La Petite maison de Thalie

La Petite maison de Thalie, pièce épisodiue en un acte, en vers, par le cit. Armand Charlemagne, 16 floréal an 9 [6 mai 1801].

Théâtre français, d'abord rue Feydeau et maintenant rue de Louvois

Almanach des Muses 1802

Prologue d'inauguration pour l'installation définitive des comédiens de l'Odéon au théâtre de la rue de Louvois.

Des scènes à tiroir, suivant l'usage ; de la facilité et de l'esprit dans le style.

Courrier des spectacles, n° 1529 du 17 floréal an 9 [7 mai 1801], p. 2 :

[Il s’agit de rendre compte de la représentation inaugurale du Théâtre Louvois, qui vient d’être rénové. On a joué une nouveauté, la Petite maison de Thalie, et une comédie en cinq actes, le Collatéral. Sans grande originalité, Armand Charlemagne a imaginé une comédie à épisodes qui permet de faire défiler les notabilités du théâtre du temps, auteurs et acteurs. Le compte rendu est plutôt positif, sauf que la pièce comporte des longueurs (on s’en serait douté : quelle pièce n’en comporte pas ?). Et la salle rénovée est vraiment « très jolie ». Il y a aussi quelques lignes consacrées à la pièce qui a suivi. Bonne pièce, bien jouée...]

Théâtre Louvois.

L’idée qui a fourni le sujet de la pièce donnée hier pour l’ouverture de ce théâtre, sous le titre de 1a Petite Maison de Thalie est très-ingénieuse. L’auteur a été demandé, c’est le cit. Armand-Charlemagne.

Thalie a chargé Momus de lui chercher une petite maison ; le Dieu de la Raillerie en a trouvé une très-agréable. La Déesse et lui reçoivent tons ceux qui viennent leur offrir leurs services ou leur donner des conseils. De ces derniers est un ancien Amateur du théâtre, qui regrette fort le tems passé, et rend hommage à tous les auteurs et acteurs qui ont illustré la scène. Thalie se console de ses pertes par les richesses qu’elle possede encore. Suivant elle :

Trop de regret pour ce qu'on a perdu
      Fait jouir mal de ce qui reste.

De-là des éloges mérités à Molé, à Mlle Contat, à Mlle Vanhove. Vestris, Gardel et plusieurs autres danseurs de l'Opéra en reçoivent également à l’occasion d’un Danseur qui vient vanter ses talens. Une scène dans laquelle Momus se défait de l’importunité du Danseur et d'un pantomime, en les mettant aux prises l'un contre l’autre, est une des plus comiques de la pièce.

On peut encore en citer une autre entre Momus et un Auteur ; celle-ci ressemble un peu à la deuxième scène du Mysanthrope [sic].

Le reproche le plus essentiel à faire à cette pièce c’est d’offrir souvent des longueurs. La scène du neveu de l’Amateur est peut-être inutile.

Dans tout l’ouvrage la nouvelle société montre sa vénération pour les talens qui leur servent de modèle, et Momus finit par ces deux vers :

Courez, courez toujours au palais de Thalie,
Mais ne négligez pas sa petite maison.

Ce seroit vraiment dommage ; elle est très-jolie. Les réparations de la salle ont été faites avec goût.

Le Collatéral a fait le même plaisir que dans la nouveauté ; on n’a pas cessé de rire pendant toute la pièce : on est étonné au dénouement qu’un sujet aussi simple ait pu fournir cinq actes. Le citoyen Vigny a été très-comique dan» le personnage de la Saussaye.

Trois débutans, le cit. Bosset, ancien acteur de Molière, le cit. Armand, ci-devant attaché aux Troubadours, et une jeune personne nommé Adeline ont rempli les rôles de St-Hilaire , du Conducteur et de la jeune Personne ; ils n’ont pas nui à l’ensemble de l’ouvrage.

Magasin encyclopédique, ou journal des sciences, des lettres et des arts, VIIe année (an IX, 1801), tome Ier, p. 123-124 :

THÉATRE LOUVOIS.

La petite Maison de Thalie.

Les comédiens sociétaires de l'Odéon, errans, depuis longtemps, de théâtre en théâtre, viennent de se fixer à celui de Louvois, dont ils ont fait l'ouverture, le 16 floréal, par le Collatéral, ou la Diligence à Joigny, précédé d'un prologue, dont voici l'idée : Momus vient d'acheter pour Thalie une petite maison. Celle ci vient la visiter, et y reçoit tour-à-tour, un ancien habitué du café Procope, une merveilleuse du jour, un auteur, un homme qui fait des réputations, un danseur et un acteur de pantomimes. Tous ces personnages raisonnent de l'entreprise, selon leur intérêt, mais ils sont tous congédiés par Thalie et Momus, qui veulent plaire au public par un zèle sans borne, et terminent la pièce par ces mots :

Courez toujours au Palais de Thalie ,
Mais ne négligez pas sa petite Maison.

Cette comédie, froide par elle-même, comme la plupart des pièces épisodiques, offre de jolis vers et des idées agréables : nais il faut observer au C. ARMAND CHARLEMAGNE, qui en est l'auteur, qu'il a été trop exagéré dans ses éloges et trop outré dans sa critique, et que rien n'est plus aisé que de faire applaudir un vers, en y plaçant un nom justement aimé du public. Le C. Picard et M.lle Molière ont joue les roles de Momus et de Thalie, et ont été bien accueillis ainsi que les anciens acteurs qui sont restés fidelles à l'association. Quelques-uns ont augmenté cette troupe et ne peuvent qu'ajouter à son ensemble. Ce sont: le C. Bosset, jadis au théâtre Molière et depuis à la Cité : le C. Armand, jadis au Troubadours : le C. Bertin, du théâtre Favart, et M.me Sara-Lescaut, du Vaudeville, dont le talent pour la comédie est connu depuis longtemps.

Julien L. Geoffroy, Cours de littérature dramatique: ou Recueil par ordre de matières ..., tome 4 (1819), p. 344-348 :

[L'articl date du 18 floréal an 9.]

THÉÂTRE DE LOUVOIS ET DE L'ODÉON.

CHARLEMAGNE.

LA PETITE MAISON DE THALIE.

Ce théâtre n'a été jusqu'ici qu'une hôtellerie où les comédiens sont descendus en passant, comme de simples voyageurs ; puissent les acteurs échappés aux flammes de l'Odéon trouver dans la rue de Louvois un terme à leurs longues disgrâces ! puisse cette troupe errante y fonder, sous les auspices du joyeux Picard, un établissement durable ! Le succès d'une bien faible bagatelle, qui sert d'inauguration à ce nouveau spectacle, semble être pour lui un heureux présage de l'indulgence du public.

Les pièces épisodiques, affranchies des embarras du plan et de l'intrigue, n'en sont que plus obligées d'offrir des caractères saillans, des détails ingénieux et des motifs de scène qui réparent par le comique le défaut d'intérêt. Thalie, fatiguée de son magnifique palais, où elle bâille noblement, charge Momus de lui faire l'emplette d'une petite maison où elle puisse s'égayer avec plus de liberté : l'idée est assez piquante ; malheureusement il y a déjà beaucoup trop de ces réduits libertins, qu'on peut appeler les petites maisons de Thalie ; et cette veuve de Molière, depuis la mort de son mari, n'a déjà fait que trop d'extravagances. Quoi qu'il en soit, Momus s'est fort bien acquitté de sa commission ; la maison est achetée et tout est prêt pour y recevoir Thalie. On se doute bien que Momus n'est autre que Picard ; dès qu'il a paru, des applaudissemens capables d'ébranler la petite maison sont partis de toutes parts avec impétuosité, et se sont prolongés pendant six minutes. Le portier vient lui apporter la liste de ceux qui se sont déjà présentés pour le voir, et lui remet en même temps une lettre de monsieur Pointdevue, architecte, qui lui propose d'abattre la maison pour l'embellir. Thalie arrive, vêtue non pas en déesse de la comédie, mais en jolie femme de Paris ; Momus est aussi habillé à la française ; il n'a ni grelots ni marotte, et avec ce costume il n'en a pas besoin : d'ailleurs, des dieux allant à leur petite maison ne doivent pas être en habit de cérémonie. L'auteur met dans la bouche de Thalie un éloge assez fade des modes actuelles ; les jolies femmes se sont montrées fort ingrates, et cette flatterie un peu lourde est tombée tout à plat.

La porte de Thalie est ouverte à tout le monde, et les visites commencent. Le premier qui se présente est un vieux habitué du café Procope, qui gémit sur la décadence de notre théâtre, et rappelle avec emphase les grands acteurs qui ne sont plus. Thalie se moque de cette manie des vieillards, qui toujours vantent le passé, mais elle s'engage témérairement dans l'inventaire de nos richesses présentes, qui ne sert qu'à faire éclater notre indigence : Melle. Vanhove, Molé, Melle. Contat, voilà, d'après le calcul de Thalie, la somme totale de notre fortune dramatique ; mais n'est-il pas bien étrange que cette déesse de la comédie ne sache pas que l'emploi de Melle. Contat fut toujours très-différent de celui que remplissait Melle. Dangeville, et qu'on ne peut apercevoir aucun rapport entre le talent de ces deux actrices ? Il y a peut-être plus d'imprudence encore dans l'espèce de revue que fait Thalie des nouveaux ouvrages qui enrichissent notre scène ; le public n'a entendu qu'avec dégoût le panégyrique de Fabre et des Précepteurs ; l'auteur del'Ecole des Jeunes Femmes s'est ressenti de ce contrecoup, et ces deux tirades, très-déplacées, très-maladroites, ont été accueillies avec la plus froide indifférence. Les auteurs prieront désormais M. Charlemagne de ne point se charger de les louer, de peur de les compromettre. Si le vieillard n'était pas poli, il pourrait abuser contre Thalie de son bavardage indiscret, et la chicaner sur cette maxime :

Trop de regret pour ce qu'on a perdu
    Fait jouir mal de ce qui reste.

Indépendamment de la platitude de ce style fait jouir mal, il est très-évident que le peu qui reste rappelle nécessairement le regret de ce qu'on a perdu. Se contenter de ce qu'on a, faute de mieux, c'est philosophie, c'est sagesse, et non pas jouissance ; admirer ce qui est mauvais ou médiocre, par ignorance de ce qui est bon, c'est le bonheur des sots ; il y a tel spectateur qui jouit plus de madame Angot que du Misantrope ; mais ce n'est pas à Thalie à vanter cette espèce de jouissance.

Le vieux frondeur a un neveu qui n'est pas moins chagrin que son oncle ; il vient aussi faire confidence de ses griefs à Thalie, qui paraît toujours fort contente de l'état actuel de notre théâtre, et qui du moins se console assez légèrement en disant que s'il y a eu jadis de grands acteurs et de grands auteurs,

On les égalera peut-être.

Ce peut-être n'est pas très-rassurant : l'interprète d» Thalie ressemble aux commentateurs qui font dire aux anciens tout ce qu'ils veulent. Que lui en eût-il coûté de donner un peu plus de goût et de sens à Thalie ?

Une petite folle vient ensuite se plaindre à Thalie de ce qu'il n'est plus possible de dîner si l'on veut aller à la comédie ; elle voudrait que le spectacle ne commençât qu'à neuf heures, et si on lui tient rigueur, elle est décidée à ne dîner qu'après le spectacle. Cette scène est beaucoup trop longue ; le comique en est usé ; on y réchauffe de vieilles plaisanteries sur l'ancien directeur de l'Opéra, qui ressemblent aux modes de l'année dernière ; ce qu'il y a de plus plaisant, c'est la colère du partisan de l'ancien théâtre, qui menace à son tour de souper avant la comédie.

La scène suivante est encore plus triviale ; c'est un auteur qui vient présenter une pièce; Thalie, déjà excédée de ces nouveaux visages, sonne Momus, et le charge de ses audiences : Momus, après avoir essuyé, avec trop de patience, les sottises et la jactance du poëte, l'éconduit assez durement. Cet auteur, nommé Têtu, a cependant fait rire, lorsque dans son dépit il déclare qu'il achètera un théâtre et paiera des acteurs :

Je me ruinerai, mais on jouera mes pièces.

Il est cependant peu vraisemblable que ce poëte dise qu'il se ruinera; car, à son air et à son costume, il est aisé de juger que la chose est déjà faite.

A l'auteur succède un journaliste, qui se flatte de dispenser la gloire, et qui

Des sots qu'on oublierait fait des sots immortels.

Piqué du mépris de Momus pour sa manufacture de réputations, il le menace de venger, par des satires, le refus qu'il fait de ses éloges ; il y a là quelque petite malice innocente de M. Charlemagne contre les rédacteurs de Feuilletons, qui trouvent que personne n'a d'esprit ; cela ne me regarde pas ; car je trouve au contraire que tout le monde en a beaucoup trop, et nommément M. Charlemagne.

Le journaliste fait place à un danseur et à un auteur de pantomimes, qui viennent chacun offrir à Momus leur petit ministère ; le dieu folâtre s'amuse à les irriter l'un contre l'autre, et ces artistes finissent par se dire de grosses injures. Presque toutes ces scènes joignent à la prolixité et à la prétention, le défaut d'être extrêmement surannées ; ce sont de vieilles connaissances ; l'auteur s'est amusé à ramasser des lambeaux qui traînent depuis long-temps sur tous les théâtres ; mais le moment était favorable pour le débit de cette friperie ; et lorsque Thalie prend congé des spectateurs en leur disant :

Courez, courez toujours au palais de Thalie,
Mais ne négligez pas sa petite maison.

elle a été fort applaudie; on a demandé le nom de l'auteur, et même sa personne; mais il s'est dérobé à sa gloire.

La modestie des sociétaires de l'Odéon prévient d'autant plus en leur faveur, que ce n'est pas la vertu des comédiens ; mais il me semble qu'il était hors de propos de vanter si fort le Théâtre Français, qui ne leur fera peut-être que trop sentir sa supériorité ; les railleries sur les petits théâtres sont encore plus déplacées ; M. Charlemagne n'a connu la mesure ni dans la louange, ni dans la critique ; il a cherché ce qui était brillant plutôt que ce qui était convenable à la circonstance. ( 18 floréal an 9.)

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