Le Pavillon du Calife

Le Pavillon du Calife, ou Almanzor et Zobéïde, opéra en deux actes, paroles de M. ** [Després, Deschamps et Morel Chedeville], musique de M. Daleyrac ; 28 germinal an 12 [18 avril 1804].

Théâtre de l’Opéra.

Titre :

Pavillon du calife (le), ou Almanzor et Zobéïde

Genre

opéra

Nombre d'actes :

2

Vers ou prose ,

en vers

Musique :

oui

Date de création :

28 germinal an XII (18 avril 1804)

Théâtre :

Théâtre de l’Opéra

Auteur(s) des paroles :

Després, Deschamps et Morel Chedeville

Compositeur(s) :

Dalayrac

Almanach des Muses 1805

Almanzor, calife de Bagdad, déguisé une nuit en pêcheur, a forcé des brigands à se dessaisir de Zobeïde, fille d'un de ses sujets, que le grand vizir a fait proscrire sur un rapport infidèle. Le Calife veut la revoir. Accompagné de son grand vizir, déguisé comme lui en pêcheur, il sort de Bagdad pour la chercher et la retrouve dans un pavillon de ses jardins. Cependant le concierge, qui n'a jamais vu son maître, prépare un repas splendide afin de plaire à Zobeïde dont il est épris. Almanzor et son vizir se présentent à lui ; et sont admis à sa table : mais un billet que le Calife a donné à ce concierge pour le patron de la barque qui les a amenés, change la face des choses. Tous les gardes, les esclaves, les odalisques, se réunissent en un moment, et Almanzor, après s'être fait reconnaître, offre sa main et son trône à Zobeïde.

Peu d'intérêt, de jolis tableaux, musique agréable.

Les auteurs, d'après l'Histoire critique et littéraire des Théâtres de Paris, de Chaalons d'Argé, année 1822, p. 286, sont Després, Deschamps et Morel Chedeville, musique de Dalayrac. La pièce aurait connu un échec retentissant (Castil-Blaze dit qu'elle a été arrêtée après sa quatrième représentation), au point que Dalayrac aurait demandé à Pixérécourt de faire un livret pour sa partition, qui valait mieux que le texte des trois auteurs. Plusieurs années après, et après la mort de Dalayrac, en 1822, Pixérécourt a fait représenter le Pavillon des Fleurs ou les Pécheurs de Grenade.

Courrier des spectacles, n° 2604 du 24 germinal an 12 [14 avril 1804], p. 2 :

[L'article est consacré à tenter de rendre compte d'une soirée de gala au bénéfice de Vestris, un des danseurs vedettes de l'Opéra. La représentation a lieu au Théâtre de l'Opéra, rebaptisé ici Théâtre des Arts. C'est un beau désordre que le critique décrit  bien que venu très tôt, il n'a pas eu de place, et a dû se contenter d'un témoignage indirect sur la réaction, plutôt négative du public à l'opéra nouveau : il préfère n'en rien dire (il n'a rien vu, rien entendu). La représentation s'est poursuivie par une comédie le Cercle (plus d'une pièce du répertoire porte ce titre), nettement mieux accueillie. Puis la danse, en l'honneur de Vestris, un des grands danseurs du temps : Médée et Jason, ballet célèbre de Noverre, qui s'est joué dans toute l'Europe. Le succès est cette fois complet, et le héros de la fête a été chaleureusement accueilli. La séance s'est achevée après minuit. Elle était honorée par la présence du premier Consul, applaudi à son arrivée comme à son départ (même passionné de théâtre, Bonaparte ne pouvait consacrer tant de temps aux loisirs, à moins que ce soit un moyen d etester sa popularité). La recette a été très importante, et les Comédiens Français annoncent une séance du même ordre pour « leur ancien camarade Dupont.]

Théâtre des Arts.

Représentation au bénéfice du Citoyen Vestris.

Plus ces représentations au bénéfice de tel ou tel acteur se multiplient, plus la curiosité semble s’accroître, et plus les prix des places augmentent réellement. Avant hier ils étoient triplés, et l’on s’attendoit bien que la salle seroit pleine ; mais eût-elle été une fois plus grande, je crois qu’elle n’eût suffi qu’à peine à la foule qui s’y pressoit de toutes parts. Les rangs étoient si serrés, qu’on ne pouroit parvenir à la grille qu’avec infiniment de peine et lorsque les portes ouvertes permirent de se glisser dans un petit coin. Vouloit-on voir au moins un spectacle qu’on ne pouvoit pas entendre ; on demandoit, on sollicitoit ; on payoit la faveur de regarder à travers les vitres des loges, et quelques uns avoient encore la bonhomie de se croire très-heureux, en se résignant à rester sept ou huit heures d’horloge sur leurs jambes.

Tardè venientibus ossa.

Je n’arrivai pas un des premiers, et voyant l'impossibilité de me placer, j’attendis dans le foyer que les marques de satisfaction ou d’improbation du parterre m’instruisissent de ce qui se passoit au théâtre. Un spectateur qui se tenoit à un des carreaux entretenoit avec moi une correspondance télégraphique.

La représentation était orageuse ; d’un côté l'on applaudissoit, de l’autre on siffloit ; mais il y eut un moment où les sifflets dominèrent complettement. On jouoit le nouvel opéra en deux actes intitulé le Pavillon du Calife. Je ne dirai pas ici, et mon interprète n’a pu me dire si le parterre avoit tort ou raison de siffler. Il faut attendre pour en juger qu’on en donne une seconde représentation. Après ce tumulte, je n’entendis plus que des applaudissemens quelquefois foibles ou peu fréquens, mais qui ne furent plus troublés par aucun-murmure. Je voulus savoir ce qui excitoit de tems-en tems les applaudissemens, et j’en demandai la cause à mon fidèle interprète qui me l’indiqua dans le détail ci-après. Tantôt on applaudissoit la comédie du Cercle et les acteurs Français qui paroissoient dans la pièce ; tantôt on donnoit des marques de satisfaction à Gavaudan qui s’y était chargé du rôle de l’Abbé, et qui exécutoit une romance de Pradere, que nous ne pûmes entendre en s’accompagnant sur une harpe dont la beauté et la richesse font infiniment d’honneur au goût de M. Cousineau.

Ici on témoignoit à Vestris le plaisir qu’on avoit à retrouver encore en lui cette vigueur et ces graces qui distinguent ce favori de Therpsicore, et le regret qu’on éprouveroit si, comme le bruit s’en étoit répandu, il partoit pour l’étranger ; là chacune des danseuses excitoit alternativement les applaudissemens ; et il faut convenir que toutes les méritaient par la précision et l’ensemble de leurs mouvemens. Malgré cette réunion de talens, cette représentation n’a pas répondu à l’espoir qu’on en avoit conçu, et on pouvoit lire le soir à minuit passé sur les visages de ceux qui sortoient que le divertissement étoit dégénéré pour eux en fatigue.

Le premier Consul assista à ce spectacle, et reçut à son arrivée et à son départ de nombreux applaudissemens. On assure que le produit des recettes dans cette soirée s’est élevé à une somme de trente-deux mille cinq cents francs ; il est douteux qu’il y en ait eu de plus brillantes. Il paroît que les comédiens Français veulent donner à leur ancien camarade Dupont une preuve de leur attachement, en jouant à son bénéfice au théâtre de la Porte St-Martin , le spectacle qu’ils annoncent, (Othello et la Mère Jalouse, pièces qui n’ont pas été représentées depuis long-tems), ne pourra manquer de piquer la curiosité et d’intéresser le public en faveur de l’acteur intéressant pour qui se donnera cette représentation, et qui a été trop tôt enlevé à l’espoir des amateurs de la bonne comédie.

Courrier des spectacles, n° 2611 du 1er floréal an 12 [21 avril 1804], p. 2 :

[Les débuts de l’opéra ont été difficiles : sifflé à la première, il a été ovationné à la seconde le 28 germinal, ce changement étant attribué à « une autre cause » non précisée (on peut penser à la claque...). Le critique penche pour un jugement plus modéré, « ni cet excès d’honneur, ni cette indignation ». La pièce est sans grand intérêt (on n’y trouve les sentiments des personnages), froide et décousue. Mais elle est sauvée « par une musique agréable et savante », et par la qualité des chanteurs. Le critique désigne quelques morceaux remarquables : « cette composition fait honneur au talent de l’auteur M. Dalayrac ». La fin de l’article est consacrée à résumer l’intrigue, une nouvelle histoire orientale de Calife qui épouse une jeune fille rencontrée lors d’une nuit de pêche. La révélation de l’identité du Calife lève tout obstacle au mariage. Pas un mot sur les auteurs du livret.

Théâtre de l’Opéra.

Le Pavillon du Calife.

Encore un exemple de l’inconstance du partère et de l’instabilité de ses jugemens. Le Calife qui, le jour de la représentation au bénéfice de Vestris, avoit été presque forcé, par les sifflets, à abandonner son pavillon, y rentra hier au bruit flatteur des applaudissemens, nemine contradicente. Ce changement dans l’opinion prouve assez que le mécontentement du public avoit une autre cause. Quoiqu'il en soit nous avons pu hier entendre cet ouvrage qui, rejeté le premier jour, accueilli avec transport le second, nous a paru ne mériter ni cet excès d’honneur, ni cette indignation.

On y trouve peu d’intérêt, les scènes en sont froides et décousues, mais ces défauts sont rachetés par une musique agréable et savante, et par le plaisir qu’on éprouve à entendre les premiers chanteurs de ce théâtre qui y remplissent les principaux rôles.

Nous citerons entr’autres morceaux justement applaudis deux airs que chante Lays au premier acte, et un quinque très-bien exécuté par mesd. Branchu, Cholet, et MM. Lays, Bertin et Laforêt. Une romance que chante mad. Branchu en s’accompagnant sur la guitare a aussi fait le plus grand plaisir. En général cette composition fait honneur au talent de l’auteur M. Dalayrac.

Almanzor, calife de Bagdad, déguisé une nuit en pêcheur, a arraché des mains des brigands Zobéïde, jeune personne, fille d’un de ses sujets, que le Grand Visir a fait proscrire sur un rapport infidèle qu’on lui a fait. Zobeïde n’a pu voir son libérateur sans éprouver pour lui plus que de la reconnoissance, mais elle ignore son nom et sa puissance.

Le Calife de son côté veut la revoir, et accompagné de son Grand-Visir, déguisé comme lui en pécheur, il sort de Bagdad pour la rencontrer. Il la retrouve dans un pavillon de ses jardins, dont le Concierge qui n’a jamais eu l’avantage de voir son maître, prépare un repas splendide afin d’inspirer de l’amour à Zobéïde dont il est épris. Almanzor et son Visir se présentent au Concierge qui ne fait aucune difficulté d’admettre ces deux prétendus pêcheurs à sa table ; mais un billet que le Calife a donné à ce Concierge pour le patron de la barque qui les a amenés, change la face des choses. Tous les gardes, les esclaves, les odalisques se réunissent en un moment, et le pêcheur, redevenu Almanzor, offre sa main et son trône à Zobeïde.

F. J. B. P. G***.

Le Nouvel Esprit des journaux français et étrangers, an 12, troisième trimestre, tome huitième (Floréal an 12, avril 1804) p. 270-275 :

[Soirée en l’honneur du grand danseur Vestris. Trois pièces, six ou sept heures de spectacle, où le critique voit une heureuse gradation : « un opéra détestable, qui a fait trouver l'intermède charmant, la comédie assez agréable, et le ballet très-beau ». Puis on passe à l’analyse du sujet de l’opéra, emprunté aux inépuisables Mille et une nuits. Le critique donne d’assez larges extraits du livret, avant de conclure son analyse par l’annonce d’une chute sans rémission possible, du moins à ses yeux. Le livret est donc digne des théâtres de second ordre, et le public de l’opéra n’a pas accepté « une quantité de traits et de mots qui ne seraient à leur place qu'aux Boulevards ou chez la Montansier ». La musique, elle est « assez médiocre », due à un compositeur qui a réussi à l’Opéra-Comique (Le Pavillon du Calife aurait d’ailleurs dû être présenté comme un opéra bouffe ou un opéra comique, pas comme un opéra). Seuls point positifs dans ce spectacle : l’interprétation (deux chanteurs loués pour un qui est maltraité par le critique après l’avoir été par le public). Et la danse a été vivement appprécié : on y a vu Vestris, son rival s’étant abstenu.]

Théâtre de l'Opéra.

Le Pavillon du Calife, en deux actes, suivi d'un intermède, du Cercle, comédie, et du ballet-pantomime de Jason et Médée, au profit de Vestris.

N'offrez point à mes sens de mollesse accablés
Tous les parfums de Flore à-la-fois exhalés.

Trois pièces en une séance de six ou sept heures, c'est beaucoup pour un jour, et pour des Français ; mais le spectacle était varié, et il a commencé par l'opéra qui a fait vivement désirer le reste. Si tout avait été bon, il y aurait eu véritablement satiété. En conséquence, on nous a donné un opéra détestable, qui a fait trouver l'intermède charmant, la comédie assez agréable, et le ballet très-beau. Ainsi la soirée, ou plutôt la nuit, a été partagée entre l'ennui et le plaisir ; et il faut admirer, dans la distribution, le jugement de l'ordonnateur ; car l'ennui est venu le premier, il n'eût pas été supportable après le plaisir qu'il a mieux fait goûter.

Le sujet du Pavillon est tiré des Mille et Une Nuits. Azem, gouverneur d'Alep, et sa fille Zobeïde, ont encouru la disgrace du calife Almanzor, abusé par de faux rapports. Zobeïde est partie pour tâcher de parvenir jusqu'au trône du souverain, afin de le désabuser. Pendant qu'elle est en route, Almanzor de son côté, déguisé en pêcheur,

      Assez loin des murs de la ville,
Errait pour s'assurer si tout était tranquille,

Il entend des cris sur les bords du Tigre : un objet adorable était surpris par des brigands ; c'était Zobeïde qu'il ne connaissait pas. Almanzor vole à son secours, tue le chef des bandits, fait fuir les autres, aime subitement, est aimé de même, et laisse aller sa maîtresse qui lui dit qu'elle se rend dans un asyle offert à son malheur par l'amitié. La première chose qu'il fait le lendemain, c'est de l'envoyer chercher. Elle avait disparu avec son hôtesse, et voilà le calife au désespoir, comme de raison. Elle s'était rendue à Bagdad, accompagnée de Fatmé, son amie. Elles vont trouver Rustan, bostangi attaché au pavillon des fleurs, qui devient aussi amoureux de Zobeïde, et demande aux deux amies comment elles trouvent Rustan. Fatmé répond :

Qu'il est d'une humeur agréable ;

Et vous ? dit-il à Zobeïde.

Zobeïde.

                   . . . Il est complaisant,
Sensible, humain et bienfaisant.

Rustan.

Est-ce là tout ?

Fatmé.

Et très-aimable.

Rustan, à Zobeïde.

Est-il aimable ?

Zobeïde, Fatmé.

Très-aimable.

Rustan , ravi de joie, fait entendre à Zobeïde que demain il tombe à ses genoux. Elle en est alarmée.

Fatmé.

                            Laissons-le dire.
Il est chez lui dans ce moment.

Zobeïde veut prendre congé de Rustan. Il s'oppose à ce qu'elle sorte sans prendre quelque rafraîchissement.

. . . . . . Non vraiment , souper est très-utile ;
                                 Vous ne me refuserez pas.

Almanzor arrive dans ce pavillon avec le visir. Tous deux sont cachés sous des habits de pêcheurs. Il reconnaît la femme qu'il a sauvée, et ne se découvre point à Rustan ; il feint même de le prendre pour le propriétaire du beau pavillon dont il a la garde. Rustan tout fier :

On me croit de ce lieu le riche possesseur,
                  Et cette erreur
                  Me fait honneur.

Quels vers, même pour des vers d'opéra ! Almanzor lui dit :

Vous avez là, seigneur, un palais magnifique.

Oui, répond le bostangi ;

Mais il faudrait qu'il fût mieux éclairé :
    Alors c'est un coup-d'œil unique.

Et il lui ordonne de l'aider à procurer ce coup-d'œil à la belle inconnue, et d'allumer par-tout. Comme on va se mettre à table, le visir offre une coupe au calife. Rustan alarmé, leur apprend que c'est celle d'Almanzor :

Car nous somme un peu chez lui.

Ce qui n'a pas peu fait rire l'assemblée. Le calife a le plaisir de voir qu'il est aimé, quoiqu'on le croie un simple pêcheur. On entend du bruit. L'amante d'Almanzor :

O ciel ! poursuit-on Zobeïde ?

C'est ainsi que le calife est instruit du nom de sa maîtresse, ce qui est assurément très-ingénieux. Il se découvre, reconnaît qu'il a été trompé par la calomnie sur le compte d'Azem, rend son amitié à ce gouverneur, se marie à sa chère Zobeïde, et le chœur termine la pièce en criant :

Vive Almanzor et Zobeide !

C'est un vœu qui ne s'accomplira pas. Quoique l'opéra soit en possession de ne pas se soumettre aux décisions des spectateurs, et qu'il ait banni le mot chûte de son dictionnaire, celle-ci a été si roide, qu'il est à croire qu'elle fera exception.

On aurait dû au moins annoncer que c'était un opéra-bouffon ou comique. Le bostangi Rustan est un vrai pantalon, et il y a d'ailleurs dans les autres rôles une quantité de traits et de mots qui ne seraient à leur place qu'aux Boulevards ou chez la Montansier. On les a sifflés impitoyablement. L'auteur de la musique, qu'on a trouvée assez médiocre, est M. Daleyrac, connu par une foule de pièces à l'Opéra-Comique. Son début sur un plus grand théâtre n'a pas été encourageant. On disait dans toute la salle :

Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier..

On a beaucoup applaudi Laïs, et surtout Mme. Branchu. Laforêt qui jouait Almanzor a été fort maltraité. On le trouve usé. Ses moyens le trahissaient à chaque instant. Les paroles ont plus d'un auteur. Ils n'ont pas imprimé leur nom, et l'on n'a pas été tenté de les demander. Ils sont d'autant moins excusables qu'ils pourraient mieux faire.

Les danses de l'opéra et sur-tout l'intermède qui l'a séparé de la comédie, ont dédommagé de l'insipidité du drame. Vestris était en tout sens le héros de la fête ; son rival, Duport, n'a point paru. Mme. Gardel aussi s'est surpassée.

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