que j’aime à partager entre le travail et l’étude des belles-lettres. Comme je suis sans prétentions un revers ne sauroit m’abbattre ni mes succès m'énorgeuillir [sic]. Je n’opposerai jamais aux critiques que le désir de mieux faire, à mes détracteurs des mœurs pures, une conduite irréprochable et l’estime de ceux qui me connoissent.
D'après la base César, la pièce, qui est un drame en prose, a été jouée 162 fois entre le 10 mars 1792 et le 28 octobre 1799 (40 fois en 1792, 40 fois en 1793, 8 fois en 1794, 1 fois en 1795, 28 fois en 1796, 13 fois en 1797, 11 fois en 1798, 21 fois en 1799). Elle est d'abord jouée au Théâtre du Marais, mais dès 1793, elle est aussi jouée dans plusieurs autres théâtres, principalement le Théâtre français de la rue de Richelieu (le Théâtre de la République, dans l'Almanach des Muses), le Théâtre d'Emulation (en 1796), le Théâtre des Victoires (en 1799).
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