Le Nouveau seigneur de village

Le Nouveau seigneur de village, opéra-comique en un acte, de Creuzé de Lesser et Favières, musique de Boieldieu ; 29 juin 1813.

Théâtre de l'Opéra-Comique

Titre :

Nouveau seigneur de village (le)

Genre

opéra-comique

Nombre d'actes :

1

Vers ou prose ?

en prose, avec des couplets en vers

Musique :

oui

Date de création :

29 juin 1813

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra-Comique

Auteur(s) des paroles :

Creuzé de Lesser et Favières

Compositeur(s) :

Adrien Boieldieu

Almanach des Muses 1814.

Pièce déjà représentée sur un autre théâtre, sous le titre du Seigneur supposé. Musique charmante ; du succès.

L'intrigue de la pièce nouvelle reprend en effet le sujet du Seigneur supposé de 1789. Mais la comédie en deux actes est devenue un opéra-comique en un acte.

Sur la page de titre de la brochure, Paris, chez J. N. Barba, 1815 (seconde édition) :

Le Nouveau Seigneur de village, opéra-comique en un acte, Paroles de MM***, Musique de M. Boyeldieu ; Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre royal de l'Opéra-Comique, par les Comédiens ordinaires du Roi, le 29 Juin 1813.

MM***, c'est Augustin François Creuzé de Lesser et Edmond-Guillaume-François de Favières.

Journal de Paris, n° 183, du Vendredi 2 Juillet 1813, p. 1-2 :

[Après avoir fait le résumé de l’intrigue, le critique donne son verdict : il commence par une critique, la faiblesse de l’intrigue, qui de plus néglige souvent l’amour de Babet et Colas, intrigue qui, de plus, peint les mœurs d’un autre temps (quand la comédie a pour fonction de « peindre les mœurs qui existent, et non celles qui ont existé »). Mais il fait surtout l’éloge d’une pièce aux détails pleins de grâce, qui offre au compositeur « des cadres charmans ». Même si on peut faire des reproches de détail au travail de Boieldieu (y compris « un excès d'élégance dans le style des paysans et du valet qui sont en jeu », condamnation que le critique trouve déplacée), l’impression d‘ensemble est très positive, et le talent des interprètes a été salué par « les plus vifs applaudissemens ».]

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Le Nouveau Seigneur de village.

Un jeune comte ou marquis vient prendre possession d'une terre que son oncle lui a laissée ; à quelque distance du village, il se détourne de son chemin pour rendre visite à une dame de sa connaissance, et il ordonne à Frontin, son valet, d'aller l'attendre à son nouveau château. Le bailli du village, prévenu de la prochaine arrivée du marquis, se prépare à le haranguer. Ce bailli a promis sa nièce Babet à celui de ses deux amans, Blaise et Colas, qui obtiendra de monseigneur le bail à ferme de ses terres. Blaise, dont on a fait un niais, a pourtant l'esprit d'imaginer que celui qu parlera le premier au marquis aura un grand avantage ; en conséquence, il l'attend de pied ferme, Frontin se présente ; le surtout bourgeois dont il est revêtu en impose à l'imbécile qui le salue du nom de monseigneur ; et Frontin, à qui son maître a fort heureusement permis de faire, en l'attendant, ce qu'il voudrait, trouve plaisant de faire le seigneur. En cette qualité, il commence par vider une bouteille de Chambertin ; il promet la ferme à Blaise ; il demande à la jeune fille si certain droit du seigneur est encore en usage dans le hameau ; puis il va changer de toilette pour assister plus dignement au repas qu'on lui prépare.

C'est alors que paraît le marquis ; sa voiture brisée, le fait arriver à pied ; Babet et Colas, désolés de la préférence accordée à Blaise, font part au marquis de l'arrivée du nouveau seigneur, et des chagrins qu'il leur cause. Le marquis trouve plaisant à son tour de ne pas se faire connaître, et de voir jusqu'à quel point Frontin abusera de son titre et de son nom ; mais il est édifié lorsque, caché sous un berceau, il voit Frontin refuser douze mille francs de vieux arrérages que le bailli vient lui apporter. Cette scène où l'honnête valet, tantôt séduit par la vue de l'or, tantôt contenu par sa probité, finit par s'enfuir avec une sorte d'horreur, est d'un fort bon comique. Le bailli reste stupéfait ; mais le marquis s'annonçant à lui comme l'intendant du nouveau seigneur, lui explique, au moyen de quelques équivoques, ce que cette conduite peut avoir d'étonnant.

Cependant la fête commence, le dîner est servi, Frontin se place, mais l'aspect de son maître le fait fuir de nouveau ; quoique la table soit dressée en plein champ, il a besoin, dit-il, de prendre le grand air ; l'intendant s'offre à le remplacer ; tout le village lui tourne le dos ; les seuls amoureux à qui le marquis a promis ses bons offices, lui témoignent des égards et de l'amitié ; enfin tout s'explique par le retour de Frontin en habit de livrée, et avec une serviette sous le bras

Ce petit ouvrage est rempli de détails ingénieux et piquant ; il n'a d'autre tort, comme je l'ai fait observer dans l'analyse, que d'être bâti sur une faible base, sur l'envie qui prend tour à tour à Frontin et à son maître de s'amuser un moment. Il est rare que ces fantaisies subites, qui procurent à certains personnages de se divertir, divertissent beaucoup le public. Puisque Frontin est honnête homme, que gagnera-t-il à se faire passer pour un seigneur ? et comment supposer qu'un seigneur, de son côté, débute dans une terre dont il vient prendre posscssion par y jouer la comédie ? d'ailleurs cette comédie nous éloigne souvent de l'action principale qui est l'amour de Babet et de Colas, et l'obstacle opposé à cet amour. On peut dire encore que le sujet de cet ouvrage est depuis long-temps hors de saison ; nous n'avons plus ni seigneur, ni vassaux, ni baillis qui haranguent. La principale fonction de la comédie est de peindre les mœurs qui existent, et non celles qui ont existé, à moins que quelque nom célèbre ne soit attaché à ces peintures d'un autre temps.

Mais encore une fois, le Nouveau Seigneur de village fait tout excuser par la grâce de ses détails ; son mérite essentiel est d'avoir fourni des cadres charmans au talent de M. Boyeldieu. Le premier quatuor entre le bailli harangueur et les trois amoureux est remarquable par sa facture comique, par le naturel du dialogue, et un esprit de scène très-bien saisi. Le même esprit règne dans le duo sur le vin ; on desirerait seulement que la reprise du motif offrît quelque légère varieté, et que le musicien, imitant le poëte, qui a changé de motif pour faire boire Frontin de nouveau, nous sauvât la petite monotonie d'un personnage debout qui boit toujours sur le même air. Cette observation paraîtra peut-être un peu pointilleuse, mais nous l'avons entendu faire de bonne foi par un connaisseur distingué.

Rien n'est plus gracieux que les couplets sur le Droit du seigneur ; c'est là que Mlle Regnault a prouvé que le talent des fredons et des roulades ne suffit pas pour constituer une véritable cantatrice ; il existe un talent plus difficile encore, celui de produire un grand effet avec de simples notes, avec des sons purs et soutenus ; cette correction, cette séverité, dira-t-on, peut-être, n'est pas extrêmement villageoise ; mais la musique a ses licences comme la poésie. Les plus vifs applaudissemens ont couronné la cantatrice et les couplets. Le troisième a été répété ; ou eût fait répéter de méme ceux que l'on chante à table, si l'air en eût été moins familier à l'oreille des amateurs, cet air a rappelé la chanson du Fifre et du Tambour, chantée, il y a quelques années, par Martin, dans le Baiser et la Quittance ; mais nous avons quelque droit d'affirmer que cet air fut composé par Boyeldieu, et qu'il n'a fait que rentrer dans sa propriété.

Enfin, le trio entre les amoureux et le marquis respire la mélodie la plus douce ; ce morceau est sans contredit le chef-d'œuvre de cette composition. La critique la plus rigoureuse ne saurait y reprocher que quelques tons trop élevés de Babet, qui semblent nuire quelquefois à l'harmonie parfaite de l'orchestre et des deux autres parties ; la même rigueur reprochera peut-être à M. Boyeldieu un excès d'élégance dans le style des paysans et du valet qui sont en jeu ; mais qu'il laisse dire la critique ; dans un temps où le mauvais goût a fait tant de progrès, le péché d'élégance est rare, et n'a pas qui veut le bonheur d'en être repris.           M.

L’Esprit des journaux français et étrangers, tome VII, juillet 1813, p. 281-288 :

[Sur un ton amusé, le critique souligne la facilité avec laquelle l’Opéra-Comique, contrairement aux autres spectacles, met sur le théâtre des nouveautés, et exprime le plaisir qu’il a éprouvé à la représentation du Nouveau seigneur de village. Il peut ensuite donner « un apperçu de la jolie petite comédie qui a si bien inspiré le compositeur » (un opéra-comique, c’est donc une comédie sur laquelle on met de la musique). Cet aperçu, plutôt détaillé, révèle une comédie classique (une jeune femme qui a deux amoureux, celui qu’elle préfère et celui qu’elle déteste, un valet qui se fait passer pour son maître, un maître qui joue de cette situation avant de se dévoiler : c’est le dénouement, que le critique ne révèle pas (qui Babet épouse-t-elle ? Les paris sont ouverts, même si l’incertitude est faible). Le livret est présenté comme parfaitement adapté à sa mise en musique : « du naturel, de la gaîté, des situations agréables et piquantes, point de déclamation sentimentale, ni de verbiage philosophique », voilà ce qu’il faut pour permettre une musique adaptée. Le critique fait la liste des morceaux appréciés (une seule exception, celle d’un morceau emprunté à une œuvre antérieure, qu’il faudrait remplacer). Il paraît important de limiter la part du dialogue sans musique (rejet du « dialogue prolixe » qui sert d’exposition, rejet aussi des « froides et longues conversations », insistance sur le modèle des opéras comiques italiens, avec liste des grands compositeurs, où figure Mozart). Il faut aussi que le compositeur puisse singulariser les divers personnages. Boyeldieu a déjà su réaliser ce savant équilibre. L’interprétation est à la hauteur de l'œuvre : les six acteurs cités « ont tous parfaitement saisi l'esprit de leurs rôles, et les chantent aussi bien qu'ils les jouent ». Les auteurs ont été demandés. Ceux des paroles (le critique sait qu’ils sont plusieurs) ont voulu rester anonyme, tandis que le compositeur a été applaudi et acclamé.]

Le Nouveau Seigneur de Village.

Ce théâtre offre maintenant l'inverse de ce qui se voit à tous les autres. A l'Opéra, aux Français , il faut qu'un auteur se morfonde à la porte d'un comité, ou, qui pis est, à celle d'un acteur ou d'une actrice, en attendant que son tour arrive, ou pour obtenir qu'il ne soit point passé. Vive Feydeau ! on y suit une marche toute opposée : on y verra bientôt les acteurs courir, à leur tour, après les poëtes et les musiciens. A peine une pièce est-elle applaudie ou sifflée, qu'une autre est à l'étude ; les spectateurs sont sans cesse tenus en haleine, et les goûts divers satisfaits tour-à-tour. Ils paraissent s'être tous réunis en faveur du Nouveau Seigneur de Village. Il me tarde d'exprimer, pour ma part, tout le plaisir que m'a fait éprouver cette charmante production musicale ; mais l'usage et la justice même exigent que je donne d'abord à mes lecteurs un apperçu de la jolie petite comédie qui a si bien inspiré le compositeur.

Tout un village est sous les armes pour recevoir sou nouveau seigneur ; mais dans le nombre des habitans, il n'en est pas à qui ce grand événement cause plus d'agitation qu'au bailli, qui a sa harangue à prononcer ; à Babet sa nièce, promise à celui de ses deux prétendus qui obtiendra la ferme vacante, et à Blaise et Colin, rivaux d'amour et d'intérêt. Blaise, tout niais qu'on le représente, imagine d'aller s'embusquer sur le passage de Monseigneur, et d'implorer son agrément pour la ferme avant son entrée au château. Il apperçoit à l'instant même une chaise de poste au bout de l'avenue ; un homme enveloppé d'une redingote en descend : qui pourrait-ce être que l'illustre personnage tant attendu ? Blaise se félicite d'être le premier à lui rendre hommage : il est bien loin de se douter que l'objet de sa profonde vénération n'est autre que mons Frontin, que son maître a dépêché en avant pour veiller aux apprêts nécessaires. L'impudent valet rit de la méprise du paysan, mais il n'a garde de l'en avertir ; et il conçoit même aussitôt le projet de la rendre générale pendant les quatre jours qui doivent s'écouler avant l'apparition de son maître. Il déclare que la route l'a prodigieusement altéré : le pauvre Blaise, ravi de saisir une occasion d'amadouer son nouveau maître, court chercher une bouteille de Chambertin dont on avait jadis fait présent à son père : Monseigneur daigne en accepter un verre; et, tout en dissertant sur la qualité et l'âge de ce vin, il arrive au fond de la bouteille. Blaise se croit sûr de la ferme : il court faire part de sa joie à tout le village. Le bailli se désole de ce que la cérémonie de la réception va se faire avant qu'il soit en état de réciter sa harangue couramment, et Babet gémit de ce que son cher Colin s'est laissé gagner de vitesse par ce Blaise qu'elle déteste.

Cependant le bailli a rassemblé tout son monde : il vient présenter les notables de l'endroit à Monseigneur, qui a eu soin d'endosser un habit brodé. Il trouve à ces notables une physionomie solide et des faces d'honnêtes gens ; mais il se montre beaucoup plus empressé de passer la revue de ses vassales que de ses vassaux. Babet veut profiter d'un instant où il est seul, pour lui recommander son petit Colin ; il prend un intérêt si vif à ses discours, et ses manières sont si accueillantes, qu'elle en a bientôt peur. Afin de la contraindre à venir supplier une seconde fois, il se retire, en lui disant qu'il a promis la ferme à Blaise. Elle se lamente avec le bien-aimé de son cœur, lorsque survient un inconnu, qui s'annonce pour l'homme d'affaires du nouveau seigneur, et promet sa protection aux jeunes amans. Aux détails qu'il reçoit d'eux, il n'a point de peine à deviner que Frontin joue insolemment au château le rôle de seigneur, et pour voir jusqu'où le drôle poussera l'effronterie, il défend à Colin et à Babet de parler de son arrivée. Il adresse la même recommandation au bailli. Il apprend de lui, dans la conversation, que le nouveau seigneur n'a jamais voulu recevoir 500 louis d'or qui lui sont dus pour des arrérages. Ce trait de probité de Frontin désarme le courroux de son maître (car tout le monde l'a déjà reconnu, sans doute, dans le soi-disant homme d'affaires). Il veut pourtant s'amuser lui-même du dénouement qu'aura cette comédie, et il s'éclipse.

Frontin vient s'établir au banquet impromptu qu'il a commandé aux frais du village. A peine commence-t-il à satisfaire son appétit dévorant, qu'il apperçoit son maître à une certaine distance. Il croit voir un spectre ; il veut fuir : un signe très-expressif lui enjoint de se rasseoir ; mais il a perdu la tramontane, il ne fait plus que balbutier ; enfin, il prétexte une indisposition subite et se sauve. L'homme d'affaires prend sa place sans façon; et bientôt Frontin, en habit de livrée, et la serviette sous le bras, vient se poster derrière lui. Cette métamorphose confond tous les assistant ; on se lève en tumulte : Frontin se jette aux genoux de son maître, qui lui pardonne son espièglerie, en faveur du beau trait des 500 louis.

Du naturel, de la gaîté, des situations agréables et piquantes, point de déclamation sentimentale, ni de verbiage philosophique : telles sont les conditions imposées à tout ouvrage de ce genre ; elles sont parfaitement remplies dans le Nouveau Seigneur, et, à ce mérite, s'en joint un autre, plus précieux encore à un théâtre lyrique, c'est celui d'une musique ravissante. A une ouverture légère et gracieuse succède un morceau dont la jouissance est bien rarement accordée aux habitués de l'Opéra-Comique : c'est une introduction à la manière italienne. Rien n'afflige plus l'oreille, après une symphonie brillante, que la longueur d'un dialogue prolixe, dans lequel un valet, une soubrette ou un niais viennent péniblement faire l'exposition d'une intrigue, souvent pénétrée dès le lever de la toile. La coupe musicale de cette introduction est extrêmement piquante : le bailli qui répète la harangue où il compare l'entrée du seigneur dans son village à celle d'Alexandre-le-Grand dans Babylone ; Babet, Blaise et Colin, qui s'occupent de leurs amours ou de leurs intérêts, forment autant de caractères distincts, parfaitement saisis et nuancés par le compositeur. C'est ainsi que nous pouvons faire passer dans notre opéra-comique les richesses dont brille celui de nos voisins, et c'est ainsi que nous parviendrons à en bannir ces froides et longues conversations, sans musique, qui ne sont pas plus des comédies que des opéras. Vainement les partisans du bon vieux temps et du genre soporifique affectent de croire qu'on ne peut imiter la coupe musicale des Mozart, des Cimarosa, des Gugliehni, des Pa'ësiello, qu'en excluant d'une pièce tout intérêt, tout esprit, toute vérité : on a si souvent et si bien répondu aux objections de ces anti-musiciens, qu'il faut se contenter d'en rire, et se borner à dissuader, par les faits, ceux qu'elles auraient pu égarer sur le point de la question. C'est ce qu'a entrepris, avec tant de succès, l'auteur de l’Auberge de Bagnères et des Aubergistes de Qualité ; c'est ce qu'a tenté, non moins heureusement, celui du Nouveau Seigneur, comme il l'avait déjà fait dans son Jean de Paris. Sa nouvelle composition, quoique resserrée dans les limites d'un seul acte, offre une abondance et une variété que l'on chercherait en vain dans des ouvrages de dimension beaucoup plus vaste. Réduit à indiquer simplement les morceaux les plus saillans, je citerai le duo si plaisant de la bouteille, entre le faux seigneur et Blaise ; l'auteur a jeté dans l'orchestre des traits imitatifs qui ajoutent au comique de cette scène. Que de grâce et de sentiment dans cet autre duo, où la petite Babet sollicite pour son amant, tout en se défendant contre les agaceries de Frontin ! Que d'esprit et de verve, enfin, dans celui où le bailli et le seigneur disputent sur la manière de déclamer la harangue ! On ne me pardonnerait point de passer sous silence les délicieux couplets dont le troisième est chanté alternativement par Frontin et Babet. C'est une bonne fortune, maintenant, que de réussir en ce genre, après l'auteur des Deux Jaloux. Le morceau le moins remarquable de l'ouvrage entier est peut-être celui qui a été le plus travaillé. C'est le grand air en monologue que chante le valet (Martin), air qui n'est point amené, comme les autres, par la situation, et qui sent la commande et la gêne. La chanson de Babet, pendant le repas, appartient à un autre ouvrage du compositeur (le Baiser et la Quittance: on ne peut trop l'engager à y substituer un air nouveau. Tout doit être neuf et original dans une partition assurée désormais d'une existence aussi longue que brillante.

Ce charmant petit opéra est exécuté d'une manière très-satisfaisante, et le sera mieux encore par la suite. Mlle. Regnault, Martin, Saint-Aubin, Huet, Moreau, Ponchard, ont tous parfaitement saisi l'esprit de leurs rôles, et les chantent aussi bien qu'ils les jouent.

Les auteurs ont été demandés à grands cris : ceux des paroles ont désiré garder l'anonyme; celui de la musique est M. Boyeldieu. A son nom, les applaudissemens et les acclamations ont redoublé.                       S.

Magasin encyclopédique, ou Journal des sciences, des lettres et des arts, année 1813, tome IV (Juillet 1813), p. 190-192 :

[Après avoir analysé l’intrigue, l’auteur de l’article donne son jugement : le plus grand mérite du livret est « d'avoir fourni des cadres charmans en talent de M Boyeldieu ». Il en donne plusieurs exempels.]

Théâtre de l'Opéra-Comique.

Le Nouveau Seigneur de village, opéra comique en un acte, joué le 29 juin.

Un jeune Seigneur vient prendre possession d'une terre que son oncle lui a laissée ; à quelque distance du village, il se détourne de son chemin pour rendre visite à une dame de sa connaissance, et il ordonne ä Frontin, son valet, d'aller l'attendre à son nouveau château. Le bailli du village, prévenu de la prochaine arrivée du marquis, se prépare à le haranguer. Ce bailli a promis sa nièce Babet à celui de ses deux amans, Blaise et Calas, qui obtiendra de Monseigneur le bail à ferme de ses terres. Blaise imagine que celui qui parlera le premier au inarquis aura un grand avantage ; en conséquence, il l'attend de pied ferme. Frontin se présente ; le surtout dont il est revêtu en impose à l'imbécille, qui le salue du nom de Monseigneur ; et Frontin trouve plaisant de faire le Seigneur. En cette qualité, il commence par vider une bouteille de Chambertin ; il promet la ferme à Blaise ; il demande à la jeune fille si certain droit du Seigneur est encore en usage dans le hameau; Puis il va changer de toilette pour assister plus dignement au repas qu'on lui prépare.

C'est alors que paroît le Marquis ; sa voiture brisée le fait arriver à pied ; Babet et Colas, désolés de la préférence accordée à Blaise, font part au Marquis de l'arrivée du nouveau Seigneur, et des chagrins qu'il leur cause. Le Marquis trouve plaisant à son tour de ne pas se faire connoître, et de voir jusqu'à quel point Frontin abusera de son titre et de son nom ; mais il est édifié lorsque, caché sous un berceau, il voit Frontin refuser 12,000 francs de vieux arrérages que le bailli vient lui apporter. Cette scène où l'honnête valet, tantôt séduit par la vue de l'or, tantôt contenu par sa probité, finit par s'enfuir avec une sorte d'horreur, est d'un fort bon comique. Le bailli reste stupéfait ; mais le Marquis, s'annonçant à. lui comme l'intendant du nouveau Seigneur, lui explique, au moyen de quelques équivoques, ce que cette conduite peut avoir d'étonnant.

Cependant la fête commence, le dîner est servi, Frontin se place ; mais l'aspect de son maître le fait fuir de nouveau; quoique la table soit dressée en plein champ, il a besoin, dit-il, de prendre le grand. air ; l'intendant s'offre à le remplacer ; tout le village lui tonrne le dos ; les seuls amoureux, à qui le Marquis a promis ses bons offices, lui témoignent des égards et de l'amitié ; enfin, tout s’explique par le retour de Frontin en habit de livrée, et avec une serviette sous le bras.

Ce petit ouvrage est rempli de détails piquans ; son mérite essentiel est d'avoir fourni des cadres charmans en talent de M Boyeldieu. Le premier quatuor entre le bailli harangueur et les trois amoureux est remarquable par sa facture comique et par le naturel du dialogue. Le même esprit règne dans le duo sur le vin.

Rien n'est plus gracieux que les couplets sur le Droit du Seigneur, chantés par Mademoiselle Regnault. Les plus vifs applaudissemens ont couronné la cantatrice et les couplets.

Enfin, le trio entre les amoureux et le Marquis est sans contredit le chef-d'œuvre de cette composition.

En février 1819, la pièce a causé de sérieux troubles à Montpellier : les étudiants en médecine ont sifflé la représentation du Nouveau seigneur de village, œuvre (pourtant anonyme) du préfet Creuzé de Lesser, qui a pris de vigoureuses mesures de répression qui ont incité les étudiants de menacer de quitter la ville. Récit dans la Minerve française tome cinquième (février 1819), p. 72-76.

Dans leur Théâtre de l'Opéra-Comique Paris : répertoire 1762-1972, Nicole Wild, David Charlton signalent que l’opéra-comique a été appelé aussi le Nouveau Seigneur du village (au lieu de « de village ») dans des éditions ultérieures, et qu’il a été joué jusqu’en 1935.

Ajouter un commentaire

Anti-spam