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La Pêche aux Jacobins, ou la Journée de St-Cloud

La Pêche aux Jacobins, ou la Journée de St-Cloud, pièce en un acte ; par les cit. Léger, Chazet et Armand-Gouffé. 23 brumaire an 8 [14 novembre 1799].

Théâtre des Troubadours

La pièce est aussi connue sous le titre de la Journée de Saint-Cloud, ou le Dix-neuf brumaire (et parler du 19 brumaire plutôt que du 18 n’est bien sûr pas innocent).

Almanach des Muses 1801

Ouvrage fait en l'honneur de la fameuse journée du 18 brumaire.

De la gaîté.

Courrier des spectacles, n° 986, du 24 brumaire an 8 [15 novembre 1799], p. 3 :

[De cette pièce évidemment politique, le critique rend compte de façon peu politique. Il la réduit à être « la plus gaie et la plus originale bluette », une simple intrigue amoureuse qui croise par hasard une réunion du Conseil législatif « dans ce village ». Mais les couplets cités laissent supposer qu’elle comporte des enjeux plus importants que le mariage de Sans-Façon et de sa maîtresse.]

Théâtre des Troubadours.

L’on a vu beaucoup de brigands
Et l’on a vu beaucoup de brigues ;
On a vu beaucoup d'intrigants,
Et l’on n'a pas vu moins d’intrigues.
Quand nous renaissons à l'espoir,
A tel point l’intrigue nous blesse,
Qu'on n’a pas cru même devoir
Mettre d’intrigue dans la pièce.

Tel est le couplet d’annonce de la plus gaie et la plus originale bluette, donnée hier sur ce théâtre, sous le titre de la Pêche aux Jacobins.

Sans Façon arrive d'Fgypte : il retrouve à St-Cloud sa maîtresse que Girouette le Clubiste vouloit lui enlever. Le Corps législatif se transporte dans ce village, et Sans-Façon qui a eu l’honneur de sauver les jours de son général, reçoit son amante en mariage.

Nous sommes obligés de remettre de très-jolis couplets à un autre numéro. Nous ne pouvons cependant nous refuser à transcrire celui-ci, que Sans-Façon chante :

Je vous ai laissé la victoire,
Et je trouve d’affreux revers ;
Je vous ai vus couverts de gloire,
Et je vous vois chargés de fers.
Je vois une horde étrangère
Où j’avois laissé les Français :
Enfin je retrouve la guerre
Partout où j’ai laissé la paix.

Les auteurs sont les cit. Léger, Chazet et Armand-Gouffé. – C’est un ouvrage de deux fois 24 heures.

Courrier des spectacles, n° 987, du 25 brumaire an 8 [16 novembre 1799], p. 2-3 :

[Retour sur la Pêche aux Jacobins, pour en citer plusieurs couplets, à portée clairement politique (mais le critique se garde bien de le dire). D’abord l’empressement de tous les environs de Saint-Cloud à voir les gens au pouvoir, qualifiés de « brouillons ». Puis deux couplets sur deux lois éminemment contestées, celle sur l’emprunt forcé, l’autre sur la loi sur les otages. Dans les deux cas, le couplet est ironique : l’emprunt forcé, c’est un moyen de demander aux contribuables de donner ce qu’ils n’ont pas ; et la loi sur les otages est assimilée à une volée de coups de bâtons que réclamerait le personnage de Girouette, personnage au nom évidemment significatif (le vent tourne, en ce mois de brumaire). Les derniers vers cités soulignent l’échec de la politique de la fin du Directoire : les événements de Saint-Cloud sont les filets dans lesquels les gens qui tendaient des filets aux bons citoyens sont venus se prendre eux-mêmes.]

Voici quelques coupelets rédemandés [sic] généralement dans la pièce de la Pêche aux Jacobins, donnée avant-hier aux Troubadours.

Adèle chante en raccontant à son père l'affluence du peuple pour voir arriver les autorités à Saint-Cloud :

        Pour jouir d’un si beau coup-d’œil,
        On vient de Boulogne et d’Auteuil,
        On vient de Vanves, de Suresne,
        On vient de Clichi-la-Garenne,
        De Chaillot, de Passi, d’Issi :
        Enfin chacun voudroit ici
Voir des brouillons la compagnie entière
            Tout le long de la rivière.

Girouette s’extasiant sur l’emprunt forcé ; Oh ! la belle loi ! dit-il.

On avoit trouvé la ressource
De prendre à tout bon citoyen
Tout ce qu’il avoit dans sa bourse
Et le dépouiller de son bien.
Le
déficit qui nous dévore
Avançant toujours à grands pas,
On fait bien mieux, on force encore
De prêter ce que l’on n’a pas.

Girouette veut, pour éloigner son rival, se faire donner des coups de bâton ; par conséquent viendra la loi sur les ôtages. Mais par qui se les faire administrer ?

Air de Claudine.

Contre l'emprunt chacun crie,
Mais à me faire le prêt,
Dans ce canton, je parie,
Tout le monde est toujours prêt ;

Oh ! oui, toute réflexion faite, je trouverai plus de coups de bâtons qu’il ne m’en faut.

Je serai, je le soupçonne,
Dans peu tiré d'embarras,
Assez souvent on m’en donne
Que je ne demande pas.

Girouette.

Enfin malgré le manège
De nos vils agitateurs,
Ce moment heureux abrège
Leurs succès et nos malheurs.
Les maladroits vouloient tendre
Leurs maudits filets partout,
Mais ils sont venus se prendre
Dans les filets de St-Cloud.

Courrier des spectacles, n° 988, du 26 brumaire an 8 [17 novembre 1799], p. 2-3 :

Hier on a donné aux troubadours la deuxième représentation de la Journée de St-Cloud, suspendue le 24 par ordre de la police.

La Décade philosophique, littéraire et politique, an VIII, premier trimestre, n° 6 du 30 Brumaire, p. 361 :

Vaudevilles et pièces de circonstances.

La révolution du 19 Brumaire a fait éclore à tous les petits théâtres chantans, une foule de petites pièces de circonstances, qui toutes ont pour objet de célébrer allégoriquement les événemens de ce jour, et sur-tout le héros dont le nom et les exploits volent jusqu'aux extrémités du globe, et traverseront les siècles. Quoique de petits vaudevilles soient en général peu proportionnés à un si grand objet, on ne peut que savoir gré aux auteurs de ces bluettes, d'être en ce moment les organes de la reconnaissance publique ; mais nous sommes convaincus qu' un aussi beau jour que le 19 Brumaire, et l'heureux changement qu'il a produit, ne doivent pas ressembler aux autres époques de la révolution, toutes chantées et célébrées tour-à-tour ; et qu'il faut sur-tout exclure avec sévérité tout ce qui peut alimenter la haine des partis. N'oublions pas que les chants de réaction ont produit le Réveil du peuple, et que cette chanson a fait couler des torrens de sang. Nous devenons trop grands pour n'être pas généreux et sages : les Consuls veulent fortement l'oubli de toutes les dénominations injurieuses, et l'affermissement des principes. Soyons Français, le nom devient assez noble, assez grand, pour enorgueillir ceux qui le portent ; les factions sont vaincues : jouissons du triomphe et ne le souillons point.

De toutes les pièces en l'honneur de la journée de Saint-Cloud, celle des Troubadours, intitulée la Pêche aux Jacobins est peut-être la plus gaie ; celle du Vaudeville, intitulée la Girouette de Saint-Cloud, la plus délicate : toutes deux ont un mérite particulier.

La première est des Citoyens Léger, Chazet et Armand-Gouffé.

La 2°., des Citoyens Barré, Radet, Desfontaines, Dupaty, Bourgueil et Maurice.

L.-Henry Lecomte, Napoléon et l'Empire par le théâtre (Paris, 1900), p. 50-51 :

Théâtre des Troubadours, 23 brumaire an VIII (14 novembre 1799) : La Journée de Saint-Cloud, ou le Dix-Neuf brumaire, divertissement-vaudeville en 1 acte, par Léger, Chazet et Armand Gouffé.

Le soldat Sans-Façon, revenant d'Egypte, est accueilli avec transport par le marchand de vin patriote La Pinte, qui lui destine sa fille Adèle. Mais un certain Girouette, mercier, qui a épousé tout à tour les opinions les plus extrêmes, convoite Adèle ; pour l'obtenir il a fait porter Sans-Façon sur la liste des émigrés, et taxer La Pinte à 3,000 francs pour sa part dans l'emprunt forcé. Sans-Façon n'a qu'à se présenter pour être rayé ; La Pinte, moins heureux, ne sait trop comment verser la somme, dont Girouette offre de le faire dégrever en échange de la main d'Adèle. Il n'en refuse pas moins avec indignation l'idée d'avoir Girouette pour gendre, et serait pour cela sans doute victime de quelque mauvais tour du mercier, si les événements politiques ne tournaient à la satisfaction des gens honnêtes. les parlementaires, brusqués par Bonaparte, fuient en déroute ; Sans-Façon, qui a sauvé la vie du général, reçoit la main d'Adèle, et Girouette accepte comme toujours les faits accomplis.

Annoncée d'abord sous ce titre : la Pêche aux Jacobins, la Journée de Saint-Cloud, comme le précédent ouvrage [La Girouette de Saint-Cloud, de Barré, Radet, Desfontaines, Bourgueuil, Maurice (Seguiez) et Emmanuel Dupaty] avec lequel elle a beaucoup d'analogie, contient d'amères critiques des vaincus et le panégyrique du vainqueur. Le couplet final résume ce double esprit :

      Ce changement très imprévu
      Sans réplique à tous vous le prouve :
Le bien qu'on fait tôt ou tard se retrouve,
Le mal qu'on fait tôt ou tard est rendu.
      Mes amis, dans ce jour prospère,
      La Providence n'a pas tort :
Aux grands faiseurs du dix-huit fructidor,
      On devait le dix-huit brumaire.

[Le coup d'État du 18 fructidor an 5 (4 septembre1797) est une opération politique menée sous le Directoire par trois des cinq directeurs (dont Paul Barras) soutenus par l'armée, contre les royalistes, devenus majoritaires au Conseil des Cinq-Cents et au Conseil des Anciens. Il marque un renforcement de l'exécutif au détriment du pouvoir législatif.]

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